05.07.2013 Views

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Et ce fut terrible, le pere et le fils s'obstinerent, repetant sans se lasser les memes mots, l'un exaspere de<br />

n'avoir pas empoche l'argent tout de suite, l'autre le serrant dans son poing, resolu a ne plus le lacher que<br />

donnant donnant. Une seconde fois, la mere dut tirer son homme par la veste, et il ceda de nouveau.<br />

—Tiens! sacre voleur, le voila, le papier! Je devrais te le coller d'une gifle sur la gueule... Donne l'argent.<br />

L'echange eut lieu, de poing a poing; et Buteau, la scene jouee, se mit a rire. Il s'en alla, gentil, satisfait, en<br />

souhaitant bien le bonsoir a la compagnie. Fouan s'etait assis devant la table, l'air epuise. Alors, la Grande,<br />

avant de reprendre son tricot, haussa les epaules, lui jeta violemment ces deux mots:<br />

—Foutue bete!<br />

Il y eut un silence, et la porte fut rouverte, Jesus−Christ entra. Averti par la Trouille que son frere payait le<br />

soir, il le guettait de la route, il avait attendu sa sortie, pour se presenter a son tour. Le visage doux, il etait<br />

simplement attendri d'un reste d'ivresse de la veille. Des le seuil, ses yeux allerent droit aux six pieces de cent<br />

sous, que Fouan avait eu l'imprudence de remettre sur la table.<br />

—Ah! c'est Hyacinthe! cria Rose, heureuse de le voir.<br />

—Oui, c'est moi.... Bonne sante a tous!<br />

Et il s'avanca, sans quitter de l'oeil les pieces blanches, luisantes comme des lunes, a la chandelle. Le pere, qui<br />

avait tourne la tete, suivit son regard, apercut l'argent, dans un sursaut d'inquietude. Vivement, il posa dessus<br />

une assiette, pour le cacher. Trop tard!<br />

—Foutue bete! pensa−t−il, irrite de sa negligence. <strong>La</strong> Grande a raison.<br />

Puis, tout haut, brutal:<br />

—Tu fais bien de venir nous payer, car, aussi vrai que cette chandelle nous eclaire, je t'envoyais l'huissier<br />

demain.<br />

—Oui, la Trouille m'a dit ca, gemit Jesus−Christ tres humble, et je me suis derange, parce que, n'est−ce pas?<br />

vous ne pouvez vouloir ma mort... Payer, bon Dieu! avec quoi payer, quand on n'a pas du pain a sa<br />

suffisance?.... Nous avons tout vendu, oh! je ne blague pas, venez voir vous−meme, si vous croyez que je<br />

blague. Plus de draps aux lits, plus de meubles, plus rien... Et, avec ca je suis malade...<br />

Un ricanement d'incredulite l'interrompit. Il continua sans entendre:<br />

—Peut−etre que ca ne parait guere, mais n'empeche que j'ai quelque chose de mauvais dans le sac. Je tousse,<br />

je sens que je m'en vas... Encore, quand on a du bouillon! Mais quand on a pas du bouillon, on claque, hein?<br />

c'est la verite.... Bien sur que je vous payerais, si j'avais de l'argent. Dites−moi ou il y en a, que je vous en<br />

donne, et que je commence par me mettre un pot−au−feu. V'la quinze jours que je n'ai pas vu de viande.<br />

Rose commencait a s'emouvoir, tandis que Fouan se fachait davantage.<br />

—T'as tout bu, feignant, propre a rien, tant pis pour toi! De si belles terres, qui etaient dans la famille depuis<br />

des ans et des ans, tu les as mises en gage! Oui, il y a des mois que, toi et ta garce de fille, vous faites la noce,<br />

et si c'est fini, a cette heure, crevez donc!<br />

Jesus−Christ n'hesita plus, il sanglota.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

II 114

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!