Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

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05.07.2013 Views

56 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique leurs frères restés au pays. Les Italiens vivent principalement dans la région lorientaise (60 %) et 40 % d'entre eux à Lorient même. Le littoral est attractif en raison du nombre important de chantiers. Dans l'intérieur du département, l'existence de petits chantiers explique l'apparition d'une population dans certaines communes : la construction du barrage de Guerlédan en 1928, du préventorium de Plumelec en 1928, de la mairie de Séné en 1926, des installations du camp militaire de Coëtquidan en 1930, d'une usine de conserverie à Groix en 1935, du barrage de Kercado à Carnac en 1933, etc. Les Italiens travaillent essentiellement dans le bâtiment : 81,3 % des métiers représentés, surtout des maçons salariés et des ouvriers cimentiers, ayant apporté leurs savoir-faire de leurs régions d'origine 1 . Les carriers, tailleurs de pierre sont presque tous localisés à la carrière de granit de Polhvern à Hennebont. Cette prépondérance des emplois du bâtiment montre une immigration professionnelle spécifique répondant à un besoin non couvert par les entreprises locales. Seulement 2 % sont employés dans l'agriculture et le secteur maritime. Enfin, les métiers du tertiaire (services, commerce…) occupent 15 % d'entre eux. Les professions libérales sont très rares : deux dentistes à Lorient, un avocat dans la région de Vannes, un compositeur de musique à l'île de Groix, etc. Les commerçants et artisans sont restaurateurs, limonadiers, tailleurs d'habits ou marchands de tissus ambulants de la région de Naples présents également dans les départements voisins. Des apprentis et des étudiants également (noviciat), des domestiques chez des religieuses et des notables ainsi que des "métiers pittoresques : fabricant de statuettes de plâtre, 'homme de peine', 'bonne à tout faire', un capucin originaire d'Istanbul échoué à Lorient, un boucher hippique, un artisan-maître raboteur de parquet, une tenancière de maison de tolérance de Vannes" 2 . Quant à l'accueil réservé aux immigrés italiens, B. Frelaut ne relève pas d'hostilité et de xénophobie à leur égard, sauf dans la région lorientaise chez les artisans locaux du bâtiment. Les rapports des commissaires de police ou des maires leur sont favorables. Les enfants poursuivent leur scolarité dans les écoles privées et publiques, des jeunes gens sont en apprentissage… Dans les dossiers de naturalisation, la part des Italiens est prépondérante. Une main-d'œuvre étrangère sous surveillance administrative et policière Les étrangers demeurent sous surveillance policière 3 . Dans le monde du travail, ils doivent rester à leur "place", leur participation aux conflits du travail est mal vue. Il est même envisagé de retirer la nationalité française aux naturalisés qui s'illustrent par leurs revendications contre le patronat. Ainsi, le sous-préfet de Brest s'appuie sur le rapport de police concernant la réunion organisée par la CGT le 26 novembre 1938 à Landerneau, salle Cesbron, sous la présidence de Lazaro, "espagnol naturalisé français" qui a "ouvert la séance par une courte allocution d'une grossièreté extraordinaire dirigée contre les directeurs de l'usine Dior et de la Grande briqueterie" pour demander au préfet de "vouloir bien examiner la possibilité d'appliquer au nommé Lazaro, les dispositions de l'article 10 du décret du 12 novembre 1938 relatif au retrait de la nationalité française" (29 novembre 1938) 4 . 1. Ibid., pp. 105-106. 2. Ibid., p. 107. 3. La comptabilité précise par la gendarmerie des crimes et délits de nature très diverse (vols, bagarres, braconnage, meurtres, suicides et défaut de visa de séjour ou de titre de circulation…) commis par les étrangers témoigne de cette surveillance pointilleuse. 4. AD 29 10 M 64. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007

Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique D'autres étrangers connaissent des difficultés pour travailler en 1937 et 1938 dans le Finistère en raison du dysfonctionnement de l'Office départemental de la main-d'œuvre. Faisant preuve de négligence, le directeur de l'office laisse nombre de dossiers en souffrance pendant plusieurs mois et les étrangers, faute de pouvoir présenter leur carte d'identité de travailleurs étrangers, sont tracassés par les autorités ou empêchés de travailler. Certains se plaignent au maire de Brest qui à son tour alerte la préfecture de la situation. A la fin de 1937, le directeur de l'Office départemental de la main-d'œuvre fait l'objet de rappels à l'ordre et de réprimande de la part du préfet du Finistère. Le sénateur maire de Brest, Victor Le Gorgeu, dans deux courriers adressés au préfet en janvier 1938, souligne le fonctionnement défectueux de l'Office en matière de placement des étrangers et de gestion des dossiers de la main-d'œuvre étrangère 1 . Le directeur de l'office est enfin remplacé en février 1938 à la demande du préfet et sur proposition du maire de Brest. Le nouveau directeur, lors de la prise de fonction, relève "le désordre et le retard considérables" en ce qui concerne la main-d'œuvre étrangère, qu'il s'agisse d'introductions de famille ou de régularisations : "certains dossiers ont été déposés depuis plus de six mois, parfois ils ont été reconstitués deux fois, sans qu'aucune suite ne soit intervenue. Les opérations de classement de toutes les pièces (éparpillées dans tous les coins du bureau et dans les endroits les plus invraisemblables) ont été commencées dès le 14 février et viennent de se terminer seulement aujourd'hui […] En définitive, ci-dessous la liste des dossiers de main-d'œuvre étrangère tels qu'il a été possible de les reconstituer : au nombre de 98 et pour lesquels rien n'a été fait" 2 . Le nouveau directeur, quelques mois plus tard, indique que "l'élimination des manœuvres non protégés par la législation en vigueur est actuellement presque terminée" 3 . En 1939, il signale "l'augmentation des accidents du travail dont le nombre augmente en proportion de l'accroissement de la main-d'œuvre travaillant à Brest". Il s'étonne du fait qu'il n'y ait pas, à l'office, "d'erreurs dans le domaine de la main-d'œuvre étrangère où la réglementation varie presque hebdomadairement" 4 . Les travailleurs étrangers sont suspectés de "prendre la place" des nationaux sur le marché du travail et sont même agressés par les travailleurs locaux 5 tandis que des syndicats professionnels (par exemple, l'Union des artisans du Morbihan, à Vannes, en 1935) demandent à ce que l'arrivée des artisans étrangers soit limitée et les pouvoirs publics fixent des quotas d'étrangers dans chaque corps de métier du Bâtiment dans le Morbihan. 1. Lettre du sénateur maire de Brest au préfet : "[…] moi même j'ai reçu des plaintes relatives à des cartes d'identité de travailleurs étrangers qui, depuis plusieurs mois, avaient été confiées à M. Cap [commis principal des bureaux de la mairie de Brest, préposé à la direction de l'Office départemental de la main-d'œuvre] et que les intéressés réclamaient instamment afin de pouvoir, sans ennuis, exercer leur profession. De l'enquête à laquelle j'ai fait procéder au sujet de ces plaintes, il est résulté que plusieurs travailleurs étrangers ont fait l'objet de poursuites pour défaut de cartes d'identité, alors que la contravention relevée contre eux ne leur incombait pas et que le responsable était réellement l'agent chargé du contrôle de ces cartes" (6 janvier 1938) [AC Brest 7 F 3.6]. et quelques jours plus tard, il écrit à nouveau au préfet : "[…] j'ai reçu une plainte d'une Espagnole, mademoiselle Tenaz qui, ayant remis une carte d'identité et deux certificats de travail, ne pouvait être remise en possession de ces pièces, celles-ci étant égarées. J'ai reçu une autre plainte émanant de la domestique du lieutenant de vaisseau Marchesseau, originaire de la Suisse, qui, bien qu'ayant déposé un certificat pour régularisation en septembre 1937, n'a reçu aucune réponse […] ; d'autre part, le commissaire central m'a confirmé que de nombreux étrangers, bien qu'ayant fait les démarches nécessaires, ne pouvaient obtenir leur carte de travail (12 janvier 1938)." [AC Brest 7 F 3.6] 2. AC Brest 7 F 3.6 3. AC Brest 7 F 3.6, Réunion de la commission administrative en date du 11 mai 1938, rapport du directeur de l'office départemental de la main-d'œuvre. 4. AC Brest 7 F 3.6. 5. I. Cabrera, Etrangers et réfugiés espagnols dans le Morbihan de 1936-1939, Maîtrise, Université Rennes 2, 1991. En 1938, agressions des Italiens par des Français dans une carrière de Hennebont (p. 18). Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 57

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40 % d'<strong>en</strong>tre eux à Lori<strong>en</strong>t même. Le littoral est attractif <strong>en</strong> raison du nombre important <strong>de</strong><br />

chantiers. Dans l'intérieur du départem<strong>en</strong>t, l'exist<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its chantiers explique l'apparition<br />

d'une population dans certaines communes : la construction du barrage <strong>de</strong> Guerlédan <strong>en</strong> 1928, du<br />

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<strong>de</strong>s métiers représ<strong>en</strong>tés, surtout <strong>de</strong>s maçons salariés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ouvriers cim<strong>en</strong>tiers, ayant apporté<br />

leurs savoir-faire <strong>de</strong> leurs régions d'origine 1 . Les carriers, tailleurs <strong>de</strong> pierre sont presque tous<br />

localisés à la carrière <strong>de</strong> granit <strong>de</strong> Polhvern à H<strong>en</strong>nebont. C<strong>et</strong>te prépondérance <strong>de</strong>s emplois du<br />

bâtim<strong>en</strong>t montre une immigration professionnelle spécifique répondant à un besoin non couvert<br />

par les <strong>en</strong>treprises locales. Seulem<strong>en</strong>t 2 % sont employés dans l'agriculture <strong>et</strong> le secteur maritime.<br />

Enfin, les métiers du tertiaire (services, commerce…) occup<strong>en</strong>t 15 % d'<strong>en</strong>tre eux. Les professions<br />

libérales sont très rares : <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>ntistes à Lori<strong>en</strong>t, un avocat dans la région <strong>de</strong> Vannes, un<br />

compositeur <strong>de</strong> musique à l'île <strong>de</strong> Groix, <strong>et</strong>c. Les commerçants <strong>et</strong> artisans sont restaurateurs,<br />

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égalem<strong>en</strong>t dans les départem<strong>en</strong>ts voisins. Des appr<strong>en</strong>tis <strong>et</strong> <strong>de</strong>s étudiants égalem<strong>en</strong>t (noviciat), <strong>de</strong>s<br />

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statu<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> plâtre, 'homme <strong>de</strong> peine', 'bonne à tout faire', un capucin originaire d'Istanbul<br />

échoué à Lori<strong>en</strong>t, un boucher hippique, un artisan-maître raboteur <strong>de</strong> parqu<strong>et</strong>, une t<strong>en</strong>ancière <strong>de</strong><br />

maison <strong>de</strong> tolérance <strong>de</strong> Vannes" 2 . Quant à l'accueil réservé aux immigrés itali<strong>en</strong>s, B. Frelaut ne<br />

relève pas d'hostilité <strong>et</strong> <strong>de</strong> xénophobie à leur égard, sauf dans la région lori<strong>en</strong>taise chez les artisans<br />

locaux du bâtim<strong>en</strong>t. Les rapports <strong>de</strong>s commissaires <strong>de</strong> police ou <strong>de</strong>s maires leur sont favorables.<br />

Les <strong>en</strong>fants poursuiv<strong>en</strong>t leur scolarité dans les écoles privées <strong>et</strong> publiques, <strong>de</strong>s jeunes g<strong>en</strong>s sont<br />

<strong>en</strong> appr<strong>en</strong>tissage… Dans les dossiers <strong>de</strong> naturalisation, la part <strong>de</strong>s Itali<strong>en</strong>s est prépondérante.<br />

Une main-d'œuvre étrangère sous surveillance administrative <strong>et</strong> policière<br />

Les étrangers <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t sous surveillance policière 3 . Dans le mon<strong>de</strong> du travail, ils doiv<strong>en</strong>t<br />

rester à leur "place", leur participation aux conflits du travail est mal vue. Il est même <strong>en</strong>visagé <strong>de</strong><br />

r<strong>et</strong>irer la nationalité française aux naturalisés qui s'illustr<strong>en</strong>t par leurs rev<strong>en</strong>dications contre le<br />

patronat. Ainsi, le sous-préf<strong>et</strong> <strong>de</strong> Brest s'appuie sur le rapport <strong>de</strong> police concernant la réunion<br />

organisée par la CGT le 26 novembre 1938 à Lan<strong>de</strong>rneau, salle Cesbron, sous la prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />

Lazaro, "espagnol naturalisé français" qui a "ouvert la séance par une courte allocution d'une grossièr<strong>et</strong>é<br />

extraordinaire dirigée contre les directeurs <strong>de</strong> l'usine Dior <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong> briqu<strong>et</strong>erie" pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au<br />

préf<strong>et</strong> <strong>de</strong> "vouloir bi<strong>en</strong> examiner la possibilité d'appliquer au nommé Lazaro, les dispositions <strong>de</strong> l'article 10 du<br />

décr<strong>et</strong> du 12 novembre 1938 relatif au r<strong>et</strong>rait <strong>de</strong> la nationalité française" (29 novembre 1938) 4 .<br />

1. Ibid., pp. 105-106.<br />

2. Ibid., p. 107.<br />

3. La comptabilité précise par la g<strong>en</strong>darmerie <strong>de</strong>s crimes <strong>et</strong> délits <strong>de</strong> nature très diverse (vols, bagarres, braconnage,<br />

meurtres, suici<strong>de</strong>s <strong>et</strong> défaut <strong>de</strong> visa <strong>de</strong> séjour ou <strong>de</strong> titre <strong>de</strong> circulation…) commis par les étrangers témoigne <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

surveillance pointilleuse.<br />

4. AD 29 10 M 64.<br />

<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007

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