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Émile Zola - La Terre

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—Oui, il fait bon, repeta enfin Jean. Ca remet le coeur.<br />

Elle ne repondit pas, et il s'apercut qu'elle dormait. Elle glissait, elle s'appuyait contre son epaule. Alors, il<br />

demeura, une heure encore, songeant a des choses confuses. De mauvaises pensees l'envahirent, puis se<br />

dissiperent. Elle etait trop jeune, il lui semblait qu'en attendant, elle seule vieillirait et se rapprocherait de lui.<br />

—Dis donc, Francoise, faut se coucher. On prendrait du mal.<br />

Elle se reveilla en sursaut.<br />

—Tiens! c'est vrai, on sera mieux dans son lit... Au revoir, Jean.<br />

—Au revoir, Francoise.<br />

TROISIEME PARTIE<br />

I<br />

Enfin, Buteau la tenait donc, sa part, cette terre si ardemment convoitee, qu'il avait refusee pendant plus de<br />

deux ans et demi, dans une rage faite de desir, de rancune et d'obstination! Lui−meme ne savait plus pourquoi<br />

il s'etait ainsi entete, brulant au fond de signer l'acte, craignant d'etre dupe, ne pouvant se consoler de n'avoir<br />

pas tout l'heritage, les dix−neuf arpents, aujourd'hui mutiles et epars. Depuis qu'il avait accepte, c'etait une<br />

grande passion satisfaite, la joie brutale de la possession; et une chose la doublait, cette joie, l'idee que sa<br />

soeur et son frere etaient voles, que son lot valait davantage, a present que le nouveau chemin bordait sa piece.<br />

Il ne les rencontrait plus sans ricaner, en malin, disant avec des clins d'yeux:<br />

—Tout de meme, je les ai fichus dedans!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et ce n'etait point tout. Il triomphait encore de son mariage, si longtemps differe, des deux hectares que lui<br />

avait apportes Lise, touchant sa piece, car la pensee du partage necessaire entre les deux soeurs ne lui venait<br />

pas; ou, du moins, il le repoussait a une epoque tellement lointaine qu'il esperait trouver d'ici la une facon de<br />

s'y soustraire. Il avait, en comptant la part de Francoise, huit arpents de labour, quatre de pre, environ deux et<br />

demi de vigne; et il les garderait, on lui arracherait plutot un membre; jamais surtout il ne lacherait la parcelle<br />

des Cornailles, au bord du chemin, laquelle, maintenant, mesurait pres de trois hectares. Ni sa soeur ni son<br />

frere n'en avait une pareille; il en parlait les joues enflees, crevant d'orgueil.<br />

Un an se passa, et cette premiere annee de possession fut pour Buteau une jouissance. A aucune epoque,<br />

quand il s'etait loue chez les autres, il n'avait fouille la terre d'un labour si profond: elle etait a lui, il voulait la<br />

penetrer, la feconder jusqu'au ventre. Le soir, il rentrait epuise, avec sa charrue dont le soc luisait comme de<br />

l'argent. En mars, il hersa ses bles, en avril, ses avoines, multipliant les soins, se donnant tout entier. Lorsque<br />

les pieces ne demandaient plus de travail, il y retournait pour les voir, en amoureux. Il en faisait le tour, se<br />

baissait et prenait, de son geste accoutume, une poignee, une motte grasse, qu'il aimait a ecraser, a laisser<br />

couler entre ses doigts, heureux surtout s'il ne la sentait ni trop seche ni trop humide, flairant bon le pain qui<br />

pousse.<br />

Ainsi, la Beauce, devant lui, deroula sa verdure, de novembre a juillet, depuis le moment ou les pointes vertes<br />

se montrent jusqu'a celui ou les hautes tiges jaunissent. Sans sortir de sa maison, il la desirait sous ses yeux, il<br />

avait debarricade la fenetre de la cuisine, celle de derriere, qui donnait sur la plaine; et il se plantait la, il<br />

voyait dix lieues de pays, la nappe immense, elargie, toute nue, sous la rondeur du ciel. Pas un arbre, rien que<br />

les poteaux telegraphiques de la route de Chateaudun a Orleans, filant droit, a perte de vue. D'abord, dans les<br />

TROISIEME PARTIE 105

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