Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

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05.07.2013 Views

66 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique 8. LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE Les deux guerres mondiales achèvent l'intégration de la Bretagne dans l'ensemble français 1 . Contrairement à la situation de 1914-1918, la Bretagne, comme toutes les régions de France, est directement impliquée dans la Seconde Guerre mondiale et son rôle stratégique est important : la présence de bases navales, la perspective d'un débarquement, le volume de sa production agricole en font une région sous surveillance et convoitée et où, pour la première fois depuis la Révolution, vont se dérouler des combats. La vie quotidienne est marquée comme partout par la pénurie. Certes, la Bretagne, région agricole, souffre moins de la faim que les grandes villes, mais les prélèvements y sont très importants pour nourrir l'armée allemande et Paris. Sur place, il faut également nourrir les occupants, les travailleurs étrangers de l'organisation Todt, les prisonniers du Fronstalag. A Lorient, cela représente 52 000 personnes pour une population permanente de 40 000. Dans les Côtes-du-Nord, il y a 3 000 soldats allemands, 6 000 prisonniers et on envoie des colis à 25 000 prisonniers français… La pénurie de carburant et de charbon rend le battage difficile. L'activité de pêche est réduite, les bateaux étant menacés à la fois par les Allemands et par les Anglais. La population bretonne est aussi fortement augmentée par un nombre important de réfugiés venus de Belgique et du nord de la France : 112 000 dans les Côtes-du-Nord, 141 000 en Ille-et-Vilaine, 144 135 dans le Morbihan, 160 000 dans le Finistère, 194 048 en Loire-Inférieure. Plus de 750 000 au total, soit le quart de la population bretonne, avec une concentration particulière dans les stations balnéaires et certains carrefours ferroviaires. Les relations entre les Bretons et les réfugiés ne sont pas toujours faciles, les conditions d'accueil en termes de logement et d'hygiène rudimentaires. La plupart des réfugiés sont repartis en septembre 1940. La résistance se développe très tôt en Bretagne. La position maritime, qui favorise les relations avec l'Angleterre, donne de multiples occasions. Des réseaux se créent en 1941 et, à partir de 1942, se multiplient les sabotages, les opérations de renseignement et d'évasions de pilotes alliés. Des mouvements (Libération-Nord, Défense de la France, Front national) aident les réfractaires au STO et font de la propagande. L'économie souffre du pillage de l'occupant de plus en plus répressif à l'égard de la population civile, surtout à partir de 1943. L'arrivée en zones côtières de bataillons de supplétifs 1. "Entre 1914 et 1947, les Bretons sont embarqués dans les douloureuses expériences de la nation française : guerres et crise économique des années 1930. Ils réagissent face à ces événements dans les mêmes termes que la population française : nationalisme-pacifisme, corporatisme-socialisme, gaullisme-pétainisme, résistance-collaboration, droitegauche. Les grandes épreuves du XX e siècle achèvent la fusion et accélèrent le brassage : des centaines de milliers de réfugiés belges et français arrivent en 1914 et en 1940 ; des dizaines de milliers de soldats allemands fréquentent les villages bretons, en prisonniers entre 1914 et 1918, en maîtres entre 1940 et 1944 ; des centaines de milliers d'Américains traversent la péninsule, d'ouest en est en 1917 et 1918, d'est en ouest en 1944 ; des centaines de milliers de soldats bretons vont vivre pendant des années sur le front, dans les villes de garnison, en Allemagne ; d'innombrables Parisiens vont régulièrement venir se ravitailler chez les ‘cousins de Bretagne' ; et entre ces deux chocs, les trains de chômeurs bretons croisent les trains de touristes ; les grands exodes s'accélèrent". Cf. G. Minois, Nouvelle histoire de la Bretagne, Fayard, 1992, p. 737. Rappelons aussi qu'en 1941 le gouvernement de Vichy crée les régions avec à leur tête un préfet régional. Le découpage régional ne correspond pas toujours à celui des anciennes provinces. Ainsi, la Bretagne fut limitée à quatre départements (Côtes-du-Nord, Finistère, Ille-et-Vilaine et Morbihan), excluant la Loire-Inférieure. Ce découpage, qui ne respecte par les limites de la Bretagne historique, est repris par les régimes suivants. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007

Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique appelés "Russes blancs", Géorgiens ou Ukrainiens, aggrave la peur et l'insécurité de la population face à leurs exactions (viols, pillages, arrestations d'otages, exécutions). Les renseignements généraux, rendant compte de l'opinion sur l'occupation, font ainsi écho des exactions commises par les Allemands dans le Finistère et le Morbihan et par les Russes dans les Côtes-du-Nord – "La nuit à Hillion, les rapines sont nombreuses. Les paysans entendent les voleurs dans leur basse-cour mais n'osent sortir craignant pour leur vie […] Dans la journée, des Russes se promènent dans la campagne par groupe de deux ou trois. Ils sont armés de grenades et de fusils et détiennent 10 cartouches chacun. Ils rentrent dans toutes les fermes et terrorisent les habitants. […] La population est plus qu'étonnée de constater ce que révèle le Russe qui selon les besoins de la cause affirmera haïr les Allemands et le lendemain voudra tuer tous les Français qu'il verra, déclarant qu'ils sont tous communistes. L'opinion des gens est d'ailleurs faite et chacun préfère l'occupation allemande à l'occupation russe. La majorité pense que cette occupation russe n'a pas d'autre but qu'une propagande dure" 1 . Néanmoins, dans la période de la "drôle de guerre", de septembre 1939 à mai 1940, l'activité militaire est réduite dans la région et, s'il n'y avait la mobilisation des hommes, la guerre semblerait bien lointaine. Se basant sur la guerre précédente, l'état-major français avait pensé que la guerre serait une guerre de position et construit la ligne Maginot sur la frontière francoallemande ; tout le système militaire français était conçu sur une conception défensive et rien n'avait été prévu pour une guerre de mouvement. Le premiers temps effectivement l'armée allemande intervient en Pologne et les rares opérations à l'Ouest ont lieu dans la région de la Sarre, les trois premières semaines avant la défaite de la Pologne. Les Bretons se retrouvent en première ligne car la 21 e D.I., habituellement cantonnée en Bretagne, est envoyée dans cette zone d'opération. Sur mer, la guerre est un peu plus active. Beaucoup de marins bretons sont mobilisés et participent à plusieurs combats ainsi qu'à la campagne de Norvège, décidée par les Britanniques et les Français pour couper "la route du fer" aux Allemands. En avril 1940, plusieurs bateaux de guerre, des paquebots et cargos quittent le port de Brest, transportant 15 000 hommes. Parmi eux, des Polonais regroupés dans une même brigade, formée après la défaite et l'occupation de la Pologne. Cantonnée à Coëtquidan, elle comprenait des mineurs polonais du nord de la France et des officiers évadés de Pologne 2 . Des étrangers demandent aussi à souscrire un engagement volontaire pour participer à la Défense passive. Ainsi, Gérard Louvain, né à Louvain en Belgique en janvier 1885 et demeurant à Brest, manœuvre, demande en septembre 1939 à s'engager à titre civil dans la Défense passive, en qualité de "n'importe quel emploi" 3 . De 1939 à 1943, d'autres, des hommes et des femmes, se portent volontaires ; ils sont nés en Tchécoslovaquie, en Slovaquie, en Suisse, en Italie ou à Monaco... De septembre 1939 à mai 1940, la population bretonne ressent les effets de la guerre sur sa vie quotidienne : la mobilisation des hommes, les exercices d'alerte pendant la Défense passive (décembre 1939), les réquisitions et les rationnements et l'arrivée de réfugiés évacués du nord et de l'est de la France. Mais cette situation reste modérée et la population est mécontente de changements qui lui paraissent injustifiés au regard de cette "drôle de guerre" en comparaison de 1. AD 35 4 W 1à 120 Préfecture régionale de Bretagne. Bulletin hebdomadaire des RG semaine du 27 mars au 2 avril 1944. 2. J. Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, op. cit. 3. AM Brest – 4 H 4. 12 Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 67

<strong>Histoire</strong> <strong>et</strong> Mémoire <strong>de</strong> <strong>l'immigration</strong> <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne : synthèse historique<br />

appelés "Russes blancs", Géorgi<strong>en</strong>s ou Ukraini<strong>en</strong>s, aggrave la peur <strong>et</strong> l'insécurité <strong>de</strong> la population<br />

face à leurs exactions (viols, pillages, arrestations d'otages, exécutions). Les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts<br />

généraux, r<strong>en</strong>dant compte <strong>de</strong> l'opinion sur l'occupation, font ainsi écho <strong>de</strong>s exactions commises par<br />

les Allemands dans le Finistère <strong>et</strong> le Morbihan <strong>et</strong> par les Russes dans les Côtes-du-Nord – "La nuit<br />

à Hillion, les rapines sont nombreuses. Les paysans <strong>en</strong>t<strong>en</strong><strong>de</strong>nt les voleurs dans leur basse-cour mais n'os<strong>en</strong>t sortir<br />

craignant pour leur vie […] Dans la journée, <strong>de</strong>s Russes se promèn<strong>en</strong>t dans la campagne par groupe <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois.<br />

Ils sont armés <strong>de</strong> gr<strong>en</strong>a<strong>de</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong> fusils <strong>et</strong> déti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t 10 cartouches chacun. Ils r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans toutes les fermes <strong>et</strong><br />

terroris<strong>en</strong>t les habitants. […] La population est plus qu'étonnée <strong>de</strong> constater ce que révèle le Russe qui selon les<br />

besoins <strong>de</strong> la cause affirmera haïr les Allemands <strong>et</strong> le l<strong>en</strong><strong>de</strong>main voudra tuer tous les Français qu'il verra, déclarant<br />

qu'ils sont tous communistes. L'opinion <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>s est d'ailleurs faite <strong>et</strong> chacun préfère l'occupation alleman<strong>de</strong> à<br />

l'occupation russe. La majorité p<strong>en</strong>se que c<strong>et</strong>te occupation russe n'a pas d'autre but qu'une propagan<strong>de</strong> dure" 1 .<br />

Néanmoins, dans la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la "drôle <strong>de</strong> guerre", <strong>de</strong> septembre 1939 à mai 1940,<br />

l'activité militaire est réduite dans la région <strong>et</strong>, s'il n'y avait la mobilisation <strong>de</strong>s hommes, la guerre<br />

semblerait bi<strong>en</strong> lointaine. Se basant sur la guerre précé<strong>de</strong>nte, l'état-major français avait p<strong>en</strong>sé que<br />

la guerre serait une guerre <strong>de</strong> position <strong>et</strong> construit la ligne Maginot sur la frontière francoalleman<strong>de</strong><br />

; tout le système militaire français était conçu sur une conception déf<strong>en</strong>sive <strong>et</strong> ri<strong>en</strong><br />

n'avait été prévu pour une guerre <strong>de</strong> mouvem<strong>en</strong>t. Le premiers temps effectivem<strong>en</strong>t l'armée<br />

alleman<strong>de</strong> intervi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Pologne <strong>et</strong> les rares opérations à l'Ouest ont lieu dans la région <strong>de</strong> la<br />

Sarre, les trois premières semaines avant la défaite <strong>de</strong> la Pologne. Les Br<strong>et</strong>ons se r<strong>et</strong>rouv<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

première ligne car la 21 e D.I., habituellem<strong>en</strong>t cantonnée <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne, est <strong>en</strong>voyée dans c<strong>et</strong>te zone<br />

d'opération. Sur mer, la guerre est un peu plus active. Beaucoup <strong>de</strong> marins br<strong>et</strong>ons sont mobilisés<br />

<strong>et</strong> particip<strong>en</strong>t à plusieurs combats ainsi qu'à la campagne <strong>de</strong> Norvège, décidée par les<br />

Britanniques <strong>et</strong> les Français pour couper "la route du fer" aux Allemands. En avril 1940, plusieurs<br />

bateaux <strong>de</strong> guerre, <strong>de</strong>s paquebots <strong>et</strong> cargos quitt<strong>en</strong>t le port <strong>de</strong> Brest, transportant 15 000<br />

hommes. Parmi eux, <strong>de</strong>s Polonais regroupés dans une même briga<strong>de</strong>, formée après la défaite <strong>et</strong><br />

l'occupation <strong>de</strong> la Pologne. Cantonnée à Coëtquidan, elle compr<strong>en</strong>ait <strong>de</strong>s mineurs polonais du<br />

nord <strong>de</strong> la France <strong>et</strong> <strong>de</strong>s officiers évadés <strong>de</strong> Pologne 2 . Des étrangers <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt aussi à souscrire<br />

un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t volontaire pour participer à la Déf<strong>en</strong>se passive. Ainsi, Gérard Louvain, né à<br />

Louvain <strong>en</strong> Belgique <strong>en</strong> janvier 1885 <strong>et</strong> <strong>de</strong>meurant à Brest, manœuvre, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>en</strong> septembre<br />

1939 à s'<strong>en</strong>gager à titre civil dans la Déf<strong>en</strong>se passive, <strong>en</strong> qualité <strong>de</strong> "n'importe quel emploi" 3 . De<br />

1939 à 1943, d'autres, <strong>de</strong>s hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s femmes, se port<strong>en</strong>t volontaires ; ils sont nés <strong>en</strong><br />

Tchécoslovaquie, <strong>en</strong> Slovaquie, <strong>en</strong> Suisse, <strong>en</strong> Italie ou à Monaco...<br />

De septembre 1939 à mai 1940, la population br<strong>et</strong>onne ress<strong>en</strong>t les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> la guerre sur sa<br />

vie quotidi<strong>en</strong>ne : la mobilisation <strong>de</strong>s hommes, les exercices d'alerte p<strong>en</strong>dant la Déf<strong>en</strong>se passive<br />

(décembre 1939), les réquisitions <strong>et</strong> les rationnem<strong>en</strong>ts <strong>et</strong> l'arrivée <strong>de</strong> réfugiés évacués du nord <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l'est <strong>de</strong> la France. Mais c<strong>et</strong>te situation reste modérée <strong>et</strong> la population est mécont<strong>en</strong>te <strong>de</strong><br />

changem<strong>en</strong>ts qui lui paraiss<strong>en</strong>t injustifiés au regard <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te "drôle <strong>de</strong> guerre" <strong>en</strong> comparaison <strong>de</strong><br />

1. AD 35 4 W 1à 120 Préfecture régionale <strong>de</strong> Br<strong>et</strong>agne. Bull<strong>et</strong>in hebdomadaire <strong>de</strong>s RG semaine du 27 mars au 2 avril<br />

1944.<br />

2. J. Sainclivier, La Br<strong>et</strong>agne <strong>de</strong> 1939 à nos jours, op. cit.<br />

3. AM Brest – 4 H 4. 12<br />

<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007<br />

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