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Émile Zola - La Terre

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tous ses bijoux, sa chaine et sa montre, une broche, des bagues, des boucles d'oreilles. A chaque minute, une<br />

des femmes sortait sur la route, courait jusqu'au coin de l'eglise, pour voir si la dame de la ferme n'arrivait pas.<br />

Les viandes brulaient, la soupe grasse, qu'on avait eu le tort de servir, refroidissait dans les assiettes. Enfin, il<br />

y eut un cri.<br />

—<strong>La</strong> voila! la voila!<br />

Et le cabriolet parut. Jacqueline en sauta lestement. Elle etait charmante, ayant eu le gout, en jolie fille, de<br />

s'habiller de simple cretonne, blanche a pois rouge; et pas un bijou, la chair nue, rien que des brillants aux<br />

oreilles, un cadeau de Hourdequin, qui avait revolutionne les fermes d'alentour. Mais on fut surpris qu'elle ne<br />

renvoyat pas le valet qui l'avait amenee, apres qu'on l'eut aide a remiser la voiture. C'etait un nomme Tron,<br />

une sorte de geant, la peau blanche, le poil roux, a l'air enfantin. Il venait du Perche, il etait a la Borderie<br />

depuis une quinzaine comme garcon de cour.<br />

—Tron reste, vous savez, dit−elle gaiment. Il me ramenera.<br />

En Beauce, on n'aime guere les Percherons, qu'on accuse de faussete et de sournoiserie. On se regardait: c'etait<br />

donc un nouveau a la Cognette, cette grande bete−la? Buteau, tres gentil, tres farceur, depuis le matin,<br />

repondit:<br />

—Bien sur qu'il reste! Ca suffit qu'il soit avec vous.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Lise ayant dit de commencer, on se mit a mit a table, dans une bousculade, avec des eclats de voix. Il<br />

manquait trois chaises, on courut chercher deux tabourets depailles, sur lesquels on placa une planche. Deja<br />

les cuillers tapaient ferme au fond des assiettes. <strong>La</strong> soupe etait froide, couverte d'yeux de graisse qui se<br />

figeaient. Ca ne faisait rien, le vieux Fouan exprima cette idee qu'elle allait se rechauffer dans leur ventre, ce<br />

qui souleva une tempete de rires. Alors, ce fut un massacre, un engloutissement: les poulets, les lapins, les<br />

viandes defilerent, disparurent, au milieu d'un terrible bruit de machoires. Tres sobres chez eux, ils se<br />

crevaient d'indigestion chez les autres. <strong>La</strong> Grande ne parlait pas pour manger davantage, allant son train, d'un<br />

broiement continu; et c'etait effrayant, ce qu'engouffrait ce corps sec et plat d'octogenaire, sans meme enfler.<br />

Il etait convenu que, par convenance, Francoise et Fanny s'occuperaient du service, pour que la mariee ne se<br />

levat pas; mais celle−ci ne pouvait se tenir, quittait sa chaise a chaque minute, se retroussait les manches, tres<br />

attentionnee a vider une sauce ou a debrocher un roti. Bientot, du reste, la table entiere s'en mela, toujours<br />

quelqu'un etait debout, se coupant du pain, tachant de rattraper un plat. Buteau, qui s'etait charge du vin, ne<br />

suffisait plus; il avait bien eu, pour ne pas perdre son temps a boucher et a deboucher des bouteilles, le soin de<br />

mettre simplement un tonneau en perce; seulement, on ne le laissait pas manger, il devint necessaire que Jean<br />

le relayat, en emplissant a son tour les litres. Delhomme, carrement assis, declarait de son air sage qu'il fallait<br />

du liquide, si l'on ne voulait pas etouffer. Lorsqu'on apporta la tourte, large comme une roue de charrue, il y<br />

eut un recueillement, les godiveaux impressionnaient; et M. Charles poussa la politesse jusqu'a jurer sur son<br />

honneur qu'il n'en avait jamais vu de plus belle a Chartres. Du coup, le pere Fouan, tres en train, en lacha une<br />

autre.<br />

—Dites donc, si on se collait ca sur la fesse, ca y guerirait les crevasses!<br />

<strong>La</strong> table se tordit, Jacqueline surtout, qui eu eut les larmes aux yeux. Elle begayait, elle ajoutait des choses qui<br />

se perdaient dans ses rires.<br />

Les maries etaient places face a face, Buteau entre sa mere et la Grande, Lise entre le pere Fouan et M.<br />

Charles; et les autres convives se trouvaient a leur plaisir, Jacqueline a cote de Tron, qui la couvait de ses yeux<br />

doux et stupides, Jean pres de Francoise, separe d'elle seulement par le petit Jules, sur lequel tous deux avaient<br />

promis de veiller; mais, des la tourte, une forte indigestion se declara, il fallut que la mariee allat coucher<br />

VII 102

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