Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

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05.07.2013 Views

64 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique Franco, organisés par le "rassemblement populaire" des forces de gauche 1 . La Ligue des Droits de l'Homme et le syndicat métallurgiste des Forges d'Hennebont semblent actifs dans ces actions. Les milieux de droite sont plus réservés et la propagande nationaliste demande, en septembre 37, dans des tracts "des billets gratuits pour l'Espagne. Aller. Pas de retour". L'Action Française parvient à réunir 600 personnes à Lorient en avril 1939 dans une conférence faisant l'apologie de Franco 2 . En juin 37, les réfugiés, surtout des femmes et des enfants, sont répartis entre les centres de Port-Louis (426) et Vannes (53). Face à la venue massive de réfugiés dans le Morbihan (1 535 personnes hébergées dans les camps en 1937 ; 2 382 en 1939), pas moins de 22 camps vont être aménagés sur la période 1936-1939 3 . Face à l'arrivée prévisible de nouveaux réfugiés, la préfecture du Morbihan envisagea un accueil dans les familles avec appel à la population dans la presse. Ainsi, dans un article de Ouest-Eclair du 5 juillet 1937, la préfecture indique que "les personnes désireuses de recevoir des réfugiés espagnols sont priées de se faire connaître sans délai, soit à la préfecture, soit aux sous-préfectures de Lorient et Pontivy. L'administration leur versera directement une indemnité journalire calculée sur la base de 8 francs pour les adultes chefs de famille, 4 francs 50 pour les adultes non chefs de famille et 4 francs pour les enfants au-dessous de 6 ans". L'accueil familial fut cependant très modeste – seulement 2 % des réfugiés à Lorient par exemple. Le matériel nécessaire à l'accueil a été réuni grâce au concours de l'armée et des dons de particuliers. Quant à la nourriture, jugée satisfaisante, d'abord distribuée par l'armée, elle a ensuite été prise en charge par les municipalités ou les centres d'accueil. Des groupes humanitaires nationaux ou internationaux ont également contribué à fournir une aide. La vie dans les camps est strictement réglée, qu'il s'agisse de l'emploi du temps et des heures de sorties l'après-midi, les hommes étant séparés du reste des réfugiés (sauf dans les regroupements familiaux) et les miliciens interdits d'accès. L'oisiveté, considérée comme très nocive est combattue, d'autant que les rumeurs populaires, à Pontivy par exemple, s'inquiètent du confort de vie des réfugiés, quand les habitants du crû voient leur cotisations augmenter 4 . Le préfet est donc assez réservé sur cet accueil, comme le montre sa correspondance avec le ministre de l'Intérieur et cherche à créer des ateliers où travailleraient cette main-d'œuvre, notamment pour l'armée (confection d'objets) et l'emploi d'environ un millier de miliciens, dans le camp de Coëtquidan, sur le chantier de la déviation de la Route Nationale 24. La charge financière de l'accueil, de même que l'entrée dans la guerre, amènent le gouvernement français à hâter le 1. Le journal L'action syndicale, organe du syndicat des travailleurs réunis du port de Lorient, publie régulièrement, de 1936 à 1938, des appels à la solidarité avec les Républicains espagnols et au soutien matériel des exilés espagnols dans la région, par le biais de souscriptions (vente de timbres…). Ainsi dans le n° 10 de septembre 1936, nous pouvons lire que "l'autre actualité qui, avec la lutte contre la vie chère absorbe l'attention de la classe ouvrière et lui étreint le cœur est l'affaire d'Espagne. Unanime, tue la CGT déclare que nous ne pouvons plus laisser écraser nos frères d'Espagne sous prétexte d'une neutralité à sens unique ; alors les rebelles sont armés et ravitaillés par les fascistes des autres nations […]. Les camarades lorientais, par l'importance de leur souscription, ont indiqué que le sort des travailleurs d'outre-Pyrénées leur était cher […]". 2. I. Cabrera, op. cit., p. 44. 3. Ibid., p. 51 : Le Palais, Quiberon, Port-Louis, Vannes, Saint-Thuriau, Priziac, Muzillac, Moustoir-Remungol, Malestroit, La Roche Bernard, La Gacilly, Guer, Auray, Lorient, Gourin, Cleguerec, Brehan-Loudéac, Baud, Hennebont, Guéméné-sur-Scorff, Langonnet, Pontivy. 4. "Les populations commencent à s'émouvoir de ce que les réfugiés, convenablement vêtus à présent et apparemment restaurés, déambulent dans les rues, donnant par là, l'exemple de l'oisiveté. Elles les rendent, à tort ou à raison, responsables, pour une part, de l'augmentation des charges nouvelles. Pour sauvegarder le moral des nationaux, et sans pour cela aggraver le chômage, il serait opportun d'utiliser la main-d'œuvre espagnole (...)", rapport du sous-préfet de Pontivy, 15 mai 39. Cf. I. Cabrera, ibid., p. 70. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007

Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique rapatriement des réfugiés espagnols, lequel doit, cependant, rester volontaire : dans le Morbihan, 1307 rapatriements de mars à décembre 1939, dont 182 départs pour le Mexique 1 . Pour les autres, les hébergements familiaux (familles en France) ou les regroupements si le père a été embauché comme travailleur libre (hors enrôlement), sont encouragés. Puis l'entrée dans la guerre oblige à rechercher de la main-d'œuvre pour remplacer les hommes mobilisés. L'étude de M. Simon sur les représentations sur l'Espagne et les Espagnols à travers la presse de décembre 1938 (invasion de la Catalogne par les troupes de Franco) à avril 1939 (fin de la guerre d'Espagne) complète ce tableau de l'accueil des réfugiés en Bretagne, entre générosité et méfiance, voire xénophobie ; engagement polititique à côté des Républicains et action humanitaire teintée de neutralité politique, sinon d'indifférence au conflit espagnol. L'auteure compare ces représentations dans deux quotidiens : L'Humanité, quotidien national, organe du PCF, et l'Ouest-Eclair (ancêtre de Ouest-France), premier quotidien régional, breton, issu de la démocratie chrétienne 2 . L'Humanité reflète l'engagement du PCF auprès des Républicains espagnols alors que la tendance générale est plutôt à la non intervention. L'Ouest-Eclair a une position médiane par rapport à la guerre d'Espagne, ne soutenant sans conditions ni Franco ni les Républicains. M. Simon montre que la guerre, dans ce quotidien, est d'abord analysée à travers des représentations préexistantes, héritées du passé, puis à travers la présence concrète des réfugiés. Alors que dans L'Humanité, la fuite de l'Espagne est présentée comme une tragédie vécue par les Espagnols, qui doivent faire l'objet d'un accueil généreux, dans L'Ouest-Eclair, en revanche, l'image des réfugiés est davantage associée à la foule, inquiétante, dangereuse. L'auteure montre ici que cette foule dangereuse est représentée par la femme – et la femme espagnole, symbolisée par la gitane, par Carmen, est perçue comme incontrôlable, atteinte de folie – et par le militant et son idéologie dangereuse, communiste ou anarchiste. La première réaction de compassion laisse la place à la peur et à la xénophobie. L'Ouest-Eclair fait plus écho à la situation matérielle des réfugiés qu'à l'Espagne en guerre tandis que L'Humanité évoque longuement la guerre et les ennemis des Espagnols comme des Français, à savoir les nationalistes mais aussi les autorités françaises. L'Humanité lance des appels aux dons et aux achats en lien avec la guerre tandis que l'Ouest-Eclair lance des appels, moins nombreux, à des opérations charitables ou humanitaires, déconnectés de la guerre. Le journal ne fait aucun appel politique, adoptant la position de non intervention en Espagne pour éviter l'internationalisation du conflit. Le ton est résigné à la victoire nationaliste en Espagne. Dans les colonnes de l’Ouest-Eclair, il arrive que les réfugiés, de "misérables", deviennent des "indésirables". Le journal publie aussi régulièrement des courriers de lecteurs xénophobes. Les articles du quotidien sont en effet ambigüs, alternant appels à l'aide aux réfugiés et hostilité à leur présence dans le département – on y évoque les risques de maladie, de contagion. 1. I. Cabrera, op. cit. 2. M. Simon, Les représentations de l'Espagne et des Espagnols en Ille-et-Vilaine à travers L'Ouest-Eclair et L'Humanité. 23 décembre 1938-1er avril 1939, mémoire de fin d'étude en sciences politiques, Institut d'études politiques de Rennes, 2005. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 65

<strong>Histoire</strong> <strong>et</strong> Mémoire <strong>de</strong> <strong>l'immigration</strong> <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne : synthèse historique<br />

rapatriem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réfugiés espagnols, lequel doit, cep<strong>en</strong>dant, rester volontaire : dans le Morbihan,<br />

1307 rapatriem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> mars à décembre 1939, dont 182 départs pour le Mexique 1 . Pour les<br />

autres, les hébergem<strong>en</strong>ts familiaux (familles <strong>en</strong> France) ou les regroupem<strong>en</strong>ts si le père a été<br />

embauché comme travailleur libre (hors <strong>en</strong>rôlem<strong>en</strong>t), sont <strong>en</strong>couragés. Puis l'<strong>en</strong>trée dans la<br />

guerre oblige à rechercher <strong>de</strong> la main-d'œuvre pour remplacer les hommes mobilisés.<br />

L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> M. Simon sur les représ<strong>en</strong>tations sur l'Espagne <strong>et</strong> les Espagnols à travers la<br />

presse <strong>de</strong> décembre 1938 (invasion <strong>de</strong> la Catalogne par les troupes <strong>de</strong> Franco) à avril 1939 (fin <strong>de</strong><br />

la guerre d'Espagne) complète ce tableau <strong>de</strong> l'accueil <strong>de</strong>s réfugiés <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne, <strong>en</strong>tre générosité <strong>et</strong><br />

méfiance, voire xénophobie ; <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t polititique à côté <strong>de</strong>s Républicains <strong>et</strong> action<br />

humanitaire teintée <strong>de</strong> neutralité politique, sinon d'indiffér<strong>en</strong>ce au conflit espagnol. L'auteure<br />

compare ces représ<strong>en</strong>tations dans <strong>de</strong>ux quotidi<strong>en</strong>s : L'Humanité, quotidi<strong>en</strong> national, organe du<br />

PCF, <strong>et</strong> l'Ouest-Eclair (ancêtre <strong>de</strong> Ouest-France), premier quotidi<strong>en</strong> régional, br<strong>et</strong>on, issu <strong>de</strong> la<br />

démocratie chréti<strong>en</strong>ne 2 . L'Humanité reflète l'<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t du PCF auprès <strong>de</strong>s Républicains<br />

espagnols alors que la t<strong>en</strong>dance générale est plutôt à la non interv<strong>en</strong>tion. L'Ouest-Eclair a une<br />

position médiane par rapport à la guerre d'Espagne, ne sout<strong>en</strong>ant sans conditions ni Franco ni les<br />

Républicains. M. Simon montre que la guerre, dans ce quotidi<strong>en</strong>, est d'abord analysée à travers<br />

<strong>de</strong>s représ<strong>en</strong>tations préexistantes, héritées du passé, puis à travers la prés<strong>en</strong>ce concrète <strong>de</strong>s<br />

réfugiés. Alors que dans L'Humanité, la fuite <strong>de</strong> l'Espagne est prés<strong>en</strong>tée comme une tragédie<br />

vécue par les Espagnols, qui doiv<strong>en</strong>t faire l'obj<strong>et</strong> d'un accueil généreux, dans L'Ouest-Eclair, <strong>en</strong><br />

revanche, l'image <strong>de</strong>s réfugiés est davantage associée à la foule, inquiétante, dangereuse. L'auteure<br />

montre ici que c<strong>et</strong>te foule dangereuse est représ<strong>en</strong>tée par la femme – <strong>et</strong> la femme espagnole,<br />

symbolisée par la gitane, par Carm<strong>en</strong>, est perçue comme incontrôlable, atteinte <strong>de</strong> folie – <strong>et</strong> par le<br />

militant <strong>et</strong> son idéologie dangereuse, communiste ou anarchiste. La première réaction <strong>de</strong><br />

compassion laisse la place à la peur <strong>et</strong> à la xénophobie. L'Ouest-Eclair fait plus écho à la situation<br />

matérielle <strong>de</strong>s réfugiés qu'à l'Espagne <strong>en</strong> guerre tandis que L'Humanité évoque longuem<strong>en</strong>t la<br />

guerre <strong>et</strong> les <strong>en</strong>nemis <strong>de</strong>s Espagnols comme <strong>de</strong>s Français, à savoir les nationalistes mais aussi les<br />

autorités françaises. L'Humanité lance <strong>de</strong>s appels aux dons <strong>et</strong> aux achats <strong>en</strong> li<strong>en</strong> avec la guerre<br />

tandis que l'Ouest-Eclair lance <strong>de</strong>s appels, moins nombreux, à <strong>de</strong>s opérations charitables ou<br />

humanitaires, déconnectés <strong>de</strong> la guerre. Le journal ne fait aucun appel politique, adoptant la<br />

position <strong>de</strong> non interv<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> Espagne pour éviter l'internationalisation du conflit. Le ton est<br />

résigné à la victoire nationaliste <strong>en</strong> Espagne. Dans les colonnes <strong>de</strong> l’Ouest-Eclair, il arrive que les<br />

réfugiés, <strong>de</strong> "misérables", <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s "indésirables". Le journal publie aussi régulièrem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s<br />

courriers <strong>de</strong> lecteurs xénophobes. Les articles du quotidi<strong>en</strong> sont <strong>en</strong> eff<strong>et</strong> ambigüs, alternant<br />

appels à l'ai<strong>de</strong> aux réfugiés <strong>et</strong> hostilité à leur prés<strong>en</strong>ce dans le départem<strong>en</strong>t – on y évoque les<br />

risques <strong>de</strong> maladie, <strong>de</strong> contagion.<br />

1. I. Cabrera, op. cit.<br />

2. M. Simon, Les représ<strong>en</strong>tations <strong>de</strong> l'Espagne <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Espagnols <strong>en</strong> Ille-<strong>et</strong>-Vilaine à travers L'Ouest-Eclair <strong>et</strong> L'Humanité. 23 décembre<br />

1938-1er avril 1939, <strong>mémoire</strong> <strong>de</strong> fin d'étu<strong>de</strong> <strong>en</strong> sci<strong>en</strong>ces politiques, Institut d'étu<strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> R<strong>en</strong>nes, 2005.<br />

<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007<br />

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