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Émile Zola - La Terre

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Il etait mal plante, il s'emporta.<br />

—Nom de Dieu! as−tu fini de m'eplucher?... Ne regarde pas, si ca t'offusque... Tas donc bien envie d'en tater,<br />

morveuse, que t'es toujours la−dessus?<br />

Elle rougit encore, elle begaya, tandis que Lise avait le tort d'ajouter:<br />

—Il a raison, tu nous embetes a la fin... Va−t'en, si l'on n'est plus libre chez soi.<br />

—C'est ca, je m'en irai, dit rageusement Francoise, qui sortit en faisant claquer la porte.<br />

Mais, le lendemain, Buteau etait redevenu gentil, conciliant et goguenard. Dans la nuit, le ciel s'etait couvert,<br />

il tombait depuis douze heures une pluie fine, tiede, penetrante, une de ces pluies d'ete qui ravivent la<br />

campagne; et il avait ouvert la fenetre, sur la plaine, il etait la des l'aube, a regarder cette eau, radieux, les<br />

mains dans les poches, repetant:<br />

—Nous v'la bourgeois, puisque le bon Dieu travaille pour nous... Ah! sacre tonnerre! des journees passees<br />

comme ca, a faire le feignant, ca vaut mieux que les journees ou l'on s'esquinte sans profit.<br />

Lente, douce, interminable, la pluie ruisselait toujours; et il entendait la Beauce boire, cette Beauce sans<br />

rivieres et sans sources, si alteree. C'etait un grand murmure, un bruit de gorge universel, ou il y avait du<br />

bien−etre. Tout absorbait, se trempait, tout reverdissait dans l'averse. Le ble reprenait une sante de jeunesse,<br />

ferme et droit, portant haut l'epi, qui allait se gonfler, enorme, crevant de farine. Et lui, comme la terre,<br />

comme le ble, buvait par tous ses pores, detendu, rafraichi, gueri, revenant se planter devant la fenetre, pour<br />

crier:<br />

—Allez, allez donc!... C'est des pieces de cent sous qui tombent!<br />

Brusquement, il entendit quelqu'un ouvrir la porte, il se tourna, et il eut la surprise de reconnaitre le vieux<br />

Fouan.<br />

—Tiens! le pere!... Vous venez donc de la chasse aux grenouilles?<br />

Le vieux, apres s'etre battu avec un grand parapluie bleu, entra, en laissant ses sabots sur le seuil.<br />

—Fameux coup d'arrosoir, dit−il simplement. Fallait ca.<br />

Depuis un an que le partage etait definitivement consomme, signe, enregistre, il n'avait plus qu'une<br />

occupation, celle d'aller revoir ses anciennes pieces. On le rencontrait toujours rodant autour d'elles,<br />

s'interessant, triste ou gai selon l'etat des recoltes, gueulant contre ses enfants, parce que ce n'etait plus ca, que<br />

c'etait leur faute, si rien ne marchait. Cette pluie le ragaillardissait, lui aussi.<br />

—Et alors, reprit Buteau, vous entrez nous voir, en passant?<br />

Francoise, muette jusque−la, s'avanca et dit d'une voix nette:<br />

—Non, c'est moi qui ai prie mon oncle de venir.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Lise, debout devant la table, en train d'ecosser des pois, lacha la besogne, attendit, les bras ballants, le visage<br />

subitement dur. Buteau, qui avait d'abord ferme les poings, reprenait son air de rire, resolu a ne pas se facher.<br />

TROISIEME PARTIE 108

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