Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

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05.07.2013 Views

40 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique arrivées sont plus sporadiques et de mars à novembre 1918 avec une seconde vague de réfugiés. Par exemple, pour l'arrondissement de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), L. Lefebvre note la présence de réfugiés français et belges, des familles divisées avec la présence de femmes, enfants et vieillards, citadins dans leur grande majorité. Pour la période de la grande guerre, il nous semble qu'il n'est pas pertinent de dissocier aussi nettement les immigrés étrangers des autres populations qui subissent une relégation, qu'elles soient civiles ou militaires, internées ou réfugiées, françaises ou étrangères. En effet, d'une part, les représentations ne diffèrent pas toujours dans la mesure où, comme le souligne, R. Richard 1 , "lorsqu'on leur demande de recenser les étrangers résident dans leur commune, de nombreux maires y incluent des Français, notamment Parisiens, se justifiant après coup de ce que dans leur esprit, 'étrangers' signifiait 'étranger à la commune'" 2 et, d'autre part, le traitement social et leur situation concrète pendant la guerre dépendra davantage de la catégorie administrative à laquelle elles appartiennent qu'à leur nationalité, fusse-t-elle de pays ennemis. Si dans les premiers temps du conflit, le terme "indésirables" est réservé aux prisonniers ennemis militaires et aux civils internés (civils ennemis non mobilisables, femmes françaises mariées à des civils ennemis, etc.), dès 1915, il est appliqué aux réfugiés, qu'ils soient étrangers ou Français. Rapidement d'ailleurs, la perception des populations locales est paradoxalement plus positive à l'égard des prisonniers de guerre que des réfugiés. Précisons que si, au plan national, le sort des prisonniers de guerre, en particulier les civils, a été mis au point en 1913, en revanche celui des réfugiés (qu'ils soient Français ou étrangers) n'a pas été envisagé "comme si sa simple évocation ne pouvait qu'être perçue comme défaitiste donc coupable au regard des prévisions triomphalistes de l'Etat major" 3 . En conséquence, ce sont les seules autorités locales qui, dans l'urgence, vont assumer l'accueil et la prise en charge des premiers réfugiés et préparer la population à ces afflux divers et au devoir de solidarité qui s'imposera à elle au nom du patriotisme et de l'Union sacrée. Selon R. Richard, la Presse va jouer un rôle déterminant dans la préparation des esprits à accueillir les uns (les réfugiés) et à exclure les autres (prisonniers et autres "indésirables"). Dans un premier temps, l'accueil des réfugiés se déroule selon les vœux des autorités et l'internement des prisonniers se déroule sans trop de heurts. Ces camps sont implantés à Guérande, à Sarzeau, près de Rennes, de Saint-Brieuc, et surtout six dans le Finistère 4 . Mis en place dès l'automne 1914, dans des vieux forts de la presqu'île de Crozon, ces camps improvisés vont héberger 2 500 à 3 000 internés jusqu'à la fin de 1919, de 30 nationalités différentes dont 760 Austro-Allemands interceptés sur le paquebot hollandais New Amsterdam 5 . Le principal centre de détention est installé à l'Île-Longue qui devient progressivement un lieu de regroupement en août 1916. C'est un camp mixte, à la fois pour des civils et pour des prisonniers 1. R. Richard, ""Etrangers" et "indésirables" en temps de guerre. Représentations, politiques et pratiques à l'égard des populations nouvelles dans l'Ouest de la France en 1914-1918", Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest de la France, tome 19, n° 4, 2002, pp. 147-161. 2. Ibid., p. 147-148. 3. Ibid., p. 148. 4. C. Bougeard, op. cit., p. 21. 5. Ibid. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007

Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique soumis à un régime semi-disciplinaire. Les conditions de détention dans quatre-vingts baraques sont correctes, notamment en ce qui concerne la discipline et le ravitaillement. Un journal interne est publié par les détenus, la Semaine de l'Île (1915 et 1917-début 1918), mais supprimé quand les critiques deviennent trop virulentes. Tout contact entre prisonniers de guerre et civils sont regardés avec d'autant plus de suspicion que ces derniers sont étrangers ou qu'ils parlent une langue germanique. Plus généralement, il n'est pas rare que des Alsaciens-Lorrains, des réfugiés belges, hollandais ou Luxembourgeois soient suspectés de collusion avec l'ennemi ou d'espionnage. A Saint-Malo, le commissaire spécial relève lors d'une réunion le 6 février 1918 des Dockers et charbonniers à la Bourse du travail que : "plusieurs dockers faisant remarquer que l'emploi des étrangers et notamment des prisonniers de guerre nuisait à la main-d'œuvre locale qu'ils considèrent comme suffisante, Gautier leur recommande alors l'institution des délégués de chantiers lesquels auront pour mission de veiller étroitement à ce qu'aucun chômage ne résulte jamais pour les ouvriers du pays du fait de l'utilisation des boches" 1 . Si, par la suite, la nationalité des réfugiés n'est pas déterminante, elle l'est au tout début, notamment pour les ressortissants de pays qui n'ont pas tout de suite pris part à l'Union Sacrée. Ainsi, l'accueil des réfugiés belges a-t-elle évolué au gré de l'engagement progressif de la Belgique dans le conflit : frileux au départ, quand elle adopte une position de neutralité, il est plus enthousiaste quand les autorités belges s'engagent auprès des troupes françaises et rejoignent l'Union Sacrée. L'entrée des Belges dans l'Union Sacrée conduit les autorités françaises et locales à organiser un accueil digne : ils sont en effet accueillis dans les foyers français et, quand ils ne le sont pas, l'administration prend le relais. Pourtant, très rapidement, la solidarité patriotique attendue vis-à-vis des réfugiés s'effrite. Par exemple, le sous-Préfet de Lannion stigmatise l'attitude des Belges qui sont dépeints comme exigeants, peu enclins à travailler, qualifiés même de "race d'évacués fainéants" provoquant le désintérêt puis le dégoût de la population 2 . Puis, dès la fin de l'année 1914, avec la ruine des illusions d'une guerre courte et la pénurie de main-d'œuvre, l'accueil des "réfugiés", toute nationalité confondue, obéit de plus en plus à une logique répressive, tandis que les prisonniers de guerre sont progressivement intégrés dans l'économie locale. Selon R. Richard, le délitement de la solidarité nationale prend trois formes : d'abord le refus très majoritaire en 1917 d'accueillir des réfugiés ; ensuite un accueil effectif qui se fait dans de très mauvaises conditions tant par les administrations locales que la population. La Presse 3 se fait d'ailleurs l'écho de cet accueil du bout des lèvres - quand il n'est pas tout simplement hostile - et regrette que le territoire breton n'accueille pas plus chaleureusement cette population rapidement perçue comme revendicatrice et paresseuse. Comme le souligne R. Richard, "viennent ensuite d'autres poncifs encore très actuels : l'émigré est ivrogne, mais aussi grossier, effronté, tapageur ou querelleur, il commet des rapines, "déprédations" ou "pillages", enfin, il crée du scandale par son immoralité" 4 , griefs venant ainsi justifier le désengagement des autorités et de la 1. AD 35, 10 M 77. 2. Archives municipales de Lannion, H 35, fonds réfugiés 14-18, rapport du 17 septembre 1914 et archives départementales des Côtes d'Armor, 10 R 169, correspondances préfets et sous-préfets, lettre du sous préfet de Dinan, 6 octobre 1914 citées in : R. Richard, Ibid., pp. 149-150. 3. L'éclaireur du Finistère, 8 juin 1918, cité par R. Richard, Ibid., p. 152. 4. Ibid., p. 153. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 41

<strong>Histoire</strong> <strong>et</strong> Mémoire <strong>de</strong> <strong>l'immigration</strong> <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne : synthèse historique<br />

soumis à un régime semi-disciplinaire. Les conditions <strong>de</strong> dét<strong>en</strong>tion dans quatre-vingts baraques<br />

sont correctes, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce qui concerne la discipline <strong>et</strong> le ravitaillem<strong>en</strong>t. Un journal interne<br />

est publié par les dét<strong>en</strong>us, la Semaine <strong>de</strong> l'Île (1915 <strong>et</strong> 1917-début 1918), mais supprimé quand les<br />

critiques <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t trop virul<strong>en</strong>tes. Tout contact <strong>en</strong>tre prisonniers <strong>de</strong> guerre <strong>et</strong> civils sont<br />

regardés avec d'autant plus <strong>de</strong> suspicion que ces <strong>de</strong>rniers sont étrangers ou qu'ils parl<strong>en</strong>t une<br />

langue germanique. Plus généralem<strong>en</strong>t, il n'est pas rare que <strong>de</strong>s Alsaci<strong>en</strong>s-Lorrains, <strong>de</strong>s réfugiés<br />

belges, hollandais ou Luxembourgeois soi<strong>en</strong>t suspectés <strong>de</strong> collusion avec l'<strong>en</strong>nemi ou<br />

d'espionnage. A Saint-Malo, le commissaire spécial relève lors d'une réunion le 6 février 1918 <strong>de</strong>s<br />

Dockers <strong>et</strong> charbonniers à la Bourse du travail que : "plusieurs dockers faisant remarquer que l'emploi<br />

<strong>de</strong>s étrangers <strong>et</strong> notamm<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s prisonniers <strong>de</strong> guerre nuisait à la main-d'œuvre locale qu'ils considèr<strong>en</strong>t comme<br />

suffisante, Gautier leur recomman<strong>de</strong> alors l'institution <strong>de</strong>s délégués <strong>de</strong> chantiers lesquels auront pour mission <strong>de</strong><br />

veiller étroitem<strong>en</strong>t à ce qu'aucun chômage ne résulte jamais pour les ouvriers du pays du fait <strong>de</strong> l'utilisation <strong>de</strong>s<br />

boches" 1 .<br />

Si, par la suite, la nationalité <strong>de</strong>s réfugiés n'est pas déterminante, elle l'est au tout début,<br />

notamm<strong>en</strong>t pour les ressortissants <strong>de</strong> pays qui n'ont pas tout <strong>de</strong> suite pris part à l'Union Sacrée.<br />

Ainsi, l'accueil <strong>de</strong>s réfugiés belges a-t-elle évolué au gré <strong>de</strong> l'<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t progressif <strong>de</strong> la Belgique<br />

dans le conflit : frileux au départ, quand elle adopte une position <strong>de</strong> neutralité, il est plus<br />

<strong>en</strong>thousiaste quand les autorités belges s'<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t auprès <strong>de</strong>s troupes françaises <strong>et</strong> rejoign<strong>en</strong>t<br />

l'Union Sacrée. L'<strong>en</strong>trée <strong>de</strong>s Belges dans l'Union Sacrée conduit les autorités françaises <strong>et</strong> locales<br />

à organiser un accueil digne : ils sont <strong>en</strong> eff<strong>et</strong> accueillis dans les foyers français <strong>et</strong>, quand ils ne le<br />

sont pas, l'administration pr<strong>en</strong>d le relais. Pourtant, très rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t, la solidarité patriotique<br />

att<strong>en</strong>due vis-à-vis <strong>de</strong>s réfugiés s'effrite. Par exemple, le sous-Préf<strong>et</strong> <strong>de</strong> Lannion stigmatise<br />

l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Belges qui sont dépeints comme exigeants, peu <strong>en</strong>clins à travailler, qualifiés même<br />

<strong>de</strong> "race d'évacués fainéants" provoquant le désintérêt puis le dégoût <strong>de</strong> la population 2 . Puis, dès la<br />

fin <strong>de</strong> l'année 1914, avec la ruine <strong>de</strong>s illusions d'une guerre courte <strong>et</strong> la pénurie <strong>de</strong> main-d'œuvre,<br />

l'accueil <strong>de</strong>s "réfugiés", toute nationalité confondue, obéit <strong>de</strong> plus <strong>en</strong> plus à une logique<br />

répressive, tandis que les prisonniers <strong>de</strong> guerre sont progressivem<strong>en</strong>t intégrés dans l'économie<br />

locale. Selon R. Richard, le délitem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> la solidarité nationale pr<strong>en</strong>d trois formes : d'abord le<br />

refus très majoritaire <strong>en</strong> 1917 d'accueillir <strong>de</strong>s réfugiés ; <strong>en</strong>suite un accueil effectif qui se fait dans<br />

<strong>de</strong> très mauvaises conditions tant par les administrations locales que la population. La Presse 3 se<br />

fait d'ailleurs l'écho <strong>de</strong> c<strong>et</strong> accueil du bout <strong>de</strong>s lèvres - quand il n'est pas tout simplem<strong>en</strong>t hostile -<br />

<strong>et</strong> regr<strong>et</strong>te que le territoire br<strong>et</strong>on n'accueille pas plus chaleureusem<strong>en</strong>t c<strong>et</strong>te population<br />

rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t perçue comme rev<strong>en</strong>dicatrice <strong>et</strong> paresseuse. Comme le souligne R. Richard, "vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>suite d'autres poncifs <strong>en</strong>core très actuels : l'émigré est ivrogne, mais aussi grossier, effronté,<br />

tapageur ou querelleur, il comm<strong>et</strong> <strong>de</strong>s rapines, "déprédations" ou "pillages", <strong>en</strong>fin, il crée du<br />

scandale par son immoralité" 4 , griefs v<strong>en</strong>ant ainsi justifier le dés<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s autorités <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

1. AD 35, 10 M 77.<br />

2. Archives municipales <strong>de</strong> Lannion, H 35, fonds réfugiés 14-18, rapport du 17 septembre 1914 <strong>et</strong> archives<br />

départem<strong>en</strong>tales <strong>de</strong>s Côtes d'Armor, 10 R 169, correspondances préf<strong>et</strong>s <strong>et</strong> sous-préf<strong>et</strong>s, l<strong>et</strong>tre du sous préf<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Dinan, 6 octobre 1914 citées in : R. Richard, Ibid., pp. 149-150.<br />

3. L'éclaireur du Finistère, 8 juin 1918, cité par R. Richard, Ibid., p. 152.<br />

4. Ibid., p. 153.<br />

<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007<br />

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