Yerushalaim 31 2002-4.pdf - Chretiens-juifs.org
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ien qu'il s'agit d'une question réelle et<br />
récurrente : que faire de textes fondateurs qui<br />
paraissent légitimer ce que nous condamnons<br />
aujourd'hui et comment les entendre pour<br />
dépasser une histoire qu'il n'est pas possible<br />
d'effacer ?<br />
L'Église Catholique est désormais<br />
engagée dans cette démarche, sans retour<br />
possible en arrière, avec une force qui était<br />
imprévisible voici seulement deux ou trois ans,<br />
avec des résistances liées à des situations<br />
régionales (par exemple au Proche-Orient) ou à<br />
des habitudes mentales venues de loin. C'est ce<br />
qui incite à faire retour sur trois événements<br />
récents: les évêques français à Drancy (1997) ;<br />
le cardinal Lustiger à New York (1998); le pape<br />
Jean-Paul II à Rome et à Jérusalem (2000).<br />
Les évêques français à Drancy<br />
Drancy, dans la banlieue parisienne, a<br />
été, pour les <strong>juifs</strong> résidant en France, un lieu de<br />
transit vers les camps de la mort. Des évêques<br />
français - ceux qui ont sur leur territoire des<br />
camps d'internement pendant la dernière guerre<br />
mondiale - ont pris l'initiative d'un geste<br />
symbolique et d'une déclaration collective qui n'a<br />
pas fait l'unanimité dans l'épiscopat. Le geste<br />
était éloquent, mais muet. La déclaration<br />
entendait expliquer le geste: un exercice<br />
doublement délicat, qui n'était assuré ni de bien<br />
dire, ni d'être bien entendu et bien reçu.<br />
II n'y a de péché - et donc de<br />
repentance - que devant Dieu, dans une vision<br />
religieuse de l'homme et du monde qui ne sont<br />
pas radicalement mauvais, mais qui vivent en<br />
permanence l'emprise et l'épreuve du mal: un<br />
problème pour les philosophes, un mystère pour<br />
les théologiens. Et nous autres, qui ne sommes<br />
ni l'un ni l'autre ? Nous flottons entre des<br />
représentations archaïques du diable - le Malin -<br />
et le tragique de notre temps.<br />
Simul justus et peccator, (1) disait Luther,<br />
déchiré par ce drame intérieur: juste et pécheur,<br />
sauvé par grâce et incapable d'échapper au mal,<br />
le chrétien reste rivé à sa condition terrestre, la<br />
nôtre à tous. Hors de cette perspective, tout<br />
devient plus simple et plus léger, du moins en<br />
première instance: il ne peut plus y avoir que<br />
crimes, délits ou contraventions, sanctionnés par<br />
la loi civile, préjudice à l'égard d'autrui ou de la<br />
société. Il suffit de payer.<br />
Demander pardon aux autres pour la<br />
peine ou le tort qu'on leur a causé, c'est dur.<br />
Autrefois, les prédicateurs de retraite de<br />
communion solennelle invitaient les enfants à<br />
faire ce geste, la veille du grand jour, auprès de<br />
leurs parents. Je ne l'ai pas fait. Un sociologue<br />
comme Erving Goffman aurait pu faire la<br />
phénoménologie de cette démarche et de ses<br />
effets en climat chrétien. Elle ne pouvait être<br />
qu'une réparation, un préambule: l'essentiel était<br />
au-delà de cette pédagogie.<br />
L'affaire se complique quand elle engage<br />
des groupes sociaux. Comme le salut, la<br />
culpabilité ne peut être que personnelle, du<br />
moins pour des modernes. Pie XII l'avait<br />
rappelé, en 1947, dans le grand débat sur la<br />
culpabilité collective du peuple allemand devant<br />
les crimes du nazisme. Mais, dans la pensée<br />
catholique, "personnel" n'a jamais signifié<br />
"individuel". L'homme n'est pas une monade: il<br />
n'existe que dans la solidarité et la réciprocité.<br />
De là le titre merveilleusement ambigu donné<br />
par André Cayatte à son film en 1952: Nous<br />
sommes tous des assassins. Chacun de nous<br />
porte en soi quelque chose de cette potentialité,<br />
comme chacun de nous est responsable de ses<br />
frères et porte sa part du malheur qui arrive par<br />
eux.<br />
À ce point, on est mieux à même de<br />
comprendre la démarche des évêques de<br />
France demandant pardon à la communauté<br />
juive niée dans son être et dans sa chair voici<br />
plus d'un demi-siècle, alors qu'aucun d'entre eux<br />
n'a eu part à cette tragédie. Il s'agit de beaucoup<br />
plus que d'excuses et de regrets, et de tout autre<br />
chose que d'accabler des morts privés de voix.<br />
Et il ne s'agit ni d'un coup de presse - attirer<br />
caméras et médias -, ni d'un cours d'histoire -<br />
prendre position dans l'interminable procès de<br />
ces années noires.<br />
Pour l'essentiel, il s'agit d'une affaire<br />
interne entre l'Église catholique et le peuple juif:<br />
une vieille, très vieille affaire, qui remonte aux<br />
origines du christianisme et qui, au fil du temps,<br />
s'est chargée de scories de plus en plus<br />
étrangères à la foi chrétienne, au service de<br />
causes de plus en plus ouvertement<br />
antichrétiennes, jusqu'à provoquer l'intolérable et<br />
l'imprescriptible.<br />
Par son enseignement, par son<br />
comportement, l'Église Catholique a sa part de<br />
responsabilité dans ce fatal engrenage: grande<br />
<strong>Yerushalaim</strong> n°<strong>31</strong> - page 23