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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Ou donc? Ah! oui, a votre mariage... C'est tres bien ca, mes enfants, de vous marier... Comptez sur moi,<br />

j'irai; mais je ne vous promets pas d'amener Elodie, parce que, vous savez, a une noce, on en lache... Hein? la<br />

garce, vous l'ai−je flanquee dehors! C'est qu'il ne faut pas que les femmes m'embetent!... Au revoir, comptez<br />

sur moi.<br />

Les Delhomme, chez qui Buteau et Lise se rendirent ensuite, accepterent, apres les refus et les insistances<br />

d'usage. Il ne restait de la famille que Jesus−Christ a inviter. Mais, vraiment, il devenait insupportable,<br />

brouille avec tous, inventant les plus sales affaires pour deconsiderer les siens; et l'on se decida a l'ecarter, en<br />

tremblant qu'il ne s'en vengeat par quelque abomination.<br />

Rognes etait dans l'attente, ce fut un evenement que ce mariage differe si longtemps. Hourdequin, le maire, se<br />

derangea; mais, prie d'assister au repas du soir, il dut s'excuser, force justement, ce jour−la, d'aller coucher a<br />

Chartres pour un proces; et il promit que Mme Jacqueline viendrait, puisqu'on lui faisait aussi la politesse de<br />

l'inviter. On avait songe un instant a convier l'abbe Godard, afin d'avoir du monde bien. Seulement, des les<br />

premiers mots, le cure s'emporta, parce qu'on fixait la ceremonie au jour de la Saint−Jean. Il avait une<br />

grand'messe, une fondation, a Bazoches−le−Doyen: comment voulait−on qu'il fut a Rognes le matin? Alors,<br />

les femmes, Lise, Rose, Fanny, s'enteterent; elles ne parlerent pas d'invitation, il finit par ceder; et il vint a<br />

midi, si furieux, qu'il leur lacha leur messe dans un coup de colere, ce dont elles resterent blessees<br />

profondement.<br />

D'ailleurs, apres des discussions, on avait resolu que la noce se ferait tres simple, en famille, a cause de la<br />

situation de la mariee, avec son petit de trois ans bientot. Pourtant, on etait alle chez le patissier de Cloyes<br />

commander une tourte et le dessert, en se resignant a mettre dans ce dessert toute la depense, pour montrer<br />

qu'on savait faire sauter les ecus, lorsque l'occasion s'en presentait: il y aurait, comme a la noce de l'ainee des<br />

Coquart, les fermiers de Saint−Juste, un gateau monte, deux cremes, quatre assiettes de sucreries et de petits<br />

fours. A la maison, on aurait une soupe grasse, des andouilles, quatre poulets sautes, quatre lapins en<br />

gibelotte, du boeuf et du veau roti. Et cela pour une quinzaine de personnes, on ne savait pas encore le nombre<br />

exact. S'il en restait le soir, on le finirait le lendemain.<br />

Le ciel, un peu couvert le matin, s'etait eclairci, et le jour s'achevait dans une tiedeur et une limpidite<br />

heureuses. On avait dresse le couvert au milieu de la vaste cuisine, en face de l'atre et du fourneau, ou<br />

rotissaient les viandes, ou bouillaient les sauces. Les feux chauffaient tellement la piece, qu'on laissait larges<br />

ouvertes les deux fenetres et la porte, par lesquelles entrait la bonne odeur penetrante des foins, fraichement<br />

coupes.<br />

Depuis la veille, les filles Mouche se faisaient aider par Rose et Fanny. A trois heures, il y eut une emotion,<br />

lorsque parut la voiture du patissier, qui mettait aux portes les femmes du village. Tout de suite, on disposa le<br />

dessert sur la table pour le voir. Et justement, la Grande arrivait, en avance: elle s'assit, serra sa canne entre<br />

ses genoux, ne quitta plus le manger de ses yeux durs. S'il etait permis de tant depenser! Elle n'avait rien pris,<br />

le matin, pour en avaler davantage, le soir.<br />

Les hommes, Buteau, Jean qui lui avait servi de temoin, le vieux Fouan, Delhomme accompagne de son fils<br />

Nenesse, tous en redingote et en pantalon noirs, avec de hauts chapeaux de soie, qu'ils ne quittaient pas,<br />

jouaient au bouchon, dans la cour. M. Charles arriva, seul, ayant reconduit la veille Elodie a son pensionnat de<br />

Chateaudun; et, sans y prendre part, il s'interessa au jeu, il emit des reflexions judicieuses.<br />

Mais, a six heures, lorsque tout se trouva pret, il fallut attendre Jacqueline. Les femmes baissaient leurs jupes,<br />

qu'elles avaient retroussees avec des epingles, pour ne pas les salir devant le fourneau. Lise etait en bleu,<br />

Francoise en rose, des soies d'un ton dur, demodees, que <strong>La</strong>mbourdieu leur avaient vendues le double de leur<br />

valeur, en les leur donnant comme la derniere nouveaute de Paris. <strong>La</strong> mere Fouan avait sorti la robe de<br />

popeline violette qu'elle promenait depuis quarante ans dans les noces du pays, et Fanny, vetue de vert, portait<br />

VII 101

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