Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

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05.07.2013 Views

36 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique Relecq ; des compagnies de travailleurs indochinois aux travaux de construction maritime à Lorient ; 1013 travailleurs militaires italiens ; 716 Nord-Africains ; 560 ouvriers auxiliaires de l'artillerie indigène, 9 Serbes, 2 Grecs et 2 Russes à l'atelier de construction de Rennes ; 40 étrangers aux Forges et laminoirs de Saint-Brieuc ; 35 Espagnols et quelques réfugiés belges aux Carrières du camp de Coëtquidan ; 40 Espagnols aux Carrières de Paimpont. Plus contrôlée, plus encadrée, l'immigration se limite aux pays "neutres" (Grèce, Espagne, Portugal…) et les territoires coloniaux sont désormais massivement sollicités pour répondre à "l'effort de guerre". Les étrangers sont dirigés dans les départements bretons par le "dépôt des ouvriers étrangers" situé rue Noire à Nantes 1 , tandis que les travailleurs coloniaux sont envoyés en Bretagne via les "dépôts" établis dans les ports, en premier lieu celui de Marseille. En décembre 1917, selon une note "groupement de travailleurs coloniaux de Rennes", le nombre de travailleurs coloniaux stationnés dans la ville est de 1936 : 1708 à l'Atelier de construction, 138 à l'entreprise Chouard, 55 à l'usine à gaz, 35 au service des subsistances militaires. L'atelier de construction de Rennes emploie, en août 1918, 1013 Italiens, 716 Nord-Africains, 560 ouvriers auxiliaires de l'artillerie indigène, 195 Belges (hommes et femmes), 9 Serbes, 2 Grecs et 2 Russes sur un total de 14 439 ouvriers et ouvrières, soit 16,6 % des effectifs 2 . Ces travailleurs sont d'ailleurs appelés et remerciés au gré des besoins de l'économie de guerre : ainsi en octobre 1917, le commissaire spécial de Rennes informe que "45 travailleurs coloniaux employés à l'usine à gaz et trois travailleurs employés à l'entreprise Chouard sont dirigés […] sur Marseille, leur contrat étant expiré. Ces 48 hommes forment un seul détachement avec les 64 hommes de l'atelier de construction sous la conduite de gradés" 3 . Les cas de refus de travail ou de désobéissance se soldent également par un rapatriement immédiat : plusieurs grecs sont ainsi renvoyés d'Ille-et-Vilaine sur ordre du préfet, avec l'assentiment du contrôleur de la main-d'œuvre de Nantes. Des départs clandestins ou des déplacements forcés sont également constatés 4 . Si le nombre des travailleurs étrangers et coloniaux encadrés ou réfugiés semble culminer en 1917-1918, un certain nombre d'entre eux restent en Bretagne, au dede l'armistice, jusqu'au début des années 1920 ; les Marocains de Brest, par exemple, ne sont rapatriés via Bordeaux qu'en 1920-1921. A noter toutefois qu'en Ille-et-Vilaine, la main-d'œuvre coloniale ou étrangère n'est pas utilisée dans l'agriculture ; elle l'est seulement dans l'industrie et dans les établissements militaires 5 , situation probablement liée à l'hostilité de la population rurale car le travail ne manquait pas. 1. Entre autres exemples, des travailleurs grecs aux mines du Pas près de Quintin et à la fonderie Thuau à Rennes ou des travailleurs espagnols chez Verjat, Combarelle et Cie à Brest. 2. Les établissements Daisay (fournitures militaires, chaussures, habillement, équipement et campement) à Rennes occupent, en août 1918, 21 étrangers et 39 étrangères sur un total de 1 152 ouvriers. Les fonderies Thuau à Rennes emploient, en juillet 1918, 34 étrangers (belges, hollandais, grecs et russes) sur un total de 672 travailleurs. 3. AD 35, 4 M 80. 4. Par exemple, au cantonnement de La Courouze, "trente-trois israélites tunisiens […] qui laissaient à désirer au point de vue du travail et de la conduite ont été dirigés vers l'usine d'électro-métallurgie de Dives". Sur le même site, le départ clandestin de 16 Kabyles est constaté dans la nuit du 11 au 12 février 1917 ; le commissaire de police écrit à leur sujet : "tous ces ouvriers […] appartiennent à la commune de Dra El Mizan ; quelques uns qui avaient travaillé en France avant la mobilisation parlent assez bien notre langue ; il est à présumer que ce sont [….] les instigateurs de l'abandon en masse du travail". AD 35, 4 M 80. 5. Rapport du contrôleur local de la main-d'œuvre au préfet. AD 35, 5 M 64. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007

Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique Quelles sont leurs conditions de vie et conditions de travail ? Ils vivaient rassemblés dans des cantonnements. Par exemple, dans, un rapport du sous-préfet de Saint-Malo sur le logement des Chinois employés aux chantiers maritimes Brossard, unique groupement de travailleurs coloniaux de l'arrondissement de Saint-Malo, celui-ci mentionne : "ces indigènes occupent un immeuble composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage. Le rez-de-chaussée est dallé. Des ouvertures ont été pratiquées pour que l'air et la lumière pénètrent suffisamment. Ils couchent sur des paillasses placées sur des châlits. Trois baraquements ont été construits adjacents au principal bâtiment ; le premier sert de salle de douches, le second de cuisine et de réfectoire et le troisième, de salles d'attente, de visite et de discipline" 1 . Quelles sont les réactions des travailleurs et de la population locale face à l'arrivée de nouveaux travailleurs étrangers ? Ces présences nouvelles ne vont pas sans susciter des tensions sur les lieux de travail. Par exemple, à Rennes en septembre 1917, le syndicat de l'arsenal précise que "les ouvriers ne veulent pas de main-d'œuvre américaine […] car on occupe déjà des Américains à la gare" 2 . Dans une note au Préfet de novembre 1917, la direction relève : "Il se manifeste une certaine inquiétude parmi les ouvriers de l'atelier. Ils se demandent pourquoi on envoie nos mobilisés sur le front italien alors que cette puissance nous envoie les siens dans nos usines, qu'un détachement de 928 Italiens sous la conduite de 7 officiers est arrivé hier à Rennes à 19 heures par train spécial ; ces hommes sont mobilisés et la plupart ont été blessés ; actuellement inaptes au service actif, ils sont envoyés en France pour y travailler. Des personnes mal intentionnées ont fait courir le bruit que ces hommes avaient refusé de marcher et c'est pour ce motif qu'ils étaient déplacés. Le colonel directeur de l'arsenal passera aujourd'hui une note aux journaux concernant ce détachement". Au tournant de l'année 1917, des manifestations de dockers de Brest contre les travailleurs chinois, kabyles et prisonniers de guerre sont de plus en plus nombreuses, de même que les grèves des ouvrières de l'arsenal de Brest contre les travailleurs italiens et coloniaux. A Rennes, en juin 1917, à l'atelier de Construction de l'Arsenal, on recense des grèves de protestation contre "l'emploi de la main-d'œuvre coloniale et étrangère", les ouvriers demandant la suppression pure et simple de celle-ci 3 . Dans un télégramme du préfet d'Ille-et-Vilaine au Ministre de l'Intérieur, on peut lire : "Actuellement, 4000 ouvriers ou ouvrières sont réunis pour entendre réponse faite à leurs réclamations par la direction de l'Arsenal. Le syndicat attribue ce mouvement ouvrier aux causes suivantes : […] 2. Bruit répandu que des ouvriers américains viendront bientôt relever le personnel actuel des usines de guerre […] 4. Promiscuité de travail des ouvriers kabyles avec les femmes, celles-ci étant chargées des travaux les plus pénibles. (6/06/17). Revendications des ouvrières grévistes de l'arsenal : […] 2. Suppression de la main-d'œuvre coloniale et étrangère, 5. demande d'explication sur la promesse faite par Ribot, président du Conseil à un député concernant la maind'œuvre américaine qui soi-disant doit venir en France contrairement aux promesses faites par le commandant Jorré au bureau du syndicat. Réponses (en vis-à-vis) : 2. Les Arabes ne travaillent que dans les ateliers d'hommes" 4 . Au niveau local, les autorités civiles et militaires, comme les employeurs, sont chargés d'exercer le contrôle des nouveaux venus et d'en limiter les contacts avec la population par un 1. AD 35, 5 M 64. 2. AD 35, 4 M 80. 3. AD 35, 10 M 77. 4. AD 35, 10 M 77. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 37

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Relecq ; <strong>de</strong>s compagnies <strong>de</strong> travailleurs indochinois aux travaux <strong>de</strong> construction maritime à<br />

Lori<strong>en</strong>t ; 1013 travailleurs militaires itali<strong>en</strong>s ; 716 Nord-Africains ; 560 ouvriers auxiliaires <strong>de</strong><br />

l'artillerie indigène, 9 Serbes, 2 Grecs <strong>et</strong> 2 Russes à l'atelier <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> R<strong>en</strong>nes ; 40<br />

étrangers aux Forges <strong>et</strong> laminoirs <strong>de</strong> Saint-Brieuc ; 35 Espagnols <strong>et</strong> quelques réfugiés belges aux<br />

Carrières du camp <strong>de</strong> Coëtquidan ; 40 Espagnols aux Carrières <strong>de</strong> Paimpont. Plus contrôlée, plus<br />

<strong>en</strong>cadrée, <strong>l'immigration</strong> se limite aux pays "neutres" (Grèce, Espagne, Portugal…) <strong>et</strong> les<br />

territoires coloniaux sont désormais massivem<strong>en</strong>t sollicités pour répondre à "l'effort <strong>de</strong> guerre".<br />

Les étrangers sont dirigés dans les départem<strong>en</strong>ts br<strong>et</strong>ons par le "dépôt <strong>de</strong>s ouvriers étrangers"<br />

situé rue Noire à Nantes 1 , tandis que les travailleurs coloniaux sont <strong>en</strong>voyés <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne via les<br />

"dépôts" établis dans les ports, <strong>en</strong> premier lieu celui <strong>de</strong> Marseille. En décembre 1917, selon une<br />

note "groupem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> travailleurs coloniaux <strong>de</strong> R<strong>en</strong>nes", le nombre <strong>de</strong> travailleurs coloniaux<br />

stationnés dans la ville est <strong>de</strong> 1936 : 1708 à l'Atelier <strong>de</strong> construction, 138 à l'<strong>en</strong>treprise Chouard,<br />

55 à l'usine à gaz, 35 au service <strong>de</strong>s subsistances militaires. L'atelier <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> R<strong>en</strong>nes<br />

emploie, <strong>en</strong> août 1918, 1013 Itali<strong>en</strong>s, 716 Nord-Africains, 560 ouvriers auxiliaires <strong>de</strong> l'artillerie<br />

indigène, 195 Belges (hommes <strong>et</strong> femmes), 9 Serbes, 2 Grecs <strong>et</strong> 2 Russes sur un total <strong>de</strong> 14 439<br />

ouvriers <strong>et</strong> ouvrières, soit 16,6 % <strong>de</strong>s effectifs 2 .<br />

Ces travailleurs sont d'ailleurs appelés <strong>et</strong> remerciés au gré <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong> l'économie <strong>de</strong><br />

guerre : ainsi <strong>en</strong> octobre 1917, le commissaire spécial <strong>de</strong> R<strong>en</strong>nes informe que "45 travailleurs<br />

coloniaux employés à l'usine à gaz <strong>et</strong> trois travailleurs employés à l'<strong>en</strong>treprise Chouard sont dirigés […] sur<br />

Marseille, leur contrat étant expiré. Ces 48 hommes form<strong>en</strong>t un seul détachem<strong>en</strong>t avec les 64 hommes <strong>de</strong> l'atelier<br />

<strong>de</strong> construction sous la conduite <strong>de</strong> gradés" 3 . Les cas <strong>de</strong> refus <strong>de</strong> travail ou <strong>de</strong> désobéissance se sol<strong>de</strong>nt<br />

égalem<strong>en</strong>t par un rapatriem<strong>en</strong>t immédiat : plusieurs grecs sont ainsi r<strong>en</strong>voyés d'Ille-<strong>et</strong>-Vilaine sur<br />

ordre du préf<strong>et</strong>, avec l'ass<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t du contrôleur <strong>de</strong> la main-d'œuvre <strong>de</strong> Nantes. Des départs<br />

clan<strong>de</strong>stins ou <strong>de</strong>s déplacem<strong>en</strong>ts forcés sont égalem<strong>en</strong>t constatés 4 . Si le nombre <strong>de</strong>s travailleurs<br />

étrangers <strong>et</strong> coloniaux <strong>en</strong>cadrés ou réfugiés semble culminer <strong>en</strong> 1917-1918, un certain nombre<br />

d'<strong>en</strong>tre eux rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne, au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'armistice, jusqu'au début <strong>de</strong>s années 1920 ; les<br />

Marocains <strong>de</strong> Brest, par exemple, ne sont rapatriés via Bor<strong>de</strong>aux qu'<strong>en</strong> 1920-1921.<br />

A noter toutefois qu'<strong>en</strong> Ille-<strong>et</strong>-Vilaine, la main-d'œuvre coloniale ou étrangère n'est pas<br />

utilisée dans l'agriculture ; elle l'est seulem<strong>en</strong>t dans l'industrie <strong>et</strong> dans les établissem<strong>en</strong>ts<br />

militaires 5 , situation probablem<strong>en</strong>t liée à l'hostilité <strong>de</strong> la population rurale car le travail ne<br />

manquait pas.<br />

1. Entre autres exemples, <strong>de</strong>s travailleurs grecs aux mines du Pas près <strong>de</strong> Quintin <strong>et</strong> à la fon<strong>de</strong>rie Thuau à R<strong>en</strong>nes ou<br />

<strong>de</strong>s travailleurs espagnols chez Verjat, Combarelle <strong>et</strong> Cie à Brest.<br />

2. Les établissem<strong>en</strong>ts Daisay (fournitures militaires, chaussures, habillem<strong>en</strong>t, équipem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> campem<strong>en</strong>t) à R<strong>en</strong>nes<br />

occup<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> août 1918, 21 étrangers <strong>et</strong> 39 étrangères sur un total <strong>de</strong> 1 152 ouvriers. Les fon<strong>de</strong>ries Thuau à R<strong>en</strong>nes<br />

emploi<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> juill<strong>et</strong> 1918, 34 étrangers (belges, hollandais, grecs <strong>et</strong> russes) sur un total <strong>de</strong> 672 travailleurs.<br />

3. AD 35, 4 M 80.<br />

4. Par exemple, au cantonnem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> La Courouze, "tr<strong>en</strong>te-trois israélites tunisi<strong>en</strong>s […] qui laissai<strong>en</strong>t à désirer au<br />

point <strong>de</strong> vue du travail <strong>et</strong> <strong>de</strong> la conduite ont été dirigés vers l'usine d'électro-métallurgie <strong>de</strong> Dives". Sur le même site,<br />

le départ clan<strong>de</strong>stin <strong>de</strong> 16 Kabyles est constaté dans la nuit du 11 au 12 février 1917 ; le commissaire <strong>de</strong> police écrit à<br />

leur suj<strong>et</strong> : "tous ces ouvriers […] apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à la commune <strong>de</strong> Dra El Mizan ; quelques uns qui avai<strong>en</strong>t travaillé<br />

<strong>en</strong> France avant la mobilisation parl<strong>en</strong>t assez bi<strong>en</strong> notre langue ; il est à présumer que ce sont [….] les instigateurs <strong>de</strong><br />

l'abandon <strong>en</strong> masse du travail". AD 35, 4 M 80.<br />

5. Rapport du contrôleur local <strong>de</strong> la main-d'œuvre au préf<strong>et</strong>. AD 35, 5 M 64.<br />

<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007

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