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<strong>Macro</strong><br />
Orchidées<br />
Elles sont fascinantes<br />
et souvent très belles,<br />
les orchidées de nos régions.<br />
Notre collègue<br />
Vincent Martin leur tire<br />
le portrait photographique<br />
dès qu’il le peut.<br />
Parcours guidé<br />
dans l’univers de ces fleurs<br />
exaltant l’imagination.<br />
Ophrys abeille.<br />
10 <strong>CAES</strong>magazine n° 80 • automne 2006<br />
Orchis mascula (massif <strong>du</strong> Vercors).<br />
de nos régions<br />
C ’est à la suite de la lecture<br />
des Souvenirs entomologiques<br />
de Jean-<br />
Henri Fabre que j’ai<br />
commencé à observer<br />
la nature avec un autre regard. Je n’étais<br />
plus « promeneur », mais bien plutôt<br />
spectateur de la nature. Ces découvertes<br />
m’ont amené à pratiquer la photographie :<br />
pour partager mon regard et l’esthétisme<br />
de dame Nature.<br />
Autant l’avouer : je pris vite passion pour<br />
les orchidées de nos régions. Si discrètes<br />
soient-elles, de ces orchidées émane<br />
une beauté qui suscite une fascination<br />
sans limite par les formes et les stratagèmes<br />
qu’elles déploient. Certaines arborent<br />
un panier ou un éperon empli de sucre,<br />
d’autres prennent la parure d’un insecte<br />
pour se voir pollinisées ou encore se clonent<br />
naturellement pour assurer leur propagation.<br />
Autant de ruses à révéler.<br />
Avec l’appareil photo, je suis en quête<br />
de ces moments uniques où chaque image<br />
témoigne d’un spectacle enchanteur.<br />
Aujourd’hui, c’est par quelques clichés et<br />
avec des mots que je voudrais vous accompagner<br />
dans l’univers de ces fleurs<br />
exaltant l’imagination.<br />
Symbole de puissance et d’emprise sur<br />
le monde, les orchidées ont été autrefois<br />
l’objet de la quête de grands explorateurs<br />
pour des rois et aristocrates. Aujourd’hui,<br />
ces fleurs aux immenses pétales provenant<br />
de contrées incertaines sont désormais<br />
disponibles chez nos fleuristes. Disponi-<br />
bles jusqu’à entrer peu à peu dans notre<br />
banal quotidien. Mais que savons-nous de<br />
ces fleurs ? Connaissons-nous celles de<br />
nos régions ? Bien que notre continent offre<br />
moins d’un pour cent des orchidées de<br />
la planète, cette petite diversité floristique<br />
ne manque pas d’intérêt.<br />
Histoires d’injures<br />
Un des premiers vendeurs de fleurs coupées,<br />
le romancier Alphonse Karr, aimait le<br />
dire : « La botanique, c’est l’art de sécher<br />
les plantes entre des feuilles de papier et<br />
de les injurier en grec et en latin. » Les orchidées<br />
n’ont pas dérogé à la règle.<br />
Initialement, elles sont, bien sûr, nommées<br />
d’après leur morphologie. Le nom<br />
« orchidée » est dérivé savamment <strong>du</strong> latin<br />
orchis, lui-même emprunté <strong>du</strong> grec orkhis<br />
qui, employé surtout au pluriel, signifie littéralement<br />
« testicules » : référence aux<br />
tubercules souterrains qu’offre la plante au<br />
début <strong>du</strong> printemps. D’autres se nomment<br />
Ophrys pour leur labelle bombé et velu tel<br />
un « sourcil » ou encore Anthropophora<br />
pour celles qui « portent des hommes ».<br />
Outre cet aspect anthropomorphique,<br />
pendant l’Antiquité les fleurs se devaient<br />
d’être mâles ou femelles, comme nous !<br />
Malgré leur hermaphrodisme, on a en effet<br />
longtemps considéré que les orchidées<br />
d’allure grêle étaient femelles alors que les<br />
plantes fortes et abondantes étaient mâles.<br />
C’est ainsi que nous pouvons rencontrer<br />
lors des balades champêtres les superbes<br />
Testiculus hircinum vulgaris, les délicates
Testiculus canis faemina et les nombreux<br />
Testiculus mas minor que l’on aperçoit partout<br />
en France.<br />
Nos livres anciens recèlent d’innombrables<br />
« injures ». Toutefois, si le savant usait<br />
<strong>du</strong> langage de la science, le « vulgaire »<br />
admirait les nombreux Couillon de chien<br />
masle à feuilles étroites, les Triple Couillon<br />
de chien femelle sans oublier les Couillon<br />
de chien masle à larges feuilles qui s’épanouissent<br />
chaque année.<br />
L’étude de l’évolution est de nos jours<br />
confiée aux savants épaulés de la plus<br />
haute technologie. L’analyse chromosomique<br />
révèle ainsi des filiations quelque peu<br />
différentes <strong>du</strong> classement morphologique.<br />
Certaines espèces se voient donc ainsi reclassées<br />
et renommées.<br />
Une fleur énigmatique<br />
« Plus la forme de la fleur est compliquée<br />
et plus elle semble avoir “une idée derrière<br />
la tête”. L’orchidée est de ce fait la plus<br />
grande de toutes les énigmes naturelles. »<br />
Comme le poète Malcolm de Chazal, qui<br />
ne s’est pas interrogé sur ces fleurs ? Et<br />
pour quelle singularité la Nature a-t-elle<br />
doté ces fleurs d’un labelle (pétale différencié)<br />
si baroque ?<br />
Nommée ainsi pour ses racines entrelacées,<br />
la Néottie nid d’oiseau, qui vit dans<br />
les sous-bois, pro<strong>du</strong>it un nectar fermentant<br />
très rapidement. Attiré par la prestation,<br />
l’insecte n’hésite pas à se poser au bar<br />
floral pour se délecter de ce jus devenu alcoolisé.<br />
Déclaré inapte à l’envol, l’enivré récupère<br />
à six pattes en fécondant nonchalamment<br />
quelques fleurs. La « diablesse »<br />
aura gagné son pari : retarder le visiteur<br />
pour garantir au mieux sa descendance.<br />
Une évolution démoniaque<br />
Plutôt que de procéder comme la majorité<br />
des fleurs, en s’épuisant à pro<strong>du</strong>ire <strong>du</strong> nectar<br />
pour commercer avec les pollinisateurs,<br />
les d’orchidées ont choisi des moyens bien<br />
plus audacieux.<br />
Même pilosité, même courbure, taille similaire,<br />
deux yeux, sans compter de suaves<br />
fragrances comparables aux phéromones :<br />
les Ophrys exhibent le sosie parfait d’un<br />
insecte. Le jeune mâle inexpérimenté ne<br />
tarde pas à assouvir ses instincts et à livrer<br />
acte copulatoire. Sournoisement, la forme<br />
féminine collera deux massues de pollen<br />
(pollinies) sur la tête <strong>du</strong> Don Juan. Même<br />
après plusieurs minutes de vol, les pollinies<br />
ne tomberont pas mais dessècheront pour<br />
prendre une position propice à la fécondation<br />
lors de la prochaine embuscade. C’est<br />
par ce « vol » de pollinies que ces fleurs ont<br />
choisi d’évoluer.<br />
En revanche, l’Ophrys apifera n’a pas<br />
eu le temps de perfectionner son déguisement.<br />
Peu d’insectes la distinguent. Sans y<br />
être invités, tous les fleurons sans exception<br />
laissent pivoter leurs pollinies jusqu’à se fé-<br />
Orchis singe ou Orchis simia.<br />
Himantoglossum robertianum.<br />
Orchis papillon (massif des Maures).<br />
Orchis de Provence.<br />
conder d’eux-mêmes. Seulement, autofécondation<br />
comme consanguinité causent<br />
la dégénérescence ! Les vils rejetons s’en<br />
trouvent parfois stériles et fortement variés…<br />
pour le plus grand plaisir esthétique <strong>du</strong> promeneur.<br />
Pourquoi vouloir ressembler à un insecte<br />
? L’Ophrys isarelita s’est créé un labelle<br />
semblable à une liliacée riche en nectar.<br />
Dès lors, l’orchidée obtient les visites des<br />
insectes en appétit tout en s’économisant.<br />
De ce fait, je me permets d’évoquer l’Orchis<br />
globuleux que l’on rencontre aisément dans<br />
les prairies d’altitude et rarement loin de<br />
la scabieuse qui arbore la même panoplie<br />
et sur laquelle on observe beaucoup plus<br />
<strong>CAES</strong>magazine n° 80 • automne 2006 11
Rubrique<br />
Titre<br />
Chapo<br />
Pollinisateur d’Orchis frangrans.<br />
Une quête<br />
incessante<br />
C’est loin des inextricables forêts exotiques,<br />
dans le campus universitaire de la<br />
Doua (Villeurbanne), qu’en 1992 un passionné<br />
s’intéresse à une fleur. Nullement<br />
décrite, la nouvelle orchidée sera nommée<br />
Epipactis rhodanensis. En 1993,<br />
c’est au tour d’un orchidophile de remarquer<br />
une modeste plante dans le même<br />
biotope que le castor (Castor fiber). Le<br />
nouveau taxon sera baptisé Epipactis fibri.<br />
Et, non loin de la Villa Clythia, notre<br />
village de vacances de Fréjus, Ophrys<br />
philippi aurait été redécouvert. La quête<br />
n’est donc pas finie… Même en France,<br />
vous pouvez mettre en lumière de nouvelles<br />
plantes. Notre sol semble réserver<br />
bien des surprises…<br />
Où voir des orchidées ?<br />
Et quand ?<br />
Nous trouvons des orchidées partout en<br />
France mais préférentiellement dans les milieux<br />
calcaires non remaniés tels le Vercors,<br />
la Chartreuse, la Bourgogne… sans oublier<br />
les massifs de l’Esterel et des Maures, aux<br />
portes de la Villa Clythia, où plus d’une cinquantaine<br />
d’espèces s’épanouissent dès la<br />
fin <strong>du</strong> mois d’avril.<br />
12 <strong>CAES</strong>magazine n° 80 • automne 2006<br />
couramment les pollinisateurs de l’orchidée.<br />
Est-ce le même stratagème ? Ressembler<br />
au stakhanoviste plutôt que de<br />
pro<strong>du</strong>ire une monnaie d’échange, le nectar.<br />
La devise est peut-être végétale…<br />
Beauté irréprochable et clones<br />
Visible sur les versants nord de nos montagnes,<br />
le Sabot de Vénus porte le nom<br />
de son allure. Parfois, à l’intérieur, un andrène<br />
! Qui, même après moult efforts, ne<br />
peut s’évader de ces remparts recourbés.<br />
Il est contraint à suivre la seule issue possible,<br />
un discret couloir revêtu d’une pilosité<br />
orientée décourageant toute marche<br />
arrière. La bête se frotte au sexe féminin<br />
puis aux pollinies qu’il transporte au prochain<br />
piège végétal. C’est par cette ruse<br />
que la plus grande orchidée d’Europe nargue<br />
l’autofécondation et préserve ainsi sa<br />
beauté intemporelle.<br />
Le végétal ne peut pas toujours jouer<br />
de la faiblesse des insectes. Dans le milieu<br />
acide et pauvre des tourbières, l’Hammarbya<br />
paludosa laisse tomber à terre et <strong>du</strong><br />
bout de ses feuilles de petites bulbilles qui<br />
donneront par la suite de nouvelles plantes<br />
identiques, des clones. Cette singularité a<br />
été également observée chez l’Epipogon<br />
aphyllum. Sans feuille, brune, parasite, elle<br />
En revanche, il faudra patienter jusqu’à fin<br />
mai pour observer les tapis fleuris mondialement<br />
connus des Causses, accessibles<br />
depuis la Maison Clément, aux Plantiers, et<br />
mi-juin pour admirer le Sabot de Vénus, au<br />
col <strong>du</strong> Granier, au-dessus de Chambéry, non<br />
loin <strong>du</strong> Centre Paul-Langevin, d’Aussois.<br />
Ramener des orchidées<br />
dans son jardin<br />
Si l’énorme grain de blé est doté de réserves<br />
nutritives pour développer une<br />
plantule à la bonne saison, la graine d’orchidée<br />
ne dépasse pas 3 mm et est totalement<br />
dépourvue de ressources. Elle<br />
devra attendre. Attendre parfois un, deux<br />
ou plus de vingt ans, l’infection de champignons<br />
baptisés mycorhizes pour entretenir<br />
des relations de symbiose et croître<br />
communément.<br />
Les graines d’orchidées sont fort légères.<br />
Éole les disperse sur la planète entière.<br />
Cela laisse à penser que tous les milieux<br />
favorables seraient déjà colonisés. En<br />
conséquence, les transplantations ont<br />
presque toujours été entachées d’échec.<br />
Cependant, des expérimentateurs d’outre-<br />
Manche ont réussi à forcer la Nature et à<br />
rendre possible par inoculation in vitro la<br />
symbiose mycorhizienne. Depuis lors,<br />
quelques « indigènes » apparaissent sur<br />
nos étalages…<br />
V. M.<br />
développe des bulbilles depuis ses racines<br />
pour se recopier à l’heure où la grande<br />
majorité des orchidées <strong>du</strong> commerce sont<br />
issues d’hybridations d’esthéticiens manipulateurs<br />
et repro<strong>du</strong>ites en masse par<br />
clonage.<br />
Survivre, s’adapter, évoluer, tels ne sontils<br />
pas les objectifs de la Nature ? Combien<br />
de stratégies ont été inventées dans ce<br />
monde où parfois le végétal se mêle intimement<br />
au monde animal ? Pro<strong>du</strong>ire <strong>du</strong><br />
nectar, commercer, échanger, autoféconder,<br />
partager, leurrer, imiter, piéger, enivrer,<br />
cloner, et même fleurir sous terre comme<br />
on l’observe chez Limodorum abortivum…<br />
Les énigmes des orchidées n’en sont<br />
qu’une illustration...<br />
Comment rester insensible à cette nature<br />
si inventive ? Comment ne pas s’interroger<br />
à la vue de ses plantes aux supercheries<br />
des plus redoutables ? Comment, bien sûr,<br />
ne pas être sensible à la vue de ces fleurs,<br />
souvent groupées en épis ou en grappes,<br />
parfumées et parées de belles couleurs vives<br />
? Nul besoin d’entreprendre le voyage<br />
aux Tropiques ou près de l’équateur, où elles<br />
sont si nombreuses, pour, appareil photo<br />
en main, saisir un peu de leur étrange<br />
beauté. <br />
Vincent Martin<br />
Vincent Martin est chimiste au <strong>CNRS</strong> (LMOPS, Vernaison).<br />
C’est l’un des animateurs des stages photo<br />
<strong>du</strong> <strong>CAES</strong> et <strong>du</strong> photoclub de Villeurbanne (69).<br />
Vincent Martin est, on l’aura compris, un passionné<br />
d’orchidées. On lui doit, en particulier, les très<br />
belles photos de cet article. Le Clas de Solaize a<br />
exposé au début de cette année « Portraits d’orchidées<br />
», un ensemble de photographies qu’il a<br />
réalisées et qui sont également disponibles sur son<br />
site personnel : http://photomavi.com<br />
Sabot de Vénus, la plus grande orchidée d’Europe.