Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris
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42 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique population locales dans l'accueil des réfugiés. Enfin, le dernier signe du délitement de la solidarité nationale est la dégradation des conditions de logement des réfugiés. En effet la crise du logement s'aggrave en 1918 et devient le prétexte au refus d'accueillir les réfugiés, surtout dans les villes où les loyers sont devenus prohibitifs. Malgré le rappel à l'ordre de l'Etat et des autorités locales puis l'adoption de la loi Basly du 19 avril 1918 permettant aux autorités locales de réquisitionner tout logement vacant nécessaire au logement des réfugiés, les difficultés persistent et le cantonnement collectif, d'abord réservé aux prisonniers de guerre, civils ou militaires, devient une nécessité pour loger les réfugiés. Les réfugiés belges n'y sont d'ailleurs pas hostiles "préférant cette vie communautaire rassurante à la dispersion". En 1918, une ville moyenne comme Lannion (Côtes-du-Nord) connaît une dizaine de cantonnements pouvant accueillir entre 16 et 143 lits et loger plus de 600 personnes, tandis qu'à Saint-Brieuc, le Moulin du Bosc accueille près de 400 personnes. Les conditions de vie se dégradent très rapidement. Parallèlement au délitement de l'accueil des réfugiés, on assiste au renversement de la logique répressive qui prévaut, au début du conflit, dans le traitement des prisonniers de guerre. Dès 1915, les besoins de main-d'œuvre sont tels que le principe d'exclusion (par l'internement et la relégation) des prisonniers fait place à leur intégration dans l'économie locale. Le principe de l'internement répressif des prisonniers est non seulement très coûteux, mais se heurte également aux intérêts pressants des acteurs économiques frappés par la pénurie de main-d'œuvre 1 . Le prisonnier de guerre, perçu comme un gage au début du conflit, devient un outil économique. Là encore, la Presse joue un rôle important dans ce changement de perspective ; celle-ci fustige en effet dès le début du conflit cette population "oisive et bien traitée" tandis que la situation économique, sociale et sanitaire s'aggrave à l'arrière. Ainsi le camp d'internement de Guérande fait-il l'objet des plus vives critiques de la part de la Presse nationale (Le petit Parisien) évoquant ces "messieurs et dames boches qui villégiaturent chez nous depuis le 2 août 1914", de ces internés en excellente santé vivant "sous un ciel léger et indulgent" 2. Ainsi, à partir de 1915, les prisonniers de guerre constituent la majorité ou la totalité du personnel de certaines petites et moyennes entreprises bretonnes. Ils représentent ainsi plus de 90 % des travailleurs aux carrières Perdriel à Guichen (Ille-et-Vilaine) ou à la fabrique de galoches Worms à Dinan (Ille-et-Vilaine). Si les acteurs économiques y trouvent un intérêt, l'opinion publique, quant à elle, se révèle souvent hostile à ce régime de travail hors des camps qui lui paraît trop souple et dont la presse se fait l'écho : "un entrepreneur des environs de Rennes […] a obtenu quelques boches, à condition de les bien soigner, d'être gentil, cordial avec eux, de les nourrir de bon pain, avec de la viande bien fraîche et du pinard de choix" 3 . Si les prisonniers de guerre peuvent être d'emblée astreints au travail forcé, en revanche, les internés civils sont protégés par des conventions internationales et ne peuvent l'être sans leur consentement, mais la lassitude de la vie dans les camps et leur isolement conduisent nombre d'internés à se porter volontaire pour travailler. Ainsi, dès le mois d'avril 1915, par exemple, le dépôt de la prison de Saint-Brieuc se vide et les prisonniers vont travailler dans une multitude de 1. Ibid., p. 155. 2. Cité in : Ibid, p. 156. 3. AD 35, 4 M 81. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007
Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique secteurs en ville (chargement et déchargement des navires, industrie, embellissement urbain, etc.), mais aussi dans les campagnes (chantier d'abattage en forêt - ils sont 6000 bûcherons dans les forêts d'Ille-et-Vilaine en 1915 - ou le long du canal de Nantes à Brest, curage d'étangs, réfection des chemins ruraux) ainsi qu'à la voirie et aux réseaux routiers ou ferroviaire. A Saint-Brieuc, des prisonniers allemands sont employés sur des chantiers au Légué pour des travaux de terrassement contre un maigre pécule. En janvier 1916, le travail des prisonniers est organisé par l'Etat qui met en place des commissions départementales agricoles chargées de l'attribution des équipes aux communes et syndicats agricoles candidats, et ils sont nombreux, et de déterminer leur salaire. Des conflits apparaissent, par exemple début 1917, des élus des Côtes-du-Nord revendiquent auprès du ministère de l'agriculture que le contingent de prisonniers du dépôt de Dinan, objets de toutes les convoitises, soit réservé à ce seul département. Pour autant, les communes se méfient de ces prisonniers ennemis : 45 communes sur 360 acceptent alors d'en embaucher comme ouvriers agricoles. En définitive, les prisonniers de guerre semblent avoir été mieux traités que les réfugiés. Comme le souligne R. Richard, dans le contexte de la grande guerre, les étrangers et/ou les réfugiés sont progressivement devenus des "indésirables". Deux facteurs, l'un culturel et l'autre économique, expliquent selon lui ce changement dans les représentations. Au plan économique, l'effort consenti par les populations locales d'accueillir des réfugiés au nom de valeurs patriotiques n'était envisageable que sur le court terme et dans la perspective d'une guerre courte et triomphante. Dans une perspective de guerre longue et difficile, les accueillants se replient sur des considérations plus matérielles et individualistes et perçoivent la population réfugiée comme une charge trop importante, d'autant que nombre de femmes et d'enfants la composent. Au plan culturel, le réfugié, par sa seule présence, déclenche méfiance et hostilité dans ce contexte particulier de la grande guerre où la population locale durement éprouvée cherche à se replier sur le cadre local jugé plus rassurant. Même si l'on s'en méfie tout d'abord, les prisonniers de guerre deviennent au fil de la guerre de plus en plus "désirables" car ils sont immédiatement exploitables. A noter toutefois une différence de traitement et de perception du prisonnier selon qu'ils sont établis en ville ou à la campagne. A la campagne, le prisonnier vient combler un vide de maind'œuvre tandis que dans les centres urbains, il est perçu comme une concurrence déloyale. Présence de troupes alliées et répercussions sur l'opinion et la vie locales Les ports bretons jouent un rôle essentiel comme point de débarquement et de transit des troupes alliées. Le port de Brest a été l'un des principaux carrefours où se sont rencontrées les troupes alliées. Jusqu'à l'Armistice, il connut le même rythme incessant d'arrivées d'outre-mer et de départ pour le front. Chaque nouveau contingent, à peine débarqué, n'y demeurait que pour un court repos et était acheminé rapidement vers son poste de combat. L'entrée en guerre des Etats-Unis constitue un tournant. En effet, 800 000 Sammies américains 1 vont transiter par le 1. C. Bougeard, op. cit., p. 23. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 43
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<strong>Histoire</strong> <strong>et</strong> Mémoire <strong>de</strong> <strong>l'immigration</strong> <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne : synthèse historique<br />
population locales dans l'accueil <strong>de</strong>s réfugiés. Enfin, le <strong>de</strong>rnier signe du délitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la solidarité<br />
nationale est la dégradation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réfugiés. En eff<strong>et</strong> la crise du<br />
logem<strong>en</strong>t s'aggrave <strong>en</strong> 1918 <strong>et</strong> <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t le prétexte au refus d'accueillir les réfugiés, surtout dans les<br />
villes où les loyers sont <strong>de</strong>v<strong>en</strong>us prohibitifs. Malgré le rappel à l'ordre <strong>de</strong> l'Etat <strong>et</strong> <strong>de</strong>s autorités<br />
locales puis l'adoption <strong>de</strong> la loi Basly du 19 avril 1918 perm<strong>et</strong>tant aux autorités locales <strong>de</strong><br />
réquisitionner tout logem<strong>en</strong>t vacant nécessaire au logem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s réfugiés, les difficultés persist<strong>en</strong>t<br />
<strong>et</strong> le cantonnem<strong>en</strong>t collectif, d'abord réservé aux prisonniers <strong>de</strong> guerre, civils ou militaires,<br />
<strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t une nécessité pour loger les réfugiés. Les réfugiés belges n'y sont d'ailleurs pas hostiles<br />
"préférant c<strong>et</strong>te vie communautaire rassurante à la dispersion". En 1918, une ville moy<strong>en</strong>ne<br />
comme Lannion (Côtes-du-Nord) connaît une dizaine <strong>de</strong> cantonnem<strong>en</strong>ts pouvant accueillir <strong>en</strong>tre<br />
16 <strong>et</strong> 143 lits <strong>et</strong> loger plus <strong>de</strong> 600 personnes, tandis qu'à Saint-Brieuc, le Moulin du Bosc accueille<br />
près <strong>de</strong> 400 personnes. Les conditions <strong>de</strong> vie se dégra<strong>de</strong>nt très rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t.<br />
Parallèlem<strong>en</strong>t au délitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> l'accueil <strong>de</strong>s réfugiés, on assiste au r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la<br />
logique répressive qui prévaut, au début du conflit, dans le traitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s prisonniers <strong>de</strong> guerre.<br />
Dès 1915, les besoins <strong>de</strong> main-d'œuvre sont tels que le principe d'exclusion (par l'internem<strong>en</strong>t <strong>et</strong><br />
la relégation) <strong>de</strong>s prisonniers fait place à leur intégration dans l'économie locale. Le principe <strong>de</strong><br />
l'internem<strong>en</strong>t répressif <strong>de</strong>s prisonniers est non seulem<strong>en</strong>t très coûteux, mais se heurte égalem<strong>en</strong>t<br />
aux intérêts pressants <strong>de</strong>s acteurs économiques frappés par la pénurie <strong>de</strong> main-d'œuvre 1 . Le<br />
prisonnier <strong>de</strong> guerre, perçu comme un gage au début du conflit, <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t un outil économique. Là<br />
<strong>en</strong>core, la Presse joue un rôle important dans ce changem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> perspective ; celle-ci fustige <strong>en</strong><br />
eff<strong>et</strong> dès le début du conflit c<strong>et</strong>te population "oisive <strong>et</strong> bi<strong>en</strong> traitée" tandis que la situation<br />
économique, sociale <strong>et</strong> sanitaire s'aggrave à l'arrière. Ainsi le camp d'internem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> Guéran<strong>de</strong><br />
fait-il l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong>s plus vives critiques <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> la Presse nationale (Le p<strong>et</strong>it Parisi<strong>en</strong>) évoquant<br />
ces "messieurs <strong>et</strong> dames boches qui villégiatur<strong>en</strong>t chez nous <strong>de</strong>puis le 2 août 1914", <strong>de</strong> ces<br />
internés <strong>en</strong> excell<strong>en</strong>te santé vivant "sous un ciel léger <strong>et</strong> indulg<strong>en</strong>t" 2. Ainsi, à partir <strong>de</strong> 1915, les<br />
prisonniers <strong>de</strong> guerre constitu<strong>en</strong>t la majorité ou la totalité du personnel <strong>de</strong> certaines p<strong>et</strong>ites <strong>et</strong><br />
moy<strong>en</strong>nes <strong>en</strong>treprises br<strong>et</strong>onnes. Ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t ainsi plus <strong>de</strong> 90 % <strong>de</strong>s travailleurs aux carrières<br />
Perdriel à Guich<strong>en</strong> (Ille-<strong>et</strong>-Vilaine) ou à la fabrique <strong>de</strong> galoches Worms à Dinan (Ille-<strong>et</strong>-Vilaine).<br />
Si les acteurs économiques y trouv<strong>en</strong>t un intérêt, l'opinion publique, quant à elle, se révèle<br />
souv<strong>en</strong>t hostile à ce régime <strong>de</strong> travail hors <strong>de</strong>s camps qui lui paraît trop souple <strong>et</strong> dont la presse<br />
se fait l'écho : "un <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur <strong>de</strong>s <strong>en</strong>virons <strong>de</strong> R<strong>en</strong>nes […] a obt<strong>en</strong>u quelques boches, à condition <strong>de</strong> les bi<strong>en</strong><br />
soigner, d'être g<strong>en</strong>til, cordial avec eux, <strong>de</strong> les nourrir <strong>de</strong> bon pain, avec <strong>de</strong> la vian<strong>de</strong> bi<strong>en</strong> fraîche <strong>et</strong> du pinard <strong>de</strong><br />
choix" 3 .<br />
Si les prisonniers <strong>de</strong> guerre peuv<strong>en</strong>t être d'emblée astreints au travail forcé, <strong>en</strong> revanche, les<br />
internés civils sont protégés par <strong>de</strong>s conv<strong>en</strong>tions internationales <strong>et</strong> ne peuv<strong>en</strong>t l'être sans leur<br />
cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, mais la lassitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la vie dans les camps <strong>et</strong> leur isolem<strong>en</strong>t conduis<strong>en</strong>t nombre<br />
d'internés à se porter volontaire pour travailler. Ainsi, dès le mois d'avril 1915, par exemple, le<br />
dépôt <strong>de</strong> la prison <strong>de</strong> Saint-Brieuc se vi<strong>de</strong> <strong>et</strong> les prisonniers vont travailler dans une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
1. Ibid., p. 155.<br />
2. Cité in : Ibid, p. 156.<br />
3. AD 35, 4 M 81.<br />
<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007