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Émile Zola - La Terre

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Jacqueline, etonnee, continuait a le regarder fixement, avec son sourire. Elle finit par murmurer:<br />

—Mais, dites donc, les femmes, a Chartres...<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Il comprit, devint tres grave, s'epancha pourtant, dans l'expansion de la soulerie generale. Elle, tres rose,<br />

frissonnante de petits rires, se poussait contre lui, comme pour entrer dans ce mystere d'un galop d'hommes,<br />

tous les soirs. Mais ce n'etait pas ce qu'elle croyait, il lui en contait le dur travail, car il avait le vin<br />

melancolique et paternel. Puis, il s'anima, lorsqu'elle lui eut dit qu'elle s'etait amusee a passer, pour voir,<br />

devant la maison de Chateaudun, au coin de la rue Davignon et de la rue Loiseau, une petite maison delabree,<br />

aux persiennes closes et a demi pourries. Derriere, dans un jardin mal tenu, une grosse boule de verre etame<br />

refletait la facade; tandis que, devant la lucarne du comble, change en pigeonnier, des pigeons volaient,<br />

roucoulant au soleil. Ce jour−la, des enfants jouaient sur la marche de la porte, et l'on entendait les<br />

commandements, par−dessus le mur de la caserne de cavalerie voisine. Lui, l'interrompait, s'emportait. Oui,<br />

oui! il connaissait l'endroit, deux femmes degoutantes et ereintees, pas meme des glaces en bas. C'etaient ces<br />

bouges qui deshonoraient le metier.<br />

—Mais que voulez−vous faire dans une sous−prefecture? dit−il enfin, calme, cedant a une philosophie<br />

tolerante d'homme superieur.<br />

Il etait une heure du matin, on parla d'aller se coucher. Lorsqu'on avait eu un enfant ensemble, inutile, n'est−ce<br />

pas? d'y mettre des facons, pour se fourrer sous la couverture. C'etait comme les farces, le poil a gratter, le lit<br />

deboulonne, les joujoux qui aboient quand on les presse, tout ca, avec eux, n'aurait guere ete que de la<br />

moutarde apres diner. Le mieux etait de boire encore un coup et de se dire bonsoir.<br />

A ce moment, Lise et Fanny pousserent un cri. Par la fenetre ouverte, de l'ordure venait d'etre jetee a pleine<br />

main, une volee de merde ramassee au pied de la haie; et les robes de ces dames se trouvaient perdues,<br />

eclaboussees du haut en bas. Quel etait le cochon qui avait fait ca? On courut, on regarda sur la place, sur la<br />

route, derriere le mur. Personne. D'ailleurs, tous furent d'accord: c'etait Jesus−Christ qui se vengeait de n'avoir<br />

pas ete invite.<br />

Les Fouan et les Delhomme partirent, M. Charles aussi. <strong>La</strong> Grande faisait le tour de la table, cherchant s'il ne<br />

restait rien; et elle se decida, apres avoir dit a Jean que les Buteau creveraient sur la paille. Dans le chemin,<br />

pendant que les autres, tres ivres, culbutaient parmi les cailloux, on entendit son pas ferme et dur s'eloigner,<br />

avec les petits coups reguliers de sa canne?<br />

Tron ayant attele le cabriolet, pour Mme Jacqueline, celle−ci, sur le marchepied, se retourna.<br />

—Est−ce que vous rentrez avec nous, Jean?... Non, n'est−ce pas?<br />

Le garcon, qui s'appretait a monter, se ravisa, heureux de la laisser au camarade. Il la regarda se serrer contre<br />

le grand corps de son nouveau galant, il ne put s'empecher de rire, quand la voiture eut disparu. Lui, rentrerait<br />

a pied, et il vint s'asseoir un instant sur le banc de pierre, dans la cour, pres de Francoise, qui s'etait mise la,<br />

etourdie de chaleur et de lassitude, en attendant que le monde fut parti. Les Buteau etaient deja dans leur<br />

chambre, elle avait promis de fermer tout, avant de se coucher elle−meme.<br />

—Ah! qu'il fait bon la! soupira−t−elle, apres cinq grandes minutes de silence.<br />

Et le silence recommenca, d'une paix souveraine. <strong>La</strong> nuit etait criblee d'etoiles, fraiche, delicieuse. L'odeur des<br />

foins s'exhalait, montait si fort des prairies de l'Aigre, qu'elle embaumait l'air comme un parfum de fleur<br />

sauvage.<br />

VII 104

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