Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris Histoire et mémoire de l'immigration en Bretagne - Odris

05.07.2013 Views

20 Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique voulus par Napoléon pour contourner le blocus anglais et approvisionner les arsenaux en eau. À Lorient et à Morlaix, des prisonniers sont employés sur les vaisseaux, tandis que des particuliers sollicitent également cette "force de travail" comme le font, en 1807, les concessionnaires des mines de Poullaouen 1 . Quant aux civils anglais, portugais et espagnols, ils ne sont pas à l'abri d'être portés au rang des prisonniers de guerre ; en 1808, le préfet d'Ille-et-Vilaine recommande que "les Espagnols qui se trouvent en France, sans passeport du ministre et de sa majesté le roi Joseph soyent arrêtés, scrupuleusement surveillés, et considérés comme prisonniers de guerre" 2 . À Morlaix, les femmes et les enfants d'Anglais retenus comme prisonniers de guerre 3 viennent s'embarquer pour Plymouth. Les biens des Espagnols et des Anglais 4 sont d'ailleurs placés sous séquestre, à l'image des propriétés de Fernan Nuñez, ancien ambassadeur d'Espagne à Paris, dans la région de Plouescat et de Landivisiau 5 . Après la chute de l'Empire, les prisonniers de guerre sont libérés par Louis XVIII. Des colonnes affluent vers les ports pour être rapatriées, tandis que les prisonniers bretons rentrent progressivement en France ; quelques officiers français de marine rentrent à Brest accompagnés d'Anglaises rencontrées durant leur captivité 6 . En 1815, Louis XVIII licencie les régiments étrangers, telle la Légion irlandaise. En nombre limité, quelques soldats de l'Empire et prisonniers de guerre choisissent de s'installer dans les villes bretonnes où les turbulences de la guerre les ont conduits. Cependant, le retour à la paix, marque le début d'une période noire pour la Bretagne ; les ports sont en net déclin, nombre d'industries de l'arrière-pays périclitent et la démographie, malgré les pertes engendrées par la période révolutionnaire et la chouannerie, renoue avec une situation de surpeuplement inhérente à un taux élevé de natalité. En définitive, ce début de XIX e siècle, où misère et mendicité gagnent les campagnes, ne semble pas réunir en Bretagne de conditions favorables à l'installation des étrangers… 1. CHAN, F9/136 : fonds des affaires militaires. 2. AD 35, 3Z47 : fonds de la sous-préfecture de Redon. 3. CHAN, F7/3311 et 8756 : fonds de la sûreté générale. 4. AD 29, 1Q2651, 2661 et 3127 : séquestre des Anglais de Roscoff. AD 35, 1M92 : séquestre sur les propriétés des Anglais. 5. AD 29, 1Q1091 à 1096, 1456 à 1468 et 2786 : séquestre des biens des Espagnols. 6. AD 29, 3V5 : culte protestant. Odris, RFSM et Génériques, juin 2007

Histoire et Mémoire de l'immigration en Bretagne : synthèse historique 4. ARTISANS, REFUGIES ET "GENS DE PASSAGE": LES ETRANGERS DANS LA VILLE OU DANS LE PORT (1815-1850) Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, la Bretagne souffre d'un excédent démographique et l'économie, malgré l'essor timide de l'industrie textile et des forges 1 , ne parvient pas à employer une main-d'œuvre pléthorique. Surplus de population et absence de dynamisme économique, doublés d'une crise frumentaire dès 1817, font des campagnes bretonnes des terres génératrices de paupérisation. Selon Guy Haudebourg 2 , quarante mille mendiants résident dans le Finistère en 1830, et autant dans les Côtes-du-Nord ; et comme le souligne Joël Cornette 3 , les Bretons les plus exposés à la fragilité sociale n'ont d'autre issue, pour "échapper à ce cadre misérable", que de quitter leurs villages. Cet exode se fait dans un premier temps des campagnes vers les villes, puis vers des horizons plus lointains, transformant la Bretagne en terre d'émigration. Dans ce contexte, la place pour l'immigration reste très limitée. Cependant, les départements bretons reflètent, certes en nombre très réduit, la même diversité de populations étrangères que le territoire national, les mêmes catégories de réfugiés et les mêmes mouvements migratoires de l'"intérieur", notamment en provenance d'Auvergne. Par sa position maritime, la Bretagne demeure un espace de passage pour les étrangers et de transit pour les voyageurs où toutes les catégories sociales et de plus en plus de nationalités sont représentées, y compris les populations des colonies 4 . Mais les étrangers, bien que peu nombreux, n'échappent pas plus que les Bretons les plus démunis à la précarité. En 1815, le préfet d'Ille-et-Vilaine constate la présence de "Portugais, Suédois et autres qui se trouvent à Saint-Malo sans moyens de subsistance" 5 . Les rapports de police et les registres de voyageurs signalent parmi les étrangers des populations instables, vivant dans des conditions difficiles, aux frontières de la marginalité, mais qui ne basculent, en définitive, que rarement du côté de la criminalité 6 . Dans la France de la première moitié du XIX e siècle, pour la grande majorité de la population, la notion d'"étranger" ne recouvre pas la définition qu'en donne le législateur et encore moins l'acception actuelle. À l'échelon local, l'"étranger" désigne celui qui n'appartient pas au périmètre connu 7 et au sein même de la Bretagne, les populations des différents "terroirs" 1. J.-Y. Andrieux, Forges et hauts-fourneaux en Bretagne du XVII e au XIX e siècle : Côtes-du-Nord, Saint-Herblain, éditions CID, 1987. 2. G. Haudebourg, Mendiants et vagabonds en Bretagne au XIX e siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998. 3. Voir le chapitre "Portrait au noir", in : J. Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, op. cit., t. II, pp. 225-238. 4. Par exemple : délivrance d'un passeport gratuit de Vannes à Brest à "Titine, dite Augusta, négresse qui serait en surveillance à vie, condamnée en 1836 par la cour d'assises de la Martinique puis acquittée", AM Brest, 1I2.7. Des natifs de colonies anglaises, hollandaises, espagnoles ou portugaises apparaissent aussi en Bretagne, tel un Mozambicain à Brest en 1845. 5. AD 35, 3Z47. 6. Factum, Alexis Durand (père), Deux arrêts pour crimes effroyables, […] 2e arrêt rendu par la Cour d'Assises de Rennes, qui condamne à la peine de mort et aux travaux forcés vingt-huit brigands, qui répandaient la terreur dans le pays, au nombre desquels se trouvent cinq femmes, trois Anglais et deux Italiens, Amiens, Caron Vitet, sd. 7. Au XIX e siècle, cet usage du mot "étranger" est également perceptible dans les rapports des administrations locales ; par exemple, lors des conflits du travail où les ouvriers "locaux" réclament le renvoi, sans distinction, des étrangers et des Français non originaires de la région ou de la ville. CHAN, F7/6780 : rassemblement à Rennes d'ouvriers tisserands demandant de l'ouvrage et le renvoi d'étrangers (1831). Odris, RFSM et Génériques, juin 2007 21

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<strong>Histoire</strong> <strong>et</strong> Mémoire <strong>de</strong> <strong>l'immigration</strong> <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne : synthèse historique<br />

voulus par Napoléon pour contourner le blocus anglais <strong>et</strong> approvisionner les ars<strong>en</strong>aux <strong>en</strong> eau. À<br />

Lori<strong>en</strong>t <strong>et</strong> à Morlaix, <strong>de</strong>s prisonniers sont employés sur les vaisseaux, tandis que <strong>de</strong>s particuliers<br />

sollicit<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t c<strong>et</strong>te "force <strong>de</strong> travail" comme le font, <strong>en</strong> 1807, les concessionnaires <strong>de</strong>s<br />

mines <strong>de</strong> Poullaou<strong>en</strong> 1 . Quant aux civils anglais, portugais <strong>et</strong> espagnols, ils ne sont pas à l'abri<br />

d'être portés au rang <strong>de</strong>s prisonniers <strong>de</strong> guerre ; <strong>en</strong> 1808, le préf<strong>et</strong> d'Ille-<strong>et</strong>-Vilaine recomman<strong>de</strong><br />

que "les Espagnols qui se trouv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France, sans passeport du ministre <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa majesté le roi Joseph soy<strong>en</strong>t<br />

arrêtés, scrupuleusem<strong>en</strong>t surveillés, <strong>et</strong> considérés comme prisonniers <strong>de</strong> guerre" 2 . À Morlaix, les femmes <strong>et</strong> les<br />

<strong>en</strong>fants d'Anglais r<strong>et</strong><strong>en</strong>us comme prisonniers <strong>de</strong> guerre 3 vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t s'embarquer pour Plymouth.<br />

Les bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s Espagnols <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Anglais 4 sont d'ailleurs placés sous séquestre, à l'image <strong>de</strong>s<br />

propriétés <strong>de</strong> Fernan Nuñez, anci<strong>en</strong> ambassa<strong>de</strong>ur d'Espagne à Paris, dans la région <strong>de</strong> Plouescat<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> Landivisiau 5 .<br />

Après la chute <strong>de</strong> l'Empire, les prisonniers <strong>de</strong> guerre sont libérés par Louis XVIII. Des<br />

colonnes afflu<strong>en</strong>t vers les ports pour être rapatriées, tandis que les prisonniers br<strong>et</strong>ons r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t<br />

progressivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France ; quelques officiers français <strong>de</strong> marine r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t à Brest accompagnés<br />

d'Anglaises r<strong>en</strong>contrées durant leur captivité 6 . En 1815, Louis XVIII lic<strong>en</strong>cie les régim<strong>en</strong>ts<br />

étrangers, telle la Légion irlandaise. En nombre limité, quelques soldats <strong>de</strong> l'Empire <strong>et</strong> prisonniers<br />

<strong>de</strong> guerre choisiss<strong>en</strong>t <strong>de</strong> s'installer dans les villes br<strong>et</strong>onnes où les turbul<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> la guerre les ont<br />

conduits. Cep<strong>en</strong>dant, le r<strong>et</strong>our à la paix, marque le début d'une pério<strong>de</strong> noire pour la Br<strong>et</strong>agne ;<br />

les ports sont <strong>en</strong> n<strong>et</strong> déclin, nombre d'industries <strong>de</strong> l'arrière-pays périclit<strong>en</strong>t <strong>et</strong> la démographie,<br />

malgré les pertes <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drées par la pério<strong>de</strong> révolutionnaire <strong>et</strong> la chouannerie, r<strong>en</strong>oue avec une<br />

situation <strong>de</strong> surpeuplem<strong>en</strong>t inhér<strong>en</strong>te à un taux élevé <strong>de</strong> natalité. En définitive, ce début <strong>de</strong> XIX e<br />

siècle, où misère <strong>et</strong> m<strong>en</strong>dicité gagn<strong>en</strong>t les campagnes, ne semble pas réunir <strong>en</strong> Br<strong>et</strong>agne <strong>de</strong><br />

conditions favorables à l'installation <strong>de</strong>s étrangers…<br />

1. CHAN, F9/136 : fonds <strong>de</strong>s affaires militaires.<br />

2. AD 35, 3Z47 : fonds <strong>de</strong> la sous-préfecture <strong>de</strong> Redon.<br />

3. CHAN, F7/3311 <strong>et</strong> 8756 : fonds <strong>de</strong> la sûr<strong>et</strong>é générale.<br />

4. AD 29, 1Q2651, 2661 <strong>et</strong> 3127 : séquestre <strong>de</strong>s Anglais <strong>de</strong> Roscoff. AD 35, 1M92 : séquestre sur les propriétés <strong>de</strong>s<br />

Anglais.<br />

5. AD 29, 1Q1091 à 1096, 1456 à 1468 <strong>et</strong> 2786 : séquestre <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>s <strong>de</strong>s Espagnols.<br />

6. AD 29, 3V5 : culte protestant.<br />

<strong>Odris</strong>, RFSM <strong>et</strong> Génériques, juin 2007

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