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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

VII<br />

On etait de nouveau a l'epoque de la fenaison, par un ciel bleu et tres chaud, que des brises rafraichissaient; et<br />

l'on avait fixe le mariage au jour de la Saint−Jean, qui tombait cette annee−la un samedi.<br />

Les Fouan avaient bien recommande a Buteau de commencer les invitations par la Grande, l'ainee de la<br />

famille. Elle exigeait des egards, en reine riche et redoutee. Aussi Buteau, un soir, s'en alla−t−il avec Lise,<br />

tous les deux endimanches, la prier d'assister a la noce, a la ceremonie, puis au repas, qui devait avoir lieu<br />

chez la mariee.<br />

<strong>La</strong> Grande tricotait, seule dans sa cuisine; et, sans ralentir le jeu des aiguilles, elle les regarda fixement, elle<br />

les laissa s'expliquer, redire a trois reprises les memes phrases. Enfin, de sa voix aigue:<br />

—A la noce, ah! non, bien sur!... Qu'est−ce que j'irais faire, a la noce?... C'est bon pour ceux qui s'amusent.<br />

Ils avaient vu sa face de parchemin se colorer, a l'idee de cette bombance qui ne lui couterait rien; ils etaient<br />

certains qu'elle accepterait; mais l'usage voulait qu'on la priat beaucoup.<br />

—Ma tante, la, vrai! ca ne peut pas se passer sans vous.<br />

—Non, non, ce n'est point fait pour moi. Est−ce que j'ai le temps, est−ce que j'ai de quoi me mettre? C'est<br />

toujours de la depense... On vit bien sans aller a la noce.<br />

Ils durent repeter dix fois l'invitation, et elle finit par dire d'un air maussade:<br />

—C'est bon, puisque c'est force, j'irai. Mais faut que ce soit vous pour que je me derange.<br />

Alors, en voyant qu'ils ne partaient pas, un combat se livra en elle, car d'habitude, dans cette circonstance, on<br />

offrait un verre de vin. Elle se decida, descendit a la cave, bien qu'il y eut la une bouteille entamee. C'etait<br />

qu'elle avait, pour ces occasions, un reste de vin tourne, qu'elle ne pouvait boire, tant il etait aigre, et qu'elle<br />

appelait du chasse−cousin. Elle emplit deux verres, elle regarda son neveu et sa niece d'un oeil si rond, qu'ils<br />

durent les vider sans une grimace, pour ne pas la blesser. Ils la quitterent, la gorge en feu.<br />

Ce meme soir, Buteau et Lise se rendirent a Roseblanche, chez les Charles. Mais, la, ils tomberent au−milieu<br />

d'une aventure tragique.<br />

M. Charles etait dans son jardin, tres agite. Sans doute une violente emotion venait de le saisir, au moment ou<br />

il nettoyait un rosier grimpant, car il tenait son secateur a la main, et l'echelle etait encore contre le mur. Il se<br />

contraignit pourtant, il les fit entrer au salon, ou Elodie brodait de son air modeste.<br />

—Ah! vous vous mariez dans huit jours. C'est tres bien, mes enfants... Mais nous ne pourrons etre des votres,<br />

Mme Charles est a Chartres, elle y restera une quinzaine.<br />

Il souleva ses paupieres lourdes, pour jeter un regard vers la jeune fille.<br />

—Oui, dans les moments de presse, aux grandes foires, Mme Charles va donner la−bas un coup de main a sa<br />

fille... Vous savez, le commerce est le commerce, il y a des jours ou l'on s'ecrase, dans la boutique. Estelle a<br />

beau avoir pris le courant, sa mere lui est bien utile, d'autant plus que, decidement, notre gendre Vaucogne<br />

n'en fait guere... Et puis, Mme Charles est heureuse de revoir la maison. Que voulez−vous? nous y avons<br />

laisse trente ans de notre vie, ca compte!<br />

VII 98

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