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Émile Zola - La Terre

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—Oui, expliqua lentement le vieux, la petite a cause avec moi, hier... Vous voyez si j'avais raison de vouloir<br />

regler les affaires tout de suite. Chacun sa part, on ne se brouille pas pour ca: au contraire, ca empeche les<br />

disputes... Et, a cette heure, faut bien en finir. C'est son droit, n'est−ce pas? d'etre fixee sur ce qui lui revient.<br />

Moi, je serai reprehensible... Alors donc, nous allons dire un jour et nous irons tous ensemble chez M.<br />

Baillehache.<br />

Mais Lise ne put se contenir davantage.<br />

—Pourquoi ne nous envoie−t−elle pas les gendarmes? On dirait qu'on la vole, bon sang!... Est−ce que je<br />

raconte dehors, moi, qu'elle est un vrai baton merdeux, a ne pas savoir par quel bout la prendre?<br />

Francoise allait repondre sur ce ton, lorsque Buteau, qui l'avait saisie par derriere, comme pour jouer, s'ecria:<br />

—En v'la des betises!... On s'asticote, mais on s'aime tout de meme, pas vrai? Ca serait propre de ne pas etre<br />

d'accord entre soeurs.<br />

<strong>La</strong> jeune fille s'etait degagee d'une secousse, et la querelle allait reprendre, lorsqu'il eut une exclamation<br />

joyeuse, en voyant la porte s'ouvrir de nouveau.<br />

—Jean!... Ah! quelle soupe! un vrai caniche!<br />

En effet, Jean, venu au pas de course de la ferme, comme cela lui arrivait souvent, n'avait jete qu'un sac sur<br />

ses epaules, pour se proteger; et il etait trempe, ruisselant, fumant, riant lui−meme en bon garcon. Pendant<br />

qu'il se secouait, Buteau, retourne devant la fenetre, s'epanouissait de plus en plus, devant la pluie entetee.<br />

—Oh! ca tombe, ca tombe, c'est une benediction!... Non, vrai! c'est rigolo, tant ca tombe!<br />

Puis, revenant:<br />

—Tu arrives bien, toi. Ces deux−la se mangeaient... Francoise veut qu'on partage, pour nous quitter.<br />

—Comment? cette gamine! cria Jean, saisi.<br />

Son desir etait devenu une passion violente, cachee; et il n'avait d'autre satisfaction que de la voir dans cette<br />

maison, ou il etait recu en ami. Vingt fois deja, il l'aurait demandee en mariage, s'il ne s'etait pas trouve si<br />

vieux pour elle si jeune: il avait beau attendre, les quinze annees de difference ne se comblaient pas. Personne<br />

ne semblait se douter qu'il put songer a elle, ni elle−meme, ni sa soeur, ni son beau−frere. Aussi etait−ce pour<br />

cela que ce dernier l'accueillait si cordialement, sans peur des suites.<br />

—Gamine, ah! c'est le vrai mot, dit−il avec un haussement paternel des epaules.<br />

Mais Francoise, raidie, les yeux a terre, s'entetait.<br />

—Je veux ma part.<br />

—Ce serait le plus sage, murmura le vieux Fouan.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Alors, Jean la prit doucement par les poignets, l'attira contre ses genoux; et il la gardait ainsi, les mains<br />

fremissantes de lui sentir la peau, il lui parlait de sa bonne voix, qui s'alterait, a mesure qu'il la suppliait de<br />

rester. Ou irait−elle? chez des etrangers, en condition a Cloyes ou a Chateaudun? Est−ce qu'elle n'etait pas<br />

mieux, dans cette maison ou elle avait grandi, au milieu de gens qui l'aimaient? Elle l'ecoutait, et elle<br />

TROISIEME PARTIE 109

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