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Émile Zola - La Terre

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Et il la poussa, d'une secousse si rude, qu'elle s'en alla, defaillante, tomber assise contre le mur. Elle avait jete<br />

une plainte sourde. Il la regarda un instant, pliee la comme une loque; puis, il partit d'un air fou, il fit claquer<br />

la porte, en jurant:<br />

—Nom de Dieu de nom de Dieu!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Le lendemain, Rose ne put quitter le lit. On appela le docteur Finet, qui revint trois fois sans la soulager. A la<br />

troisieme visite, l'ayant trouvee a l'agonie, il prit Fouan a part, il demanda comme un service d'ecrire tout de<br />

suite et de laisser le permis d'inhumer: cela lui eviterait une course, il usait de cet expedient, pour les hameaux<br />

lointains. Cependant, elle dura trente−six heures encore. Lui, aux questions, avait repondu que c'etait la<br />

vieillesse et le travail, qu'il fallait bien s'en aller, quand le corps etait fini. Mais, dans Rognes, ou l'on savait<br />

l'histoire, tous disaient que c'etait un sang tourne. Il y eut beaucoup de monde a l'enterrement, Buteau et le<br />

reste de la famille s'y conduisirent tres bien.<br />

Et, lorsqu'on eut rebouche le trou, au cimetiere, le vieux Fouan rentra seul dans la maison, ou ils avaient vecu<br />

et souffert a deux, pendant cinquante ans. Il mangea debout un morceau de pain et de fromage. Puis, il roda au<br />

travers des batiments et du jardin vides, ne sachant a quoi tuer son chagrin. Il n'avait plus rien a faire, il sortit<br />

pour monter sur le plateau, a ses anciennes pieces, voir si le ble poussait.<br />

III<br />

Pendant tout une annee, Fouan vecut de la sorte, silencieux dans la maison deserte. On l'y trouvait sans cesse<br />

sur les jambes, allant, venant, les mains tremblantes, et ne faisant rien. Il restait des heures devant les auges<br />

moisies de l'etable, retournait se planter a la porte de la grange vide, comme cloue la par une songerie<br />

profonde. Le jardin l'occupait un peu; mais il s'affaiblissait, il se courbait davantage vers la terre, qui semblait<br />

le rappeler a elle; et, deux fois, on l'avait secouru, le nez tombe dans ses plants de salades.<br />

Depuis les vingt francs donnes a Jesus−Christ, Delhomme payait seul la rente, car Buteau s'entetait a ne plus<br />

verser un sou, declarant qu'il aimait mieux aller en justice, que de voir son argent filer dans la poche de sa<br />

canaille de frere. Ce dernier, en effet, arrachait encore de temps a autre une aumone forcee a son pere, que ses<br />

scenes de larmes aneantissaient.<br />

Ce fut alors que Delhomme, devant cet abandon du vieux, exploite, malade de solitude, eut l'idee de le<br />

prendre. Pourquoi ne vendrait−il pas la maison et n'habiterait−il pas chez sa fille? Il n'y manquerait de rien, on<br />

n'aurait plus les deux cents francs de rente a lui payer. Le lendemain, Buteau, ayant appris cette offre,<br />

accourut, en fit une semblable, avec tout un etalage de ses devoirs de fils. De l'argent pour le gacher, non!<br />

mais du moment qu'il s'agissait de son pere tout seul, celui−ci pouvait venir, il mangerait et dormirait, a l'aise.<br />

Au fond, sa pensee dut etre que sa soeur n'attirait le vieux que dans le calcul de mettre la main sur le magot<br />

soupconne. Lui−meme pourtant commencait a douter de l'existence de cet argent, flaire en vain. Et il etait tres<br />

partage, il offrait son toit par orgueil, en comptant bien que le pere refuserait, en souffrant a l'idee qu'il<br />

accepterait peut−etre l'hospitalite des Delhomme. Du reste, Fouan montra une grande repugnance, presque de<br />

la peur, pour la premiere comme pour la seconde des deux propositions. Non! non! valait mieux son pain sec<br />

chez soi que du roti chez les autres: c'etait moins amer. Il avait vecu la, il mourrait la.<br />

Les choses allerent ainsi jusqu'a la mi−juillet, a la Saint−Henri, qui etait la fete patronale de Rognes. Un bal<br />

forain, couvert de toile, s'installait d'ordinaire dans les pres de l'Aigre; et il y avait, sur la route, en face de la<br />

mairie, trois baraques, un tir, un camelot vendant de tout, jusqu'a des rubans, et un jeu de tournevire, ou l'on<br />

gagnait des sucres d'orge. Or, ce jour−la, M. Baillehache, qui dejeunait a la Borderie, etant descendu causer<br />

avec Delhomme, celui−ci le pria de l'accompagner chez le pere Fouan, pour lui faire entendre raison. Depuis<br />

la mort de Rose, le notaire conseillait egalement au vieillard de se retirer pres de sa fille et de vendre la<br />

maison inutile, trop grande a cette heure. Elle valait bien trois mille francs, il offrait meme d'en garder l'argent<br />

III 117

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