Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

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05.07.2013 Views

52 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique originaires d'Europe de l'Est 1 ), pallie alors les insuffisances locales. Cette main-d'œuvre, souvent qualifiée, est mobile et ne reste parfois que quelques années si le besoin de main-d'œuvre se tarit. Elle est par conséquent souvent invisible dans les recensements. Bien que des documents d'archives sur la vie associative témoignent de quelques relations de camaraderie entre Etrangers et locaux 2 , la population locale n'apprécie guère en général ces étrangers qui sont perçus comme des concurrents sur un marché du travail pauvre en emplois. Les étrangers, en particulier les Italiens suspectés d'être des agitateurs politiques, sont aussi l'objet d'une surveillance administrative et policière. Les étrangers deviennent vite des "indésirables" quand leur force de travail est "inutile", comme en témoigne cette note du directeur de l'office départemental de la main-d'œuvre à propos d'Algériens souhaitant travailler à Brest alors qu'on n'a pas besoin d'eux : "L'arrivée depuis environ un mois, de groupes d'Algériens (une trentaine environ) venant s'inscrire par groupe de 8 à 10, en provenance soit de Barika, département de Constantine, soit des mines de l'Est. Manœuvres, ouvriers agricoles, attirés par leurs camarades établis dans la région brestoise, dans l'espoir de se faire embaucher dans les entreprises concessionnaires de travaux pour la Marine nationale. Nous avons cru devoir attirer l'attention de l'autorité préfectorale sur les inconvénients de cet apport supplémentaire et présentement inutile de travailleurs sans aucune spécialité et avons demandé d'en informer les autorités algériennes" 3 . "Indésirables" sont ceux également qui fuient leur pays quand leur accueil devient une charge financière. En effet, l'attitude des autorités administratives et de la population est ambivalente à l'égard des réfugiés accueillis en Bretagne : les Sarrois en 1935 et surtout les Espagnols entre 1937 et 1939, à l'aube de la seconde Guerre mondiale. Entre temps, le développement du tourisme amène son flot d'étrangers en Bretagne. Cette autre présence étrangère éphémère mais significative dans la région a laissé une empreinte durable sur les paysages et l'activité économique. Les premières "routes touristiques" sont construites pour les automobiles ; des "syndicats d'initiative" sont ouverts ; des stations nouvelles sont implantées et des villas essaiment sur les zones côtières, ainsi que les casinos et les ports de plaisance. Le tourisme de luxe est surtout le fait de riches étrangers. Prospère dans les années 1920, il est durement touché à partir de 1930. A partir de 1936, les congés payés marquent le début d'un nouvel essor touristique : 100 000 étrangers cette année-là et plus de 450 000 Français. Cet essor est interrompu par la guerre. Une main-d'œuvre étrangère pour répondre aux besoins locaux : l'exemple des Mines de Trémuson (Côtes-du-Nord) Dans les années 1920, l'appel aux ouvriers étrangers pour l'exploitation de la mine de plomb argentifère de Trémuson, à quelques kilomètres de Saint-Brieuc dans les Côtes-du-Nord, 1. Dans le Morbihan, par exemple, les étrangers demeurent principalement à Lorient, ville la plus industrialisée du département, puis Vannes et Pontivy. L'immigration est surtout ouvrière : les Italiens sont surtout employés dans le Bâtiment (cimentiers, maçons…) réputés pour leurs talents. Les Espagnols et Belges occupent davantage le secteur commercial et de l'artisanat. Les Britanniques domiciliés dans le département sont souvent écclésiastiques ou étudiants. Les Européens de l'Est se retrouvent surtout dans les industries de transformation extractives. Cf. I. Cabrera, Etrangers et réfugiés espagnols dans le Morbihan de 1936-1939, mémoire de maîtrise d'histoire, Université Rennes 2, 1991. 2. AD 35, 4 M 258. Associations étrangères. 3. AC Brest 7 F 3.6. Réunion de la commission administrative en date du 11 mai 1938, rapport du directeur de l'office départemental de la main-d'œuvre. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007

Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique illustre bien la soumission de la venue des étrangers aux intérêts des employeurs qui ne trouvent pas toujours dans le bassin local la main-d'œuvre nécessaire à leur activité 1 . L'activité de la mine se développe dans la période 1920-1930, fortifiée par le contexte économique international. Cette activité freine un temps l'exode rural, provoquant même une croissance de la population de Trémuson : en 1920, elle n'est que de 700 habitants alors qu'en 1930 elle avoisine les 1 700 dont 1 000 aux mines. En 1924, la mine est agrandie et la main-d'œuvre locale s'avère insuffisante, la direction fait alors appel aux ouvriers étrangers ayant déjà une certaine expérience du travail à la mine, dans leur pays d'origine ou en France. En outre, cette main-d'œuvre coûte moins chère que la main-d'œuvre locale. Le personnel étranger vient en général d'Europe de l'Est : Pologne, Tchécoslovaquie, Allemagne, Arménie, Autriche, Russie et Serbie. Les autres mineurs viennent des pays limitrophes de la France : Italie, Belgique, Espagne, Suisse ou Portugal. Les mineurs étrangers seront présents sur le carreau durant toute l'exploitation de la mine. En 1924, Italiens et Polonais sont déjà présents à la mine de Trémuson, mais encore peu nombreux puisqu'ils ne sont que 12. En revanche, en 1926, la population italienne comprend 100 personnes, elle est la plus importante cette année-là, mais, l'année suivante, ils ne sont plus que 9 Italiens ! Certains sont peut-être retournés en Italie, d'autres ont sans doute utilisé la mine comme un moyen pour s'implanter en France dans d'autres régions 2 . D'une façon générale, c'est entre 1926 et 1928 que la population étrangère est la plus nombreuse à Trémuson, variant entre 150 et 200 personnes. Le groupe le plus important, à l'exception de 1926, est celle des Polonais qui sont en moyenne 65 à vivre à Trémuson – et jusqu'à 87 personnes en 1928. A un degré moindre, les Espagnols et les Tchécoslovaques sont aussi très présents, mais leur nombre évolue fortement. Ainsi, de 40 à 50 Espagnols entre 1926 et 1927, ils ne sont plus que 8 après. On compte une quinzaine de Tchécoslovaques sur la période ; les autres nationalités ne comptent pas plus de 5 personnes. A Trémuson, la population est mécontente de l'embauche d'ouvriers étrangers et des rumeurs naissent selon lesquelles les étrangers prennent la place de la main-d'œuvre locale. La grande variété des nationalités a pu donner l'impression d'une population étrangère nombreuse, plus importante que la main-d'œuvre française, pourtant l'effectif des ouvriers étrangers n'a jamais été supérieur à celui des ouvriers français, originaires de Trémuson ou du département des Côtes-du-Nord. En 1928, au plus fort de l'activité minière, les mineurs étrangers ne représentent pas la moitié de l'effectif de la mine : 151 contre 317 Français. A la fin de la mine, l'écart se creuse en faveur des Français. En 1930, on compte 71 étrangers contre 243 Français et l'année suivante, ils se retrouvent en nombre quasi identique : 18 étrangers et 20 Français à la mine. 1. S. Duterne, Les mines de Trémuson (1920-1931), mémoire de maîtrise d'histoire, Université Rennes 2, 2000. La Bretagne a un passé minier (exploitation de granit, de grès rose, d'ardoise, mines de charbon et mines de fer), souvent ignoré des Bretons eux-mêmes. Le domaine le plus important de l'industrie extractive concerne les métaux non ferreux tels que l'étain ou le plomb argentifère. Au XVIII e siècle, la Bretagne produit à elle seule les deux tiers de la production nationale de plomb. Toutefois, avec le déclin des forges, ces mines sont en difficultés un siècle plus tard et ferment progressivement. 2. Beaucoup d'ouvriers franchissent la frontière avec une lettre d'embauche pour les mines. Ils entrent ainsi en France mais ils ne restent pas longtemps sur les chantiers où ils ont été embauchés et partent pour une autre destination. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 53

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<strong>Histoire</strong> <strong>et</strong> Mémoire <strong>de</strong> <strong>l'immigration</strong> <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne : synthèse historique<br />

originaires d'Europe <strong>de</strong> l'Est 1 ), pallie alors les insuffisances locales. C<strong>et</strong>te main-d'œuvre, souv<strong>en</strong>t<br />

qualifiée, est mobile <strong>et</strong> ne reste parfois que quelques années si le besoin <strong>de</strong> main-d'œuvre se tarit.<br />

Elle est par conséqu<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t invisible dans les rec<strong>en</strong>sem<strong>en</strong>ts. Bi<strong>en</strong> que <strong>de</strong>s docum<strong>en</strong>ts<br />

d'archives sur la vie associative témoign<strong>en</strong>t <strong>de</strong> quelques relations <strong>de</strong> camara<strong>de</strong>rie <strong>en</strong>tre Etrangers<br />

<strong>et</strong> locaux 2 , la population locale n'apprécie guère <strong>en</strong> général ces étrangers qui sont perçus comme<br />

<strong>de</strong>s concurr<strong>en</strong>ts sur un marché du travail pauvre <strong>en</strong> emplois. Les étrangers, <strong>en</strong> particulier les<br />

Itali<strong>en</strong>s suspectés d'être <strong>de</strong>s agitateurs politiques, sont aussi l'obj<strong>et</strong> d'une surveillance<br />

administrative <strong>et</strong> policière. Les étrangers <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t vite <strong>de</strong>s "indésirables" quand leur force <strong>de</strong><br />

travail est "inutile", comme <strong>en</strong> témoigne c<strong>et</strong>te note du directeur <strong>de</strong> l'office départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> la<br />

main-d'œuvre à propos d'Algéri<strong>en</strong>s souhaitant travailler à Brest alors qu'on n'a pas besoin d'eux :<br />

"L'arrivée <strong>de</strong>puis <strong>en</strong>viron un mois, <strong>de</strong> groupes d'Algéri<strong>en</strong>s (une tr<strong>en</strong>taine <strong>en</strong>viron) v<strong>en</strong>ant s'inscrire par groupe <strong>de</strong> 8<br />

à 10, <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance soit <strong>de</strong> Barika, départem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Constantine, soit <strong>de</strong>s mines <strong>de</strong> l'Est. Manœuvres, ouvriers<br />

agricoles, attirés par leurs camara<strong>de</strong>s établis dans la région brestoise, dans l'espoir <strong>de</strong> se faire embaucher dans les<br />

<strong>en</strong>treprises concessionnaires <strong>de</strong> travaux pour la Marine nationale. Nous avons cru <strong>de</strong>voir attirer l'att<strong>en</strong>tion <strong>de</strong><br />

l'autorité préfectorale sur les inconvéni<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> c<strong>et</strong> apport supplém<strong>en</strong>taire <strong>et</strong> prés<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t inutile <strong>de</strong> travailleurs sans<br />

aucune spécialité <strong>et</strong> avons <strong>de</strong>mandé d'<strong>en</strong> informer les autorités algéri<strong>en</strong>nes" 3 .<br />

"Indésirables" sont ceux égalem<strong>en</strong>t qui fui<strong>en</strong>t leur pays quand leur accueil <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t une<br />

charge financière. En eff<strong>et</strong>, l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autorités administratives <strong>et</strong> <strong>de</strong> la population est<br />

ambival<strong>en</strong>te à l'égard <strong>de</strong>s réfugiés accueillis <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne : les Sarrois <strong>en</strong> 1935 <strong>et</strong> surtout les<br />

Espagnols <strong>en</strong>tre 1937 <strong>et</strong> 1939, à l'aube <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> Guerre mondiale.<br />

Entre temps, le développem<strong>en</strong>t du tourisme amène son flot d'étrangers <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne. C<strong>et</strong>te<br />

autre prés<strong>en</strong>ce étrangère éphémère mais significative dans la région a laissé une empreinte durable<br />

sur les paysages <strong>et</strong> l'activité économique. Les premières "routes touristiques" sont construites<br />

pour les automobiles ; <strong>de</strong>s "syndicats d'initiative" sont ouverts ; <strong>de</strong>s stations nouvelles sont<br />

implantées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s villas essaim<strong>en</strong>t sur les zones côtières, ainsi que les casinos <strong>et</strong> les ports <strong>de</strong><br />

plaisance. Le tourisme <strong>de</strong> luxe est surtout le fait <strong>de</strong> riches étrangers. Prospère dans les années<br />

1920, il est durem<strong>en</strong>t touché à partir <strong>de</strong> 1930. A partir <strong>de</strong> 1936, les congés payés marqu<strong>en</strong>t le<br />

début d'un nouvel essor touristique : 100 000 étrangers c<strong>et</strong>te année-là <strong>et</strong> plus <strong>de</strong> 450 000 Français.<br />

C<strong>et</strong> essor est interrompu par la guerre.<br />

Une main-d'œuvre étrangère pour répondre aux besoins locaux :<br />

l'exemple <strong>de</strong>s Mines <strong>de</strong> Trémuson (Côtes-du-Nord)<br />

Dans les années 1920, l'appel aux ouvriers étrangers pour l'exploitation <strong>de</strong> la mine <strong>de</strong><br />

plomb arg<strong>en</strong>tifère <strong>de</strong> Trémuson, à quelques kilomètres <strong>de</strong> Saint-Brieuc dans les Côtes-du-Nord,<br />

1. Dans le Morbihan, par exemple, les étrangers <strong>de</strong>meur<strong>en</strong>t principalem<strong>en</strong>t à Lori<strong>en</strong>t, ville la plus industrialisée du<br />

départem<strong>en</strong>t, puis Vannes <strong>et</strong> Pontivy. L'immigration est surtout ouvrière : les Itali<strong>en</strong>s sont surtout employés dans le<br />

Bâtim<strong>en</strong>t (cim<strong>en</strong>tiers, maçons…) réputés pour leurs tal<strong>en</strong>ts. Les Espagnols <strong>et</strong> Belges occup<strong>en</strong>t davantage le secteur<br />

commercial <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'artisanat. Les Britanniques domiciliés dans le départem<strong>en</strong>t sont souv<strong>en</strong>t écclésiastiques ou<br />

étudiants. Les Europé<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l'Est se r<strong>et</strong>rouv<strong>en</strong>t surtout dans les industries <strong>de</strong> transformation extractives. Cf. I.<br />

Cabrera, Etrangers <strong>et</strong> réfugiés espagnols dans le Morbihan <strong>de</strong> 1936-1939, <strong>mémoire</strong> <strong>de</strong> maîtrise d'histoire, Université<br />

R<strong>en</strong>nes 2, 1991.<br />

2. AD 35, 4 M 258. Associations étrangères.<br />

3. AC Brest 7 F 3.6. Réunion <strong>de</strong> la commission administrative <strong>en</strong> date du 11 mai 1938, rapport du directeur <strong>de</strong><br />

l'office départem<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> la main-d'œuvre.<br />

<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007

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