Yerushalaim 31 2002-4.pdf - Chretiens-juifs.org
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ou petite, décisive ou limitée, on peut en<br />
discuter, sereinement ou passionnément, nous<br />
avons tout le temps académique devant nous.<br />
En revanche, ce qui urge. c'est bien de briser<br />
l'engrenage multiséculaire, alors que le débat<br />
historique - universitaire ou médiatique - est<br />
encore parasité par les souvenirs et les<br />
engagements de l'époque. Le procès reste<br />
ouvert : je n'y suis ni avocat, ni procureur. Je<br />
rappelle simplement que nous n'avons encore<br />
aucune étude sérieuse sur Ï'épiscopat français<br />
dans la décennie 1936-1946 (2). C'est une<br />
déplorable lacune, mais ce n'est pas le problème<br />
présent et je ne m'y attarderai pas (3).<br />
Ce serait déjà davantage le problème de<br />
se demander pourquoi tant de gens qui ne sont<br />
ni <strong>juifs</strong> ni catholiques, et pour qui la religion doit<br />
rester affaire privée, font obstinément grief de<br />
leur silence aux évêques en France et à Pie XII<br />
à Rome. Mais quelle voix s'est alors élevée ?<br />
Quel chef de gouvernement a-t-on entendu ?<br />
Quel mouvement français de résistance a crié<br />
son indignation ? On le comprend: l'heure était<br />
aux héros, non aux victimes. En vérité, c'est une<br />
étude de tous ces silences autorisés qu'on<br />
attend.<br />
En ces circonstances, que des chrétiens<br />
aient été à la pointe de l'aide et de l'amitié aux<br />
<strong>juifs</strong> traqués par les polices ne change rien. Les<br />
lois raciales du gouvernement de Vichy n'ont pas<br />
été d'abord une soumission complaisante aux<br />
page 24 - <strong>Yerushalaim</strong> n°<strong>31</strong><br />
exigences nazies, mais bien un effet à<br />
retardement de l'Affaire Dreyfus, quand La Croix<br />
et bien des catholiques se flattaient d'être<br />
«antisémites» (5) sans besoin d'une référence<br />
pseudo-scientifique.<br />
Comme les Lumières du dix-huitième<br />
siècle sont sorties du christianisme, le<br />
christianisme est sorti du judaïsme. Dans les<br />
deux cas, la querelle est originelle et elle a pris<br />
un caractère inexpiable. Nous assistons<br />
aujourd'hui à la naissance d'un nouvel esprit<br />
religieux qui laisse au fondamentalisme et à<br />
l'intégrisme, ainsi qu'on dit, le soin de trancher<br />
ces querelles par la violence aveugle. Dans le<br />
christianisme occidental, ce nouvel esprit<br />
s'enracine loin, sans doute en François d'Assise.<br />
Vatican II a éveillé une conscience neuve de son<br />
urgente nécessité.<br />
Le geste symbolique des évêques<br />
français à Drancy (octobre 1997) s'inscrit dans<br />
ce lent cheminement. Il ne résout pas - et n'y<br />
prétend pas - l'insurmontable divergence entre<br />
<strong>juifs</strong> et chrétiens sur la question messianique. Il<br />
ne liquide pas les inépuisables contentieux<br />
comme en connaissent tant de familles et de<br />
villages. Mais il purge une mémoire malade de<br />
son passé et il dispose à une méditation<br />
nouvelle du « mystère d'Israël » dont le<br />
christianisme est inséparable. Sans ghettos,<br />
sans pogroms, sans bûchers ni fours,<br />
Le cardinal Lustiger à New York<br />
Deux hommes, dans l'Église catholique,<br />
auront particulièrement contribué au<br />
déverrouillage d'une question bimillénaire, les<br />
relations judéo-chrétiennes : Jean Paul II et le<br />
cardinal Lustiger, le pape polonais et<br />
l'archevêque de Paris.<br />
Du premier, en vingt ans de pontificat, on<br />
compte une bonne trentaine d'interventions<br />
publiques. Des discours ou des lettres, mais<br />
aussi des gestes: au camp de Birkenau<br />
(Auschwitz) le 7 juin 1979; à la synagogue de<br />
Rome, le 13 avril 1986; au colloque tenu au<br />
Vatican le <strong>31</strong> octobre 1997 sur « les racines de<br />
l'antijudaïsme en milieu chrétien », précédé, le<br />
4 mai, par son discours à la Commission<br />
biblique pontificale sur « l'enracinement de<br />
Jésus dans le judaïsme » ; à la canonisation<br />
(critiquée, discutée) d'Edith Stein...<br />
C'est devant les théories et les lois<br />
raciales, quand personne n'imaginait encore les<br />
camps d'extermination, que l'Église catholique a<br />
commencé de s'interroger : avant les États, il<br />
faut bien le dire; sans proportion avec la tragédie<br />
qui se préparait, il faut aussi le dire. On se<br />
souvient du cri échappé à Pie XI en septembre<br />
1938, peu avant les accords de Munich : «Nous<br />
sommes spirituellement des sémites. » Mais la<br />
pensée n'est pas un cri et le temps de la<br />
réflexion ne marche pas au sentiment. Il faudra<br />
Vatican II et près de trente ans pour en arriver à<br />
la Déclaration conciliaire Nostra aetate (8 déc.<br />
1965) : Pie XI et Pie XII auraient pu la signer,<br />
non la produire. Et il faudra encore plus de trente<br />
ans pour en arriver au document romain. Nous<br />
nous souvenons. Une réflexion sur la Shoah (16<br />
mars 1998).<br />
La réflexion passe par la «repentance »:<br />
un vieux mot français riche d'une résonance<br />
biblique (teshouvà) qui excède toute approche<br />
phénoménologique et qui ne se réduit pas à un