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Émile Zola - La Terre

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—Ce n'est pas d'un pere, ce que vous dites. Faut etre denature pour renier son enfant... Moi, j'ai bon coeur,<br />

c'est ce qui causera ma perte... Si vous n'aviez pas d'argent! mais puisque vous en avez, est−ce que ca se<br />

refuse, une aumone a un fils?.... J'irai mendier chez les autres, ce sera du propre, ah! oui, du propre!<br />

Et, a chaque phrase, lachee au milieu de ses larmes, il jetait sur l'assiette un regard oblique qui faisait trembler<br />

le vieux. Puis, feignant d'etouffer, il ne poussa plus que des cris assourdissants d'homme qu'on egorge.<br />

Rose, bouleversee, gagnee par les sanglots, joignit les mains, pour supplier Fouan.<br />

—Voyons, mon homme...<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Mais ce dernier, se debattant, refusant encore, l'interrompit.<br />

—Non non, il se fout de nous.... Veux−tu te taire, animal? Est−ce qu'il y a du bon sens a gueuler ainsi? Les<br />

voisins vont venir, tu nous rends tous malades.<br />

Cela ne fit que redoubler les clameurs de l'ivrogne, qui beugla:<br />

—Je ne vous ai pas dit... L'huissier vient demain saisir chez moi. Oui, pour un billet que j'ai signe a<br />

<strong>La</strong>mbourdieu... Je ne suis qu'un cochon, je vous deshonore, faut que j'en finisse. Ah! cochon! tout ce que je<br />

merite, c'est de boire un coup dans l'Aigre, jusqu'a plus soif... Si seulement j'avais trente francs...<br />

Fouan, excede, vaincu par cette scene, tressaillit, a ce chiffre de trente francs. Il ecarta l'assiette. A quoi bon?<br />

puisque le bougre les voyait et les comptait a travers la faience.<br />

—Tu veux tout, est−ce raisonnable, nom de Dieu!... Tiens! tu nous assommes, prends−en la moitie, et file,<br />

qu'on ne te revoie pas!<br />

Jesus−Christ, gueri soudain, parut se consulter, puis declara:<br />

—Quinze francs, non, c'est trop court, ca ne peut pas faire l'affaire. Mettons−en vingt, et je vous lache.<br />

Ensuite, lorsqu'il tint les quatre pieces de cent sous, il les egaya tous, en leur racontant le tour qu'il avait joue a<br />

Becu, de fausses lignes de fond, placees dans la partie reservee de l'Aigre, de telle maniere que le garde<br />

champetre etait tombe a l'eau, en voulant les retirer. Et il s'en alla enfin, apres s'etre fait offrir un verre du<br />

mauvais vin de Delhomme, qu'il traita de sale canaille, pour oser donner a un pere cette drogue−la.<br />

—Tout de meme, il est gentil, dit Rose, lorsqu'il eut referme la porte.<br />

<strong>La</strong> Grande s'etait mise debout, pliant son tricot, pres de partir. Elle regarda sa belle−soeur, puis son frere,<br />

fixement; et elle sortit a son tour, apres leur avoir crie, dans une colere longtemps contenue:<br />

—Pas un sou, foutues betes! ne me demandez pas un sou, jamais! jamais!<br />

Dehors, elle rencontra Buteau, qui revenait de chez Macqueron, etonne d'y avoir vu entrer Jesus−Christ, tres<br />

gai, la poche sonnante d'ecus. Il avait soupconne vaguement l'histoire.<br />

—Eh! oui, cette grande canaille emporte ton argent. Ah! ce qu'il va se gargariser avec, en se fichant de toi!<br />

Buteau, hors de lui, tapa des deux poings dans la porte des Fouan. Si on ne la lui avait pas ouverte, il l'aurait<br />

enfoncee. Les deux vieux se couchaient deja, la mere avait retire son bonnet et sa robe, en jupon, ses cheveux<br />

II 115

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