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Émile Zola - La Terre

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Elle se contint un instant, s'efforca de parler d'autre chose; car, devant la Grande, les Fouan evitaient de se<br />

plaindre, sachant qu'ils lui faisaient plaisir, quand ils regrettaient tout haut de s'etre depouilles. Mais la passion<br />

l'emporta.<br />

—Et va, tu peux mettre le fagot entier, si on appelle ca un fagot. Des brindilles de bois mort, des rognures de<br />

haies!... Faut vraiment que Fanny ratisse son bucher, pour nous envoyer de la pourriture pareille.<br />

Fouan, reste a la table, devant un verre plein, sortit alors du silence ou il semblait vouloir s'enfermer. Il<br />

s'emporta.<br />

—As−tu fini, nom de Dieu! avec ton fagot? C'est de la salete, nous le savons!... Qu'est−ce que je dirai donc,<br />

moi, de cette cochonnerie de piquette que Delhomme me donne pour du vin?<br />

Il eleva le verre, le regarda a la chandelle.<br />

—Hein? qu'a−t−il bien pu foutre la−dedans? Ce n'est pas meme de la rincure de tonneau... Et il est honnete,<br />

celui−la! Les deux autres nous laisseraient crever de soif, sans aller nous chercher une bouteille d'eau a la<br />

riviere.<br />

Enfin, il se decida a boire son vin d'un coup. Mais il cracha violemment.<br />

—Ah! la poison! c'est peut−etre bien pour me faire claquer tout de suite.<br />

Des ce moment, Fouan et Rose s'abandonnerent a leur rancune, sans plus rien menager. Leurs coeurs ulceres<br />

se soulageaient, ils alternaient les litanies de leurs recriminations, chacun a son tour disait son grief. Ainsi, les<br />

dix litres de lait par semaine: d'abord, ils n'en recevaient pas six; et puis, s'il ne passait point entre les mains de<br />

monsieur le cure, ce lait−la, n'empeche qu'il devait etre bon chretien. C'etait comme pour les oeufs,<br />

certainement qu'on les commandait expres aux poules, car on n'en aurait pas trouve d'aussi petits sur tout le<br />

marche de Cloyes: oui, une vraie curiosite, et donnes de si mauvais coeur, qu'ils avaient le temps de se gater<br />

en route. Quant aux fromages, ah! les fromages! Rose se tordait de coliques, chaque fois qu'elle en mangeait.<br />

Elle courut en chercher un, elle voulut absolument que Palmyre y goutat. Hein? etait−ce une horreur? ca ne<br />

criait−il pas vengeance? Ils devaient y ajouter de la farine, peut−etre bien du platre. Mais deja Fouan se<br />

lamentait d'en etre reduit a ne plus pouvoir fumer qu'un sou de tabac par jour; et, aussitot, elle regretta son<br />

cafe noir qu'il lui avait fallu supprimer; et tous les deux a la fois, ensuite, les accuserent de la mort de leur<br />

vieux chien infirme, qu'ils s'etaient decides a noyer la veille, parce qu'il coutait trop pour eux, maintenant.<br />

—Je leur ai tout donne, cria le vieux, et les bougres se foutent de moi!... Ah! ca nous tuera, tant nous rageons<br />

a nous voir dans cette misere!<br />

Ils s'arreterent enfin, et la Grande, qui n'avait pas desserre les levres, les regarda l'un apres l'autre, de ses yeux<br />

ronds d'oiseau mauvais.<br />

—C'est bien fait! dit−elle.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Mais, juste a ce moment, Buteau entra. Palmyre, ayant termine son travail, en profita pour s'echapper, avec les<br />

quinze sous que Rose venait de lui mettre dans la main. Et Buteau, debout au milieu de la piece, se tint<br />

immobile, dans ce silence prudent du paysan qui ne veut jamais parler le premier. Deux minutes s'ecoulerent.<br />

Le pere fut force d'entamer les choses.<br />

—Alors, tu te decides, c'est heureux.... Depuis dix jours, tu te fais bien attendre.<br />

II 112

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