ISRAËL - Consistoire de Paris

TICHRI
La prière de nos mères
Le premier jour de Roch
Hachana, nous lisons dans
la Torah et dans la Haftara
l'histoire de deux femmes
stériles, Sarah, épouse
d'Abraham, et Hannah,
épouse d'Elkana. Le verset nous raconte
(Genèse, 11,30): "Saraï était stérile, elle
n'avait pas d'enfant." Face à cette difficile
épreuve, Sarah ira jusqu'à convaincre
Abraham d'épouser sa servante Hagar
afin qu'il puisse avoir une descendance.
Au sujet de Hannah, le verset est
particulièrement poignant (Samuel I, 1,
5-7 : "Le Seigneur l'avait rendu stérile
(…) et Hannah pleurait et ne mangeait
point."
Nos sages nous enseignent que sept
femmes ont été " délivrées " (c'est-à-dire
exaucées) à Roch Hachana, et parmi
elles, nos matriarches Sarah, Rébecca,
Rachel et Léah, ainsi que Hannah. Dieu
entendit leurs prières, et elles tombèrent
enceintes le jour de Roch Hachana.
Pourquoi la stérilité frappe-t-elle nos
matriarches en particulier ? Y aurait-il
un message plus profond à découvrir ?
De plus, le fait que nos matriarches
soient finalement enceintes le jour de
Roch Hachana n'est certainement pas
anodin. Quelle est la signification
profonde de cet enseignement ?
Revenons un instant à l'histoire de
Hannah : son mari, Elkana, avait pris
une seconde épouse, Penina, qui lui
avait donné une descendance. Chaque
8 INFORMATION JUIVE Septembre 2010
année, alors que la famille se rendait au
complet au Temple, Hannah était
moquée par sa rivale Penina, jusqu'au
point où l'âme emplie d'amertume, "elle
pria pour l'Eternel et pleura longtemps".
Le langage du verset est surprenant: que
veut dire "prier pour l'Eternel" ? On prie
"l'Eternel", et non "pour l'Eternel" !
Le Talmud (Traité Brakhot, 31b)
explique que le message que Hannah
adressa à Dieu est le suivant: "Ma
situation, à moi, Hannah, est
comparable à celle d'un pauvre, qui
n'ayant pas de quoi se
nourrir, se faufila dans
le palais royal lors d'un
banquet d'état. Arrivé à
la table du roi, le pauvre
s'exclama: "Ne peux-tu
pas, toi Roi qui préside
ce fastueux banquet
auquel participe tant de
monde, me donner un
morceau de pain? Ce
morceau de pain, je ne
le demande que pour
pouvoir vivre et
continuer à te servir
loyalement". Hannah,
en des termes
particulièrement forts, implora l'Eternel
en ces mêmes termes: "Père souverain,
il ne tient qu'à toi, Dieu tout puissant,
d'exaucer mon humble prière et de me
donner un enfant. Tout mon être t'est
dévoué, ma prière n'est pas égoïste, c'est
pour toi que je formule cette prière! ".
(Le fils qu'elle enfanta, Samuel,
consacrera en effet toute son existence
au service de Dieu).
Renaître
La sincérité et la force de la prière de
Hannah se retrouvent chez notre
matriarche Rachel. Rachel, épouse
adorée de Jacob, était également stérile.
Le verset nous rapporte cette discussion
entre les deux époux: "Rachel, voyant
qu'elle ne donnait pas d'enfant à Jacob,
conçut de l'envie contre sa sœur et elle
dit à Jacob: Rends-moi mère, autrement
j'en mourrai! Jacob se fâcha contre
Rachel et dit: "Suis je à la place de Dieu,
qui t'a refusé la fécondité?" (Genèse
30,1). Comment Jacob, un homme que
PAR LE RABBIN MOSHÉ SEBBAG*
nos sages qualifient d'homme de grande
bonté, répond-il de manière
apparemment insensible à son épouse
qu'il aime tant ?
Le Ramban (Nachmanide) donne
l'explication suivante: lorsque Rachel
dit à Jacob "rends-moi mère", elle
demande à son époux de prier pour elle.
Jacob lui répond qu'elle est la seule au
monde qui puisse se faire entendre par
Dieu. Personne d'autre qu'elle ne peut
ressentir avec la même intensité sa
propre douleur; sa peine et son
désespoir seront les armes qui lui
permettront d'épancher son âme, et sa
prière pourra alors atteindre des
sommets de sincérité et de pureté, et
être exaucée. Comme nous le voyons
parfois dans nos vies, ce n'est que
lorsque nous atteignons les abîmes du
désespoir que nous pouvons finalement
renaître.
Les épreuves qu'ont traversées nos
matriarches nous apprennent comment
il convient de prier Dieu. Ce n'est pas
un hasard si leurs prières furent
exaucées le jour de Roch Hachana. C'est
en effet le jour où nous "couronnons"
Dieu comme maître de l'univers: tel le
pauvre qui se faufile au banquet royal,
nous avons à Roch Hachana la
possibilité de dialoguer directement
avec Dieu, face-à-face, sans
intermédiaires. Comme Hannah, nous
disons à Dieu qu'il est le seul qui peut
nous aider et nous exaucer. Mais à
l'image de la prière de Rachel, notre
prière se doit d'être personnelle, car c'est
ce qui lui donne toute sa sincérité et sa
force. Le Hazan ne peut pas remplacer
la relation profonde et unique que
chaque juif a avec son Créateur.
Notre prière a le pouvoir de changer
les choses. Je souhaite à notre
communauté et à l'ensemble du peuple
d'Israël de voir leurs voeux exaucés.
Puisse la nouvelle année apporter santé
et réussite, et par dessus tout, la paix
pour Israël et le peuple juif.
--
* Rabbin de la grande synagogue de
la Victoire