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Révolution PeRmAnente - Courant Communiste Revolutionnaire ...

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Automne<br />

2012<br />

n°06<br />

<strong>Révolution</strong> <strong>PeRmAnente</strong><br />

Revue du <strong>Courant</strong> <strong>Communiste</strong> <strong>Révolution</strong>naire du NPA / www.ccr4.org / 3€<br />

Au sommaire<br />

également...<br />

tScg<br />

mineuRS SuD<br />

AFRicAinS<br />

electionS Au<br />

venezuelA<br />

géoPolitique<br />

De lA cRiSe<br />

PSA, Doux, AiR FRAnce, SAnoFi...<br />

leS AttAqueS Pleuvent<br />

PouR un gRAnD<br />

mouvement<br />

nAtionAl contRe<br />

leS licenciementS<br />

et le chômAge !


évolutioN permaNeNte<br />

<strong>Révolution</strong> Permanente est la<br />

revue publiée par le <strong>Courant</strong><br />

<strong>Communiste</strong> <strong>Révolution</strong>naire<br />

(CCR) du Nouveau Parti<br />

Anticapitaliste (NPA). Créé en<br />

avril 2011, le CCR est formé par<br />

des militantes et militants issus de<br />

parcours et de traditions diverses.<br />

Certains viennent de l’ancienne<br />

LCR ou d’autres courants<br />

d’extrême gauche, certains ont<br />

commencé à militer avec le NPA,<br />

d’autres camarades encore sont<br />

membres de la Fraction Trotskyste<br />

– Quatrième Internationale. Le<br />

CCR est une des composantes<br />

de la Plateforme 4 (P4) qui s’est<br />

constituée au cours de la période<br />

du premier Congrès du NPA.<br />

En constituant la P4 nous voulions<br />

défendre une stratégie et une<br />

orientation révolutionnaires pour<br />

le parti afin de trancher avec les<br />

ambiguïtés et le flou stratégiques<br />

qui caractérisent le NPA depuis<br />

son Congrès de fondation. L’enjeu<br />

est de réaffirmer, à la fois dans<br />

l’orientation mais aussi dans la<br />

pratique militante, l’actualité<br />

d’un projet révolutionnaire qui<br />

combat ouvertement pour la<br />

destruction de l’État capitaliste<br />

et la construction d’un nouveau<br />

pouvoir fondé sur les organismes<br />

d’auto-organisation des masses.<br />

Le CCR tente d’être cohérent avec<br />

cette stratégie, dans sa construction<br />

et le combat que mènent nos<br />

camarades sur leur lieu de travail,<br />

d’étude et d’intervention. C’est ce<br />

que nous avons voulu montrer, à<br />

notre échelle, en jouant un rôle<br />

actif dans le mouvement contre la<br />

réforme des retraites à l’automne<br />

2010. C’est également ce que<br />

montre la composition même de<br />

notre courant qui revendique la<br />

centralité ouvrière, de la base à la<br />

direction. C’est avec cette pratique<br />

et par une lutte politique résolue<br />

que nous entendons que le NPA<br />

devienne un instrument dirigeant<br />

pour la lutte des classes et pour la<br />

révolution, sans se limiter à être<br />

un outil électoral pour des couches<br />

radicalisées de la population.<br />

N°6 / automNe 2012<br />

sommaire<br />

eDito<br />

Licenciements, chômage, austérité...<br />

Ce sera eux, ou ce sera nous !<br />

CCR…………………………………........................................................ P.5<br />

SituAtion nAtionAle P. 7<br />

Face à l'accélération des plans sociaux et à l'aggravation de la<br />

situation sur le front de l'emploi – Pour la construction d'un grand<br />

mouvement national contre les licenciements et le chômage !<br />

Jean-Patrick Clech ……………..........................………………….……. P.7<br />

Le mensonge, c'est maintenant !<br />

Une rentrée des classes sous le signe de l'escroquerie<br />

Pierre Hodel ………………....................................……………………. P.12<br />

Pacte budgétaire européen : aux capitalistes de payer leur crise !<br />

Combattre le TSCG et l'austérité de Hollande, refuser la diversion<br />

de Mélenchon<br />

Nolwën Michel ………….............................…………..………………. P.14<br />

DoSSieR lutteS ouvRièReS<br />

PSA Aulnay : Il est encore possible de gagner !<br />

Daniela Cobet et Vincent Duse ………...............................………… P.17<br />

Face aux attaques du patronat et aux mauvais coups du gouvernement<br />

Manu Georget …………………..................………………….................P.21<br />

ROTOS.93 : Déjà cent jours de lutte et d'occupation !<br />

Philippe Alcoy et Marah Macna……………………....………………. P.22<br />

DoSSieR RéPReSSion et SuRenchèRe SécuRitAiRe<br />

Emeutes à Amiens Nord - Solidarité avec nos frères et sœurs de<br />

classe contre la répression du gouvernement PS !<br />

Loïc Guillaume …………………….........………………....................... P.24<br />

Expulsions, démantèlement de camps... Sarkozy ou Hollande ?<br />

Pour les Roms non plus, ça ne fait pas de différence !<br />

L. G. ......................................................................................................P. 26<br />

Surenchère sécuritaire du PS à Marseille - Quand le PS déborde<br />

Guéant à sa droite<br />

R.L.......................................................................................................P.27<br />

geoPolitique De lA cRiSe P. 28<br />

La fin des « solutions miracles » des années 2008-2009<br />

et l'exacerbation des rivalités interétatiques sur l’échiquier<br />

international<br />

Juan Chingo .........................................................................................P.28<br />

3


SituAtion inteRnAtionAle P.38<br />

Afrique du Sud<br />

Du sang, de la sueur… et des balles !<br />

A propos de la lutte héroïque des mineurs<br />

Philippe Alcoy ………………….................................................................P.38<br />

Venezuela<br />

Ni Chavez, ni opposition néo-libérale ! Pour une candidature ouvrière<br />

indépendante lors des prochaines élections !<br />

Romain Lamel…...........................................................................………. P.42<br />

Allemagne<br />

Im Streik ! Retour sur la grève contre la précarité à la Lufthansa<br />

Pierre Voisset ......................……....................................................……. P.46<br />

Etat Espagnol<br />

Expropriations de supermarchés en Andalousie<br />

Qu'en est-il de la « <strong>Révolution</strong> Gordillo » ?<br />

Santiago Lupe ............................................…..................………………. P.47<br />

Québec<br />

« Printemps érable » – Bilan du mouvement étudiant à la lumière des<br />

dernières élections provinciales<br />

Lysanne Arcand et Erik Gagnon ..…...................................................... P.50<br />

L'affaire Assange, ou l'hypocrisie de la Grande-Bretagne<br />

Josefina Martinez et Alexandra Rios…..........................………………. P.53<br />

DebAt mARxiSte P.55<br />

Le prolétariat a-t-il disparu ? Autour du livre de Sarah Abdelnour, Les<br />

nouveaux prolétaires<br />

Emmanuel Barot..................................................................................... P.55<br />

KultuR & KRitiK P.62<br />

« Un nouvel art pour un monde nouveau » Exposition Tatlin en Suisse<br />

Paul Tanguy...............................................................................................P.62<br />

L’Iran au cinéma - Retour sur deux films d’Asghar Farhadi<br />

M. Sotoudé ............................................................................................... P. 63<br />

4<br />

révolutioN permaNeNte<br />

N°6 / automNe 2012


licenciementS, chômAge,<br />

AuStéRité…<br />

ce SeRA eux,<br />

ou ce SeRA nouS !<br />

Drôle de rentrée que celle que<br />

nous vivons depuis quelques<br />

semaines. Les titres de l’actualité<br />

sont occupés par les noms des<br />

multiples boîtes où l’emploi<br />

est en danger et où s’expriment<br />

des résistances : Doux, Sanofi,<br />

Air France, PSA mais aussi des<br />

dizaines d’autres entreprises.<br />

C’est tout un monde invisible<br />

qui se retrouve tout à coup dans<br />

les médias. Si l’on fait la somme<br />

de tous les plans sociaux prévus<br />

par le patronat, on arrive à un<br />

total de 400 000 suppressions<br />

de poste, selon le gouvernement<br />

lui même. Un véritable choc pour<br />

le salariat et l’ensemble des<br />

classes populaires, dans un pays<br />

où le chômage touche déjà trois<br />

millions de personnes, selon un<br />

chiffre officiel qui est de plus<br />

arrangé pour minimiser la réalité.<br />

Cette vague historique de<br />

licenciements est accompagnée<br />

de la préparation d’attaques<br />

sans précédent au droit du<br />

edito<br />

travail, et de mesures d’austérité<br />

drastiques et d’une ampleur<br />

jusque là inconnue. Hollande<br />

n’aura donc pas attendu<br />

longtemps pour donner raison à<br />

la couverture du dernier numéro<br />

de <strong>Révolution</strong> Permanente, où<br />

l’on annonçait: « l’austérité, c’est<br />

maintenant! ». C’est pour cela<br />

qu’il est nécessaire de se battre<br />

pour un grand mouvement<br />

national contre les licenciements<br />

et le chômage, seul à même<br />

de constituer une réponse de<br />

classe à la situation actuelle.<br />

Déjà, à Plysorol, à Doux, à Arcelor<br />

Mittal, à Sanofi, à Air France, et<br />

bien sûr à PSA, ainsi que dans<br />

des dizaines d’autres boîtes, la<br />

colère ouvrière monte et laisse<br />

imaginer ce que pourrait être<br />

une riposte coordonnée. Mais<br />

la crise fait également sentir<br />

ses effets sur l’ensemble des<br />

exploité-e-s et d’autres failles<br />

pourraient rapidement surgir<br />

dans le chaos organisé que<br />

Pour nous contacter, commander<br />

des numéros de la revue (parution<br />

bimensuelle), recevoir notre<br />

newsletter...<br />

Ecrire à :<br />

ccR4.nPA@gmAil.com<br />

www.ccR4.oRg<br />

5


cherche à nous imposer la classe<br />

dominante pour sauver ses<br />

profits. La jeunesse d’Amiens<br />

l’a rappelé, dans des émeutes<br />

qui pourraient n’être qu’une<br />

prémisse d’une radicalisation<br />

plus vaste, et posent la question<br />

de l’unification du prolétariat<br />

autour de la puissance sociale<br />

et politique de la classe<br />

ouvrière. Cela d’autant plus que,<br />

sentant monter le vent de la<br />

résistance, la bourgeoisie table<br />

toujours plus sur les discours<br />

réactionnaires pour diviser, avec<br />

le gouvernement à l’avant-poste<br />

comme on l’a vu au sujet des<br />

Roms et de Marseille.<br />

C’est dire que cette rentrée,<br />

qui voit la crise s’actualiser en<br />

France dans toute sa brutalité,<br />

pose pour les révolutionnaires<br />

des questions de programme<br />

absolument centrales. Ce sont<br />

les points, notamment, que<br />

nous abordons dans la partie<br />

Hexagone de ce numéro de<br />

rentrée. L’article d’Emmanuel<br />

Barot, dans la rubrique « débat<br />

marxiste », pose en un sens<br />

la même question sur le plan<br />

théorique.<br />

Nous ne sommes, néanmoins,<br />

qu’au début de la crise, qui<br />

promet davantage encore de<br />

rebondissements, avec des<br />

6<br />

révolutioN permaNeNte<br />

conséquences importantes au<br />

niveau structurel. La bourgeoisie<br />

internationale, avec ses<br />

argentiers en chef, les divers<br />

Ben Bernanke de la FED et Mario<br />

Draghi de la BCE, fait mine<br />

d’avoir la situation sous contrôle.<br />

C’est pourtant loin d’être le cas<br />

à moyen terme, comme l’analyse<br />

« Géopolitique de la crise », un<br />

des articles qui se trouvent au<br />

centre de cette revue.<br />

Stratégiques, théoriques<br />

et pratiques, les défis sont<br />

nombreux pour parvenir à être<br />

à la hauteur de la période. Une<br />

période où la conflictualité de<br />

classe ne cesse de s’intensifier,<br />

des mines sud-africaines où se<br />

déchire le compromis bourgeois<br />

du régime post-apartheid, aux<br />

rues espagnole et portugaise,<br />

où les mouvements contre<br />

l’austérité se massifient.<br />

Au Québec, le mouvement<br />

historique parti de la jeunesse<br />

et qui s’est un temps étendu au<br />

reste de la société a finalement<br />

été canalisé – au moins pour<br />

l’instant – par des élections<br />

qui ont conduit à la victoire du<br />

parti souverainiste (PQ). Si cette<br />

conclusion provisoire de la lutte<br />

appelle une réflexion sur le plan<br />

du programme et de la stratégie,<br />

elle ne doit pas occulter le fait<br />

N°6 / automNe 2012<br />

que l’époque est à la remontée<br />

de la jeunesse, au Chili, au<br />

Mexique, dans l’Etat Espagnol,<br />

une jeunesse qui se fait à<br />

l’occasion la caisse de résonance<br />

de toute la colère sociale face<br />

aux conséquences de la crise.<br />

Cette rentrée, c’est aussi<br />

quelques premières échéances,<br />

qui vont être l’occasion d’amorcer<br />

la mobilisation nécessaire à la<br />

riposte. Plusieurs dates sont au<br />

calendrier, les 29 et 30 septembre<br />

dans le 93 autour de PSA et au<br />

salon de l’auto, puis le 9 octobre<br />

notamment. En s’emparant de<br />

ces mobilisations, les travailleurs<br />

et la jeunesse seraient à même<br />

de commencer à jeter les bases<br />

de la contre-offensive. Non<br />

pas pour « défendre l’industrie<br />

nationale », ou « la République<br />

face à l’austérité bruxelloise »<br />

comme le souhaiteraient<br />

certains à gauche. Mais parce<br />

que face aux licenciements, au<br />

chômage et à l’austérité qui<br />

sont décidés dans les salons des<br />

conseils d’administration et les<br />

couloirs des ministères, c’est<br />

tous ensemble qu’il nous faudra<br />

construire la contre-attaque. Ce<br />

sera eux, ou ce sera nous !<br />

23/09/2012


Face à l’accélération des plans sociaux et à l’aggravation de la<br />

situation sur le front de l’emploi<br />

Jean-Patrick Clech<br />

PouR lA conStRuction D’un gRAnD<br />

mouvement nAtionAl contRe leS<br />

licenciementS et le chômAge !<br />

La présidence normale aura fait long<br />

feu… Un peu plus de cent jours après le<br />

retour du PS au pouvoir, même les journalistes<br />

les plus proches de la majorité<br />

admettent désormais ouvertement la véritable<br />

dégringolade de la côte de confiance<br />

du président et de son gouvernement. Par<br />

le passé, il avait fallu deux ans à François<br />

Mitterrand (en 1983 donc), et six mois à<br />

Jacques Chirac (en novembre-décembre<br />

1995) pour arriver au bas niveau de<br />

popularité auquel François Hollande est<br />

descendu en à peine plus de deux mois.<br />

L’orientation générale du gouvernement,<br />

avec pour axe central l’austérité (auquel<br />

Hollande voulait rajouter un volet « dialogue<br />

social » et un autre « croissance »)<br />

était prévisible depuis longtemps, et Hollande,<br />

d’ailleurs, ne s’en est jamais caché 1 .<br />

Ce qui l’était moins, c’était la dégradation<br />

de la situation politique pour le gouvernement,<br />

malgré tous ses efforts pour générer<br />

au moins une petite lune de miel après<br />

[1] Voir notamment « La gauche est de<br />

retour aux affaires, mais c’est l’austérité et la<br />

rigueur budgétaires qui restent au pouvoir »,<br />

www.ccr4.org/La-gauche-est-de-retour-aux,<br />

09/05/12, ainsi que les autres articles sur la<br />

situation hexagonale publiés dans <strong>Révolution</strong><br />

Permanente n°5.<br />

cinq années très dures de sarkozyme de<br />

choc. Quel est donc la profondeur de ce<br />

mécontentement social, que démontrent<br />

l’ensemble des enquêtes d’opinion ? Sur<br />

quoi pourrait-il déboucher, notamment si<br />

l’extrême gauche se donnait les moyens<br />

de proposer une véritable alternative aux<br />

luttes qui pourraient émerger dans les prochaines<br />

semaines ?<br />

La raison de la dégradation accélérée de<br />

la côte de confiance de Hollande et de<br />

Jean-Marc Ayrault est sans doute à chercher<br />

du côté de l’aggravation plus rapide<br />

que prévue de la situation économique,<br />

avec tout ce que cela implique d’un point<br />

de vue politique et social. On songera au<br />

dépassement du cap des trois millions<br />

de chômeurs officiels ou à la succession<br />

d’annonces de plans sociaux dans<br />

des groupes historiques du capitalisme<br />

hexagonal, chez Carrefour, Sanofi, Doux,<br />

Air France, SFR ou, bien entendu, PSA, à<br />

quoi il faut rajouter un cortège de licenciements<br />

dans des entreprises moins<br />

importantes et dont la répercussion<br />

médiatique est moindre. A la clef, ce sont<br />

prés de 400.000 emplois qui pourraient<br />

disparaître dans les prochains mois. Hollande<br />

a été élu avec le soutien d’une<br />

situation nationale<br />

fraction du patronat et avec l’appui de<br />

la « gauche » politique et syndicale, avec<br />

l’objectif de temporiser sur le terrain<br />

social et de « réformer », lui aussi, mais<br />

avec beaucoup plus d’efficacité et en<br />

suscitant beaucoup moins de tensions<br />

que sous le précédent quinquennat.<br />

D’où l’importance de la « présidence normale<br />

» et du « discours de la méthode »<br />

sur la concertation et le dialogue avec<br />

l’ensemble des partenaires sociaux, syndicats<br />

inclus bien entendu.<br />

Mais ces belles projections des socialistes,<br />

c’était sans compter l’évolution de<br />

la crise. En Europe d’abord, où la situation<br />

est particulièrement préoccupante<br />

pour la bourgeoisie dans des pays situés<br />

aux portes de la France géographiquement<br />

comme sur le plan de l’importance<br />

économique. L’approfondissement du<br />

marasme dans l’État espagnol et en Italie<br />

explique la mise en place par Mario<br />

Draghi, sur les conseils d’Angela Merkel,<br />

du dernier plan de la Banque Centrale<br />

Européenne (BCE), qu’il qualifie<br />

lui-même d’extraordinaire au sens premier<br />

du terme. Ce contexte exceptionnel<br />

pèse également en France et pourrait<br />

contribuer à transformer le climat géné-<br />

7


al, en nous faisant passer d’une phase<br />

de mécontentement sourd mais diffus<br />

à une période davantage marquée par<br />

des tensions sociales, localisées ou plus<br />

généralisées.<br />

le peu d’impact des<br />

effets d’annonce et de la<br />

« nouvelle méthode » du<br />

gouvernement<br />

En raison de ce contexte de crise plus<br />

profond que prévu, les effets d’annonces<br />

et les demi-mesures des socialistes et<br />

de leurs alliés écolos n’ont pas suffi à<br />

donner une réelle marge de manœuvre<br />

au gouvernement pour étaler dans la<br />

durée la batterie de contre-réforme<br />

promises par Hollande au patronat, et<br />

vendue comme « de gauche » aux syndicats.<br />

De l’ordre du symbolique ou de la<br />

pichenette (comme dans le cas du SMIC),<br />

les annonces du gouvernement, qui<br />

se voulaient « rupturistes » vis-à-vis du<br />

quinquennat précédent, n’ont pas suffi<br />

à déplacer du centre des préoccupations<br />

des classes populaires et de la jeunesse<br />

les questions du chômage, des menaces<br />

de licenciement et du pouvoir d’achat.<br />

Parfois progressistes 2 mais plus souvent<br />

essentiellement symboliques 3 , ces<br />

annonces, qui pour certaines ne sont<br />

pas encore effectives, n’ont pas suffi<br />

pour établir le cadre d’une trêve politico-sociale<br />

avec l’opinion populaire. Plus<br />

encore, elles ne suffisent pas à camoufler<br />

les éléments de continuité complète<br />

de ce gouvernement avec le précédent,<br />

sur la forme comme sur le fond, comme<br />

on a pu le voir avec la question de la répression<br />

(à Amiens) ou de l’immigration<br />

(avec les destructions de camps Roms et<br />

la reprise des expulsions) 4 . Enfin, elles<br />

ne permettent pas à l’exécutif de donner<br />

l’impression qu’il répond aux questions<br />

qui sont au cœur des inquiétudes,<br />

des préoccupations et des exigences de<br />

l’ensemble des acteurs économiques et<br />

sociaux du pays, à tous les échelons de<br />

la société. C’est ce qui explique le fait<br />

que Hollande semble, jusqu’à présent,<br />

mécontenter tout le monde… alors qu’il<br />

ne fait rien.<br />

[2] Comme on a pu le voir sur la question du<br />

mariage homosexuel ou de l’adoption<br />

[3] En ce qui concerne les gaz de schiste, certains<br />

permis seulement ayant été suspendus,<br />

ou le détricotage du bouclier fiscal sarkozyste,<br />

et l’imposition des plus hauts revenus à 75%,<br />

avec un certain nombre de zones d’ombre sur<br />

son périmètre d’application<br />

[4] Voir sur ces deux sujets G. Loïc, « Emeutes<br />

à Amiens Nord. Solidarité avec nos frères et<br />

nos sœurs contre la répression du gouvernement<br />

PS », 18/08/12 et « Sarkozy ou Hollande<br />

? Pour les Roms non pus, ça ne fait pas<br />

de différence ! », 11/09/12 www.ccr4.org/Sarkozy-ou-Hollande-Pour-les-Roms-non-plusca-ne-fait-pas-de-difference<br />

8<br />

révolutioN permaNeNte<br />

les raisons de la<br />

« sarkostalgie »<br />

C’est tout cela qui explique pour partie la<br />

grande nouveauté de la rentrée, à savoir<br />

la « sarkostalgie ». C’est la première fois<br />

dans l’histoire de la Ve République que<br />

le précédent président est si rapidement<br />

plus populaire que son successeur,<br />

et ce dernier si rapidement impopulaire<br />

comme nous venons de le voir. On imagine<br />

mal, en 1981 ou même, dans une<br />

autre séquence politique, en 2007, un<br />

Valéry Giscard d’Estaing ou un Chirac<br />

plus populaires, à cent jours de leur arrivée<br />

à l’Elysée, que Mitterrand ou Sarkozy.<br />

Cette situation est d’autant plus inédite<br />

que l’opposition officielle est inaudible,<br />

avec une droite enfermée dans ses querelles<br />

de personnes, entre François Fillon<br />

et Jean-François Copé, pour la direction<br />

de l’UMP. C’est le FN qui fait ces choux<br />

gras de cette situation, en se positionnant<br />

comme opposition de droite et anti<br />

système, y compris sur la question du<br />

TSCG.<br />

Cette « nostalgie de Sarkozy » qui s’étale<br />

dans les gros titres de la presse et sur les<br />

unes des journaux, tous extrêmement<br />

durs à l’égard de Hollande, ne s’explique<br />

pas seulement par une stratégie de<br />

vente agressive ou le regret d’une « sakozysation<br />

» du temps politique auquel<br />

auraient été habitués les journalistes,<br />

avec une annonce par jour du temps de<br />

l’ancien président. Cette « sarkostalgie »<br />

est avant tout le symptôme du fait que la<br />

sensation diffuse qui domine dans la société<br />

(et qui vise un contenu différent en<br />

fonction des secteurs sociaux auxquels<br />

on se réfère), c’est qu’il faut que « le gouvernement<br />

gouverne ». La « sarkostalgie »<br />

est avant tout cet appel à l’action et à<br />

l’interventionnisme qui, pour une fraction<br />

de la bourgeoisie, en dernière instance,<br />

révèle un désir de bonapartisation<br />

de la vie politique. Il faut en tout cas, de<br />

l’avis général, que les problèmes soient<br />

pris à bras-le-corps par le gouvernement,<br />

avant que ce ne soient d’autres qui le<br />

fassent.<br />

La morale politique de la séquence postprésidentielle<br />

c’est donc qu’on ne peut<br />

pas être un président normal en période<br />

anormale. C’est ce que réclament de façon<br />

de plus en plus dissonante patronat,<br />

syndicats et partis politiques (même de<br />

manière très ambiguë et modérée dans<br />

le cas du Front de Gauche 5 ), à un Hol-<br />

[5] En direct de la Fête de l’Huma au journal<br />

de 13h de France Inter du 16 septembre,<br />

Pierre Laurent, numéro un du PCF a ainsi commenté<br />

les huées par lesquelles ses propres<br />

militant-e-s avaient reçu les propos de Najat<br />

Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement,<br />

soutenant le TSCG : « les gens ne<br />

veulent pas contester ou faire échouer le gouvernement,<br />

mais parce qu’ils veulent le faire<br />

avancer parfois en le bousculant un peu, en<br />

le poussant en avant ». Pousser le gouverne-<br />

N°6 / automNe 2012<br />

lande qui avaient comme objectif premier<br />

de « donner du temps au temps »<br />

pour opérer, par la suite, les réformes<br />

anti ouvrières et anti populaires. Celle<br />

du marché du travail et de l’emploi<br />

public notamment, qu’il ne s’est jamais<br />

caché de vouloir mettre en œuvre. Mais<br />

n’est pas Mitterrand qui veut, et surtout<br />

à n’importe quel moment. Ce n’est pas<br />

seulement une trentaine d’années qui<br />

séparent 1981 de 2012, mais un gouffre<br />

au niveau de la gravité de la crise et des<br />

réponses que les classes dominantes<br />

entendent y donner afin de faire payer<br />

la facture à notre camp social, à savoir<br />

le salariat, les classes populaires et à la<br />

jeunesse.<br />

De la concertation à<br />

l’action (télévisée sur<br />

tF1) : les changements du<br />

hollandisme<br />

Jusqu’à la rentrée, Hollande a continué à<br />

donner comme feuille de route à ses ministres<br />

la poursuite de la mise en place<br />

du « dialogue social », qui devait être la<br />

marque de fabrique de la présidence<br />

Hollande : accompagner les contre-réformes<br />

en faisant des syndicats des partenaires<br />

centraux. C’est ainsi qu’après la<br />

« conférence » de juillet, Marisol Touraine<br />

devait mettre sur pied pour la rentrée un<br />

dialogue social au long cours, jusqu’à la<br />

fin de l’année, avec les syndicats du secteur<br />

de la Santé. Idem pour Vincent Peillon,<br />

orchestrant sa « Concertation [bidon]<br />

refondons l’école de la République » 6 ou<br />

pour Marylise Lebranchu, ministre de la<br />

Fonction publique, qui devait lancer une<br />

grande concertation sur les parcours, les<br />

carrières et les rémunérations, au moment<br />

même où le point d’indice est gelé<br />

pour la troisième année consécutive… Le<br />

gouvernement, convaincu du caractère<br />

performatif du discours socialiste, pensait<br />

sans doute réussir à endormir autant<br />

les salariés du public qu’il n’avait réussi<br />

à le faire début juillet avec les directions<br />

syndicales qui raffolent de ce genre de<br />

« conférences » et qui y répondent bien<br />

volontiers. Enfin, pour finir sur le front de<br />

la concertation, on a même organisé pour<br />

cette rentrée une réception en bonne et<br />

due forme des syndicalistes de Fralib<br />

à l’Elysée, la seule visite ouvrière qui<br />

ne menaçait pas de dégénérer en une<br />

ment PSA en avant tient de la gageure. Il n’est<br />

pas sûr que les militant-e-s syndicaux et politiques<br />

présents à la Fête de l’Huma aient réellement<br />

envie de pousser en avant le gouvernement,<br />

mais plutôt de s’opposer à ses sales<br />

coups. Le PCF, de son côté, espère toujours<br />

garder ouverte la porte d’une possible collaboration<br />

gouvernementale entrouverte…<br />

[6] Sur Peillon, voir P. Hodel, « Une rentrée<br />

des classes sous le signe de l’escroquerie »,<br />

06/09/12 www.ccr4.org/Une-rentree-desclasses-sous-le-signe-de-l-escroquerie


violente apostrophe du chef de l’Etat,<br />

puisque la CGT locale est tenue par le<br />

PCF, toujours bien discipliné au PS 7 .<br />

Cependant, sous la pression de la dégradation<br />

de la situation sociale et des<br />

sautes d’humeur du patronat, la stratégie<br />

gouvernementale a dû être entièrement<br />

revue afin d’accélérer le train des<br />

réformes et de répondre aux exigences<br />

du Medef. Celui-ci ne se satisfaisait plus<br />

des ronds de jambe (patrons invités à<br />

petit-déjeuner à l’Elysée, présence de<br />

ministres socialistes à l’université d’été<br />

du Medef à Jouy-en-Josas) pour s’excuser<br />

des quelques sorties abruptes (mais<br />

toujours très courtoises…) d’Arnaud Montebourg<br />

et de Jean-Marc Ayrault sur PSA<br />

et les plans sociaux au début de l’été.<br />

Le signal a donc été donné à Michel<br />

Sapin, ministre du Travail, pour accélérer<br />

le calendrier de réformes qui ne devait<br />

initialement entrer en vigueur que plus<br />

tard. Afin d’essayer d’éteindre plusieurs<br />

foyers d’incendie potentiels, le gouvernement<br />

a ainsi avancé de trois mois<br />

la mise en place des « emplois d’avenir<br />

», sorte « d’emplois jeunes » bis mais<br />

revus à la baisse. L’idée est de parer au<br />

plus pressé sur le front du chômage des<br />

jeunes dans les zones les plus délaissées<br />

(campagnes mais également zones<br />

urbaines dites sensibles) en créant un<br />

contrat renouvelé d’année en année<br />

financé très largement par l’État, et entérinant<br />

l’emploi précaire et sous payé.<br />

L’autre dossier que Sapin a été chargé<br />

d’ouvrir pus rapidement que prévu<br />

concerne la reforme en profondeur du<br />

marché du travail.<br />

Ce que le patronat appelle désormais la<br />

« flexisécurité » a donc fait l’objet d’une<br />

accélération de calendrier à la demande<br />

de Hollande. L’enjeu est de détruire,<br />

de l’intérieur, le droit du travail et des<br />

contrats, en officialisant le chantage patronal<br />

à l’emploi : ou on baisse les salaires<br />

et/ou on augmente le volume de travail,<br />

en fonction des carnets de commande et<br />

[7] En sortant de l’Elysée fin août, Gérard<br />

Cazorla, secrétaire CGT du comité d’entreprise<br />

n’a pas hésité à déclarer avec satisfaction :<br />

« on a le sentiment que le gouvernement est<br />

à nos côtés (…). Le gouvernement est en train<br />

d’analyser les solutions que nous avons données<br />

pour réquisitionner la marque et faire<br />

qu’elle reste en France. Ils nous ont dit qu’il<br />

y a des discussions serrées avec Unilever [et<br />

que l’Etat avait] les moyens de faire plier Unilever<br />

[la multinationale dont dépend l’usine<br />

Eléphant]» (voir « Des salariés de Fralib reçus<br />

à l’Elysée. Nouvelle table ronde à la mi-septembre<br />

», Le Monde, 31/08/12). Une chose est<br />

sûre pourtant: les deux années de lutte acharnée<br />

des salariés de Gémenos ont montré que<br />

les travailleurs ne pouvaient compter que sur<br />

eux-mêmes pour faire plier Unilever, et arracher<br />

l’expropriation de l’usine de Gémenos<br />

sous leur contrôle. En s’en remettant au gouvernement<br />

au moment même où celui-ci ne<br />

cesse de se dire impuissant, les représentants<br />

syndicaux cégétistes sèment des illusions<br />

chez les ouvriers, et affaiblissent leur propre<br />

combat.<br />

des impératifs, et ce en « échange » du<br />

maintien de l’emploi… ou alors ce sont<br />

les emplois qui passeront à la trappe.<br />

Il suffit de lire l’édito de Jean-François<br />

Pécresse dans Les Echos le 11 septembre<br />

pour voir de quoi il retourne : « le<br />

ministre du Travail a su faire preuve de<br />

doigté pour rendre possible l’ouverture<br />

prochaine de ces négociations devenues<br />

d’intérêt national (…). En esquissant une<br />

voie moyenne entre réglementation et<br />

déréglementation, [la feuille de route]<br />

tente bien d’introduire plus de flexisécurité<br />

dans notre droit du travail, pas<br />

comme l’aboutissement d’une volonté<br />

politique, mais comme le résultat d’un<br />

compromis social rendu impérieux par la<br />

gravité de la crise ». Et l’éditorialiste des<br />

Echos de prévenir qu’en cas de blocage,<br />

et malgré tout le bien qu’il pense du<br />

« compromis social », (« les négociations<br />

patronat-syndicats [risquant simplement<br />

de] freiner l’essor des droits sociaux et<br />

des raideurs juridiques »), ce serait au<br />

gouvernement de trancher. Pécresse rappelle<br />

ainsi à Hollande la nécessité d’agir<br />

et de trancher, le cas échéant, et ce afin<br />

d’assurer le pseudo « gagnant-gagnant » 8 .<br />

Inutile de préciser que le Medef a salué<br />

« un schéma de négociation ouvert »<br />

qui intègre les demandes de « simplification<br />

» et de « souplesse » émanant<br />

des entreprises. La CGPME participera<br />

en ce qui la concerne « dans un esprit<br />

constructif » mais se montrera « vigilante,<br />

notamment sur une éventuelle<br />

modulation des charges pour les CDD<br />

et l’intérim ». Côté bureaucraties syndicales<br />

serviles, la CFDT est toujours à<br />

la pointe avec François Chérèque, qui<br />

juge les thèmes retenus « pertinents »,<br />

tandis que la CFTC, si dangereusement<br />

à gauche, les considère comme « une<br />

bonne base pour négocier »! Le seul<br />

point noir à l’horizon pour le gouvernement<br />

émane de la CGT, non pas que la<br />

centrale de Montreuil refuse de négocier<br />

sur de telles bases, mais parce qu’elle<br />

regrette que le texte « ne ferme pas la<br />

porte aux revendications patronales »,<br />

comme s’il avait pu en être autrement :<br />

« d’accord, dit en quelque sorte Thibault,<br />

à la flexisécurité, qui ne veut rien dire<br />

d’autre que la précarisation de l’emploi<br />

et la fin du CDD, mais pas trop quand<br />

même ». Comme le souligne un spécialiste<br />

en ressources humaines, « la reprise<br />

des négociations pour créer des contrats<br />

de sauvegarde, permettant de sauver<br />

des emplois en contrepartie de chômage<br />

partiel et de baisses de salaires, est vue<br />

comme la seule voie efficace, d’autant<br />

[8] On aura compris qu’il s’agit-là d’une formule<br />

légèrement mensongère dont Pécresse<br />

est coutumier et qui veut dire « patrons-gagnants-et-prolos-perdants-mais-on-leur-faitcroire-qu-ils-ont-gagné<br />

», mais ce genre de<br />

choses ne se dit pas ouvertement dans la<br />

bonne société et la presse du Médef, ça risquerait<br />

de fragiliser un peu plus l’action gouvernementale<br />

« socialiste ».<br />

situation nationale<br />

que le plus dur est à venir: ‘dans six mois,<br />

on ne parlera plus de plans de départs<br />

volontaires, mais de plans sociaux secs,<br />

quand la crise touchera des entreprises<br />

qui n’auront pas les moyens de payer<br />

deux ans d’indemnités à leurs salariés’ » 9 .<br />

Plus question dans ce cadre-là, donc,<br />

de dire que le gouvernement souffre<br />

d’immobilisme. Les choses, désormais,<br />

ont le mérite de la clarté : la dynamique<br />

dont souhaite faire montre Hollande se<br />

fait, désormais, exclusivement en faveur<br />

des patrons. Alors bien entendu il y aura<br />

encore de l’enrobage de « gauche » aux<br />

mesures d’austérité. C’est un peu ce que<br />

le président a essayé de faire passer lors<br />

de son petit cirque médiatique sur TF1. Il<br />

a certes fait moins de moulinets que son<br />

prédécesseur sur le plateau de la chaîne<br />

de Bouygues, et sa mine était plus grave.<br />

Mais sur le fond, c’est bien la même politique<br />

en faveur du patronat, dont il s’est<br />

fait le représentant du service aprèsvente.<br />

Pour Hollande, il suffit<br />

d’être patient : deux ans<br />

de vaches maigres avant<br />

le rebond ?<br />

A la télévision le 10 septembre Hollande<br />

a donc eu le culot de nous présenter sa<br />

cure d’austérité et sa politique de « sécurisation<br />

de l’emploi » comme le fruit de<br />

« sacrifices partagés » devant aboutir à un<br />

« compromis historique » à la française. Il<br />

n’y aurait que deux années un peu difficiles<br />

à passer (qu’il faudrait rajouter, au<br />

bas mot, aux quatre précédentes que<br />

l’on vient de vivre), et après tout s’améliorera,<br />

promis-juré ! Inutile de dire que,<br />

une fois toutes les mesures dans la balance,<br />

c’est, au bout du compte, presque<br />

exclusivement les ménages populaires,<br />

les salariés et la jeunesse qui vont trinquer.<br />

Hollande doit imaginer que nous ne<br />

sommes même plus capables de compter!<br />

Pour ce qui est de la cure d’austérité<br />

supplémentaire de trente milliards qui a<br />

été annoncée, il y aura dix milliards de<br />

ponctionnés sur le budget des services<br />

publics, avec une dégradation des conditions<br />

de travail, d’emploi et de service à<br />

la clef bien entendu, et dix autres sous<br />

formes d’impôts supplémentaires. Le<br />

reste viendra des efforts demandés aux<br />

patrons. On a déjà vu mieux, en termes<br />

de « compromis » 10 !<br />

[9] « Plans sociaux : la rentrée de tous les dangers<br />

», Le Figaro, 27/08/12.<br />

[10] C’est le même refrain qu’adopte Claude<br />

Bartolone, président de l’Assemblée, à propos<br />

du dernier collectif budgétaire voté avant les<br />

vacances. « Tout faire reposer sur les ménages<br />

aurait été très dangereux pour la consommation<br />

et au final pour les entreprises. Ce collectif<br />

au final était un bon compromis ». Décidem-<br />

9


Du côté de l’emploi, en plus d’une<br />

baisse des cotisations patronales et de<br />

la réforme du financement de la protection<br />

sociale (sur le dos des salariés)<br />

avec une « CSG sociale » (qui n’a, paraîtil,<br />

rien à voir avec la « TVA sociale » de<br />

son prédécesseur...), la mesure phare de<br />

la « politique juste et équilibrée » défendue<br />

par Hollande vise à « sécuriser » les<br />

procédures de licenciements, tant pour<br />

les salariés que pour les entreprises.<br />

Evidemment, personne n’est vraiment<br />

tombé dans le panneau. Le lendemain<br />

de son intervention, les discussions dans<br />

les bureaux, les ateliers et les usines<br />

allaient bon train autour de la question :<br />

« sécurisé » ou pas, une fois licencié,<br />

c’est toujours à la rue que l’employé-e<br />

ou l’ouvrier-e se retrouvera, avec en plus<br />

sa famille et ses proches dans la galère.<br />

Dans ces conditions, on voit bien à quoi<br />

sert l’optimisme hypocrite de Hollande,<br />

qui sait très bien que la crise ne va pas<br />

se régler à court terme, et qu’il n’y aura<br />

aucun rebond de l’économie: le but est<br />

de menacer les travailleurs et les jeunes<br />

via un chantage à la relance.<br />

Sans perdre de temps, il<br />

faut préparer la contreoffensive<br />

: pour un<br />

mouvement national<br />

contre les licenciements et<br />

le chômage !<br />

Devant une situation d’une telle gravité,<br />

la réaction des organisations syndicales<br />

et politiques de gauche est pour l’instant<br />

largement insuffisante, lorsqu’elle<br />

ne constitue pas carrément une tentative<br />

de déviation des combats à venir.<br />

Il y a d’abord le TSCG, que le Front de<br />

Gauche notamment transforme en un<br />

épouvantail à abattre, axant toute sa<br />

propagande là-dessus. Même si le TSCG<br />

vise à coucher par écrit, pour mieux la<br />

justifier, la politique d’austérité, on sait<br />

pourtant que sa mise en place ainsi que<br />

les plans de licenciements, ce n’est pas<br />

à Bruxelles que cela se décide, mais à<br />

l’Elysée et dans les conseils d’administration<br />

d’entreprises bien de chez nous,<br />

chez Doux, Air France ou PSA 11 . Les directions<br />

syndicales, elles, ont été d’un<br />

attentisme scandaleux jusqu’à la rentrée,<br />

maintenant une certaine expectative à<br />

l’égard du gouvernement et sa nouvelle<br />

méthode de « concertation », alors que<br />

ment, les hommes de Hollande ont le souci<br />

du compromis bancal et du mensonge… Voir<br />

« Hollande doit assurer le service après-vente<br />

des réformes », Les Echos, 07-08/09/12.<br />

[11] Voir à ce sujet G. Loïc, « Combattre le<br />

TSCG de Hollande, refuser la diversion de<br />

Mélenchon », 06/09/12, www.ccr4.org/Combattre-le-TSCG-et-l-austerite-de-Hollande-refuser-la-diversion-de-Melenchon<br />

10<br />

révolutioN permaNeNte<br />

les plans sociaux massifs commençaient<br />

à tomber 12 .<br />

Sous la pression cependant d’un mécontentement<br />

social perceptible, et ayant<br />

tiré les leçons des bagarres contre les<br />

licenciements de 2008-2009, qui parfois<br />

s’étaient développées en marge<br />

voire même contre les structures syndicales<br />

fédérales et confédérales (Continental,<br />

Molex, Philips, etc.), la CGT a finalement<br />

appelé à une journée d’action<br />

pour le 9 octobre. La CGT y fait état de<br />

« l’urgence que des choix soient fait (…)<br />

pour peser sur les choix patronaux » 13 .<br />

Rien de concret ni de précis, en termes<br />

de plans de lutte un tant soit peu coordonnée,<br />

n’est prévu à moyen terme, si ce<br />

n’est cette manifestation « pour l’industrie<br />

et pour l’emploi ». L’appel se garde<br />

bien d’ailleurs de souligner qu’on ne<br />

peut faire abstraction du lien étroit entre<br />

gouvernement et patronat si l’on veut<br />

organiser conséquemment la défense du<br />

travail et la lutte contre le chômage 14 .<br />

[12] Il suffit de songer que juste après le<br />

Sommet social de juillet, Thibault n’hésitait<br />

pas à déclarer : « on est sur un cap nouveau,<br />

une démarche tout à fait différente. Le fait<br />

que la place du dialogue social, des interlocuteurs<br />

sociaux soit confirmée, montre un<br />

volontarisme politique à l’égard des organisations<br />

de salariés sans comparaison avec<br />

ce que nous avons vécu ces cinq dernières<br />

années. Il y a de nouveaux points d’appui<br />

pour se faire entendre sur toute une série de<br />

sujets. Plusieurs des rendez-vous cités dans<br />

l’agenda du Premier ministre reprennent des<br />

demandes précises que nous avons formulées<br />

», tout en regrettant, tout de même, que<br />

le « loupé à ce stade, c’est qu’il n’y a aucune<br />

disposition pour faire face à l’urgence, aux<br />

plans de restructuration et aux fermetures de<br />

sites. Je regrette qu’il n’y ait pas de mesures<br />

rapides à ce propos ». Loupé est un euphémisme.<br />

Mesures rapides, à ce stade-là, était<br />

parfaitement hors-propos… Voir « Dialogue<br />

social juillet 2012 : le fond et la forme du dialogue<br />

social ont changé », 13/07/12, www.cgt.<br />

fr/-Conference-sociale-juillet-2012-Le-<br />

[13] Déclaration de Pascal Debay, 30/08/09.<br />

[14] D’autre part, vouloir embarquer les<br />

salarié-e-s sur le chemin de la défense d’une<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Alors bien entendu, l’extrême gauche<br />

sera partie prenante de ces différentes<br />

dates, celle du 30 septembre contre le<br />

TSCG, mais également d’autres rendezvous<br />

dont elle est parfois à l’origine,<br />

comme dans le cas de PSA Aulnay, avec<br />

le meeting du 29 septembre à la Cité des<br />

3.000 ou le rassemblement devant le salon<br />

de l’auto le matin de la manif du 9. Il<br />

n’en reste pas moins que si l’on veut être<br />

conséquents avec l’analyse que l’on fait<br />

de la crise, il faudrait défendre un programme<br />

dans toutes ces luttes, de façon<br />

à proposer au monde du travail et à la<br />

jeunesse un débouché réel offrant des<br />

perspectives de victoires, de façon à arrêter<br />

de subir et commencer à renverser<br />

la vapeur. C’est aujourd’hui une question<br />

centrale. Comme le souligne dans un entretien<br />

au Monde des 9 et 10 septembre<br />

le « philosophe » (au service du patronat<br />

« de gauche ») Marcel Gauchet, « répartir<br />

la pénurie suppose un minimum de<br />

cohésion et de justice. Sur ce terrain, la<br />

gauche a un avantage structurel face au<br />

modèle de la réussite individuelle de la<br />

droite qui ne sait pas bien répondre aux<br />

problèmes collectifs ». De façon un peu<br />

emberlificotée, Gauchet veut dire que<br />

Hollande peut compter sur les directions<br />

syndicales pour faire passer l’austérité.<br />

Il poursuit cependant: « la grande<br />

inconnue de l’année [2012-2013],<br />

c’est la réaction de la société française<br />

lorsqu’elle va prendre conscience que<br />

nous sommes embarqués dans une crise<br />

de longue durée, où le retour des vaches<br />

grasses n’est pas pour demain et où il<br />

« industrie française », ou « hexagonale » et<br />

« bien de chez nous », revient à combattre<br />

sur un terrain des plus glissants et chauvins,<br />

laissant une grande porosité d’idées avec des<br />

courants xénophobes et réactionnaires qui<br />

n’ont rien à voir avec le mouvement ouvrier.<br />

Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si le Front<br />

National essaye, comme à son habitude, de<br />

s’engouffrer dans cette brèche. Les travailleurs<br />

et la jeunesse n’ont pas d’industrie<br />

nationale à défendre, mais des empois et une<br />

activité, et ce contre des patrons hexagonaux<br />

ou étrangers.


ne sera plus possible de jouer comme<br />

avant. Le moment où cette découverte<br />

va se produire est imprévisible et l’on<br />

ne sait pas quelles en seront, alors, les<br />

conséquences ». Au moment où trois millions<br />

de salarié-e-s sont privés d’emploi,<br />

que six millions sont en situation de<br />

sous-emploi ou de très grande précarité<br />

et que huit millions d’entre nous vivent<br />

sous le seuil de pauvreté, il est assez incongru<br />

que les intellectuels de la bourgeoisie<br />

soient davantage conscients des<br />

risques de dérapages et d’explosions<br />

que l’extrême gauche elle-même!<br />

Alors que les questions de licenciements,<br />

de chômage et de salaire et de<br />

pouvoir d’achat sont des enjeux centraux,<br />

l’extrême gauche devrait défendre,<br />

de façon cohérente en direction<br />

du reste des organisations ouvrières,<br />

populaires et de jeunesse, la perspective<br />

d’un grand mouvement d’ensemble<br />

contre les licenciements et le chômage.<br />

Un tel mouvement ne répondrait pas<br />

seulement à un problème structurel<br />

aujourd’hui, mais également à des préoccupations<br />

qui touchent des millions<br />

de familles ouvrières et populaires. Il n’y<br />

aura pas de luttes conséquentes contre<br />

les licenciements s’il n’y a pas une sortie<br />

de la logique de lutte entreprise par<br />

entreprise, site par site, sans lien entre<br />

les différentes boites concernées. Il est<br />

central aussi de s’adresser à l’ensemble<br />

de la population, sans oublier celles et<br />

ceux qui n’ont plus aujourd’hui d’emploi.<br />

Réciproquement, il n’y aura pas non<br />

plus de lutte contre le chômage sans un<br />

grand mouvement d’ensemble contre<br />

les licenciements, pour contraindre le<br />

patronat à ravaler ses plans sociaux, ce<br />

qui serait une des étapes pour commencer<br />

à exiger la répartition de l’emploi et<br />

la répartition des heures de travail, dans<br />

le privé comme dans le public, jusqu’à<br />

disparition du chômage et sans baisse<br />

de salaire.<br />

Pour lutter contre les licenciements, il<br />

faut également poser la question de<br />

l’expropriation, sous le contrôle des salariés,<br />

de l’ensemble des groupes qui aujourd’hui<br />

licencient, souvent après avoir<br />

engrangé des milliards en trésorerie au<br />

cours de ces dernières années. Que ce<br />

soit dans l’industrie automobile ou dans<br />

la chimie, c’est la seule façon non seulement<br />

de sauvegarder les emplois mais<br />

aussi de pouvoir envisager sérieusement<br />

les bases d’une possible reconversion<br />

des productions au service de la population,<br />

des besoins des collectivités et<br />

dans un souci de protection de l’environnement.<br />

Pour lutter contre le chômage, il faut également<br />

poser la question de la titularisation<br />

de l’ensemble des précaires dans<br />

le privé comme dans le public. Il faut se<br />

battre pour l’embauche massive dans<br />

les services publics, que ce soit dans la<br />

Santé, l’Éducation ou dans les transports.<br />

Ce serait là encore la seule façon pour<br />

renforcer des services qui répondent<br />

réellement aux besoins de la population,<br />

afin d’accompagner des quartiers<br />

entiers à sortir de la ghettoïsation dans<br />

laquelle la politique de la ville et les<br />

patrons voyous les ont enfoncés depuis<br />

plus de trente ans, ces mêmes quartiers<br />

que le gouvernement actuel stigmatise<br />

et que Valls veut quadriller de CRS et de<br />

flics pour prévenir tout débordement.<br />

Avec la crise, le chômage et le sous-emploi<br />

concernent un secteur toujours plus<br />

important de la jeunesse des quartiers.<br />

C’est en défendant avec détermination<br />

les intérêts de ce secteur du prolétariat<br />

que les travailleurs aujourd’hui menacés<br />

pourront construire la puissante alliance<br />

de classe qui fait bien plus peur<br />

aux patrons et au gouvernement que<br />

les émeutes légitimes mais isolées auxquelles<br />

ils ont eu jusqu’à présent à faire<br />

face. Ce serait enfin une façon de poser<br />

la question de la nécessité de construire<br />

ou reconstruire et rénover des logements<br />

populaires de qualité, rompant avec la<br />

logique des cités dortoirs périphériques,<br />

avec un plan ambitieux, sous contrôle de<br />

la population et des travailleurs, afin de<br />

répondre au problème criant du logement<br />

qui ne fait que s’approfondir.<br />

Ces revendications sont les seules à<br />

pouvoir concrétiser la perspective d’une<br />

interdiction des licenciements et de la<br />

résorption du chômage. Les boites qui<br />

aujourd’hui sont sous le feu des projecteurs<br />

et qui s’apprêtent à se défendre,<br />

par la bagarre et la mobilisation, pourraient<br />

les reprendre et chercher à les<br />

étendre. L’extrême gauche, lorsqu’elle<br />

y intervient et y joue un rôle de premier<br />

plan, à l’image de Lutte Ouvrière<br />

dans le cas d’Aulnay, pourrait être en<br />

capacité de proposer sur cette base une<br />

coordination, d’abord des sites, entreprises<br />

et boites en lutte. Cette dernière<br />

serait alors en capacité de s’adresser à<br />

l’ensemble des organisations du mouvement<br />

ouvrier et de la jeunesse, pour<br />

exiger que, réellement, on puisse mettre<br />

en œuvre un grand mouvement de lutte<br />

contre les licenciements et le chômage.<br />

une bataille décisive est<br />

en train de se préparer.<br />

notre classe ne peut pas<br />

la perdre<br />

L’attaque qui est portée sur de nombreux<br />

bastions ouvriers, que ce soit dans<br />

l’automobile, les transports, l’agroalimentaire<br />

et la chimie, fait partie d’une<br />

offensive plus large qui se développera<br />

au cours des prochains mois et dans laquelle<br />

se joue une bonne partie du rapport<br />

de force à venir entre la bourgeoisie<br />

situation nationale<br />

impérialiste française et le prolétariat<br />

hexagonal 15 .<br />

Le patronat a besoin d’avoir les coudées<br />

franches, en interne et en externe, afin<br />

de pouvoir défendre ses marges de manœuvres,<br />

aussi bien en direction de son<br />

arrière-cour semi-coloniale qu’en face<br />

de ses principaux partenaires et concurrents<br />

impérialistes, à commencer par<br />

Berlin. Laisser le gouvernement à la manœuvre<br />

décider de l’approfondissement<br />

et de l’accélération de la politique autoritaire,<br />

sans réagir ni proposer une perspective<br />

qui soit radicalement distincte<br />

des journées de mobilisation isolées<br />

– sur la question de l’Europe mais aussi<br />

et surtout de l’emploi – voilà qui signifierait<br />

renoncer à vouloir convaincre toutes<br />

celles et tous ceux qui sont inquiets, en<br />

colère et qui veulent se battre, d’avoir<br />

des perspectives pour en découdre, pour<br />

unifier les luttes et remporter des premières<br />

victoires.<br />

C’est en ce sens que notre parti ne doit<br />

pas se poser la question de telle ou telle<br />

campagne de façon isolée des combats<br />

de classe centraux qui sont en train de<br />

se nouer cette automne. C’est en ce sens<br />

aussi qu’il serait criminel de laisser les<br />

bagarres qui sont en train de murir isolées<br />

les unes des autres, sans une perspective<br />

claire, d’ensemble, pour faire<br />

payer la crise au patronat, en luttant<br />

contre les licenciements et le chômage.<br />

Une fois encore, ce dont nous avons besoin<br />

c’est d’un mouvement d’ensemble,<br />

de classe, et c’est cela qu’il faut promouvoir<br />

auprès du mouvement ouvrier et de<br />

la jeunesse. C’est sur ces axes en tous<br />

cas que les camarades du <strong>Courant</strong> <strong>Communiste</strong><br />

révolutionnaire du NPA chercheront<br />

à intervenir dans la période à venir,<br />

période qui pourrait s’avérer décisive. Il<br />

n’est écrit nulle par qu’il n’y a que le patronat<br />

qui doive forcer le gouvernement<br />

à changer son calendrier et le rythme<br />

des contre-réformes en fonction de l’accélération<br />

de la situation. Le mouvement<br />

ouvrier, si les secteurs les plus combatifs<br />

qui agissent en son sein le veulent, est<br />

en capacité de contrer l’agenda gouvernemental<br />

et patronal et d’accélérer lui<br />

aussi la mise en place de ses propres instruments<br />

pour que ce soit au patronat, et<br />

non plus à nous, de régler la facture.<br />

16/09/12<br />

[15] Carlos Ghosn, patron de Renault, disait<br />

en avril 2012 à propos de la possible fermeture<br />

d’Aulnay que si un constructeur se lançait<br />

dans une restructuration, « il forcera les<br />

autres à le suivre ». Ce n’est pas seulement<br />

une dynamique que PSA ouvrirait dans toute<br />

l’automobile si Aulnay venait à fermer, mais<br />

pour tous les secteurs d’activité. C’est en ce<br />

sens aussi que les organisations ouvrières, si<br />

elles entendent proposer des perspectives de<br />

victoire, ne peuvent aborder la question de tel<br />

ou tel plan social sans la relier à l’ensemble<br />

des attaques qui sont en train aujourd’hui de<br />

se nouer sur le front de l’emploi.<br />

11


une RentRée DeS clASSeS SouS<br />

le Signe De l’eScRoqueRie<br />

Pierre Hodel<br />

Vincent Peillon, ministre de l'Education<br />

L’Education Nationale a été un des enjeux<br />

majeurs de la présidentielle. Mais avec<br />

Hollande à l’Elysée et Vincent Peillon à la<br />

rue de Grenelle, le changement sera toujours<br />

pour plus tard. Mieux, l’escroquerie<br />

et le mensonge sont les axes centraux des<br />

nouveaux programmes défendus par le<br />

gouvernement pour la rentrée scolaire.<br />

Le bilan de Nicolas Sarkozy pour l’École<br />

pourrait se résumer au plus grand plan<br />

social de ces dernières années. Avec<br />

80.000 postes supprimés en cinq ans,<br />

Sarkozy et son ministre, Luc Chatel,<br />

ancien responsable des Ressources humaines<br />

chez L’Oréal, ont tranché dans<br />

le vif : des dizaines de milliers de postes<br />

d’enseignants ont été supprimés. Ces<br />

suppressions de poste ont également<br />

touché l’administration, l’accompagnement<br />

des élèves, les postes des médecines<br />

scolaires, etc. A ce passif, il faudrait<br />

ajouter la suppression complète de la<br />

formation des enseignants du secondaire,<br />

pourtant déjà bien entamée, des<br />

réformes réactionnaires dans les programmes,<br />

la concession de pouvoirs<br />

supplémentaires élargis aux chefs d’établissement,<br />

la suppression de la carte<br />

scolaire, etc.<br />

Hollande, de son côté, avait promis au<br />

cours de sa campagne de faire de l’Éducation<br />

une des priorités de son quinquennat,<br />

en affirmant qu’il allait créer<br />

60.000 postes. Premier hic : les postes<br />

ne devaient pas augmenter le volume<br />

global de fonctionnaires. Hollande disait<br />

donc clairement, au printemps, qu’il allait<br />

prendre sur Paul pour habiller Pierre… ou<br />

au mieux rafistoler son costume. Deuxième<br />

hic : avec seulement 1.280 postes<br />

12<br />

révolutioN permaNeNte<br />

créés à la rentrée, Hollande n’est même<br />

pas revenu sur les 14.000 postes supprimés<br />

pour l’année 2012-2013 par le précédent<br />

gouvernement. Vincent Peillon,<br />

son ministre, a de son côté annoncé le<br />

recrutement d’autant d’enseignants que<br />

ceux qui partent à la retraite et la création<br />

de 10.000 postes pour les rentrées<br />

2013 à 2016. Si l’on fait un rapide calcul,<br />

il s’agirait donc de 40.000 postes créés<br />

sur le quinquennat, soit la moitié de ce<br />

que Sarkozy a supprimé et bien moins<br />

que ce que Hollande promettait pendant<br />

sa campagne. Mais l’escroquerie de s’arrête<br />

pas là.<br />

une dégradation<br />

constante des conditions<br />

de travail pour les<br />

personnels<br />

La droite a réussi à finir de plomber définitivement<br />

l’Éducation, et notamment<br />

l’enseignement. En témoigne l’impossibilité,<br />

dans certaines disciplines, de pourvoir<br />

tous les postes des concours, tant le<br />

refus de s’engager dans cette galère est<br />

devenu grand chez les étudiants. Il s’agit<br />

d’une situation inédite au regard de la<br />

situation de crise que nous connaissons<br />

et du taux de chômage encore plus élevé<br />

chez les jeunes. Les étudiants ayant les<br />

qualifications ne veulent plus devenir<br />

profs tellement les conditions de travail<br />

se sont dégradées ces dernières années.<br />

Pour celles et ceux qui sont en poste en<br />

revanche, rien ne filtre, notamment dans<br />

les médias, au sujet des démissions, des<br />

dépressions. Aucun chiffre n’est réellement<br />

communiqué, comme s’il n’y avait<br />

aucun problème. Pas d’enquêtes de la<br />

médecine du travail, pas de « une » de<br />

la presse, sauf lorsqu’une collègue s’immole<br />

dans la cour de récréation.<br />

Pour ce qui est des « créations de poste »,<br />

on a vu à quoi il fallait s’attendre. Mais<br />

à défaut de véritables postes de fonctionnaires,<br />

le gouvernement propose<br />

des « emplois d’avenir » et des « contrats<br />

de génération ». Vendu par Hollande lui<br />

même aux enseignants, lors d’une visite<br />

de pré-rentrée dans un collège de banlieue<br />

parisienne, à Trappes, le 3 septembre,<br />

le « contrat de génération » n’est<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Le mensonge,<br />

c’est<br />

maintenant!<br />

rien d’autre qu’un sous-contrat précaire<br />

pour recruter des étudiants payés... en<br />

dessous du seuil de pauvreté ! Un cadeau<br />

donc ! Mais la presse, elle, est unanime à<br />

en vanter les avantages. Elle va même<br />

jusqu’à titrer comme, le quotidien gratuit<br />

20 minutes du 6 septembre, « Pourquoi<br />

le contrat de génération fait presque<br />

l’unanimité ? ». Il est vrai que l’article est<br />

accompagné d’une magnifique photo de<br />

la patronne du Medef, Laurence Parisot.<br />

Une fois de plus, presse du grand capital,<br />

représentant du patronat, gouvernement<br />

PS et la CDFT (appelée à la rescousse<br />

pour témoigner et soutenir le gouvernement<br />

sur cette question), communient<br />

dans l’éloge de l’esclavage précaire.<br />

Pour assurer un minimum les cours<br />

(puisqu’il continue à y avoir des élèves<br />

tout de même dans les salles de classe…),<br />

le gouvernement n’entend pas non plus<br />

remettre en question le recrutement<br />

massif de professeurs contractuels, c’està-dire<br />

des emplois ultra-précaires de salariés<br />

dont on ne paye pas les vacances,<br />

corvéables et taillables à merci, et qui,<br />

bizarrement, sont beaucoup plus nombreux<br />

dans les collèges et lycées des<br />

quartiers les plus populaires que dans<br />

les établissements de centre-ville. Et que<br />

dire de la titularisation de l’ensemble<br />

des collègues sur statut précaire, un axe<br />

essentiel qui devrait être repris par l’ensemble<br />

de nos organisations syndicales ?<br />

Le gouvernement ne l’envisage pas une<br />

seconde.<br />

Pour ce qui est des professionnels des<br />

basses œuvres, en poste sous Sarkozy,<br />

à savoir recteurs, sous-recteurs, responsables<br />

de service, à l’origine de l’application<br />

des mesures d’austérité et des<br />

suppressions, Hollande a décidé de les<br />

maintenir en poste. Les plus zélés sous<br />

Sarkozy pour supprimer des postes sont<br />

toujours en fonction, et pour cause ! Il<br />

suffit de penser à l’Académie de Créteil,<br />

une des zones qui aurait le plus besoin<br />

de postes et de personnels, afin de répondre<br />

de façon cohérente et qualitative<br />

aux besoins en éducation et formation<br />

des départements les plus populaires de<br />

France, comme la Seine-Saint-Denis par<br />

exemple. Monsieur le Recteur William<br />

Marois y est toujours aux manettes. Qu’il<br />

s’agisse d’un ami personnel de Lionel<br />

Jospin n’a pas dû le desservir…


Des élèves qui sont les<br />

premières victimes de<br />

cette situation<br />

Le résultat, c’est que les classes à 35<br />

vont bientôt devenir une banalité dans<br />

un système scolaire français qui marche<br />

de plus ou mal comme le souligne la<br />

plupart des enquêtes. Les premiers à en<br />

souffrir, ce sont évidemment les enfants<br />

des classes populaires, qui subissent la<br />

double peine d’être stigmatisés dans des<br />

établissements-ghettos et sont condamnés<br />

à une éducation de plus en plus<br />

dégradée. La Cour des comptes a ellemême<br />

épinglé cette situation, en soulignant<br />

que l’Etat dépense quatre fois<br />

moins pour un lycéen de Seine-Saint-<br />

Denis que pour un lycéen parisien. La<br />

décision du gouvernement d’augmenter<br />

l’allocation de rentrée scolaire (ARS) de<br />

25% pour les familles les plus modestes<br />

ne changera rien à l’histoire. Les 388 euros<br />

que reçoit un foyer pour une rentrée<br />

de lycéen ne couvrent pas l’ensemble<br />

des besoins de l’élève, notamment s’il<br />

est scolarisé dans certaines filières spécifiques<br />

ou dans le professionnel, avec<br />

tout un matériel particulier à acheter.<br />

L’ARS ne couvre évidemment pas les<br />

frais supplémentaires qui s’engagent<br />

sur le reste de l’année et qui restent à la<br />

charge des parents.<br />

Des stagiaires toujours<br />

autant en galère<br />

Autre escroquerie de Hollande et que<br />

les médias relaient partout : la formation<br />

des enseignants-stagiaires, à savoir<br />

des collègues qui font leur entrée dans<br />

le métier et qui ne sont pas encore titularisés.<br />

Au cours des dernières années,<br />

on est passé d’une année de formation<br />

alternée, avec 6h d’enseignement sur<br />

la semaine et le reste en Institut de formation,<br />

à 18h d’enseignement sous Sarkozy.<br />

Hollande et son ministre Peillon,<br />

à la plus grande satisfaction des directions<br />

syndicales, notamment du SNES, a<br />

annoncé revenir sur les mesures prises<br />

par Sarkozy… et passer à 12h d’enseignement<br />

par semaine, plus une journée de<br />

formation. Dans les faits, et on l’a vu à la<br />

rentrée, il arrive très souvent que les 12h<br />

ne soient pas respectés et que les chefs<br />

d’établissement chargent encore plus les<br />

services des collègues stagiaires. Mais<br />

même sans cela, les 12h plus la journée<br />

de formation sont au moins aussi impossibles<br />

à tenir, pour assurer un enseignement<br />

de qualité, que les 18h sous Sarkozy.<br />

Mais tout cela, Hollande et Peillon<br />

le vendent comme une avancée pour les<br />

professeurs ! Un autre bel exemple de<br />

distorsion des promesses de campagne<br />

et de la réalité du terrain.<br />

Des ronds de jambe qui<br />

ne coûtent pas un centime<br />

L’autre grande entourloupe de la rentrée<br />

ce sont les promesses et les vœux pieux<br />

qui ne coûtent pas un centime. Alors<br />

bien sûr, le ton sur lequel on s’adresse<br />

aux personnels de l’Éducation a changé<br />

par rapport au sarkozysme, le président<br />

étant même allé jusqu’à dire que le boulot<br />

du curé ou du pasteur était infiniment<br />

plus important que celui de l’enseignant.<br />

Les éléments de langage communiqués<br />

par Matignon ont changé. L’ancien prof<br />

qu’est Jean-Marc Ayrault se dit « très<br />

admiratif du travail des enseignants » ;<br />

ça ne mange pas de pain ! Peillon, lui,<br />

affirme vouloir revaloriser les salaires…<br />

mais il avoue aussi ne pas avoir d’argent<br />

pour. Le pauvre ! Pendant ce temps, le<br />

point d’indice des personnels de l’Éducation<br />

reste gelé, comme pour le reste<br />

des fonctionnaires. La dernière trouvaille<br />

réactionnaire : la mise en place de cours<br />

de « morale laïque » ; des coups de pieds<br />

se perdent ! Comme si c’était en donnant<br />

des « cours de morale » que les conditions<br />

d’enseignement et d’étude allaient<br />

s’améliorer ! C’est tout simplement une<br />

vision simpliste et réactionnaire des<br />

problèmes de l’Éducation nationale, qui<br />

ne trompe personne, les rectorats sont<br />

parfaitement renseignés sur les vrais<br />

causes des dysfonctionnements : inégalités<br />

sociales accrues, absence de mixité<br />

sociale, chute du nombre d’adultes<br />

dans les établissements, hiérarchisation<br />

accrue, perte d’autonomie, harcèlement<br />

des personnels, etc...<br />

le hollandisme en<br />

education… meilleur ami<br />

du sarkozysme<br />

Sur le fond, les objectifs de Hollande<br />

pour la fonction publique en général ne<br />

changent pas de ceux de Sarkozy, qui<br />

a fait une bonne partie du sale boulot :<br />

pour preuve, l’objectif de diminution<br />

de 2,5% par an des effectifs des agents<br />

de l’État fixé dans les lettres de cadrage<br />

budgétaire pour 2013-2015 adressées<br />

aux ministères fin juin.<br />

Dans l’enseignement supérieur, la situation<br />

n’est pas très différente. Comme<br />

le souligne Georges Debrégeas, ancien<br />

vice-président de l’association Sauvons<br />

la Recherche, « je pense que le souhait<br />

du ministère de l’enseignement supérieur<br />

et de la recherche c’est tout simplement<br />

: faisons en sorte que ce qui a<br />

été mis en place par le précédent gouvernement<br />

fonctionne. La présence de<br />

Lionel Collet (ex-président de la CPU -<br />

conférence des présidents d’université)<br />

comme directeur de cabinet de Gene-<br />

situation nationale<br />

viève Fioraso, et d’autres ex-présidents<br />

d’université, Daniel Filâtre ou encore<br />

Jacques Fontanille augurent d’une certaine<br />

continuité ». Encore une fois les<br />

artisans des destructions du gouvernement<br />

Sarkozy restent en place.<br />

Pour revenir sur l’ensemble des contreréforme<br />

du sarkozysme, sur les suppressions<br />

de poste, pour lutter pour un réel<br />

service public d’éducation et de formation,<br />

de qualité, au service des classes<br />

populaires, les enseignants, les personnels,<br />

et les élèves, auront à se mobiliser<br />

dans les prochains mois car ce gouvernement,<br />

pas plus que le précédent, ne leur<br />

accordera quoi que ce soit, et continue à<br />

prôner l’austérité, même si elle est revue<br />

à la marge pour l’Éducation.<br />

La décision des directions syndicales<br />

d‘accourir à Matignon ou rue de Grenelle,<br />

à chaque fois qu’on les y appelle<br />

pour « dialoguer » avec les ministres et<br />

faire des sourires qui ne changent rien<br />

à nos conditions d’enseignement et de<br />

travail, voilà qui montre une fois de plus<br />

que nous n’avons rien à attendre d’elles<br />

et que nous devons exiger qu’elles<br />

rompent immédiatement avec ce cirque<br />

social destiné à nous endormir. Aucun<br />

dialogue ne peut s’engager, si ce n’est<br />

sur la base de l’abrogation de l’ensemble<br />

des mesures réactionnaires prises sous<br />

le sarkozysme.<br />

Au moment où les plans sociaux se multiplient,<br />

les enseignants et les personnels<br />

ont tout leur rôle à jouer pour répondre à<br />

ce qui pourrait être un appel d’ensemble<br />

contre l’austérité, les licenciements et le<br />

chômage que nous subissons nous aussi.<br />

Là encore, même avec un gouvernement<br />

« socialiste », c’est par le rapport de force<br />

que l’on fera entendre nos revendications<br />

et qu’on arrêtera la casse du service<br />

public d’Education et de nos conditions<br />

de travail.<br />

06/09/12<br />

L'Education Nationale dans le viseur de Hollande<br />

13


Pacte budgétaire européen (tScg) : aux capitalistes de payer leur crise!<br />

Nolwën Michel<br />

TSCG. Les initiales sont sur toutes les<br />

lèvres… des politiciens. Planche de salut<br />

pour les uns, planche pourrie pour les<br />

autres, ce serait en tout cas la mère de<br />

toutes les batailles selon nombre d’entre<br />

eux. Qu’en est-il exactement de ce TSCG et<br />

de la bataille pour le contrer, au moment<br />

où les plans sociaux pleuvent de partout<br />

et où le chômage s’aggrave ?<br />

Le pacte budgétaire européen a été formellement<br />

adopté par 25 pays de l’Union<br />

Européenne (UE) sur 27 (Royaume Uni<br />

et République Tchèque ayant refusé de<br />

signer) lors du sommet du 2 mars 2012.<br />

Il concerne prioritairement les États de<br />

la zone euro, et entrera en vigueur dans<br />

les pays qui l’auront ratifié 1 quand ceuxci<br />

seront au minimum au nombre de 12.<br />

Le gouvernement français a justement<br />

choisi d’être ce douzième État membre à<br />

organiser sa ratification en cette rentrée.<br />

Qu’est-ce donc que ce Traité sur la stabilité,<br />

la coordination et la gouvernance,<br />

dont le titre grandiloquent peine à camoufler<br />

le caractère réactionnaire? Malgré<br />

les détours et les contournements de<br />

la presse bourgeoise, le projet est assez<br />

simple à comprendre : il s’agit d’inscrire<br />

l’austérité dans la loi. Reste à voir comment.<br />

le tScg ou l’austérité<br />

légalisée<br />

C’est l’article 3 du traité qui entérine la<br />

fameuse « règle d’or » dont on entend<br />

parler depuis plusieurs mois. Il énonce le<br />

principe de l’équilibre des comptes des<br />

administrations publiques, dont le déficit<br />

structurel global ne devrait désormais<br />

plus dépasser 0,5% du PIB. Pour mémoire,<br />

le traité de Maastricht (1992) limitait<br />

déjà ce déficit à 3% du PIB, ce qui<br />

n’a jamais été vraiment respecté par la<br />

[1] En droit international, signature et ratification<br />

sont deux choses différentes. La ratification<br />

désigne l’acceptation du traité par les<br />

institutions souveraines du pays signataire,<br />

quelle qu’en soit la procédure. En France,<br />

l’Exécutif a le choix de faire ratifier ses engagements<br />

internationaux soit par le Parlement,<br />

soi-disant représentant de la volonté populaire,<br />

soit par référendum.<br />

14<br />

révolutioN permaNeNte<br />

bourgeoisie, si ce n’est pour essayer de<br />

faire croire que les « impératifs de Maastricht<br />

» obligeaient le gouvernement à<br />

tailler dans le vif, privatiser, etc. Mais le<br />

TSCG innove aussi en mettant en place<br />

des mécanismes de correction en cas de<br />

non respect de la règle d’or, mécanismes<br />

qui seraient proposés par la Commission<br />

Européenne et dont l’application serait<br />

vérifiée par une instance nationale indépendante<br />

créée pour l’occasion. En outre<br />

(article 4), le pacte budgétaire reprend<br />

le plafonnement de la dette publique<br />

à 60% du PIB, en ajoutant l’obligation<br />

d’une réduction de 5% par an de cette<br />

dette en cas de dépassement du seuil<br />

limite. Pour les États membres qui ne<br />

respecteraient pas ces règles en matière<br />

de déficit et de dette, l’article 5 prévoit<br />

la mise en place d’un « partenariat budgétaire<br />

» et l’adoption de réformes structurelles<br />

obligatoires, sur le modèle de<br />

ce que subit la Grèce depuis deux ans.<br />

L’article 8 ajoute que la Cour de justice<br />

de l’UE pourra être saisie si la Commission<br />

ou un État membre estime qu’un<br />

des pays ayant ratifié le Pacte ne l’a pas<br />

véritablement traduit dans sa législation<br />

nationale.<br />

Evidemment, cette légalisation n’implique<br />

pas qu’il soit absolument certain<br />

que les mécanismes contenus dans le<br />

traité seront mis en place avec la même<br />

rigueur partout en UE. Une chose est<br />

d’envoyer la Troïka dicter à la Grèce ou<br />

au Portugal ce que le gouvernement<br />

(avec l’accord de la bourgeoisie locale)<br />

est sensé faire ou ne pas faire. Ce serait<br />

une autre paire de manche que de le faire<br />

avec Rome, et plus compliqué encore s’il<br />

s’agissait de Paris. Dans le passé, outre<br />

certains rappels à l’ordre en cas de « dérapages<br />

», les principaux pays impérialistes<br />

n’ont jamais été vraiment inquiétés par<br />

Bruxelles. Il en va tout autrement pour<br />

ceux qui forment l’arrière-cour semi-coloniale<br />

de l’UE depuis leur intégration,<br />

en Europe de l’Est, ainsi que les pays de<br />

la zone euro du pourtour méditerranéen.<br />

Le TSCG représente, de ce point de vue,<br />

un tour-de-vis institutionnel, qui permet<br />

de justifier et de coordonner encore plus<br />

l’offensive capitaliste de la bourgeoisie<br />

impérialiste européenne - contre son<br />

propre salariat et les classes populaires<br />

en interne, et au sein de l’UE contre les<br />

pays « de seconde zone » qui constituent<br />

N°6 / automNe 2012<br />

combAttRe le tScg et l’AuStéRité De hollAnDe,<br />

ReFuSeR lA DiveRSion De mélenchon<br />

ou sont en train de devenir l’arrière-cour<br />

semi-coloniale de Berlin, Paris et Rome.<br />

Mais au-des plus grande marges de manœuvre<br />

institutionnelles que possèdent<br />

les principales puissances impérialistes<br />

de l’UE, la véritable épée de Damoclès<br />

pour la bourgeoisie française est le poids<br />

de la dette, sa dépendance par rapport<br />

aux marchés financiers internationaux, la<br />

détérioration de la balance commerciale<br />

du pays et de la dégradation de la compétitivité<br />

de son économie. C’est là l’explication<br />

profonde au fait que Paris soit<br />

souvent obligé de se plier aux désidératas<br />

de Berlin et cherche à accélérer le<br />

processus de destruction systématique<br />

des conquêtes et des acquis sociaux.<br />

En France, le Conseil constitutionnel a<br />

estimé que l’intégration du TSCG dans<br />

le droit national n’impliquait pas une<br />

réforme de la Constitution, un moyen<br />

d’accélérer la procédure qui représente<br />

en une véritable couverture « légale » de<br />

l’attaque structurelle contre les travailleurs<br />

et les peuples que représente le<br />

Traité. Une loi organique s’apprête donc<br />

à inscrire le principe de la règle d’or dans<br />

les lois de programmation des lois de<br />

finance, et à créer un Haut conseil des finances<br />

publiques pour vérifier l’application<br />

exacte du traité. Pour rappel, le déficit<br />

public s’élevait en 2011 à 90,5 milliards<br />

d’euros (5,2% du PIB), soit plus de<br />

80 milliards de trop par rapport à la règle<br />

d’or, autant que le budget de l’enseignement<br />

primaire et secondaire! Quant à<br />

la dette publique du pays, elle frôle les<br />

90% du PIB. La réduire de 5% par an<br />

impliquerait de trouver 85 milliards supplémentaires!<br />

L’adoption du TSCG c’est<br />

donc la validation formelle et la justification,<br />

pour la présidence « socialiste » et<br />

« normale », de la préparation d’un plan<br />

d’austérité extrêmement brutal, d’un<br />

ajustement structurel historique.<br />

Or, il faut bien comprendre d’où viennent<br />

dettes et déficits. En 2007, la dette française<br />

approchait les 60%, pour un déficit<br />

de 2,7%. Elle s’était accumulée à force<br />

de cadeaux au patronat, d’exonérations<br />

d’impôts aux plus riches, aux propriétaires,<br />

etc. Mais l’explosion qu’elle a<br />

connue en quatre ans de crise est directement<br />

liée aux centaines de milliards<br />

d’euros réinjectés à plusieurs reprises<br />

pour sauver les banques et la grande


industrie. Aujourd’hui, cette dernière<br />

licencie tandis que les banques prêtent<br />

aux États l’argent qu’ils en ont reçu, à des<br />

taux dix fois supérieurs! Le TSCG n’est<br />

dont que l’expression juridique du principe<br />

qui guide la gestion bourgeoise de<br />

la crise du capitalisme: faire payer la facture<br />

aux travailleurs et aux peuples, et en<br />

profiter pour augmenter drastiquement<br />

l’exploitation dans toute l’Europe.<br />

Attaque réelle et extrêmement brutale, le<br />

TSCG ne fait néanmoins que poursuivre<br />

un mouvement entamé bien avant lui,<br />

et qui consiste pour le patronat à se servir<br />

de l’UE pour coordonner et imposer<br />

l’austérité dans toute l’Europe. Traité ou<br />

non, le gouvernement Hollande / Ayrault<br />

préparait un ajustement structurel historique<br />

sur le dos des classes populaires 2 .<br />

C’est ce que cherche à camoufler le<br />

Front de Gauche, qui dénonce le « traité<br />

Merkel-Sarkozy » ou encore « Bruxelles »<br />

pour minorer tant la responsabilité de la<br />

bourgeoisie française que de son gouvernement<br />

PS-Verts.<br />

Face à l’ue, le<br />

souverainisme de droite<br />

comme de gauche sont<br />

des impasses pour les<br />

travailleurs<br />

Comme en 2005, l’opposition au TSCG<br />

présente la caractéristique de rassembler<br />

un éventail des plus larges de forces<br />

politiques, allant de l’extrême gauche à<br />

l’extrême droite en passant par la gauche.<br />

Cette particularité doit imposer aux<br />

révolutionnaires de lutter contre toute<br />

confusion entre leur programme et celui<br />

[2] Voir JP Clech, « La gauche est de retour<br />

aux affaires, mais c’est l’austérité et la rigueur<br />

budgétaires qui restent au pouvoir »,<br />

www.ccr4.org/La-gauche-est-de-retour-aux,<br />

09/05/12, ainsi que les autres articles sur la<br />

situation hexagonale publiés dans <strong>Révolution</strong><br />

Permanente n°5.<br />

des organisations les plus réactionnaires<br />

de la bourgeoisie. C’est loin d’être ce que<br />

font la grande majorité des formations à<br />

la gauche du PS, qui défendent un souverainisme<br />

« de gauche », comme si le<br />

conflit exprimé par la Pacte budgétaire<br />

opposait « la France » et sa République à<br />

la technocratie de « Bruxelles ». « Oui à la<br />

souveraineté du peuple français », disent<br />

les tracts du Front de Gauche à Hénin-<br />

Beaumont, tandis que le PCF dénonce<br />

« un coup de poignard contre la République<br />

». Le Parti de Gauche, lui, en la<br />

personne de son numéro 2, Eric Coquerel,<br />

s’insurge contre la « remise en question<br />

de la souveraineté nationale sur le<br />

budget »!<br />

L’UE n’a pourtant rien de cette « puissance<br />

étrangère » que cherchent à<br />

peindre ces organisations « de gauche »,<br />

se plaçant en cela sur le terrain de l’extrême<br />

droite. Il s’agit d’un projet mûri<br />

sur plusieurs décennies, et dirigé par<br />

les bourgeoisies impérialistes les plus<br />

puissantes d’Europe – allemande, mais<br />

aussi française – pour défendre leurs<br />

intérêts à l’échelle mondiale. Leur objectif<br />

est de mieux faire face à la puissance<br />

américaine, mais aussi d’avoir accès à la<br />

main d’œuvre des pays de l’Est, de les<br />

soumettre au capital le plus concentré<br />

(comme on peut le voir en Roumanie ou<br />

en Pologne par exemple, avec le capital<br />

italien, français et surtout allemand,<br />

présents dans tous les secteurs clés de<br />

l’économie) et d’améliorer la pénétration<br />

de leur capital dans les pays périphériques<br />

(Afrique, Amérique Latine et Asie).<br />

Laisser penser que l’on peut combattre<br />

la Commission européenne de la même<br />

manière qu’un gouvernement national,<br />

c’est donc faire croire que l’UE est un<br />

État alors même qu’elle exprime en fait<br />

la coordination et la convergence de<br />

vues (non sans frictions importantes parfois),<br />

entre les principaux pays impérialistes,<br />

et notamment des plus puissants,<br />

dont la France fait partie même si elle<br />

perd du terrain face à l’impérialisme allemand.<br />

Ces divisions structurelles sont<br />

devenues extrêmement claires depuis<br />

situation nationale<br />

le début de la crise capitaliste, révélant<br />

le rêve européen pour ce qu’il était: une<br />

manipulation par les classes dominantes<br />

des aspirations des classes populaires à<br />

l’unité et à la paix, pour organiser l’accentuation<br />

de leur exploitation ainsi que<br />

la semi-colonisation des pays d’Europe<br />

de l’Est et à présent du Sud.<br />

La chancelière allemande Angela Merkel<br />

a d’ailleurs été très claire: aucune aide (en<br />

fait des prêts) ne pourra être versée dans<br />

le cadre du Mécanisme européen de stabilité<br />

(MES) aux États membres n’ayant<br />

pas ratifié le TSCG. Voilà plusieurs mois<br />

que les journaux et experts de son pays<br />

se sont mis à appeler PIGS (cochons en<br />

anglais) les pays endettés du Sud de l’Europe.<br />

C’est donc de cette Allemagne impérialiste,<br />

secondée par une bourgeoisie<br />

française en perte de vitesse, qu’est sorti<br />

le TSCG. Il s’inscrit dans la continuité des<br />

attaques précédentes, dans le secteur de<br />

l’Education, de la Santé, du droit du travail,<br />

etc. Mais il présente la nouveauté de<br />

permettre la mise sous tutelle des Etats<br />

européens les plus faibles, sur le modèle<br />

de l’inféodation récente de la Grèce à<br />

la Troïka (FMI, Commission européenne,<br />

BCE), suivant en cela le modèle des plans<br />

d’ajustement structurels qui ont touché<br />

les pays africains et latino-américains<br />

dans les années 1980 et 1990. L’UE permet<br />

donc l’inféodation des bourgeoisies<br />

européennes les moins puissantes. C’est<br />

ce dont témoigne la chute de l’ex-Premier<br />

ministre grec Georges Papandréou,<br />

organisateur de l’austérité pendant 18<br />

mois et qui avait voulu organiser un référendum<br />

sur le mémorandum. Il avait<br />

alors été remplacé, sans élection, par un<br />

gouvernement « d’union nationale » à la<br />

fin de l’année dernière. Le nouveau Premier<br />

ministre, Lucas Papademos, est luimême<br />

un ancien technocrate de la BCE<br />

– en un mot, un bon soldat des impérialismes<br />

coalisés autour de l’UE.<br />

Dans ce contexte, opposer au TSCG la<br />

défense de la République et de la souveraineté<br />

française, c’est cacher le fait<br />

que l’Etat français actuel est entre les<br />

15


mains de ce même patronat qui cherche<br />

à utiliser l’UE pour organiser l’austérité.<br />

C’est vouloir s’allier, au final, avec certains<br />

secteurs mécontents de la bourgeoisie<br />

du pays, qui voudraient voir<br />

leurs entreprises mieux protégées de la<br />

concurrence étrangère – tandis que les<br />

secteurs les plus puissantes de la classe<br />

dominante utilisent l’UE pour organiser<br />

le nivellement par le bas des salaires<br />

et des conditions de travail en Europe,<br />

et défendre les intérêts de leurs entreprises<br />

sur les marchés étrangers ainsi<br />

qu’au sein de l’UE 3 .<br />

Ils sont « bien de chez nous », les rédacteurs<br />

du TSCG! Il est donc impératif de<br />

proposer aux travailleurs et aux jeunes<br />

un autre programme que le « produire<br />

français », le « made in France » et la « défense<br />

de la République », mots d’ordre<br />

qui camouflent complètement le caractère<br />

de classe de la production et des<br />

institutions capitalistes 4 . La « souveraineté<br />

populaire » de Mélenchon comme<br />

de L’Humanité 5 , c’est donc une véritable<br />

arnaque pour les travailleurs et les<br />

jeunes, un hold up qui tente de détourner<br />

la colère contre l’austérité et fait le<br />

jeu hypocrite des patrons qui se cachent<br />

derrière l’UE. Contre toutes ces confusions,<br />

l’extrême gauche se devrait de<br />

faut construire une politique de classe<br />

contre le TSCG, seule à même de faire<br />

émerger un grand mouvement ouvrier et<br />

populaire capable de vaincre l’austérité<br />

et le chômage.<br />

Pour une politique de<br />

classe contre le tScg et<br />

la diversion du Front de<br />

gauche<br />

En 1997, un Lionel Jospin alors en<br />

campagne avait promis de renégocier<br />

le Pacte de Stabilité tout juste signé<br />

par Alain Juppé. Il avait reculé une fois<br />

Premier ministre, en se contentant de<br />

quelques miettes symboliques, démontrant<br />

une fois de plus que le PS est aussi<br />

un parti du patronat 6 . Le scénario est le<br />

[3] Pour organiser ce nivellement, le grand<br />

patronat s’est notamment appuyé sur l’intégration<br />

à l’UE de l’Europe de l’Est, dont la<br />

main d’œuvre était à la fois très qualifiée et<br />

très peu chère.<br />

[4] A noter que ces mots d’ordre cocardiers<br />

sont repris avec des variantes de forme par<br />

d’autres organisations comme celle de Chevènement<br />

(MRC) ou encore le Parti Ouvrier<br />

Indépendant (POI) lambertiste.<br />

[5] « Seul le peuple est souverain », disait<br />

la une de l’édition du vendredi 20 juillet du<br />

journal lié au PCF, qui annonçait aussi le lancement<br />

d’une pétition pour un référendum.<br />

[6] Un an plus tard, c’est le ministre PS Claude<br />

Allègre qui initie le processus de Bologne, qui<br />

organise la casse de l’université partout en<br />

Europe, en France sous le nom de LRU.<br />

16<br />

révolutioN permaNeNte<br />

même aujourd’hui. Hollande, qui avait<br />

promis dans sa campagne de renégocier<br />

le Pacte budgétaire, s’est rendu au Sommet<br />

européen de Bruxelles des 28 et 29<br />

juin afin « d’arracher » un « volet croissance<br />

» au Pacte. C’était selon lui la seule<br />

façon pour que Paris puisse accepter le<br />

traité de discipline budgétaire et la règle<br />

d’or qui, sans cela, auraient trop été marqués<br />

du sceau de l’austérité à la Merkel.<br />

A grands renfort de klaxon, il a annoncé<br />

de nouveaux investissements. Mais sur<br />

les 120 milliards annoncés, il s’agit pour<br />

la majeure partie du redéploiement de<br />

crédits déjà votés. Il en va de même pour<br />

la réutilisation de certains « fonds structurels<br />

» européens.<br />

Mais il n’y a pas qu’au PS qu’on a la mémoire<br />

longue. En 2005, Jean-Luc Mélenchon<br />

avait réussi à devenir le porte-voix<br />

de l’opposition au TCE parmi les militants<br />

de la gauche du PS, si bien qu’il avait pu<br />

ensuite former le Parti de Gauche avec<br />

un certain nombre d’entre eux. Devenu<br />

porte-parole du Front de gauche, il<br />

cherche désormais à fédérer autour de<br />

lui et du mot d’ordre de référendum une<br />

nouvelle campagne, cette fois contre le<br />

TSCG. En cela, il démontre clairement<br />

quels sont ses objectifs politiques, qui<br />

n’ont rien à voir avec la défense des intérêts<br />

des classes populaires.<br />

En premier lieu, le but poursuivi par<br />

Mélenchon, Buffet et le Front de gauche<br />

est de faire pression sur la gauche du PS<br />

(Benoît Hamon, Julien Dray, Marie-Noël<br />

Lienemann, etc.). Sur les ondes de France<br />

inter le lundi 20 août, l’ex-candidat à la<br />

présidence n’y est pas allé par quatre<br />

chemins: «Nous avons des mots d’ordre,<br />

une vision du monde en commun (…).<br />

Nous avons besoin que vous veniez nous<br />

aider dans notre bataille pour booster la<br />

gauche. C’est nous la locomotive, bon<br />

sang, venez mettre un peu de charbon<br />

pour qu’elle avance ». Une vision du<br />

monde en commun? Avec ces cadres du<br />

PS qui sont pour certains ministres du<br />

gouvernement qui prépare l’austérité et<br />

qui prend part aux Universités d’été du<br />

Médef ! On aura tout vu ! Il s’agit en fait,<br />

pour les sénateurs et politiciens du Front<br />

de Gauche, de draguer cette « gauche »<br />

socialiste qui a longtemps été leurs partenaires<br />

privilégiés et qui pourraient le<br />

redevenir à un moment ou à un autre si<br />

Hollande décidait d’élargir son gouvernement<br />

en leur direction.<br />

Mais c’est aussi sur sa propre gauche que<br />

Mélenchon cherche à exercer une emprise,<br />

et à empêcher l’émergence d’une<br />

véritable riposte ouvrière et populaire à<br />

l’austérité et aux licenciements. En cette<br />

rentrée, 400 000 emplois sont menacés<br />

selon le gouvernement lui même,<br />

un coup de massue historique pour les<br />

travailleurs. Pourquoi Mélenchon n’en<br />

parle-t-il pas? Demander un référen-<br />

N°6 / automNe 2012<br />

dum sur le TSCG, avec des arguments<br />

qui fleurent souvent le chauvinisme de<br />

gauche, c’est aussi une manière de dresser<br />

un rideau de fumée devant la réalité<br />

des conséquences de la crise, et vouloir<br />

créer un ersatz de mobilisation là où il<br />

faudrait tout faire pour que les organisations<br />

politiques et syndicales de la<br />

classe ouvrière se rassemblement et se<br />

battent ensemble pour exiger, au bas<br />

mot, l’arrêt immédiat des licenciements<br />

et des plans sociaux. Licenciements,<br />

chômage et austérité sont coordonnés<br />

par la classe dominante. La riposte elle<br />

aussi doit être unie! Cette politique de<br />

classe est l’inverse de celle proposée par<br />

Mélenchon.<br />

Appeler au référendum comme le fait le<br />

Front de Gauche, c’est tenter de ramener<br />

dans le giron des institutions une conflictualité<br />

de classe qui s’apprête à s’exprimer<br />

dans des centaines de boîtes, de<br />

quartiers, et à concerner des centaines<br />

de milliers voire des millions de travailleurs<br />

et de jeunes directement touchés<br />

par le chômage, la misère et l’austérité.<br />

Cela alors même que l’expérience de<br />

2005, où le « non » au TCE n’a pas empêché<br />

sa ratification au Parlement deux<br />

ans plus tard, a montré clairement que<br />

la bourgeoisie ne s’embarrassait pas de<br />

l’avis des masses quand il s’agissait de<br />

faire légaliser ses attaques. De plus, un<br />

référendum est un processus électoral<br />

entièrement contrôlé par la classe dominante,<br />

et qui n’a donc rien de démocratique<br />

puisque le contenu même de la<br />

question est entièrement biaisé. Quand<br />

les classes populaires croiront voter pour<br />

ou contre l’austérité (ce que leur aura<br />

martelé le Front de gauche), elles ne feront<br />

en fait que s’exprimer que pour ou<br />

contre un moyen de la mettre en œuvre.<br />

Il faut donc opposer à la diversion de Mélenchon<br />

la perspective d’un mouvement<br />

ouvrier et populaire d’ampleur nationale,<br />

seule à même d’empêcher réellement la<br />

mise en œuvre du Pacte budgétaire ainsi<br />

que de toutes les attaques du patronat<br />

et du gouvernement.<br />

L’offensive toute médiatique de Jean-Luc<br />

Mélenchon, annonçant de façon très unilatérale<br />

une manifestation du Front de<br />

Gauche pour le dimanche 30 septembre,<br />

n’a donc pas aidé à faire de cette date le<br />

meilleur des instruments pour construire<br />

un puissant front unique contre l’ensemble<br />

des politiques d’austérité ainsi<br />

que contre l’offensive patronale sur le<br />

front des licenciements. Cependant, en<br />

dépit de ces limites, le 30 septembre<br />

est désormais la date retenue pour une<br />

manifestation nationale, à laquelle participerons<br />

les camarades du <strong>Courant</strong> <strong>Communiste</strong><br />

<strong>Révolution</strong>naire du NPA.<br />

06/09/12


PSA AulnAy<br />

il eSt encoRe PoSSible De gAgneR !<br />

L’annonce d’une restructuration du<br />

groupe PSA incluant la suppression de<br />

8000 emplois et la fermeture du site<br />

d’Aulnay-sous-Bois, tombée avant les<br />

vacances d’été, n’était pas vraiment une<br />

surprise. Plusieurs mois auparavant, des<br />

membres de la CGT du site avaient déjà<br />

pris connaissance du projet de fermeture<br />

du site d’Aulnay, et l’avaient fait savoir.<br />

La fermeture d’une usine terminale du<br />

secteur automobile serait une première<br />

en France depuis de très nombreuses<br />

années et constituerait un test réussi<br />

pour le patronat français et européen. Il<br />

s’agit donc d’une digue, et si elle saute<br />

c’est toute une série d’autres usines qui<br />

fermeront derrière. Les patrons d’autres<br />

groupes automobiles l’annoncent déjà.<br />

« Si quelqu’un commence à restructurer,<br />

cela obligera tout le monde à suivre... »,<br />

avait dit, en mars dernier, Carlos Ghosn,<br />

le président de Renault. Selon une étude<br />

du cabinet Roland Berger datée du 5<br />

septembre, dix usines pourraient disparaître<br />

en Europe dans les deux ou trois<br />

ans à venir, et avec elles 80 000 emplois.<br />

Le choix du site d’Aulnay n’est en ce<br />

sens pas un fait de hasard. Alors que des<br />

spécialistes pensent que ce serait plus<br />

« logique », du point de vue de la productivité,<br />

de fermer le site de Madrid,<br />

c’est celui de la Seine-Saint-Denis qui a<br />

été retenu. Car au-delà des chiffres il y<br />

a des raisonnements politiques. L’usine<br />

d’Aulnay a été pendant ces dernières<br />

années un bastion de combativité au<br />

sein du secteur automobile, avec une<br />

CGT forte, tenue par l’extrême-gauche. Si<br />

le patronat réussit à briser la résistance<br />

des travailleurs là où elle est censée être<br />

la plus dense, il pourra déclencher une<br />

offensive plus importante, assis sur un<br />

rapport de force nettement favorable.<br />

Voilà pourquoi il s’agit d’une bataille<br />

stratégique pour l’ensemble de la classe<br />

ouvrière. Reste à savoir : cette bataille,<br />

est-il possible de la gagner ?<br />

un début de mobilisation,<br />

pour l’instant insuffisant<br />

face à l’acharnement<br />

patronal<br />

situation nationale luttes ouvrières<br />

Depuis l’annonce de la fermeture d’Aulnay<br />

et de la suppression de 8000 emplois<br />

chez PSA, un certain nombre d’initiatives<br />

ont été prises par les organisations syndicales<br />

: un rassemblement devant le<br />

siège du groupe, un blocage d’autoroute,<br />

une manifestation à l’Elysée, d’autres à<br />

Rennes... Une intersyndicale a été constituée<br />

et un « comité de préparation à la<br />

lutte » a été mis en place à Aulnay, réunissant<br />

plus de 160 délégués désignées<br />

dans les ateliers. Au moment où nous<br />

écrivons cet article, deux nouvelles actions<br />

sont prévues : un meeting dans une<br />

cité où vivent de nombreux ouvriers de<br />

l’usine le 29 septembre, et une action<br />

au Salon Mondial de l’Automobile dans<br />

le cadre de la journée d’action appelée<br />

par les confédérations syndicales le 9<br />

octobre. Tout cela est positif, mais évidemment<br />

insuffisant pour arrêter les<br />

plans du patronat.<br />

Les syndicalistes de PSA Aulnay argumentent<br />

que ce n’est pas évident de mobiliser<br />

les salarié-e-s au-delà des rangs<br />

traditionnellement les plus combatifs.<br />

C’est certainement en partie vrai. Tout le<br />

monde comprend qu’il s’agit d’un combat<br />

difficile et la direction mise au maximum<br />

sur la division entre les salariés du<br />

groupe. D’un côté elle propose des « solutions<br />

» à d’autres sites qui étaient sur<br />

la sellette comme Rennes et Sevelnord<br />

(nous y reviendrons) pour laisser celles<br />

et ceux d’Aulnay isolé-e-s. De l’autre, elle<br />

a préparé le terrain pour transférer la<br />

production actuellement prise en charge<br />

par Aulnay vers d’autres sites, notamment<br />

celui de Poissy. Ce qui revient à<br />

mettre les sites en concurrence, et vise<br />

à réduire l’impact d’une éventuelle grève<br />

à Aulnay. Ensuite, elle fait courir l’information<br />

qu’à Poissy, suite au licenciement<br />

de nombreux intérimaires et à un certain<br />

nombre de départs négociés, « il y aurait<br />

de la place » pour 1500 salariés d’Aulnay<br />

(alors même que le plan de la direction<br />

prévoit la suppression de 700 postes<br />

à Poissy !). Le but de cette manœuvre<br />

est de pouvoir opposer les travailleurs<br />

soit-disant reclassables à l’intérieur du<br />

groupe à celles et ceux qui ne le seraient<br />

pas, la menace de cette « liste noire »<br />

devenant un outil pour discipliner les<br />

salarié-e-s en colère.<br />

Daniela Cobet et Vincent Duse<br />

Dans ce scénario, la tentation de privilégier<br />

des issues individuelles au lieu de<br />

parier sur un combat collectif est grande.<br />

On voit bien que la direction du groupe<br />

PSA a préparé un « plan de guerre » pour<br />

éviter qu’une mobilisation d’ampleur<br />

puisse voir le jour contre les suppressions<br />

d’emploi et la fermeture du site<br />

d’Aulnay. La question est de savoir si les<br />

salarié-e-s seront capables, au-delà des<br />

déclarations, de se donner les moyens<br />

de retourner la situation pour gagner<br />

cette guerre.<br />

briser l’isolement : vers un<br />

comité de lutte intersites<br />

et une grève de tout le<br />

groupe !<br />

Au vu de l’ampleur des plans du patronat<br />

et des enjeux concernant la fermeture<br />

du site d’Aulnay, il est évident qu’une<br />

lutte, si forte soit-elle, si elle reste cantonnée<br />

dans une seule usine, ne sera pas<br />

capable de faire plier la direction de PSA.<br />

Seule l’extension du conflit à d’autres<br />

sites du groupe, voir vers un mouvement<br />

d’ensemble contre les licenciements qui<br />

s’annoncent un peu partout en ce moment,<br />

serait capable de créer le rapport<br />

de force nécessaire. Cela est d’autant<br />

plus possible que l’ensemble des sites<br />

de PSA sont touchés par le plan de la<br />

direction, que ce soit sous la forme de<br />

Jean-Pierre Mercier, délégué CGT<br />

17


évolutioN permaNeNte<br />

suppressions d’emploi, d’une flexibilisation<br />

croissante ou de l’augmentation des<br />

charges de travail et de la dégradation<br />

des conditions de travail.<br />

L’exemple le plus emblématique est<br />

celui de « l’accord de compétitivité » qui<br />

est envisagé sur le site de Sevelnord, résultat<br />

du chantage patronal pour ne pas<br />

fermer ce site. Il comprend : a) un gel des<br />

salaires pendant deux ans (ce qui signifie<br />

la baisse du pouvoir d’achat), b) une mobilité<br />

forcée des travailleurs sur d’autres<br />

sites, même sur des postes à salaire<br />

inférieur, voir des « prêts » de salariés à<br />

d’autres groupes du secteur automobile<br />

comme Toyota, c) la fin de l’indemnité à<br />

90% pour le chômage partiel, d) réduction<br />

et mise à disposition de l’employeur<br />

des journées de RTT, e) temps de rattrapage<br />

obligatoire si les objectifs journaliers<br />

de production de sont pas atteints,<br />

f) baisse des indemnités et primes pour<br />

le travail samedi ou en équipe de nuit,<br />

entre autres mesures... C’est à dire une<br />

attaque frontale contre les conditions<br />

de travail et les acquis des salariés. Cet<br />

accord, qui aujourd’hui ne concernerait<br />

que le site de Sevelnord, pourrait ensuite<br />

être étendu à tous les autres puisque Varin<br />

s’est déjà déclaré « prêt à partager ce<br />

qui fonctionne ».<br />

Les conditions sont donc réunies pour<br />

proposer une lutte d’ensemble des travailleurs,<br />

puisque nous sommes tous<br />

attaqués. Et c’est bien ce dont les pa-<br />

18<br />

trons ont peur, puisqu’ils font tout pour<br />

diviser. Si les salariés de PSA ont été<br />

capables d’organiser des débrayages simultanés<br />

sur la question de la mutuelle<br />

il y a quelques mois, si les raffineurs<br />

ont été capables d’organiser une grève<br />

nationale contre la fermeture du site de<br />

Flandres, alors, quand nous sommes tous<br />

attaqués au même moment, pourquoi ne<br />

serions-nous pas en mesure d’organiser<br />

une riposte coordonnée à l’échelle de<br />

tout le groupe PSA ?<br />

Les camarades de la CGT PSA Aulnay<br />

et de Lutte Ouvrière argumentent que<br />

toute initiative un peu offensive vers<br />

l’extérieur serait pour l’instant précipitée,<br />

du fait d’une mobilisation qui n’a<br />

pas encore réussi à toucher une part<br />

suffisante des salariés. Ils affirment que<br />

dans le stade actuel, l’appel à une mobilisation<br />

coordonnée entre les sites amènerait<br />

probablement à un échec, ce qui<br />

tendrait à dégrader le rapport de force.<br />

Dans le même temps, ils sont pourtant<br />

les premiers à constater qu’une grève<br />

cantonnée au seul site d’Aulnay ne ferait<br />

pas avancer la lutte, puisque comme<br />

nous l’avons vu la direction s’est préparée<br />

pour faire face à un mouvement de<br />

ce type. Leur raisonnement nous amène<br />

donc à une impasse évidente. C’est sur<br />

ce point que nous souhaitons ouvrir ici<br />

un débat fraternel avec ces camarades.<br />

Car s’il est vrai qu’il n’y a pas pour l’instant<br />

un climat de bagarre généralisé sur<br />

N°6 / automNe 2012<br />

les sites du groupe, un certain nombre<br />

d’initiatives pourraient être prises dans<br />

l’immédiat pour tester les possibilités<br />

réelles :<br />

• Une tournée de copains de PSA<br />

Aulnay sur tous les sites du groupe,<br />

avec l’organisation de meetings/<br />

réunions avec les salarié-e-s pour<br />

expliquer la situation et la nécessité<br />

de se battre ensemble.<br />

• L’extension du « comité de préparation<br />

à la lutte » à tous les sites, avec<br />

des comités par site réunissant des<br />

délégués d’atelier, syndiqués ou<br />

pas, et la mise en place d’une coordination<br />

intersites. Même si au début<br />

les comités des autres sites réuniraient<br />

peut-être moins de salariés<br />

qu’à Aulnay, ce serait un premier pas<br />

vers une lutte coordonnée et autoorganisée<br />

à l’échelle nationale.<br />

• La préparation d’une journée de<br />

grève nationale contre toutes les<br />

suppressions d’emploi dans le<br />

groupe et en solidarité avec les ouvriers<br />

d’Aulnay, contre la fermeture<br />

et dans la perspective d’un mouvement<br />

de grève reconductible.<br />

C’est certainement plus facile à dire<br />

qu’à faire, mais les travailleurs d’Aulnay<br />

ont peu de choses à perdre et il s’agit<br />

de la seule voie qui puisse empêcher<br />

la fermeture. Et il est évident que si les


travailleurs commençaient à voir la perspective<br />

d’une lutte d’ensemble, vraiment<br />

capable de faire plier la direction, ils<br />

seraient encouragés à s’y engager plus<br />

massivement. Car aujourd’hui le manque<br />

de perspectives réelles, d’un véritable<br />

plan de guerre en mesure d’imposer une<br />

défaite aux patrons, ouvre le terrain à la<br />

démoralisation et à la recherche de solutions<br />

individuelles.<br />

C’est ainsi que de nombreuses mutations<br />

vers d’autres sites, notamment de techniciens,<br />

sont déjà en cours et réduisent<br />

jour après jour les effectifs d’Aulnay, en<br />

même temps que l’idée de négocier des<br />

indemnités et des conditions de reclassement<br />

fait son chemin dans la tête de<br />

nombreux salariés comme étant la seule<br />

issue possible. Cette situation dégrade<br />

chaque jour le rapport de force et réduit<br />

les possibilités de victoire, raison pour<br />

laquelle un changement de politique<br />

devient plus qu’urgent.<br />

Aucune confiance dans<br />

le gouvernement !<br />

expropriation de la<br />

famille Peugeot !<br />

A défaut de pouvoir organiser une mobilisation<br />

d’ampleur, l’intersyndicale de<br />

PSA Aulnay a jusqu’à présent misé sur<br />

situation nationale luttes ouvrières<br />

des interpellations au gouvernement<br />

pour un gel du plan social, et a même<br />

présenté l’ouverture de négociations tripartites<br />

comme une victoire. On devrait<br />

pourtant avoir tiré des leçons de l’histoire<br />

récente en ce qui concerne l’intervention<br />

des gouvernements « de gauche »<br />

dans ce type de conflit (Mitterrand face<br />

aux licenciements de 1984, Jospin à Vilvoorde).<br />

De plus, après quelques déclarations<br />

d’intention démagogiques avant<br />

les vacances d’été, Hollande et Montebourg<br />

ont déjà montré assez clairement<br />

qu’ils ne feront rien pour empêcher la<br />

fermeture du site d’Aulnay et les suppressions<br />

d’emploi dans l’ensemble du<br />

groupe.<br />

Au contraire, le gouvernement fait tout<br />

pour mieux faire passer la pilule des attaques<br />

contre les salariés. C’est le sens<br />

de la commande d’un rapport d’expert<br />

(Sartorius) pour démontrer la soit-disant<br />

inévitabilité des réductions d’effectifs à<br />

PSA. C’est le gouvernement lui même qui<br />

le dit : « Cette expertise indépendante était<br />

nécessaire. Elle permet de donner tous<br />

les éléments, de manière équilibrée, pour<br />

comprendre la situation de PSA et pour<br />

contribuer au dialogue social qui désormais<br />

doit s’ouvrir. Si le rapport ne comporte<br />

aucun scoop sur la situation de PSA,<br />

il fallait en passer par là pour restaurer la<br />

confiance entre les différents acteurs. » 1 .<br />

Le rapport permet aussi un changement<br />

de discours du gouvernement, qui déclarait<br />

initialement que le plan de PSA était<br />

« inacceptable », et déclare maintenant<br />

que « la nécessité, dans son principe, d’un<br />

plan de réorganisation des activités industrielles<br />

et de réduction des effectifs de PSA<br />

Peugeot Citroën n’est malheureusement<br />

pas contestable », que « aujourd’hui, des<br />

mesures de redressement sont indispensables<br />

» et qu’il s’agit de faire en sorte<br />

que le plan soit «limité au strict nécessaire<br />

».<br />

Ce virage du discours du gouvernement<br />

devrait nous démontrer qu’on ne peut<br />

avoir aucune confiance envers la médiation<br />

de l’Etat, et donc dans les négociations<br />

tripartites, et que les travailleurs ne<br />

peuvent compter que sur leurs propres<br />

forces et leur propre capacité de mobilisation.<br />

Et d’autre part que les « rapports<br />

d’experts » sont souvent un piège pour<br />

les salariés, car leurs conclusions sont<br />

tirées selon l’optique des patrons, de la<br />

rentabilité et non pas de la survie de nos<br />

familles ! Le rapport Sartorius montre par<br />

exemple que si PSA est effectivement<br />

en difficulté aujourd’hui, c’est en grande<br />

partie à cause des dividendes exorbitants<br />

accordés aux actionnaires pendant<br />

des années.<br />

[1] « PSA : la fermeture d’Aulnay n’est plus<br />

‘’inacceptable’’ », Le Monde, 11 septembre<br />

2012. Les autres citations de ce sous-titre ont<br />

été extraites de ce même article.<br />

Arnaud Montebourg, ministre du<br />

Redressement productif<br />

Il constate que dans la période qui va<br />

de 1999 à 2011, « le groupe PSA a distribué<br />

des dividendes pour un montant total<br />

de 2,8 milliards d’euros, tout en menant<br />

simultanément un programme de rachat<br />

d’actions pour 3 milliards d’euros qui a<br />

permis aux actionnaires historiques de remonter<br />

au capital du groupe. [...]3 milliards<br />

d’euros qui ont été consacrés au rachat<br />

d’actions plutôt qu’au développement du<br />

groupe». Dans un contexte de crise, la<br />

distribution de 450 millions d’euros de<br />

dividendes au premier semestre 2011,<br />

après l’annonce d’un rétrécissement du<br />

marché et des mauvais résultats de PSA,<br />

paraît aux yeux des experts « inopportune<br />

».<br />

Ce que les experts dissimulent, malheureusement<br />

sans se voir opposer aucune<br />

critique profonde d’une partie des syndicats,<br />

c’est qu’il n’y a rien « d’inopportun »<br />

dans la façon d’agir des actionnaires,<br />

car la logique même du capital est de<br />

chercher à se placer là où il peut être le<br />

plus rentable, c’est à dire là où il peut en<br />

retour générer encore plus de capital.<br />

En voyant les tendances à la chute des<br />

profits dans le secteur automobile face<br />

à la crise, la famille Peugeot a investi ces<br />

dernières années ses bénéfices dans les<br />

vins de Bordeaux, dans les sociétés d’autoroutes,<br />

les instituts de sondage, les chaines<br />

de maisons de retraite... c’est à dire tous les<br />

secteurs qui leur semblaient au contraire<br />

plus « opportuns » pour leurs profits.<br />

Et ce que le rapport ne conclut évidemment<br />

pas, on s’en doute bien, c’est que<br />

ce serait aux actionnaires « imprudents »<br />

de rendre une partie de l’argent qu’ils<br />

ont amassé grâce à la sueur des ouvriers,<br />

et non aux travailleurs de payer la facture<br />

! C’est pourquoi seul le contrôle des<br />

travailleurs eux-mêmes sur les comptes<br />

de l’entreprise peut apporter une solution<br />

de fond, qui permettrait d’aller chercher<br />

l’argent là où il est, dans les poches<br />

des actionnaires et en particulier de la<br />

famille Peugeot, qui possède plus de<br />

quatre milliards d’euros en Suisse.<br />

A l’Etat, qui a déjà pu verser des millions<br />

pour sauver les entreprises et les béné-<br />

19


évolutioN permaNeNte<br />

fices de ces « pauvres patrons », la seule<br />

mesure progressiste que l’on pourrait imposer<br />

serait l’expropriation et la nationalisation<br />

sous contrôle des travailleurs de<br />

tout le groupe PSA. Même si cette revendication<br />

semble aujourd’hui éloignée du<br />

niveau de conscience de la plupart des<br />

salariés, c’est bien la seule solution de<br />

fond à la crise du secteur automobile.<br />

Faire converger les luttes,<br />

au-delà du secteur<br />

automobile : pour un<br />

mouvement national<br />

contre les licenciements et<br />

le chômage !<br />

Aujourd’hui, même si le dossier PSA<br />

se trouve sur le devant de la scène, la<br />

vague de licenciements dépasse très largement<br />

le secteur automobile. A Doux,<br />

Air France, Sodimédical, Sanofi, Plysorol,<br />

Ethicon, Carrefour, La Redoute, ainsi que<br />

dans bien d’autres entreprises où les<br />

conflits sont moins médiatisés, c’est des<br />

milliers et des milliers d’emplois qui sont<br />

en jeu. Comme en 2008-2009, les confédérations<br />

syndicales ne font rien pour<br />

20<br />

Vincent Duse,<br />

ouvrier et<br />

militant CGT à<br />

PSA Mulhouse<br />

Le site de Mulhouse est parmi ceux qui<br />

seront « préservés » par le plan de la<br />

direction. Il est même censé recevoir<br />

une partie de la production de celui<br />

d’Aulnay après la fermeture. Quelques<br />

techniciens venus d’Aulnay ont déjà<br />

commencé à débarquer chez nous,<br />

mutés vers un site « sûr ». Et pourtant on<br />

voit bien que cette sûreté ne concerne<br />

pas tout le monde. Car à Mulhouse aussi<br />

il faudra bien « faire des efforts » pour<br />

réduire les effectifs. Comme toujours<br />

on commence par les plus faibles. Il y a<br />

quelques mois c’était ceux qui avaient<br />

un statut fragile, avec le licenciement<br />

sans remplacement de plus de 600<br />

intérimaires. Actuellement la mode est<br />

de toucher les plus fragiles... physiquement.<br />

Et oui, maintenant la tendance<br />

est au licenciement des malades et des<br />

handicapés !<br />

E. a été muté dans une nouvelle chaîne<br />

les coordonner et les aider à gagner,<br />

alors que dans l’isolement ces luttes<br />

seront très probablement condamnées à<br />

la défaite.<br />

Néanmoins, à la différence de la vague<br />

précédente de luttes contre les licenciements<br />

et les fermetures d’usine, la<br />

plupart des conflits actuels ne posent<br />

pas d’emblée la question des indemnités<br />

de départ. C’est sûrement parce<br />

que l’expérience des ouvriers de Continental,<br />

Philips, Molex, etc. a montré que<br />

dans une situation de crise, quand le<br />

chômage explose, les indemnités aussi<br />

élevée soient-elles s’épuisent très vite<br />

pour couvrir les dépenses de familles<br />

désormais sans revenus. Les luttes actuelles<br />

tentent alors souvent de poser la<br />

question d’une reprise par les salariés de<br />

l’outil de travail, sous la forme de SCOPs,<br />

de façon à garder les emplois.<br />

Il est vrai que cette issue coopérativiste<br />

repose en grande partie sur une illusion,<br />

puisque de petites unités de production,<br />

avec des travailleurs qui s’autoexploitent,<br />

sont en fait structurellement<br />

incapables de faire face à la concurrence<br />

des grands monopoles capitalistes dans<br />

une situation de crise. Mais ce refus de<br />

se limiter à la revendication des indemnités<br />

(qui par sa nature tend à cantonner<br />

en mars. Après 3 jours il fait un malaise.<br />

Le jour de son malaise, il reçoit un coup<br />

de pression pour ne pas déclarer son<br />

malaise comme un « accident du travail<br />

», mais comme maladie. Puis s’enchaînent<br />

les arrêts maladie dus à des<br />

problèmes cardiaques et une tension<br />

trop haute, mais également aux pressions<br />

pour lui faire tenir rapidement<br />

son nouveau poste. Le 30 août il est<br />

convoqué pour ses arrêts maladie, mais<br />

ne peut s’y rendre car sa femme qui<br />

attend un troisième enfant vient d’être<br />

envoyée aux urgences. Aujourd’hui la<br />

direction de PSA Mulhouse menace de<br />

le licencier en lui reprochant 17 jours<br />

d’arrêts maladie sans justificatif (dont<br />

en fait14 sont couverts et un autre était<br />

un jour de congé accordé par son chef).<br />

Mais ce n’est pas un cas isolé. I. à 13 ans<br />

d’ancienneté. Il était surnommé dans<br />

le secteur du montage «Speedy Gonzales»<br />

grâce à son efficacité au boulot.<br />

Jusqu’à ce qu’en 2006 il contracte une<br />

maladie professionnelle du coude et de<br />

l’épaule. En juillet 2010 il a un accident<br />

du travail. Cet accident du travail entraîne<br />

quelques jours d’arrêts. Son chef<br />

rappelle chez lui pour lui demander<br />

d’écourter son « accident du travail avec<br />

arrêt ». Après discussion avec son méde-<br />

N°6 / automNe 2012<br />

la lutte entre les quatre murs de chaque<br />

entreprise, puisqu’il s’agit d’arracher de<br />

l’argent à un patron en particulier) peut<br />

permettre de poser d’avantage la question<br />

d’un mouvement d’ensemble.<br />

Le fait que PSA Aulnay soit aujourd’hui au<br />

centre de la situation a des implications<br />

importantes. Non seulement du point de<br />

vue des conséquences qu’une défaite<br />

sur ce conflit pourrait entraîner pour<br />

l’ensemble de la classe ouvrière, ce qui<br />

justifie déjà la nécessité de construire<br />

un grand front de solidarité, mais aussi<br />

du point de vue des responsabilités que<br />

cela implique. Car s’il y a une lutte qui<br />

serait aujourd’hui en mesure de lancer<br />

un appel à fédérer toutes les bagarres,<br />

à coordonner toutes les actions, dans la<br />

perspective d’un grand mouvement national<br />

contre les licenciements et le chômage,<br />

mouvement qui poserait la question<br />

de la nationalisation sous contrôle<br />

des travailleurs de toute entreprise qui<br />

ferme ou licencie et du partage des<br />

heures de travail jusqu’à en finir avec le<br />

chômage, c’est bien la lutte de PSA. Il est<br />

encore temps de commencer, mais pour<br />

cela il faudra une véritable « guerre », qui<br />

mobilise toutes les « armées » de notre<br />

classe. Ou, dit d’une autre manière, il faut<br />

désormais passer des paroles aux actes...<br />

PSA mulhouSe, PoRtRAit D’une uSine « non touchée »<br />

cin, il refuse de revenir avant qu’il ne soit<br />

guéri. Peu de temps après son retour la<br />

direction le fait muter à un poste où on<br />

lui fera manipuler des moteurs de 150<br />

kilos, alors qu’il ne pèse que 49 kilos !<br />

Au départ il n’a qu’une ligne à charger,<br />

mais très vite on va lui demander d’en<br />

alimenter une deuxième, ce qui aura<br />

pour conséquence qu’il sera contraint<br />

de travailler même sur son temps de<br />

pause. Les arrêts maladie s’enchaînent,<br />

les courriers de la direction aussi, puis il<br />

doit prendre des antidépresseurs pour<br />

tenir. Aujourd’hui I. est en longue maladie<br />

sous antidépresseurs. Durant sa maladie<br />

il a reçu une visite de l’assistante<br />

sociale de Peugeot pour le forcer à démissionner.<br />

Comme cela n’a pas marché,<br />

aujourd’hui la direction veut licencier.<br />

Et tout cela sans qu’aucun accord de<br />

compétitivité n’ait été mis en place à<br />

Mulhouse. Cela donne une idée de ce<br />

à quoi on peut s’attendre si la direction<br />

gagne la bataille qui est en cours. Les<br />

conséquences se font sentir bien au<br />

delà d’Aulnay. On voit bien qu’il ne nous<br />

manque pas de raisons pour rentrer<br />

dans une bagarre générale si elle a lieu !<br />

25/09/12


FAce Aux AttAqueS Du PAtRonAt et Aux mAuvAiS couPS Du gouveRnement,<br />

En France comme en Europe, les travailleurs<br />

doivent faire face aux plans d’austérité.<br />

En effet, les gouvernements de<br />

droite comme « de gauche » mais aussi la<br />

classe capitaliste se sont déjà attaqués<br />

à nos emplois, à nos salaires, à nos retraites.<br />

Nous devons dire non à l’austérité<br />

qu’ils veulent nous imposer. Sans même<br />

devoir attendre l’adoption du TSCG pour<br />

« légaliser » l’austérité, les travailleurs de<br />

PSA, Sanofi, AirFrance, Plysorol, Arcelor-<br />

Mittal et tant d’autres voient leur emploi<br />

menacé, avec un gouvernement qui<br />

montre bien qu’il ne touchera pas aux<br />

profits des patrons et qu’il n’a que l’austérité,<br />

le chômage et la misère à proposer.<br />

Avec plus de 400.000 menaces de<br />

licenciements, la question de l’emploi<br />

devient alors un problème central pour<br />

les travailleurs et les classes populaires.<br />

Alors que l’Hexagone s’enfonce dans la<br />

crise et que plusieurs sites sont menacés<br />

de fermeture, on voit resurgir les mots<br />

d’ordre éculés de défense de « l’industrie<br />

nationale ». A côté du discours nationaliste,<br />

xénophobe et raciste du FN, sur<br />

lequel il n’y a pas grand chose à dire à<br />

part le fait qu’il s’agit d’un poison pour<br />

la conscience de classe des travailleurs,<br />

les directions syndicales comme le Front<br />

de Gauche se mobilisent pour « sauver<br />

l’industrie française ».<br />

Alors évidemment, je participerai avec<br />

tant d’autres militants et militantes à<br />

la manifestation du 9 octobre, appelée<br />

par la CGT « en défense de l’industrie et<br />

l’emploi », surtout pour être aux côtés de<br />

tous les travailleurs, des chômeurs et des<br />

jeunes qui vont se mobiliser contre les<br />

licenciements, le chômage et l’austérité.<br />

Je suis cependant convaincu que cette<br />

idée d’un soi-disant « intérêt national »<br />

pour sauver l’industrie ne répond pas<br />

aux vrais besoins des travailleurs et des<br />

chômeurs en France. En effet, les intérêts<br />

des patrons « français » et des travailleurs<br />

qui bossent en France sont opposés.<br />

De leur côté, les patrons cherchent<br />

à garder et à augmenter leur niveau de<br />

profits à tout prix. Ils font ces profit sur<br />

situation nationale luttes ouvrières<br />

il nouS FAut conStRuiRe un lARge<br />

mouvement nAtionAl contRe leS<br />

PlAnS SociAux, leS licenciementS et<br />

le chômAge<br />

notre dos et ruinent notre santé, et on<br />

voit bien que dès qu’ils n’ont plus besoin<br />

de nous et qu’il est moins cher pour eux<br />

d’aller exploiter d’autres travailleurs<br />

ailleurs, et bien ils décident de fermer<br />

les boîtes et nous mettent à la rue sans<br />

aucun problème. A l’inverse, notre intérêt<br />

est de pouvoir travailler pour nourrir<br />

nos familles, assurer la santé et l’éducation<br />

de nos enfants, avoir la possibilité<br />

de partir en vacances de temps en temps<br />

ou de profiter du peu de temps libre<br />

qu’il nous reste, après des heures et des<br />

heures d’enfermement sur notre lieu de<br />

travail. Patrons et travailleurs, nous ne<br />

défendons pas les mêmes intérêts ! Nous<br />

autres, les travailleurs, nous défendons<br />

nos emplois et nos vies. Les patrons, eux,<br />

c’est leurs profits qu’ils défendent.<br />

C’est pour cela qu’à chaque menace de<br />

fermeture d’un site de production, ce<br />

qu’il nous faut défendre, c’est le droit le<br />

plus élémentaire au travail des ouvriers<br />

et des ouvrières. Si les patrons veulent<br />

partir, qu’ils s’en aillent, mais nous voulons<br />

avoir la possibilité de continuer<br />

à produire, comme le disent les travailleurs<br />

de Fralib-Gémenos, prés de<br />

Marseille, qui produisent les infusions<br />

l'Eléphant. Dans tous les cas, qu’il y ait<br />

un repreneur ou pas, ce sont les travailleurs<br />

qui ont le savoir-faire et la capacité<br />

pour mettre en route la production, avec<br />

ou sans patrons.<br />

En 2009, lorsque nous avons appris le<br />

projet de fermeture définitive du site<br />

de Philips à Dreux, avec mes camarades<br />

de la CGT ainsi qu’avec l’ensemble des<br />

collègues de la boîte, nous avons commencé<br />

à réfléchir à comment organiser<br />

la lutte et la résistance. Il faut savoir<br />

qu’à l’époque les patrons de Philips « offraient<br />

» la possibilité aux travailleurs<br />

d’être « délocalisés » en Hongrie pour un<br />

salaire de 500 euros et sous réserve de<br />

parler hongrois. Ce qui avait l’air d’être<br />

une mauvaise blague n’était rien d’autre<br />

que la triste réalité. J’étais effrayé à l’idée<br />

de devoir aller travailler en Hongrie, mais<br />

aussi, et surtout, de savoir que les travail-<br />

Manu Georget<br />

leurs hongrois ne touchaient que 500<br />

euros par mois ! Cela ne fait que démontrer<br />

une fois de plus que les patrons ne<br />

pensent qu’à leurs profits.<br />

En tout cas, nous n’étions pas les seuls<br />

à nous trouver dans cette situation à<br />

l’époque. Nous avons cherché à faire<br />

converger les boîtes et les secteurs en<br />

lutte afin de construire un mouvement<br />

d’ensemble contre les licenciements. En<br />

même temps que Philips annonçait qu’on<br />

allait se retrouver à la rue, les Conti, les<br />

Molex, les Ford Blanquefort, les Freescale,<br />

les Goodyear Amiens se trouvaient<br />

dans la même situation face aux plans<br />

de licenciements et au chômage. Il fallait<br />

nous rassembler, c’était le minimum à<br />

faire face aux attaques du patronat !<br />

Dans le cas particulier de Philips, nous<br />

avons pris la décision de ne pas nous<br />

battre pour les indemnités, mais pour<br />

garder nos emplois et la production, avec<br />

ou sans patron. Face à l’intransigeance de<br />

la direction de Philips et à sa détermination<br />

à fermer la boîte, nous savions que la<br />

seule alternative progressiste pour nous<br />

était la réquisition de l’outil de production<br />

par les travailleurs. C’est ainsi que<br />

pendant une courte période nous avons<br />

mis en place une expérience de contrôle<br />

ouvrier qui a montré à la société, mais<br />

aussi aux travailleurs eux-mêmes, qu’ils<br />

étaient capables de produire sans les patrons.<br />

La prise de contrôle de la production<br />

par les travailleurs auto-organisés,<br />

réclamant la réquisition et la nationalisation<br />

de l’usine, constituait un danger<br />

non seulement pour les patrons de Philips,<br />

mais aussi pour toute la classe capitaliste,<br />

car elle remettait en cause leurs<br />

structures d’exploitation. En donnant<br />

des idées à d’autres travailleurs en lutte<br />

contre les licenciements, elle pouvait devenir<br />

ainsi alternative dans la lutte pour<br />

faire payer la crise aux capitalistes et<br />

pour la libération de l’exploitation imposée<br />

par le capital.<br />

Malheureusement, la lutte de Philips<br />

s’est achevée par une défaite, tout<br />

comme des dizaines d’autres com-<br />

21


ats héroïques que notre classe a menés<br />

pendant cette même période. La question<br />

qui se pose aujourd’hui est de savoir<br />

si toute cette énergie, toute cette disposition<br />

à la bagarre, prête à s’exprimer à<br />

nouveau face à la violence de la crise,<br />

permettra des victoires qui feront payer<br />

la crise à ceux qui en sont responsables,<br />

les capitalistes. Parler d’une lutte comme<br />

celle des Philips, ou des Conti, nous<br />

permet de nous préparer aux bagarres<br />

actuelles en tirant les leçons des échecs<br />

passés. La réalité d’aujourd’hui, au final,<br />

ne diffère pas énormément de celle de<br />

2009. Nous voyons que les soubresauts<br />

conjoncturels, au sein de la crise de tout<br />

le système capitaliste, nous condamnent<br />

à la pauvreté, voire même à la misère et<br />

à l’exclusion.<br />

Face à l’austérité, les licenciements et<br />

le chômage, les directions syndicales<br />

ont décidé pour l’instant de rester sur la<br />

stratégie du « dialogue social » avec le<br />

gouvernement Hollande-Ayrault qui<br />

applique l’austérité. Ainsi, ils n’ont proposé<br />

qu’une seule date de mobilisation,<br />

le 9 octobre, sans aucune suite, histoire<br />

de faire « baisser la pression » de façon<br />

préventive et de repositionner Thibault<br />

dans la bataille interne que se livrent les<br />

bureaucrates cégétistes pour occuper le<br />

siège qu’il laisse vacant à Montreuil. En<br />

tirant les leçons des luttes ouvrières de<br />

2008-2009-2010, ainsi que du mouvement<br />

contre la réforme des retraites,<br />

on ne peut qu’en conclure que, nous<br />

autres les travailleurs, nous ne pouvons<br />

compter que sur nous-mêmes. Il s’agit de<br />

préparer la riposte sur les lieux de travail<br />

et dans la rue, tous ensemble, mais<br />

avec un programme d’indépendance<br />

de classe, c’est-à-dire de défense des<br />

intérêts des travailleurs et non pas d’un<br />

autre modèle productif ou industriel qui,<br />

au final, revient à défendre les intérêts<br />

des patrons, qu’ils soient français ou<br />

étrangers. La question de l’emploi et du<br />

chômage reste la question fondamentale<br />

de la période. C’est pour cela que nous<br />

devons tout faire pour construire, avec<br />

nos organisations et en commençant<br />

par nous autoorganiser sur nos lieux de<br />

travail chaque fois que c’est possible, la<br />

mobilisation la plus large possible contre<br />

les licenciements et le chômage !<br />

10/09/12<br />

RotoS.93<br />

Déjà cent jouRS De lutte et D’occuPAtion !<br />

Marah Macna et Philippe Alcoy<br />

« Un soutien aux ouvriers de ROTOS.93 :<br />

- [Le patron vous jette] comme on jette une machine usagée, ça me choque profondément !<br />

Un ouvrier lui répond :<br />

- Vous nous comparez à une machine… Mais on aimerait être comparé à une machine !<br />

Ils n’ont pas jeté leurs machines, ils vont chercher à les vendre. On n’est même pas comparé à<br />

une machine, parce qu’apparemment ils y tiennent ! ».<br />

Les vagues de licenciements se poursuivent,<br />

et les « recettes » patronales<br />

continuent à prouver leur « inventivité<br />

»... C’est ce qu’ont pu malheureusement<br />

constater les vingt-quatre ouvriers<br />

de l’imprimerie ROTOS.93, au Blanc-Mesnil<br />

(Seine-Saint-Denis). Depuis des mois,<br />

voire même des années, c’est la recette<br />

pour « couler une boîte à coup sûr »<br />

qui leur était préparée, comme ils l’expliquent<br />

dans leur gazette des cent jours<br />

de lutte : un « patron véreux », un gérant<br />

fantôme, une organisation rodée de mise<br />

en faillite, et voilà une entreprise qui se<br />

retrouve en procédure de liquidation. Du<br />

jour au lendemain, les vingt-quatre salariés<br />

et leurs familles se retrouvent face<br />

au chômage, et face à la nécessité de lutter<br />

contre cette escroquerie organisée.<br />

Depuis des années déjà, l’entreprise<br />

d’imprimerie était laissée à l’abandon par<br />

son propriétaire Jean-Claude Meurou,<br />

qui avait décidé de déléguer les affaires<br />

courantes à deux gérants salariés... qui<br />

déléguèrent bien vite leurs tâches aux<br />

ouvriers eux-mêmes, qui s’occupaient<br />

22<br />

révolutioN permaNeNte<br />

alors de l’organisation quotidienne du<br />

travail et de l’entretien des machines.<br />

Malgré les transformations rapides de la<br />

profession, qui se tourne de plus en plus<br />

vers le numérique, aucun investissement<br />

n’est fait dans les sept dernières années.<br />

On fait passer la gestion de l’entreprise<br />

par de petites notes de services, on<br />

s’abstient de rechercher de nouveaux<br />

clients, et on laisse les ouvriers faire le<br />

reste, quoi de plus simple ?!<br />

Dès lors, quand en mai dernier, un avocat<br />

inconnu – après tout, pourquoi le<br />

patron se déplacerait-il pour une chose<br />

si insignifiante que la mise au chômage<br />

de ses employés ? – vient informer les<br />

salariés que le travail s’arrête pour de<br />

bon, ceux-ci tombent des nues. D’où<br />

provient donc cette « dette » de l’entreprise,<br />

alors qu’aucun investissement n’a<br />

été fait, et que la boîte a encore de nombreux<br />

clients ? Embrouilles financières,<br />

impôts payés en retard, investissements<br />

plus que suspects à l’étranger, rien n’est<br />

encore élucidé, mais une chose est sûre :<br />

tout était bien prévu. Le jour même de<br />

N°6 / automNe 2012<br />

l’arrêt de travail, les ouvriers se rendent<br />

compte que les stocks de matériaux et<br />

de produits nécessaires à l’imprimerie<br />

sont tous exactement vides, comme s’ils<br />

avaient été comptabilisés par les gérants<br />

pour manquer précisément ce jour-ci.<br />

Impossible de redémarrer le travail le<br />

lendemain, qu’il y ait des clients ou non.<br />

Certains clients semblent d’ailleurs bien<br />

peu étonnés de ce soudain arrêt de travail,<br />

et paraissent bien vite prêts à imprimer<br />

dans une entreprise alentour. Seul<br />

le journal de Lutte Ouvrière, qui imprime<br />

là-bas depuis des années, s’est engagé<br />

à poursuivre la collaboration si les employés<br />

parviennent à relancer l’activité.<br />

Pour cela, selon les salariés, il faudrait<br />

1,9 millions d’euros de chiffre d’affaires<br />

annuel. Le client historique, une société<br />

éditant des journaux hippiques, s’était<br />

engagée avant l’été à revenir dans les<br />

conditions d’avant la fermeture (c’est à<br />

dire avec un volume d’affaires proche<br />

de 2,4 millions d’euros), ce qui aurait<br />

permis de relancer l’entreprise. Malgré<br />

cela, de réunion en réunion à la préfec-


ture, ce client s’est retiré progressivement<br />

du projet, jusqu’à arriver à la proposition<br />

actuelle d’un million d’euro à<br />

peine. Insuffisant, les ouvriers le savent<br />

bien, pour payer les salariés nécessaires<br />

à la bonne marche de l’entreprise, même<br />

dans le cas d’une reprise à minima avec<br />

seulement treize travailleurs.<br />

Placés pendant tout l’été en attente de<br />

ce client, qui semble bien peu déterminé<br />

à jouer franc-jeu, les ouvriers n’ont<br />

cependant pas lâché prise. Depuis cent<br />

jours, ils occupent l’usine. Ils le savent,<br />

ils peuvent faire tourner l’entreprise<br />

seuls. Mais plus encore, il paraît de plus<br />

en plus évident aujourd’hui qu’après<br />

avoir exploité les travailleurs pendant<br />

des années, le patron n’a fait ces derniers<br />

temps qu’organiser la liquidation<br />

d’une boîte dont il ne voulait plus.<br />

indépendance des<br />

travailleurs face aux<br />

« pouvoirs publics »<br />

Pendant ces cent jours de lutte et d’occupation<br />

de l’usine, les ROTOS.93 ont réussi<br />

à obtenir les soutiens de différentes organisations<br />

politiques (PS, Europe Écologie,<br />

PG, PCF, LO et NPA). Même le gouvernement,<br />

à travers le ministre du Redressement<br />

Productif, Arnaud Montebourg,<br />

leur a envoyé une lettre de soutien.<br />

Mais on sait ce que vaut le « soutien »<br />

du PS aux salariés contre la fermeture<br />

d’usines… les salariés de PSA Aulnay, qui<br />

se trouvent à quelques kilomètres seulement<br />

des ROTOS.93, peuvent en dire<br />

quelque chose !<br />

Et le gouvernement PS n’est pas le seul<br />

à se gargariser d’un « soutien » aux RO-<br />

TOS.93. En effet, sur la quatrième de<br />

couverture de la gazette consacrée aux<br />

soutiens politiques, on est bien étonné<br />

de trouver côte à côte Arlette Laguiller,<br />

Philippe Poutou et... Christian Lambert, le<br />

flic que Sarkozy a nommé à la tête de la<br />

préfecture de la Seine-Saint-Denis pour<br />

réprimer la jeunesse et les classes populaires<br />

du 93 ! On comprend que les travailleurs<br />

dans leurs luttes puissent exiger<br />

l’intervention de responsables politiques<br />

pour faire pression sur les patrons<br />

pour trouver des solutions à leurs problèmes.<br />

Mais il ne faut pas confondre ce<br />

type de « soutien » circonstanciel, dicté<br />

par des conditions particulières et souvent<br />

seulement verbal, de la part de représentants<br />

de l’État capitaliste avec un<br />

réel « objectif commun » entre ceux-ci et<br />

les travailleurs. Les hauts fonctionnaires<br />

de l’État bourgeois sont là pour gérer les<br />

affaires courantes des capitalistes, pour<br />

protéger leurs intérêts contre ceux des<br />

opprimés et exploités.<br />

En ces temps de crise et de luttes ouvrières<br />

qui s’annoncent de plus en plus<br />

fréquentes et de plus en plus dures, les<br />

patrons auront grand besoin des services<br />

de leurs institutions et leurs « forces de<br />

l’ordre ». C’est pour cela que les travailleurs<br />

doivent garder une totale indépendance<br />

vis-à-vis des représentants politiques<br />

des patrons et de leur État. En ce<br />

sens, quand Marie-George Buffet, députée<br />

PCF de la Seine-Saint-Denis, se félicite<br />

de l’« investissement du préfet », elle<br />

ne fait que créer de la confusion et renforcer<br />

les illusions chez les travailleurs<br />

vis-à-vis des institutions de la bourgeoisie<br />

et ses représentants politiques.<br />

une lutte qui pose<br />

la question de la<br />

nationalisation sous<br />

gestion ouvrière<br />

Lors d’une réunion à la préfecture le 25<br />

juillet, l’ancien patron, Jean-Claude Meurou,<br />

a finalement cédé le fond commercial<br />

et les machines aux ouvriers pour<br />

un euro symbolique. Cependant, il reste<br />

propriétaire du terrain et des bâtiments.<br />

L’accord de bail passé avec les ouvriers<br />

stipule d’ailleurs qu’il leur « concède »<br />

six mois de loyer gratuits, après quoi ils<br />

devront commencer à payer le loyer… ou<br />

quitter les lieux !<br />

Il est évident que le fait d’avoir arraché<br />

les machines à l’ancien patron est<br />

un grand avantage pour les travailleurs<br />

dans la perspective de maintenir l’activité.<br />

Mais il faudrait aller au-delà et exiger<br />

l’expropriation totale de ce patron qui a<br />

coulé la boîte et conduit les ouvriers et<br />

leurs familles dans cette situation tragique.<br />

Il faut exiger l’expropriation du<br />

terrain et des locaux ! Il est inadmissible<br />

que les ouvriers donnent un centime de<br />

plus à celui qui les a exploités durant<br />

toutes ces années.<br />

Pour autant, il n’est pas non plus souhaitable<br />

que les ROTOS.93 se rendent<br />

Entrée de l'usine occupée<br />

situation nationale luttes ouvrières<br />

dépendant d’un nouveau patron, en l’occurrence<br />

celui du journal hippique, qui<br />

a déjà prouvé pendant l’été sa capacité<br />

à jouer habilement avec les espérances<br />

de ouvriers, sans jamais s’engager véritablement.<br />

Au « mieux », on peut imaginer<br />

qu’il soit en train de faire du chantage<br />

à ces travailleurs pour éventuellement<br />

réinvestir dans l’entreprise dans les<br />

conditions les plus favorables à son profit<br />

personnel. Au pire, on peut craindre<br />

qu’il ne fasse que gagner du temps, en<br />

accord avec l’ancien patron, pour démoraliser<br />

les ouvriers et aider à fermer<br />

l’entreprise sans plus d’incidents. Pour<br />

Meurou comme pour le nouveau patron,<br />

la protection du fameux « secret commercial<br />

» constitue le verrou juridique de<br />

leur pouvoir en temps que capitalistes. Il<br />

maintient en effet la connaissance et la<br />

gestion des comptes dans les mains du<br />

seul patronat, empêchant les ouvriers<br />

d’exercer une quelconque forme de<br />

contrôle sur leur propre entreprise et<br />

donc leur propre avenir. C’est ce verrou<br />

qui a permis d’organiser en cachette la<br />

liquidation de l’entreprise, et qui encore<br />

aujourd’hui maintient les travailleurs en<br />

position de main d’œuvre exploitable à<br />

merci.<br />

C’est pour cela que la revendication de<br />

la nationalisation sous contrôle et gestion<br />

des ouvriers devient fondamentale<br />

pour sauver les vingt-quatre postes de<br />

travail. En effet, l’État pourrait garantir<br />

l’investissement nécessaire et l’entretien<br />

des machines ainsi que les commandes :<br />

il est évident que les administrations<br />

locales ont des besoins en impressions<br />

de brochures, de journaux municipaux,<br />

etc. En outre, une victoire de ce type<br />

pourrait être un point d’appui pour développer<br />

l’enthousiasme et la combativité<br />

des ouvrières et ouvriers de PSA Aulnay<br />

qui, tout près des ROTOS.93, se battent<br />

contre la fermeture de leur site dans un<br />

département déjà durement touché par<br />

le chômage !<br />

20/09/2012<br />

23


émeutes à Amiens nord<br />

SoliDARité Avec noS FRèReS De<br />

clASSe contRe lA RéPReSSion Du<br />

gouveRnement PS !<br />

Loïc Guillaume<br />

Les forces de « l’ordre » ont encore montré<br />

cette semaine de quel ordre elles<br />

sont la milice.<br />

Dimanche dernier, à Fafet-Brossolette au<br />

Nord d’Amiens, la BAC est venue interrompre<br />

une famille en pleine cérémonie<br />

de deuil, soi-disant pour effectuer un<br />

énième contrôle d’identité sur un automobiliste.<br />

Les flics ont entouré la voiture<br />

avec une grande violence, lançant même<br />

des gaz lacrymogènes. Révoltés par cette<br />

humiliation de plus, les habitants ont<br />

réagi en s’opposant à la police puis la<br />

gendarmerie jusque dans la nuit, puis à<br />

nouveau de lundi à mardi.<br />

un quartier militarisé<br />

Depuis, tout le dispositif répressif et réactionnaire<br />

prêt à l’emploi dans ces caslà<br />

a été déployé : 250 policiers et CRS en<br />

robocops, avec camions, lances à eau,<br />

grenades et flash-ball, appuyés sur le matraquage<br />

médiatique contre les « jeunes<br />

» et « l’insécurité ». Et la répression ne<br />

s’arrêtera pas à cette démonstration de<br />

force dans la rue : dès aujourd’hui, les<br />

arrestations ont commencé, les policiers<br />

s’appuyant sur des clichés pris par hélicoptère<br />

lors des affrontements. Ensuite<br />

viendront les peines disproportionnées,<br />

les attaques contre les familles 1 , la tentative<br />

de l’État impérialiste Français de<br />

resserrer bien fort le couvercle de la<br />

marmite explosive constituée par ses<br />

170 ghettos où sont entassées plusieurs<br />

générations de travailleurs immigrés<br />

venus souvent des anciennes colonies et<br />

traitées comme des « indigènes » dans<br />

leur propre quartier. Lors du grand mouvement<br />

de révolte à l’automne 2005, qui<br />

avait mobilisé des centaines de cités, la<br />

bourgeoisie avait même déclaré l’état<br />

d’urgence, ce qui ne s’était plus fait...<br />

depuis la guerre d’Algérie. Un message<br />

clair en direction d’habitants essentiellement<br />

originaires d’Afrique, et qui porte la<br />

mémoire de la violence coloniale. A Fafet-Brossolette<br />

par exemple, le quartier a<br />

été fondé par l’installation de mille harkis<br />

rapatriés après la guerre d’Algérie en<br />

1962. L’armée avait à l’époque décidé de<br />

[1] En Angleterre après les émeutes d’août<br />

dernier, des familles avaient été expulsés<br />

de leur logement social, s’étaient vu couper<br />

toute aide de l’Etat, etc.<br />

24<br />

révolutioN permaNeNte<br />

les confiner dans une prison désaffectée<br />

pour cause d’insalubrité, à raison d’une<br />

cellule par famille. Ils y seront restés<br />

trois ans avant la construction à la va vite<br />

des bâtiments actuels. Amiens Nord était<br />

alors devenu l’une de ces banlieues où le<br />

capitalisme français entasse la misère et<br />

le chômage qu’il produit.<br />

les banlieues,<br />

expressions urbaines de<br />

l’impérialisme français<br />

« Amiens-Nord, c’est (...) des paumés des<br />

camés des ratés des rangés des dérangés<br />

des RG, une fresque à peindre terrible,<br />

quatre décennies d’immigration et<br />

des milliers d’existences d’espérances<br />

de souffrances anonymes, qui tombent<br />

dans l’oubli au présent, sans traces ni<br />

mémoire, tant les historiographes sont<br />

occupés ailleurs, à prêter leur plume,<br />

pardon : à la vendre aux patrons et ministres<br />

». C’est François Ruffin, le journaliste<br />

de Là-bas-si-j’y-suis, qui écrit<br />

ces lignes dans son livre sur ce quartier<br />

qu’il connaît bien 2 . Créées notamment<br />

à l’époque des indépendances pour<br />

accueillir une main d’œuvre nécessaire<br />

à l’industrie des trente glorieuses, les<br />

banlieues servent encore aujourd’hui de<br />

réservoir de travailleurs et travailleuses<br />

sous-payés, assumant les tâches les plus<br />

ingrates. Il s’agit du visage intérieur de la<br />

politique impérialiste hexagonale ; une<br />

politique qui s’est exprimé, si on ne se<br />

réfère qu’aux cours des dix dernières<br />

années (en invoquant le plus souvent<br />

la défense des droits de l’homme), par<br />

des interventions militaires directes en<br />

Afghanistan, en Côté d’Ivoire, à Djibouti<br />

et dans la Corne de l’Afrique, au Liban<br />

ou encore en Lybie. Tout en sachant<br />

qu’au quotidien, l’ordre néocolonial est<br />

maintenu via des régimes amis, que la<br />

bourgeoisie française arme pour ne pas<br />

avoir à endosser la responsabilité des<br />

violences – de la guerre du Biafra à la<br />

guerre civile ivoirienne de l’an passé,<br />

en passant par le génocide rwandais. Au<br />

début du processus révolutionnaire tuni-<br />

[2] François Ruffin, Quartier Nord, Fayard,<br />

2006, cité par Camille Poloni, « Amiens Nord.<br />

Des paumés des camés des rangés des dérangés<br />

des RG », Bonnes Feuilles, 14/08/2012<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Manuel Valls en visite à Amiens le 14 août dernier<br />

sien, la France fournissait des grenades<br />

lacrymogènes à Ben Ali, et lui proposait<br />

son « savoir-faire » répressif ! C’est que,<br />

dans les pays du « pré-carré africain »<br />

de la France, quelques multinationales<br />

hexagonales tiennent la quasi-totalité<br />

des secteurs stratégiques (pétrole,<br />

mines, transports, matières premières<br />

agricoles), et engrangent chaque année<br />

des milliards d’euros de bénéfice sur le<br />

dos des travailleurs et des ressources<br />

d’Afrique. Alors, pour l’État qui les sert,<br />

pas question de tolérer la moindre remise<br />

en question cet ordre néocolonial,<br />

ni là-bas, ni de la part des immigrés installés<br />

sur son territoire.<br />

la répression pour<br />

camoufler la violence<br />

capitaliste<br />

Manuel Valls, le Claude Guéant du gouvernement<br />

Hollande, est venu montrer<br />

les muscles mardi dernier. « La loi et<br />

l’ordre républicain doivent retrouver leur<br />

place à Amiens », a-t-il déclaré devant<br />

les journalistes, avant de décamper sous<br />

les huées des habitants à qui il refusait<br />

un entretien 3 . Petites phrases et grandes<br />

manipulations, le tout sous protection<br />

policière, avant de rentrer à Paris. En la<br />

matière comme en ce qui concerne l’austérité,<br />

on ne voit pas bien la différence<br />

entre le gouvernement « socialiste » et le<br />

précédent. Ce que Valls ne dira jamais, ce<br />

sont les provocations quotidiennes, les<br />

bavures et les meurtres. On se souvient<br />

des deux adolescents morts en fuyant<br />

la police à Clichy-sous-Bois en 2005, de<br />

Hakim Ajimi tué à Grasse en mai 2008,<br />

ou encore du jeune homme bastonné à<br />

mort à Grenoble l’été 2010 – quelques<br />

exemples sur une liste trop longue. Dans<br />

toutes ces affaires, les policiers n’ont<br />

écopé que de peines avec sursis. Et c’est<br />

pourtant pour ces derniers qu’on nous<br />

propose de s’inquiéter, et que Hollande<br />

interrompt ses vacances ! Les 400 000<br />

licenciements annoncés à la rentrée ne<br />

l’empêchent pas de dormir. Alors que<br />

les annonces de réductions budgétaires<br />

se multiplient, avec notamment le non<br />

remplacement de 2 fonctionnaires sur<br />

[3] Voir la vidéo sur www.leparisien.fr/<br />

faits-divers/amiens-nuit-de-violences-entrejeunes-et-crs-14-08-2012-2124700.php


situation nationale répression et surenchère sécuritaire<br />

3 (c’est pire que sous Sarkozy !), et que<br />

le prochain budget devrait constituer un<br />

véritable plan d’ajustement structurel,<br />

le nouveau président a même annoncé<br />

« des moyens supplémentaires pour la<br />

gendarmerie et la police » ! En période<br />

de crise, seule la répression et les discours<br />

réactionnaires qui la justifient sont<br />

en hausse. Un rapport remis à Hollande<br />

le 25 juin signale d’ailleurs l’explosion<br />

des violences policières – auxquelles il<br />

faudrait encore ajouter toutes celles qui<br />

ne sont pas recensées 4 . Et, reprenant une<br />

mode lancée par Sarkozy, le gouvernement<br />

PS a fait attaquer cet été plusieurs<br />

campements Rroms, pratiquant même le<br />

renvoi en charter !<br />

C’est la mère de Nadir, le jeune homme<br />

dont les funérailles ont été attaqués<br />

par la BAC ce dimanche, qui résume le<br />

mieux cette situation : « [Valls] n’a parlé<br />

que des policiers blessés pour dire que<br />

c’était intolérable. Il ne s’intéresse pas<br />

au fait que les policiers nous traitent<br />

comme des animaux ».<br />

Il y a, en effet, des habitants à Fafet-<br />

Brossolette, des habitant-e-s qui représentent<br />

le secteur le plus exploité de<br />

la société. Des habitants constamment<br />

invisibilisés, « regardés, éternellement, à<br />

travers les lunettes de l’ordre et de ses<br />

forces, (...) une humanité réduite à son<br />

rôle de suspect, avec, toujours, la caméra<br />

au poing, (...) avec des journalistes embarqués<br />

à bord des voitures de police,<br />

comme pour une guerre sur un territoire<br />

étranger » 5 . Au Nord d’Amiens comme<br />

dans tous les ghettos, il y a officiellement<br />

45% de chômage, et près de 70%<br />

pour les moins de 25 ans. Les quartiers<br />

sont structurellement sous équipés en<br />

crèches, en écoles, en transports publics,<br />

et l’accès aux soins y est bien plus difficile<br />

qu’ailleurs. Pour se rendre sur leur<br />

lieu de travail en ville, les habitant-e-s<br />

qui ont la chance d’avoir un emploi mais<br />

pas celle d’avoir une voiture sont obligés<br />

de perdre des heures dans des transports<br />

bondés et défectueux.<br />

Dans les ghettos, la<br />

dignité s’arrache contre<br />

les patrons, leur état et<br />

leur police<br />

Après une série d’émeutes et de mobilisations<br />

antiracistes 6 dans les années<br />

1980, les socialistes alors au pouvoir<br />

avaient lancé ce que l’on appelle aujourd’hui<br />

encore la « politique de la ville<br />

». Cette farce publicitaire visait à faire<br />

[4] www.bastamag.net/article2543.html<br />

[5] François Rufin, opus cité<br />

[6] Une grande « marche pour l’égalité et<br />

contre le racisme », surnommée « marche des<br />

Beurs », avait ainsi relié en 1983 Marseille à<br />

Paris, dans une démonstration de force contre<br />

l’État policier et raciste.<br />

croire que l’État allait désormais s’occuper<br />

des quartiers, en même temps que<br />

le PS s’inféodait une partie des secteurs<br />

qui y étaient mobilisés, en essayant d’y<br />

construire un réseau et une clientèle,<br />

comme l’association SOS-racisme. Depuis,<br />

les plans d’urgence, contrats de<br />

cohésion sociale et autres zonages prioritaires<br />

se succèdent au rythme des élections<br />

(et parfois des émeutes), sans que<br />

rien de concret ne soit accompli. Pire, les<br />

budgets de la politique de la ville ont<br />

le plus souvent servi à transférer sur le<br />

secteur associatif des activités autrefois<br />

de service public, comme la protection<br />

maternelle et infantile ou l’alphabétisation.<br />

Et il n’a échappé à personne que les<br />

zones prioritaires bénéficiaient surtout<br />

aux entreprises qui s’y sont installées,<br />

exonérées d’impôts en échange de soidisant<br />

embauches qui ne sont jamais<br />

venues ! Main dans la main, la droite et<br />

la gauche bourgeoises oscillent entre<br />

la répression et la poudre aux yeux vis<br />

à vis des quartiers, et cela précisément<br />

parce que les contradictions sociales qui<br />

s’y expriment mettent à nu l’exploitation<br />

et la violence qui sont au cœur même<br />

de leur système – un système qui va<br />

de l’exploitation des sous-sols africains<br />

jusqu’aux usines de PSA, où d’ailleurs<br />

sont exploités un grand nombre de travailleurs<br />

immigrés.<br />

Les mensonges et les camouflages de<br />

cette prétendue politique de la ville<br />

n’ont cependant jamais empêché des<br />

explosions de révolte contre le harcèlement<br />

policier, les habitants revendiquant<br />

leur droit à la dignité. La seule histoire<br />

de Fafet Brossolette suffirait à le prouver<br />

: en 1982, provocation et injures raciales<br />

lors d’un enterrement (déjà...) avait débouché<br />

sur une manifestation sauvage<br />

en direction de la préfecture. En 1994,<br />

1997, 2007, 2009, on trouve trace de ces<br />

étincelles. A l’échelle du pays, la révolte<br />

de 2005 était venue rappeler les conditions<br />

d’existence de ces secteurs les plus<br />

exploités et marginalisés du prolétariat.<br />

Secteurs qui ont la particularité de subir<br />

en plus de l’exploitation une oppression<br />

raciste qui sert à l’isoler du reste des<br />

exploités, et à faire oublier que la France<br />

tire aujourd’hui encore plus de richesse<br />

du continent africain qu’au temps de la<br />

colonisation. Ce qui s’est passé à l’automne<br />

2005, par le niveau de généralité<br />

atteint par le mouvement, prouvait en<br />

outre l’existence d’une conscience commune<br />

d’appartenance sociale à l’échelle<br />

des banlieues, sans pour autant que<br />

cette révolte se traduise, par la suite, sur<br />

le terrain des entreprises et des usines<br />

afin de donner voix et corps à un soulèvement<br />

qui était condamné à l’isolement<br />

en se limitant aux quartiers. à l’échelle<br />

des banlieues. En Angleterre aussi –<br />

l’autre grande bourgeoisie impérialiste<br />

d’Europe –, en août dernier, les ghettos<br />

qui entourent Londres et les grandes<br />

villes britanniques s’étaient enflammés.<br />

les organisations<br />

ouvrières et étudiantes<br />

doivent entendre la colère<br />

des jeunes d’Amiens !<br />

A chaque fois, en plus du déferlement<br />

réactionnaire des médias (qui ne font<br />

que suggérer ce que le FN dit clairement,<br />

et a répété cette semaine), un certain<br />

nombre de messieurs viennent faire part<br />

de leur expertise sur la question. En anthropologues,<br />

ils décortiquent l’émeute,<br />

cherchent à découvrir ce qui s’y jouent,<br />

et ergotent de façon à déterminer si elle<br />

est « politique » ou non. C’est que, pour<br />

eux, la politique se limite au vote lors<br />

des élections bourgeoises. Cet endoctrinement<br />

vise à enfermer les révoltes<br />

épisodiques des quartiers dans un isolement<br />

dramatique, qui laisse le champ<br />

libre au déferlement des interprétations<br />

réactionnaires et permet la reproduction<br />

de la fracture entretenue par la classe<br />

dominante au sein même des exploités.<br />

Cette marginalité des quartiers au sein<br />

même du mouvement social est évoquée<br />

par François Ruffin : « « Nanar » Cordou<br />

et ses camarades du PCF se sont effacés<br />

de la scène. Les missionnaires chrétiens,<br />

eux aussi, se sont éclipsés, et le très actif<br />

prêtre ouvrier d’hier n’a trouvé aucune<br />

relève (l’évêché a d’ailleurs supprimé<br />

le poste). Aucun mouvement, politique,<br />

syndical, cantonné au centre-ville, à la<br />

petite bourgeoisie, n’a fourni des cadres<br />

en remplacement ». 7<br />

En 2005, les organisations à la gauche<br />

du PS avaient créé des comités unitaires<br />

contre le traité établissant une constitution<br />

pour l’Europe, par lequel le patronat<br />

voulait approfondir les mécanismes<br />

d’exploitation organisés par l’UE. Pourtant,<br />

quand les cités se sont embrasées,<br />

les positionnements clairs en faveur des<br />

jeunes ont fait défaut. Le PCF, et même<br />

Lutte Ouvrière, reprenaient à leur sauce<br />

le rhétorique médiatique sur les casseurs,<br />

le premier pour défendre le «<br />

service publique » (! !), la seconde en<br />

évoquant le lumpen prolétariat. La LCR<br />

exprimait vaguement sa solidarité, sans<br />

rien faire de concret. Au moment où le<br />

gouvernement rétablissait l’état d’urgence,<br />

il aurait pourtant été élémentaire<br />

que les organisations du mouvement ouvrier<br />

et étudiant, à commencer par l’extrême<br />

gauche, exprime, par des rassemblements<br />

ou des manifestations, leur<br />

opposition à la politique de répression<br />

de Chirac-Villepin-Sarkozy et leur solidarité<br />

avec la révolte. Il se serait agi de la<br />

seule voie pour commencer à proposer,<br />

[7] Opus cité. Si Ruffin a raison de critiquer<br />

l’éloignement du mouvement syndical et<br />

des organisations politiques de « gauche »,<br />

on ne peut pas être d’accord avec lui quand<br />

il conclut que celles-ci ne s’adressent qu’à la<br />

petite bourgeoisie. C’est aussi au sein même<br />

du prolétariat, entre secteurs plus ou moins<br />

intégrés, que la division s’opère.<br />

25


ne serait-ce que dans la propagande, une<br />

issue commune, dans les luttes sociales,<br />

à la rage, au désespoir et à la colère des<br />

jeunes de banlieues.<br />

Avec le développement de la crise capitaliste<br />

et le terrain ouvert par elle aux divisions<br />

et à la recherche de boucs émissaires<br />

– phénomène largement exploité<br />

par l’extrême droite –, plus que jamais<br />

la question de l’unité de tous les travailleurs<br />

et des couches populaires est<br />

fondamentale, quelle que soit leur origine<br />

ou lieu d’habitation. La montée du<br />

chômage et de la misère, heurtée à une<br />

répression croissante, donneront lieu à<br />

de nombreuses explosions de colère et<br />

de révolte plus que justifiées de la part<br />

des jeunes et des couches les plus exploitées<br />

du prolétariat. Les évènements<br />

d’Amiens n’en sont qu’un premier symptôme.<br />

Mais ce n’est qu’en brisant leur<br />

isolement et en participant à un mouvement<br />

d’ensemble, aux côtés des autres<br />

travailleurs, avec ou sans emploi, que<br />

toute cette énergie pourra être mise au<br />

service d’une inversion du rapport de<br />

forces, qui commence à pouvoir régler la<br />

« question des banlieues » et s’opposer<br />

efficacement à la dégradation constante<br />

des conditions de vie, qui fasse payer la<br />

crise aux capitalistes, mette à bas leur<br />

système et ouvre la voie à une société<br />

sans exploitation ni oppression.<br />

Dans l’état actuel des choses, les habitants<br />

des quartiers entretiennent, dans<br />

une certaine mesure à juste titre, une<br />

grande méfiance envers les organisations<br />

politiques. D’un côté, les partis<br />

bourgeois utilisent épisodiquement<br />

quelques banlieusards pour faire croire<br />

à leur respect de la « diversité ». De<br />

expulsions, démantèlement de camps…<br />

l’autre, le PCF a<br />

gouverné pendant<br />

cinquante<br />

ans nombre de «<br />

banlieues rouges<br />

» où il a administré<br />

le capitalisme<br />

tout en conservant<br />

une rhétorique<br />

populiste, et<br />

en installant tout<br />

un système clientéliste<br />

de distribution<br />

des maigres<br />

avantages (logements sociaux, postes,<br />

colonies de vacances, etc.). C’était le<br />

couvercle nécessaire à la marmite.<br />

La question posée aujourd’hui est alors<br />

de savoir si, au moment où cette médiation<br />

historique s’affaiblit (le PCF a par<br />

exemple perdu nombre de ses circonscriptions<br />

lors des dernières législatives,<br />

au profit du PS), les révolutionnaires seront<br />

capables d’aider à faire converger le<br />

combat de tous les travailleurs et de la<br />

jeunesse et de gagner ainsi la confiance<br />

des secteurs les plus radicalisés et<br />

conscients des banlieues.<br />

Cela demande de faire des démonstrations,<br />

mais aussi de se battre au quotidien<br />

pour imposer aux organisations du<br />

mouvement ouvrier un programme en ce<br />

sens , défendant le partage du temps de<br />

travail entre tous, l’embauche massive<br />

dans le secteur public, la régularisation<br />

de tous les sans-papiers, la dissolution<br />

des forces répressives, l’abrogation de<br />

toutes les lois racistes et xénophobes.<br />

S’adressant aux révolutionnaires français<br />

juste après la Première Guerre mondiale,<br />

Des CRS patrouillent dans les quartiers Nord d'Amiens<br />

Léon Trotsky répétait souvent que la<br />

lutte implacable contre l’impérialisme<br />

de « leur » bourgeoisie serait la preuve<br />

de l’existence d’un parti vraiment révolutionnaire<br />

en France. En allant dans le<br />

même sens, alors que près d’un siècle<br />

supplémentaire d’histoire impérialiste a<br />

installé dans les banlieues plusieurs générations<br />

d’immigré-e-s, on pourrait dire<br />

que la preuve de la présence en France<br />

d’un tel parti sera donnée lorsque les<br />

secteurs radicalisés de toutes les cités<br />

lui accorderont leur confiance.<br />

levée des poursuites contre les<br />

jeunes qui ont été arrêtés !<br />

A bas la répression policière !<br />

Dissolution de la bAc !<br />

Pour la mise en place de la solidarité<br />

la plus large des organisations<br />

ouvrière et étudiantes contre les<br />

victimes de la répression à Amiens et<br />

contre la mise en place des « zones<br />

de sécurité prioritaires » de valls !<br />

16/08/12<br />

SARKozy ou hollAnDe ?<br />

PouR leS RomS non PluS, çA ne FAit PAS De DiFFéRence !<br />

Loïc Guillaume<br />

Pelleteuses, police nationale, charters...difficile<br />

pour les 15 à 20 000 Roms vivant<br />

en France de voir quelle peut bien être la<br />

différence entre ce gouvernement et le<br />

précédent.<br />

Hollande avait pourtant promis de<br />

rompre avec la brutalité du sarkozysme.<br />

Il a néanmoins chargé Manuel Valls de<br />

faire expulser près de 3000 Roms cet été.<br />

Bouc émissaire historique, la population<br />

rom ne subit pas qu’en Europe de l’Est<br />

un racisme d’Etat quotidien, comme voudrait<br />

le faire croire la presse libérale et<br />

bien pensante, citant occasionnellement<br />

26<br />

révolutioN permaNeNte<br />

la commissaire Européenne à la Justice<br />

et aux Droits de l’homme. La preuve est<br />

faite encore une fois que la France n’est<br />

pas en reste.<br />

Constamment assimilés à des délinquants,<br />

on leur refuse l’accès aux services<br />

publics aussi bien qu’au marché du<br />

travail. Dans les pays d’Europe de l’Est<br />

dont ils viennent pour la plupart, nombre<br />

d’entre eux a été sédentarisé de force<br />

sous les régimes pseudo-communistes.<br />

Par la suite, ce sont eux aussi qui ont été<br />

le plus touchés par les réformes structurelles<br />

des années 1990, avec les femmes<br />

N°6 / automNe 2012<br />

et les retraités notamment. La situation<br />

n’est pas seulement particulièrement<br />

compliquée en ex-Yougoslavie, où leur<br />

communauté a été prise pour cible par<br />

l’ensemble des camps en présence pendant<br />

les différentes guerres. On a assisté<br />

également, dans les autres pays de l’Est,<br />

à une multiplication des mesures discriminatoires<br />

et des actes racistes 1 , comme<br />

dernièrement en Hongrie où la commu-<br />

[1] Voir par exemple P. Alcoy, « Hongrie : le travail<br />

obligatoire imposé aux Roms est une attaque<br />

contre tous les travailleurs », 12/10/11,<br />

www.ccr4.org/Hongrie-le-travail-obligatoire


situation nationale répression et surenchère sécuritaire<br />

nauté est l’objet de véritables pogroms<br />

organisés par des organisations fascisantes<br />

qui cohabitent avec le pouvoir en<br />

place à Budapest.<br />

On imagine aisément pourquoi, avec des<br />

salaires moyens de 150 euros en Roumanie<br />

ou en Bulgarie par exemple, les Roms<br />

choisissent de migrer vers l’Ouest. C’est<br />

ainsi qu’ils constituent aujourd’hui en<br />

France une population flottante, exclue<br />

de tout et soumise à la misère, et une<br />

cible toute trouvée pour la xénophobie<br />

d’État qui sert à la bourgeoisie pour diviser<br />

les exploité-e-s entre eux. Alors que<br />

le patronat s’apprête à asséner un coup<br />

de massue historique aux travailleurs en<br />

supprimant 400 000 postes de travail,<br />

main dans la main avec un gouvernement<br />

déterminé à soumettre les classes<br />

populaires à l’austérité la plus drastique<br />

depuis la Seconde Guerre mondiale, la<br />

manœuvre dont Valls a été chargé est<br />

très claire: elle vise à détourner l’attention<br />

des travailleurs et des jeunes de<br />

leur véritable ennemi. Au contraire, nous<br />

devons tous être solidaires de ce peuple<br />

opprimé jeté sans cesse à la rue sous les<br />

coups de matraque et dans le vacarme<br />

des pelles mécaniques.<br />

On se souvient tous de la mise en examen<br />

de Jean-Noël Guérini, ex président<br />

PS du Conseil Général des Bouches-du-<br />

Rhône pour « prise illégale d’intérêts »,<br />

« trafic d’influence » et « association de<br />

malfaiteurs ». Ces dernières semaines<br />

nous ont montré d’autres charmes du<br />

Parti Socialiste marseillais, La sénatricemaire<br />

PS des quartiers Nord de Marseille<br />

(la partie la plus populaire de la ville),<br />

Ghali, en ayant appelé à l’armée pour<br />

venir assurer la répression de l’Etat dans<br />

les quartiers : « Il n’y a que l’armée qui<br />

puisse intervenir » a-t-elle estimé. C‘est<br />

alors Claude Guéant lui-même – bien<br />

connu pour sa « tendresse » lors de son<br />

passage au ministère de l’Intérieur sous<br />

Sarkozy– fait mine de s’offusquer de ce<br />

délire répressif : « Cette proposition est<br />

complétement déraisonnable, affirme-til.<br />

Nous sommes en République ». Pourtant,<br />

défendre la République contre les<br />

classes populaires, semble bien l'objectif<br />

que partagent les élus portes-flingues<br />

du PS et de l’UMP.<br />

Certains objecteront sans doute que ces<br />

déclarations viennent du Parti Socialiste<br />

marseillais et non du gouvernement.<br />

Que celui-ci a exclu toute intervention<br />

de l’armée pour « contrôler les quartiers<br />

». Qu’il s’est empressé d’ajouter<br />

que « la situation à Marseille mérite<br />

une réponse globale particulièrement<br />

forte ». Mais quelle réponse choisit le<br />

gouvernement ? Où est le changement?<br />

Le Comité interministériel réuni en ur-<br />

Depuis l’élection de Hollande, 33 camps<br />

ont été détruits, dont une majorité sur<br />

dans des communes dirigées par le PS,<br />

quatre dans des mairies tenues par le<br />

PCF, dont la politique ne se distingue<br />

guère de celle des « socialistes » en l’occurrence.<br />

Comme en témoigne un article<br />

édifiant paru sur Rue89 2 , des procédures<br />

administratives des plus routinières ont<br />

été mises en place dans les préfectures<br />

pour gérer ces opérations de démantèlement<br />

: encadrement des journalistes<br />

pour limiter la publication d’images des<br />

événements, contournement des militants<br />

associatifs qui défendent les Roms,<br />

emplois de société de gardiennage pour<br />

empêcher la réinstallation des délogés,<br />

etc. Alors que rien n’est réellement prévu<br />

concernant le relogement ensemble<br />

des habitants des camps, le document<br />

interne que s’est procuré le site d’information<br />

stipule même qu’il faut s’assurer<br />

du confort des forces de l’ordre, en leur<br />

préparant le café!<br />

[2] « Roms: petit manuel pour une expulsion<br />

réussie », Rue89 Lyon, 3 septembre 2012,<br />

www.rue89lyon.fr/2012/09/03/romsmanuel-expulsion-reussie/<br />

Surenchère sécuritaire du PS à marseille<br />

quAnD le PS DéboRDe guéAnt à SA DRoite<br />

gence le 6 septembre à Marseille sous<br />

la présidence de Jean Marc Ayrault, nous<br />

montre que la fuite en avant ultra-sécuritaire<br />

continue. Voici les résolutions de<br />

cette réunion au sommet :<br />

- Création d’un préfet de police de<br />

plein exercice, disposant d’une autorité<br />

directe et légitime sur l’ensemble des<br />

services de police et de gendarmerie du<br />

département.<br />

- Mise en place d’une zone de sécurité<br />

prioritaire (ZSP) sur les quartiers nord<br />

de Marseille, dès l’automne, et création<br />

d’une ZSP «quartiers sud» dès le début<br />

2013.<br />

- Augmentation des effectifs de la circonscription<br />

de sécurité publique de<br />

Marseille de 120 policiers.<br />

- Développement de l’action de la police<br />

judiciaire dans le contexte local en<br />

l’orientant vers la répression des trafics<br />

de quartier.<br />

- Création, au sein du groupe d’intervention<br />

régional de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur<br />

(GIR PACA).<br />

Ce groupe, dédié à la ville de Marseille,<br />

nécessite le renfort de 5 policiers et des<br />

fonctionnaires de l’administration fiscale<br />

1 .<br />

Avec cette opération médiatique rondement<br />

menée le gouvernement fait dans<br />

la surenchère sécuritaire, pour tenter<br />

[1] Source : site du ministère<br />

de l’intérieur : www.interieur.<br />

gouv.fr<br />

Ce n’est pas un hasard si avec un tel empressement<br />

répressif, les « socialistes »<br />

ont su toucher le cœur du vieux marchand<br />

de canons et sénateur UMP Serge<br />

Dassault. A Corbeil-Essonnes, il a félicité<br />

le ministre de l’intérieur : « je veux dire<br />

un mot à Manuel. Pour moi, pour nous, la<br />

sécurité n’est ni de gauche ni de droite.<br />

Et je dois vous dire que nous sommes<br />

très heureux de son action. C’est pour<br />

ça qu’il a l’appui d’un journal bien connu<br />

[en l’occurrence… Le Figaro, lié à la famille<br />

Dassault]. Mais, s’il fait des bêtises,<br />

on en reparle. Actuellement, c’est très<br />

bien. Pour les Roms et tous les autres,<br />

c’est formidable. Donc bravo Manuel et<br />

continue ! » 3<br />

Hollande se targuait d’être le président<br />

« normal » ; il est en effet tout à fait dans<br />

la norme répressive de l’État bourgeois<br />

français.<br />

11/09/12<br />

[3] Voir la vidéo, à partir de 2’30 sur www.<br />

liberation.fr/politiques/2012/09/11/sergedassault-et-l-embarrassant-soutien-de-manuel-valls_845407<br />

d’enrayer sa chute constante dans les<br />

sondages. Les effectifs et prérogatives<br />

des polices ne cessent de s’accroitre et<br />

de nouveaux quadrillages de type colonial.<br />

Les ZSP remplacent ceux élaborés<br />

par les gouvernements précédents.<br />

Quant au nouveau préfet de police, M.<br />

Bonnetain, il aurait du mal à incarner<br />

quelque changement que ce soit. Il avait<br />

déjà été nommé préfet « hors cadre »,<br />

chargé de la structure de coordination<br />

des services en matière de lutte contre<br />

le trafic de drogue par le gouvernement…<br />

de Nicolas Sarkozy ! Son prédécesseur,<br />

Alain Gardère, nommé par Guéant en<br />

2011, évitera pour sa part toute période<br />

de chômage puisqu’il est nommé préfet<br />

délégué à la sécurité pour l’aéroport de<br />

Roissy, en remplacement de Philippe<br />

Klaymann, ancien préfet de Marseille<br />

nommé par Brice Hortefeux à la tête de<br />

la direction centrale des CRS.<br />

Nous voici donc devant une jolie partie<br />

de chaises musicales ! Derrière ce<br />

ballet de super-flics, les pouvoirs de<br />

répression de l’Etat s’étendent et se<br />

renforcent, de Marseille à Amiens Nord.<br />

Par cette surenchère sécuritaire, le gouvernement<br />

tente de masquer grossièrement<br />

l’approfondissement de la crise en<br />

France…sans y parvenir.<br />

24/09/12<br />

27


Juan Chingo 1<br />

Les développements spécifiques de la<br />

crise en en Europe sont un sujet de prédilection<br />

pour nombre de commentateurs,<br />

notamment anglo-saxons, qui tirent profit<br />

d’une interprétation limitative des<br />

phénomènes en cours. Pourtant, loin<br />

de n’être compréhensible qu’à l’échelle<br />

de la seule Union Européenne (UE), la<br />

crise historique du capitalisme que nous<br />

vivons se déploie à échelle mondiale.<br />

L’Europe ne constitue donc à la fois que<br />

l’un de ses épicentres actuels, mais aussi<br />

l’un de ses champs de batailles centraux,<br />

notamment entre les Etats-Unis et l’Allemagne.<br />

Nous sommes, en outre, sans<br />

doute proche d’un nouveau pic de cette<br />

crise. En effet, les marges de manœuvre<br />

monétaires des Etats-Unis et de l’Europe<br />

sont extrêmement limitées, et le rôle des<br />

marchés dits émergents comme moteurs<br />

de l’économie est de plus en plus remis<br />

en question. Ce qui a pour conséquence<br />

de rendre les marchés européens et<br />

étasuniens très proches d’une nouvelle<br />

rechute. La production industrielle a stagné<br />

en Inde et la note de Delhi pourrait<br />

être dégradée au rang réservé aux obligations<br />

à haut risque. La consommation<br />

d’énergie en Chine a été réduite quasiment<br />

de moitié par rapport à l’année<br />

dernière, alors que l’inflation continue<br />

à grimper. Il est évident que les « économies<br />

émergentes » les plus importantes<br />

sont aujourd’hui dans l’incapacité d’être<br />

ce moteur qui avait permis à l’économie<br />

mondiale de sortir la tête de l’eau pendant<br />

les années 2009-2011. Une des<br />

conséquences de ce contexte général<br />

est que l’on assiste d’ores et déjà – et<br />

l’on assistera de façon croissante – à une<br />

exacerbation des tensions interétatiques<br />

sur l’échiquier international.<br />

La fin du mythe de la<br />

« relance américaine »<br />

L’intensité de la crise européenne a<br />

[1] Pour une version complète de cet article,<br />

voir J. Chingo, « El fin de las ‘soluciones milagrosas’<br />

de 2008/9 y el aumento de las rivalidades<br />

en el sistema mundial », publié dans<br />

le dernier numéro en langue espagnole de la<br />

revue théorico-politique de la Fraction Trotskyste-Quatrième<br />

Internationale, Estrategia<br />

Internacional n°28, Buenos Aires, septembre<br />

2012, p.35-55.<br />

conduit à camoufler la fragilité de la<br />

relance économique étasunienne des<br />

trois dernières années. En réalité, cette<br />

reprise est avant tout due à l’augmentation<br />

des exportations. Comme le souligne<br />

l’économiste américain Stephen S.<br />

Roach « les exportations comptent pour<br />

41% du rebond qui a suivi l’effondrement<br />

du premier trimestre de 2009, le<br />

plus bas niveau de l’économie américaine<br />

depuis l’après-guerre. On pouvait<br />

s’y attendre : les consommateurs américains<br />

devant se serrer la ceinture après<br />

la plus grande débauche de consommation<br />

de l’Histoire, l’économie américaine<br />

repose de manière disproportionnée sur<br />

les marchés extérieurs » 2 . Cependant, les<br />

difficultés auxquelles ont à faire face ces<br />

économies qui représentent des débouchés<br />

pour les exportations américaines<br />

nous amènent à penser la possibilité<br />

d’une probable nouvelle rechute étasunienne.<br />

Trois grandes zones sont à l’origine de<br />

l’augmentation des exportations des<br />

Etats-Unis. Il s’agit de l’Asie, de l’Amérique<br />

latine et de l’Europe qui, dans<br />

l’ensemble, représentent 83% de cette<br />

augmentation. L’Asie a concentré à elle<br />

seule 33% de cette hausse, avec en son<br />

sein un rôle essentiel pour la « Grande<br />

Chine », à savoir la République Populaire<br />

(Pékin), Taïwan et Hong-Kong. Vient<br />

ensuite l’Amérique latine, qui représente<br />

un peu moins d’un tiers des bénéfices<br />

pour les exportations américaines, avec<br />

une importance décisive du Brésil et du<br />

Mexique. Pour ce qui est de l’Europe,<br />

Roach note que « l’augmentation des<br />

exportations vers le Vieux-continent a<br />

eu tendance à se concentrer sur les ‘économies<br />

périphériques’ de l’UE, ce qui<br />

représente un sérieux problème » pour<br />

Washington 3 .<br />

Sans cette poussé exportatrice, qui pèse<br />

énormément sur le PIB américain (14%<br />

par rapport aux 10,5% de l’année 1998<br />

au beau milieu de la crise asiatique), la<br />

croissance annuelle réelle étasunienne<br />

aurait été anémique. Elle atteint aujourd’hui<br />

2,4% en moyenne depuis le<br />

[2] S. Roach, « The great American mirage »,<br />

Project Syndicate, 27/06/12.<br />

[3] Id.<br />

géopolitique de la crise capitaliste<br />

lA Fin DeS « SolutionS miRAcleS » DeS AnnéeS 2008-2009<br />

et l’exAceRbAtion DeS RivAlitéS inteRétAtiqueS SuR<br />

l’échiquieR inteRnAtionAl<br />

28<br />

révolutioN permaNeNte<br />

N°6 / automNe 2012<br />

deuxième trimestre de 2009. Elle aurait<br />

été de 1,4% sans ces exportations. On<br />

comprend que si ces dernières entament<br />

la chute aujourd’hui très probable (dans<br />

le cadre d’un scénario de ralentissement<br />

modéré dans lequel les exportations<br />

réelles chutent de 5% pendant quatre<br />

trimestres consécutifs), la croissance<br />

réelle du PIB étasunien pourrait stagner<br />

sous la barre des 1%. Cela placerait<br />

l’économie américaine dans une situation<br />

de grande vulnérabilité et il n’est<br />

pas exclu qu’elle finisse par sombrer<br />

dans la récession. Un tel scénario exclut<br />

néanmoins la possibilité qu’on puisse<br />

connaître à nouveau de véritables événements<br />

catastrophiques de l’ampleur<br />

de ceux qui ont secoué les années 2008-<br />

2009. Pour cette période, les exportations<br />

avaient chuté de 13,6%. Mais<br />

début juillet dernier, la presse s’est fait<br />

l’écho du premier symptôme sérieux de<br />

décélération de l’activité industrielle aux<br />

Etats-Unis depuis trois ans 4 . A l’origine<br />

de ce phénomène se trouve bien l’effondrement<br />

du niveau des commandes, qui<br />

subissent leur chute la plus importante<br />

depuis une dizaine d’années en raison,<br />

bien entendu, du ralentissement mondial.<br />

Ces éléments commencent à entamer<br />

sérieusement le mythe de la « relance<br />

économique américaine », qui a dans la<br />

dernière période traduit l’espoir généralisé<br />

de voir les Etats-Unis capables<br />

de maintenir le cap pour soutenir – à la<br />

différence de la période 2008-2009 – le<br />

reste des pays du monde, alors que la<br />

crise de l’euro bat son plein. Aujourd’hui,<br />

il n’y a à l’horizon plus aucun moteur de<br />

croissance, ce qui laisse imaginer qu’on<br />

pourrait entrer à nouveau dans une période<br />

de récession globale.<br />

Duel à fleurets mouchetés<br />

de plus en plus intense entre<br />

washington et berlin au<br />

sein de la zone euro<br />

Nous parlions déjà, dans un article de<br />

mars 2010, de « schisme politique nais-<br />

[4] Voir notamment « Factory slump reaches<br />

US », The Wall Street Journal, 02/07/12.


sant » entre l’Allemagne et les Etats-Unis,<br />

qui s’exprimait alors notamment au travers<br />

des frictions croissantes qui surgissaient<br />

entre Barack Obama et Angela<br />

Merkel 5 . Faisant le compte des sujets de<br />

tension et de discussion entre Berlin et<br />

Washington, nous disions que cette « liste<br />

n’est pas sans importance et indique<br />

qu’il s’agit de la période la plus tendue<br />

dans les rapports entre les deux pays<br />

depuis l’opposition du gouvernement<br />

de Gerhard Schröder à la guerre d’Irak<br />

en 2002-2003 ». Nous soulignions alors<br />

également combien ces tensions répondaient<br />

à « un changement de tendance<br />

de long terme dans les relations entre<br />

l’Allemagne et les Etats-Unis. Pendant<br />

les soixante-cinq années qui ont suivi<br />

la défaite du nazisme, la stratégie américaine<br />

en Europe a consisté à éviter la<br />

montée d’une puissante entité étatique<br />

à même de faire obstacle aux intérêts de<br />

Washington dans la région. L’émergence<br />

d’une Allemagne puissante, qui cherche<br />

à assurer son leadership en Europe et a<br />

la volonté de signer des accords avec la<br />

Russie (dont elle est fort dépendante en<br />

ce qui concerne l’énergie) n’est pas exactement<br />

le type de pays auquel les Etats-<br />

Unis s’étaient habitués. Cela explique la<br />

tentative de Washington d’utiliser son<br />

rapport de confiance avec la Turquie -<br />

une puissance régionale émergente qui<br />

veut élargir son influence dans le Caucase,<br />

au Moyen Orient, en Asie centrale<br />

et dans les Balkans -, afin de contenir<br />

[5] Voir J. Chingo, « Crisis y ‘salidas’ de la<br />

crisis: La dificil vuelta a un nuevo equilibrio<br />

capitalista » [« Crise et ‘sorties’ de crise : les<br />

difficultés à revenir à un nouve équilibre capitaliste<br />

»], Estrategia Internacional n°26, mars<br />

2010, www.ft-ci.org/IMG/pdf/2_Economia.<br />

pdf . Les citations qui suivent sont tirées de<br />

ce même article.<br />

la Russie; et le soutien de Washington<br />

à Ankara pour son adhésion à l’UE. Tout<br />

ceci est vu par Berlin comme une nouvelle<br />

tentative américaine pour entamer<br />

la cohérence du bloc européen ».<br />

Deux années ont passé depuis et ce<br />

conflit, qui ne se manifeste pas ouvertement<br />

mais qui est de moins en moins<br />

voilé, a continué à se développer avec la<br />

tentative des Etats-Unis de créer un bloc<br />

anti-Merkel, en se présentant comme<br />

plus « européens » et « keynésiens » que<br />

Berlin. C’est ainsi que Washington a pu<br />

se rapprocher des gouvernements les<br />

plus en difficulté sur le plan de la dette,<br />

ou même du nouveau président français,<br />

François Hollande.<br />

Les gouvernements étasunien et britannique,<br />

et ce en parfaite harmonie avec<br />

Wall Street et la City de Londres, ne<br />

cachent aucunement leurs intentions.<br />

Pour eux, l’UE et la Banque Centrale<br />

Européenne (BCE) doivent prendre leurs<br />

responsabilités par rapport aux Etats<br />

fortement endettés, soutenir l’émission<br />

d’euro-obligations ou développer<br />

le « fonds de sauvetage » européen. La<br />

BCE deviendrait ainsi émetteur illimité<br />

d’argent et adopterait la politique de<br />

« quantitive easing », à savoir d’injection<br />

d’argent dans le système bancaire, sans<br />

intérêts, à l’image de ce que pratique<br />

la Réserve Fédérale américaine ou la<br />

Banque d’Angleterre. Cette politique aurait<br />

pour objectif, selon Londres et Washington,<br />

d’éviter l’effondrement complet<br />

de certains Etats, de la monnaie unique<br />

et de relancer ainsi la « croissance ».<br />

Si l’Allemagne accepte ce programme,<br />

elle devra assurer les dettes de l’Europe<br />

avec ses propres réserves afin d’éviter<br />

les énormes pertes qu’impliquerait un<br />

défaut de paiement désordonné parmi<br />

géopolitique de la crise<br />

les principaux acteurs de la finance internationale<br />

6 . Tout sauvetage donnerait<br />

en outre un nouvel élan aux bons du<br />

Trésor américain qui représenteraient,<br />

du coup, un « investissement d’autant<br />

plus sûr » (« flight-to-quality »). Cela permettrait<br />

également à la Réserve Fédérale<br />

des Etats-Unis de continuer à puiser<br />

dans les ressources financières mondiales<br />

à des taux d’intérêt extrêmement<br />

bas et d’injecter de grandes quantités<br />

de liquidités afin de maintenir le système<br />

bancaire en vie, tandis que l’euro<br />

serait très affaibli en tant que monnaie<br />

mondiale et rivale potentielle du dollar.<br />

Pour essayer de sortir renforcé de cette<br />

crise, Washington cherche à contraindre<br />

l’appareil productif de l’UE (principalement<br />

l’Allemagne) à se porter garant des<br />

intérêts financiers de la dette publique.<br />

Cela permettrait d’alimenter un nouveau<br />

cycle de finance spéculative qui pourrait<br />

être mis à profit pour relancer les bonnes<br />

affaires du capital financier américain en<br />

Europe, soit à travers une nouvelle vague<br />

de privatisations des services publiques,<br />

l’acquisition de banque à bas prix et/<br />

ou d’entreprises industrielles, soit à<br />

partir de l’élimination pure et simple<br />

de ses concurrents. Cela handicaperait<br />

fortement une potentielle relance de la<br />

production, qui a en Europe une assise<br />

beaucoup plus solide qu’aux Etats-Unis<br />

et en Angleterre.<br />

[6] Sur la base des actifs des institutions<br />

bancaires s’est construit un nouvel<br />

échafaudage financier aux dimensions<br />

considérables, basé sur les contrats<br />

d’assurance de ces mêmes actifs. Une perte<br />

de valeur désordonnée de ce « système<br />

financier occulte » comme le désigne le<br />

jargon des marchés aurait des conséquences<br />

potentiellement catastrophiques.<br />

29


Ces tensions entre Washington et Berlin<br />

n’ont pas été portées par leurs protagonistes<br />

à leurs ultimes conséquences. Cela<br />

s’explique par la crainte d’un possible<br />

effondrement financier. Mais plus d’une<br />

fois cependant l’économie européenne<br />

et mondiale a risqué de faire face à une<br />

sorte de « Lehman au carré », pour faire<br />

référence au cas récent de la faillite de la<br />

banque Lehman Brothers. Plus d’une fois<br />

l’économie a été au bord d’un « nouveau<br />

1931 », à savoir le moment de basculement<br />

qui donna lieu à la Grande Dépression<br />

après le krach de Wall Street de<br />

1929, scénario qui continue de hanter la<br />

classe dominante.<br />

La crise européenne est donc un des<br />

maillons faibles de la crise mondiale,<br />

et la situation, comme on l’a vu, risque<br />

d’empirer. Cette crise est le théâtre d’une<br />

guerre financière et, de façon plus voilée,<br />

d’une guerre économique entre les principales<br />

puissances occidentales – entre<br />

le dollar et l’euro, et donc entre le tandem<br />

Wall Street-City et le pôle financier<br />

constitué autour de Francfort et de la<br />

prédominance européenne.<br />

les faiblesses de l’euro<br />

comme monnaie de réserve<br />

mondiale et la stratégie/<br />

réponse de l’impérialisme<br />

allemand<br />

C’est bien entendu à ses propres conditions<br />

que l’Allemagne essaie de sauver<br />

l’euro tout en résistant à l’offensive et<br />

aux attaques spéculatives du capital<br />

anglo-saxon (que la presse appelle pudiquement<br />

« les marchés »). C’est ce qui<br />

30<br />

révolutioN permaNeNte<br />

explique la résistance de Merkel aux<br />

pressions pour mener une politique monétaire<br />

et fiscale anti-austérité. Avant le<br />

dernier sommet de l’UE [de fin juin, NDR],<br />

elle l’a exprimé sans ambages : « il n’y aura<br />

pas d’euro-obligations avant ma mort ».<br />

Merkel a également qualifié « d’erronées<br />

» les différentes solutions avancées<br />

par ses homologues européens les plus<br />

sceptiques par rapport à ses choix austéritaires.<br />

La chancelière allemande n’a pas<br />

non plus hésité à critiquer Bruxelles qui<br />

selon elle parle beaucoup trop « d’euroobligations<br />

ou de fonds d’amortissement<br />

de la dette » et « pas assez de discipline<br />

fiscale ».<br />

La stratégie allemande se doit en effet<br />

de prendre en compte les limites de l’euro,<br />

ou comme le souligne l’économiste<br />

marxiste François Chesnais, le caractère<br />

« incomplet » de cette monnaie en tant<br />

que monnaie de réserve mondiale. A la<br />

différence du patron monétaire basé<br />

sur l’or ou, comme cela a cours actuellement,<br />

sur le dollar, « l’euro [...] n’a jamais<br />

atteint le statut de monnaie de réserve<br />

internationale et subit, sans autre moyen<br />

que la variation du taux d’intérêt, les<br />

contrecoups des humeurs du marché et<br />

des politiques de change des autres détenteurs<br />

de monnaies importantes, aujourd’hui<br />

principalement le yuan. L’euro<br />

n’a pas non plus vraiment acquis l’attribut<br />

de mesure de valeur – beaucoup de<br />

citoyens des pays membres continuent<br />

à penser dans leur monnaie nationale<br />

antérieure, et à l’extérieur de l’UE tout<br />

le monde fait la conversion en dollars.<br />

Il est moyen de circulation et de paiement<br />

dans l’espace des pays membres<br />

de la zone et de ceux au sein de l’UE qui<br />

sont subordonnées économiquement à<br />

l’Allemagne. Or ce n’est pas le cas pour<br />

N°6 / automNe 2012<br />

d’autres pays de l’UE: le Royaume-Uni,<br />

mais aussi la Suède et le Danemark.<br />

Dans l’espace du marché mondial, le<br />

pétrole, les armes et beaucoup d’autres<br />

produits doivent être achetés ou vendus<br />

en dollars, donc être tributaires du<br />

taux de change. L’euro est surtout – et<br />

c’était sans doute le but de ceux, les plus<br />

proches de la finance, qui ont présidé à<br />

sa naissance – un instrument de placement<br />

financier. La présence massive des<br />

fonds de pension et des Hedge Funds<br />

sur les marchés obligataires européens<br />

en est l’expression » 7 .<br />

Empêchée d’émettre des titres de la<br />

dette en l’absence d’un soutien (solide)<br />

comparable au dollar, l’Allemagne essaie<br />

d’imposer une issue alternative à celle<br />

proposée par les Etats-Unis pour la zone<br />

euro. Cette stratégie consiste à éviter de<br />

nouveaux endettements qui n’auraient<br />

pour conséquence que l’affaiblissement<br />

plus important encore de la monnaie<br />

unique, n’aboutiraient qu’à masquer le<br />

niveau d’endettement dans la zone euro<br />

tout en affaiblissant l’équilibre fiscal<br />

outre-Rhin et en mettant en difficulté la<br />

compétitivité de l’industrie allemande.<br />

C’est de ce côté-là qu’il faut chercher<br />

une explication au Pacte Fiscal Européen<br />

tel que Berlin le conçoit, même si cela<br />

implique un ralentissement de l’économie<br />

allemande et européenne.<br />

Suivre les recettes américaines et faire<br />

ce que fait la Réserve Fédérale, à savoir<br />

émettre de l’argent alors même que<br />

l’euro n’est pas encore une monnaie de<br />

réserve mondiale ou peut, à la limite,<br />

[7] F. Chesnais, Les dettes illégitimes. Quand<br />

les banques font main basse sur les politiques<br />

publique, Editions Raisons d’Agir, Paris, 2011.


être considérée comme une monnaie de<br />

réserve en concurrence avec le dollar,<br />

auraient différentes implications. Cela<br />

forcerait la BCE à alimenter l’Europe en<br />

nouvelles lignes de crédit en s’endettant<br />

sur les marchés financiers internationaux,<br />

avec pour conséquence d’hypothéquer<br />

la production européenne actuelle<br />

et à venir. C’est pour cela qu’une monétisation<br />

partielle ou indirecte de la dette<br />

souveraine européenne ne peut se réaliser,<br />

selon les intérêts de Berlin, qu’après<br />

la stricte imposition d’une discipline<br />

fiscale apte à éviter ce regain d’endettement.<br />

Cette dernière donnerait un élan<br />

au Mécanisme Européen de Stabilité, ce<br />

qui pourrait également permettre, la période<br />

de stabilisation passée, la création<br />

des euro-obligations. Un tel scénario<br />

serait assez semblable à celui choisi par<br />

les Etats-Unis dans le cadre de la crise<br />

de la dette latino-américaine des années<br />

1980. Le Plan Brady n’avait alors pas été<br />

appliqué rapidement (contrairement à ce<br />

que demande Washington aujourd’hui)<br />

mais au bout d’une décennie, ce qui avait<br />

laissé du temps aux créanciers pour augmenter<br />

leurs réserves afin d’absorber les<br />

pertes liées à la réduction de la dette 8 . Le<br />

chemin que suit Berlin pourrait, à l’image<br />

de ce qui s’est passé il y a une trentaine<br />

d’années en Amérique latine, donner<br />

lieu à une véritable « décennie perdue »,<br />

notamment pour les pays de la périphérie<br />

de l’euro-zone. Pour l’instant, la politique<br />

européenne cherche donc à faire<br />

gagner du temps aux banques. Face aux<br />

pressions (intéressées) des Etats-Unis,<br />

Merkel n’a pas hésité à rétorquer, dès la<br />

mi-décembre 2011, qu’il n’y avait pas<br />

de « réponses rapides et faciles [et que]<br />

résoudre la crise de la dette publique<br />

[était] un processus qui pouvait durer<br />

plusieurs années ».<br />

Si Berlin essaie d’imposer (sans garantie<br />

de succès) ce rythme plus lent de sortie<br />

de crise, c’est pour éviter l’hypothèque<br />

de son appareil productif – manoeuvre<br />

complexe que l’Allemagne essaie de<br />

mener tout en augmentant ses relations<br />

industrielles et d’échange avec la Chine<br />

et la Russie. Elle tente, en même temps,<br />

de contenir le plus possible les conséquences<br />

d’un nouveau saut dans la financiarisation<br />

de l’économie et, surtout,<br />

les conséquences dévastatrices qu’une<br />

dévalorisation aurait pour l’Europe.<br />

[8] Le Plan Brady était le programme financier<br />

mis en place dans les années 1990 par<br />

le Secrétaire au Trésor des Etats Unis pour<br />

« sauver » les pays d’Amérique latine de leur<br />

crise de la dette en les aidant à vendre leurs<br />

bons émis en Dollar US. Ce plan a « fonctionné<br />

» parce que des mesures d’ajustement fiscal<br />

et des réformes structurelles avaient déjà<br />

été mises en place au cours des huit ou neuf<br />

années précédentes. La différence centrale,<br />

par rapport à l’Amérique latine, serait de surcroit<br />

qu’un tel plan s’appliquerait non pas sur<br />

des structures économiques semi-coloniales,<br />

mais dans des pays impérialistes.<br />

Beaucoup plus timidement, Merkel<br />

essaie en parallèle de faire passer<br />

l’idée d’une plus grande régulation des<br />

finances, d’une imposition sur les transactions<br />

financières, de la limitation du<br />

pouvoir des agences de notation, de la<br />

participation des banques dans la réduction<br />

des dettes publiques, etc. Il s’agit<br />

d’une politique de compromis et non pas<br />

de confrontation ouverte avec les Etats-<br />

Unis et les principaux centres financiers<br />

internationaux. Pour l’instant, ces derniers<br />

refusent tout accord. Ces propositions<br />

de la chancelière allemande, enfin,<br />

sont limitées par le fait le secteur bancaire<br />

allemand n’échappe pas non plus à<br />

la financiarisation 9 .<br />

Il serait par conséquent totalement faux<br />

de voir dans les tensions entre les Etats-<br />

Unis et l’Allemagne une contradiction<br />

entre le capital spéculatif répondant<br />

au « modèle anglo-saxon » et le capital<br />

productif du « modèle rhénan ». En<br />

réalité, nous sommes face à deux stratégies<br />

concurrentes visant à tirer parti<br />

de l’accumulation capitaliste au niveau<br />

mondial. La première consiste à maintenir<br />

l’ensemble des privilèges dont jouit<br />

le dollar en tant que monnaie de réserve<br />

mondiale. Cela implique une capacité<br />

d’émission massive de liquidités, sans<br />

aucune restriction externe, du moins à<br />

court ou moyen terme, ce qui permet la<br />

monétisation des dettes des banques et/<br />

ou des particuliers, avec une sorte de<br />

« contre-effet-de-levier » qui retombe, au<br />

final, sur les classes moyennes (frappées<br />

aussi bien par la chute des actions et de<br />

la valeur des propriétés immobilières<br />

que par la crise du système occidental<br />

des retraites par capitalisation) ou sur les<br />

détenteurs de bons du Trésor américain,<br />

comme par exemple le Japon et la Chine,<br />

et maintenant aussi l’Europe. Face à cette<br />

situation, l’euro a essayé de s’ériger en<br />

frein face au double régime Dollar-Wall<br />

Street, pour reprendre l’expression du<br />

marxiste britannique Peter Gowan qui<br />

nous a quittés en juin 2009. Il s’agit d’un<br />

projet alternatif de répartition de la plusvalue<br />

mondiale, en particulier des marchés<br />

émergents, favorable aux hautes<br />

sphères de la finances européenne, avec<br />

à sa tête la Deutsche Bank et la place<br />

financière de Francfort.<br />

C’est en ce sens que voir dans la création<br />

de la zone euro ou dans les politiques allemandes<br />

actuelles une simple politique<br />

de « néomercantilisme à la chinoise » est<br />

parfaitement erroné. Le capital financier<br />

allemand (suivi par le capital français et<br />

[9] On peut en effet noter que les efforts des<br />

libéraux, qui font partie de la coalition CSU-<br />

CDU emmenée par Merkel, sur le terrain de la<br />

régulation financière, ont pu se heurter aux<br />

grandes banques allemandes, qui possèdent<br />

des sièges importants à Londres depuis<br />

lesquels elles opèrent également sur le<br />

marché des produits dérivés et sur d’autres<br />

marchés qui échappent à toute régulation.<br />

géopolitique de la crise<br />

des autres centres impérialistes moins<br />

importants tels que l’Autriche, la Suisse,<br />

etc.) a profité des avantages de l’euro<br />

pour relocaliser la production – en particulier<br />

le capital allemand en Europe de<br />

l’Est – et pour augmenter ses échanges<br />

commerciaux. Cela est d’autant plus vrai<br />

que ces échanges ont été accompagnés<br />

par le recyclage financier des excédents<br />

commerciaux créés à l’intérieur de l’UE,<br />

à travers des taux d’intérêt très bas de<br />

la BCE, en direction des banques de la<br />

périphérie. C’est ce qui a donné lieu aux<br />

bulles spéculatives du secteur immobilier<br />

et touristique dans l’Etat espagnol,<br />

en Grèce ou dans certains pays d’Europe<br />

de l’Est. Il est central de garder à l’esprit<br />

cette seconde définition, qui permet de<br />

comprendre que nous faisons face à la<br />

confrontation de deux stratégies réactionnaires<br />

pour « sortir » de la crise, entre<br />

lesquelles nous n’avons pas à choisir.<br />

Face à l’austérité de Merkel, certains défendent<br />

un « plan de relance » à l’image<br />

de ce que propose Obama. De façon assez<br />

incongrue, ce n’est pas seulement le<br />

Parti Socialiste français qui en est à l’origine,<br />

mais également ce que la presse<br />

appelle la « gauche radicale » (sans doute<br />

faudrait-il dire la « gauche réformiste »<br />

pour être plus précis), en l’occurrence<br />

le Front de Gauche de Mélenchon et le<br />

Pari <strong>Communiste</strong> en France, ainsi que<br />

Syriza en Grèce. Cette position consiste<br />

à mettre les travailleurs à la remorque<br />

d’un des deux secteurs bourgeois qui<br />

se disputent autour des « solutions » et<br />

« issues » possibles à la crise. Il s’agit<br />

d’une erreur tragique et opportuniste car<br />

même si Obama et Merkel différent sur le<br />

niveau de liquidité à injecter dans le système,<br />

ils sont tous les deux d’accord pour<br />

faire payer la crise aux travailleurs en imposant<br />

un changement qualitatif dans le<br />

rapport entre capital et travail en faveur<br />

du premier. Pour ce faire, ils cherchent à<br />

augmenter le taux d’exploitation, la productivité,<br />

tout en ouvrant de nouvelles<br />

zones de valorisation du capital. C’est ce<br />

dont témoigne la pression à sacrifier ce<br />

qui reste de « l’Etat providence » au profit<br />

du secteur privé, ainsi que les plans de<br />

restructuration du marché du travail ou<br />

des allocations chômage.<br />

un résultat incertain qui<br />

chamboule l’entrelacs<br />

européen<br />

Il n’est pas certain que la politique allemande<br />

réussira à sauver l’euro. Les résistances<br />

des salariés, de la jeunesse et des<br />

classes populaires, de plus en plus fréquentes,<br />

non seulement en Grèce mais<br />

aussi en Europe de l’Est, dans l’Etat Espagnol<br />

et dans d’autres pays d’Europe occidentale,<br />

constituent un grand obstacle<br />

pour l’application de ces différentes<br />

versions d’une seule et même « thérapie<br />

de choc ». Il n’est pas sûr non plus que la<br />

stratégie allemande aura le temps de se<br />

31


consolider avant que ne surgisse un bloc<br />

anti-Berlin « stable » et non conjoncturel<br />

comme le désire Washington. En effet,<br />

malgré sa progression, l’Allemagne ne<br />

peut pas pour l’instant compter sur des<br />

moyens politiques, économiques et militaires<br />

aptes à imposer une « colonisation<br />

tout court » ou une annexion de l’Europe.<br />

Elle se voit donc obligée de procéder par<br />

étapes, en profitant des opportunités<br />

qu’offre la crise elle-même, en partant<br />

de l’avantage obtenu grâce à la réunification<br />

impérialiste en 1990. Markus Kerber,<br />

chef de l’exécutif de la Fédération<br />

des Industries Allemandes, l’exprime<br />

d’ailleurs de façon assez claire. « L’Europe,<br />

dit-il, doit considérer les prises de<br />

positions des leaders allemands comme<br />

une alerte sur la gravité de la situation au<br />

cas où les mesures dans la zone euro ne<br />

seraient pas appliquées correctement.<br />

Berlin peut paraître isolée mais nous<br />

sommes confiants. La réunification et le<br />

succès industriel et économique de la<br />

dernière décennie ont donné la garantie<br />

à l’Allemagne de survivre avec ses<br />

propres moyens. Grâce à la politique des<br />

petits pas de Merkel, son aversion pour<br />

les grands projets, nous ne donnons plus<br />

comme avant une impression de domination<br />

et d’arrogance à l’égard de nos<br />

voisins » 10 .<br />

Les Etats-Unis ne comptent plus, non<br />

plus, sur la puissance militaire mais<br />

aussi économique et diplomatique dont<br />

ils disposaient au sortir de la Seconde<br />

Guerre Mondiale pour imposer leurs<br />

conditions et présider à la reconstruction<br />

européenne. En ce sens, leur avantage<br />

militaire écrasant ne leur confère pas un<br />

profit diplomatique et économique substantiel<br />

comparable à celui de la Guerre<br />

Froide, et les conditions aujourd’hui<br />

n’existent pas pour lancer une guerre ouverte.<br />

Ces limites des Etats-Unis constituent<br />

une différence qualitative par rapport<br />

à la remise en question de l’hégémonie<br />

nord-américaine par le Japon<br />

dans les années 1980 qui, finalement,<br />

avait eu un résultat négatif pour Tokyo.<br />

En effet, l’archipel nippon était le centre<br />

géographique et organisationnel des<br />

circuits d’accumulation hautement productifs<br />

qui auraient pu permettre à Tokyo<br />

de remettre en cause l’hégémonie<br />

étasunienne. Cependant, le fait que le<br />

Japon était un quasi-protectorat militaire<br />

américain n’a pas permis à Tokyo de se<br />

préparer sur l’échiquier international. Le<br />

Japon ne disposait pas non plus d’une<br />

vieille place de marché susceptible<br />

d’amortir sa perte de vitesse à travers<br />

l’achat de bons du trésor et d’actifs. Bien<br />

au contraire, l’archipel a payé un lourd<br />

tribut à ce même marché, par le biais<br />

d’achat constant d’actifs liquides, au<br />

rendement extrêmement bas. C’est en<br />

raison de toutes ces entraves que le sort<br />

[10] « Expect bold steps from Nein-sayers »,<br />

Financial Times, 3/7/2012.<br />

32<br />

révolutioN permaNeNte<br />

du Japon et de sa potentielle affirmation<br />

a été scellé par les Accords du Plaza de<br />

septembre 1985 11<br />

A la différence du Japon, l’Allemagne<br />

compte actuellement sur des atouts<br />

importants. La réunification impérialiste<br />

allemande de 1990 a cédé la place à une<br />

période riche en changements géopolitiques<br />

sur le terrain européen, sans comparaison<br />

avec le passé, si ce n’est, peutêtre,<br />

l’époque de la première unification<br />

allemande sous Bismarck. Cela n’est pas<br />

seulement dû au fait que l’Allemagne<br />

est devenue la principale puissance démographique<br />

et politique de l’UE. C’est<br />

également une conséquence de l’autonomisation<br />

de Berlin sur l’échiquier international.<br />

Parallèlement, on assiste en<br />

Europe au développement d’autres phénomènes,<br />

à l’instar de l’affaiblissement<br />

[11] En ajustant à la hausse la valeur du<br />

yen par rapport au dollar, l’Accord a rendu<br />

politiquement possible que le Japon continue<br />

à exporter des produits manufacturés aux<br />

Etats-Unis et la validation des dépenses nordaméricaines<br />

(y compris les budgets militaires<br />

exubérants de Reagan), sans provoquer<br />

une réaction protectionniste suffisamment<br />

importante pour déstabiliser les relations<br />

entre les deux pays. Cependant, la valeur<br />

du yen a monté de façon imprévisible.<br />

Une des conséquences de ce fait a été<br />

l’accélération du rythme de délocalisation<br />

des chaines inférieures de production des<br />

entreprises multinationales japonaises (et<br />

d’autres pays du nord-est asiatique) vers<br />

les économies du sud-est asiatique, liées<br />

au dollar. Un effet involontaire de cette<br />

situation a été l’augmentation des biens<br />

de production du sud-est asiatique qui se<br />

produisait parallèlement à une accélération<br />

de l’investissement étranger à la recherche<br />

de main d’œuvre bon marché pour les<br />

plateformes d’exportation de la côte urbaine<br />

de la Chine continentale.<br />

N°6 / automNe 2012<br />

de l’OTAN, à la suite de la disparition de<br />

l’URSS, qui était à la source de la cohésion<br />

de l’alliance militaire atlantique. On<br />

a pu voir tout ceci à l’œuvre à travers le<br />

désintérêt européen face à l’échec de la<br />

stabilisation de l’Afghanistan. On a pu le<br />

voir également à travers les dissensions<br />

qui sont apparues sur le dossier libyen,<br />

la guerre ayant été largement menée par<br />

la France et la Grande-Bretagne, sans aucune<br />

participation allemande. On assiste<br />

de même à une tendance à la régionalisation<br />

des systèmes d’alliance, définis<br />

notamment autour de la Russie, et ce<br />

sous la houlette de la France et de l’Allemagne<br />

en dépit des fortes réserves exprimées<br />

par des pays comme la Pologne<br />

ou les républiques baltes.<br />

C’est en ce sens que l’affaiblissement<br />

des liens politiques et géopolitiques qui<br />

ont mené à la création de l’UE pourrait<br />

conduire à sa dissolution. Aujourd’hui, le<br />

fait que pour l’Allemagne il soit plus important<br />

de maintenir des rapports avec<br />

le centre de l’UE et les pays d’Europe<br />

centrale et orientale (PECO) qu’avec des<br />

pays périphériques comme l’Etat espagnol<br />

pourrait amener Berlin à opter pour<br />

une issue régionale à la crise actuelle.<br />

Toutes ces contradictions à long terme<br />

se manifestent dans la crise actuelle,<br />

notamment à travers l’indécision de<br />

l’Allemagne à résoudre les déséquilibres<br />

entre les pays du Nord et du Sud<br />

de l’Europe. Pour l’Allemagne, l’UE est<br />

vitale tant du point de vue économique<br />

que politique. A l’image de l’ensemble<br />

de sa politique extérieure post-Seconde<br />

Guerre mondiale, l’UE oriente la politique<br />

allemande vis-à-vis de la France. Il s’agit<br />

également d’un instrument pour éviter<br />

que la défense de l’intérêt national alle-


mand ne dégénère en conflits, comme<br />

par le passé. D’un point de vue économique,<br />

l’Allemagne est le second exportateur<br />

au niveau mondial, et l’Europe est<br />

son premier client. Comme nous l’avons<br />

déjà souligné, le lancement de la monnaie<br />

unique a été largement favorable<br />

aux exportations et aux investissements<br />

de Berlin. La dérégulation bruxelloise a<br />

également avantagé le capital allemand,<br />

renforçant sa pénétration en direction<br />

des PECO.<br />

L’UE, telle qu’elle existait entre 1991 et<br />

2008, a donc été un facteur fondamental<br />

pour les capitalistes allemands. C’est<br />

ce même fonctionnement qui est aujourd’hui<br />

remis en question par la crise.<br />

La tentative de renforcer plus encore<br />

l’hégémonie de Berlin sur l’ensemble de<br />

l’UE est un pari risqué. Si malgré toutes<br />

ses tentatives Berlin ne réussit pas à<br />

forger une euro-zone plus à son image<br />

et si le projet de la monnaie unique se<br />

désagrège, on ne peut exclure qu’à long<br />

terme (à la suite de secousses d’ampleur<br />

tant économiques que politiques) l’Allemagne<br />

ne fasse le choix d’une option<br />

différente de l’UE telle qu’on la connaît<br />

aujourd’hui. Nous avons vu comment la<br />

semi-colonisation des PECO a largement<br />

bénéficié à l’impérialisme allemand. En<br />

ce sens, le saut qualitatif qui caractérise<br />

actuellement les rapports économiques<br />

et politiques entre Berlin et Moscou pourrait<br />

lui offrir un terrain d’action renouvelé.<br />

Une semi-colonisation de la Russie au<br />

profit du capital allemand pourrait donner<br />

lieu à un pôle économique, politique<br />

et militaire qui serait une menace pour<br />

les Etats-Unis. Alors que l’Allemagne a<br />

besoin du gaz et du pétrole russe (tout<br />

en cherchant à diversifier ses sources<br />

d’approvisionnement), la Russie a besoin<br />

de la technologie allemande. La combinaison<br />

de ces deux éléments pourrait<br />

donner lieu à une puissance émergente<br />

d’un point de vue global. De plus, bien<br />

que la Russie souffre d’un déclin démographique<br />

relatif, le pays dispose d’un<br />

surplus de travailleurs en activité ou<br />

au chômage. Ces derniers pourraient<br />

pallier le recul démographique réel de<br />

l’Allemagne, qui pourrait en profiter pour<br />

ouvrir directement des unités de production<br />

sur le territoire russe et y multiplier<br />

les investissements. Cette synergie<br />

économique a son corrélat du point<br />

de vue de la politique extérieure. Les<br />

deux pays entendent limiter l’influence<br />

nord-américaine. Alors que Berlin subit<br />

de fortes pressions étasuniennes sur un<br />

certain nombre de dossiers, Moscou voit<br />

dans les Etats-Unis une menace pour ses<br />

intérêts. Tant l’Allemagne que la Russie<br />

d’ailleurs sont en train de reconstruire<br />

leurs « zones d’influence » respectives en<br />

Europe de l’Est et en Asie Centrale, limitant<br />

de fait les ambitions étasuniennes<br />

dans ces deux zones géographiques. Sur<br />

le plan politico-militaire donc, Berlin et<br />

Moscou ont des intérêts en commun.<br />

Par-delà ces considérations, la stratégie<br />

actuelle de l’Allemagne continue néanmoins<br />

à se baser sur la survie de l’UE.<br />

Si la crise actuelle de l’Union s’avérait<br />

insurmontable, il y a fort à parier que<br />

la bourgeoisie allemande et son Etat<br />

seraient forcés de trouver une alternative<br />

de remplacement. Les rapports<br />

entre la Russie et l’Allemagne existent et<br />

s’approfondissent. Ils sont certes soumis<br />

à des contraintes géopolitiques et aux<br />

restrictions imposées à l’impérialisme<br />

allemand dans le cadre de l’UE actuelle.<br />

Mais si cette dernière venait à s’affaiblir<br />

encore plus, la Russie pourrait devenir<br />

la cible de l’offensive du capital et de<br />

l’impérialisme de Berlin. Enfin, bien que<br />

cela ne semble pas être le cas pour le<br />

moment, on ne peut pas écarter la possibilité<br />

d’une entente entre impérialismes<br />

rivaux (étasunien et allemand) pour se<br />

partager le « butin » de la périphérie européenne,<br />

ce qui pourrait servir de base<br />

à une politique plus offensive du « camp<br />

occidental » à l’égard de la Chine. C’est<br />

peut-être ce que l’on peut lire entre les<br />

lignes, sur le plan géopolitique, dans le<br />

ballet diplomatique autour des dossiers<br />

syrien et irakien ou encore par rapport à<br />

la question des menaces latentes mais<br />

bien réelles qui continuent à peser sur<br />

l’Iran 12 .<br />

les taux de croissance à deux<br />

chiffres remis en question : le<br />

déclin des « trente glorieuses »<br />

chinoises<br />

Comme nous l’avons déjà souligné à<br />

plusieurs reprises, la crise historique du<br />

capitalisme, qui plonge ses racines aux<br />

Etats-Unis avec la crise de la bulle immobilière<br />

et de la dette et s’est étendue à<br />

toute la planète, a marqué la fin d’une<br />

certaine configuration du système économique<br />

mondial. S’est achevée une période<br />

d’équilibre relatif du capitalisme.<br />

Cet équilibre, bien qu’incomplet, avait<br />

agi comme contre-tendance à la crise<br />

d’accumulation des années 1970, qui<br />

vit chuter le taux de profit dans les pays<br />

capitalistes avancés une fois épuisés les<br />

effets positifs du boom de l’après-guerre.<br />

[12] Parallèlement aux problèmes internes<br />

du régime syrien et à la lutte des masses<br />

contre le régime sanguinaire d’El-Assad,<br />

l’impérialisme occidental est en train<br />

d’aiguillonner une guerre civile financée<br />

par d’autres dictatures arabes alliées, avec<br />

l’objectif de forcer à un changement de régime.<br />

La Syrie pourrait être le prélude d’une grande<br />

guerre contre l’Iran. Ces actions pourraient<br />

être un avertissement pour la Chine (et pour la<br />

Russie), étant donné que l’Iran est le principal<br />

fournisseur énergétique de Pékin. Cependant,<br />

les conséquences imprévisibles d’une telle<br />

action, après l’échec de l’intervention en<br />

Irak alors que la dynamique ouverte par le<br />

printemps arabe ne s’est pas refermé, agissent<br />

comme autant d’éléments dissuasifs.<br />

géopolitique de la crise<br />

C’est dans ce cadre que s’explique la<br />

montée de la Chine, notamment dans la<br />

période de post-Guerre Froide et après<br />

son entrée dans l’Organisation Mondiale<br />

du Commerce (OMC), en 2001. La poussée<br />

chinoise a en effet été permise par<br />

la relocalisation de la production capitaliste<br />

dans des pays à main-d’œuvre bon<br />

marché, ainsi que de la forte demande<br />

étasunienne en matière d’importations.<br />

Cette demande se maintenait de façon<br />

artificielle grâce à la position de puissance<br />

hégémonique des Etats-Unis et<br />

au fait que la Chine stockait ses réserves<br />

en devises étrangères à travers des instruments<br />

financiers dollarisés et des<br />

fonds spéculatifs qui suralimentaient la<br />

demande nord-américaine. Depuis que<br />

cette configuration est entrée en crise<br />

en 2008-2009, la Chine s’est retrouvée<br />

soudainement prise en étau entre ses<br />

capacités massives de production pour<br />

l’export et une faible demande extérieure.<br />

La solution conjoncturelle qui a été trouvée<br />

par Pékin a été l’ouverture de lignes<br />

de crédit en abondance, une dépense<br />

budgétaire expansive et une politique<br />

keynésienne de grande ampleur, accompagnée<br />

d’un investissement extrêmement<br />

important. Cependant, ces mesures<br />

n’ont pas pu résoudre le problème de<br />

la dépendance excessive du pays visà-vis<br />

des exportations, point central du<br />

modèle d’accumulation chinois. Cela a<br />

également accentué les déséquilibres<br />

aigus de la Chine : la détente monétaire<br />

a alimenté la spéculation, les prix des<br />

biens immobiliers ont atteint sommets<br />

et les crédits bon marché ainsi que les<br />

contrats d’infrastructure ont chauffé à<br />

blanc un secteur industriel qui fait déjà<br />

face à une capacité de production excédentaire<br />

13 . Pendant ce temps, Pékin n’a<br />

pas fait grand-chose pour essayer de stimuler<br />

la demande intérieure.<br />

Par conséquent, l’économie chinoise<br />

est aujourd’hui plus fragile qu’en 2008,<br />

atteinte par une suraccumulation chronique.<br />

Les investissements ont représenté<br />

49,5% du PIB en 2011, un niveau record<br />

jamais atteint dans l’histoire, même<br />

en tenant compte des pics de suraccumulation<br />

du Japon (39% en 1969) et de<br />

la Corée du Sud (38% du PIB en 1998).<br />

Ces mêmes investissements ont représenté<br />

91% de la croissance en 2009 et<br />

près de 55% en 2011. Il faudrait donc<br />

qu’ils continuent d’atteindre ces mêmes<br />

proportions pour dégager autant de richesses<br />

que les années précédentes 14 .<br />

[13] Dans l’industrie de l’acier où la Chine<br />

connaissait un excédant de capacité de 200<br />

millions de tonnes en 2008, le programme<br />

de relance a conduit à la construction<br />

de nouvelles usines qui ont ajouté une<br />

surcapacité de 58 millions de tonnes au<br />

chiffre de 2008.<br />

[14] De plus en plus on voit se manifester<br />

des signes de ce que les économistes<br />

33


Etant donné que cet investissement se<br />

dirige principalement vers des projets<br />

d’infrastructure non rentables, à l’image<br />

de projets routiers ou aéroportuaires,<br />

il semble impossible de maintenir ce<br />

rythme à moyen terme. C’est ainsi qu’en<br />

Chine, les trains sont vides car les billets<br />

sont trop chers pour la population<br />

; les autoroutes désertes du fait de prix<br />

de péage trop dissuasifs ; les aéroports,<br />

dans une grande partie des provinces,<br />

sans passagers en transit, car l’activité<br />

économique continue à se concentrer<br />

sur le littoral Est.<br />

Face à cette réalité, le danger d’une crise<br />

financière et d’une longue période de<br />

ralentissement de la croissance économique<br />

est bien réel, puisque cela constitue<br />

la seule façon d’atteindre un nouvel<br />

équilibre. Y aura-t-il, en Chine, jusque<br />

deux « décennies perdues », sur le modèle<br />

de ce qu’ont vécu tous les autres<br />

pays, sans exception, qui ont connu une<br />

situation de surinvestissement chronique?<br />

Le pays ne pourra échapper que<br />

très difficilement à cette règle dans la<br />

mesure où il présente tous les symptômes<br />

d’une bulle d’investissement<br />

d’ampleur inédite dans l’histoire. C’est ce<br />

dont témoigne, par exemple, la consommation<br />

d’acier, de fer et de ciment per<br />

capita de la Chine, qui représente des<br />

niveaux jamais atteints dans d’autres<br />

pays industrialisés dans l’histoire.<br />

Et, contre ces excès, les solutions mises<br />

en œuvre 2009, devenues quasiment<br />

impraticables aujourd’hui, pourraient de<br />

plus donner lieu à une surchauffe économique<br />

qui s’accompagnerait d’une<br />

augmentation de l’inflation, avec tous les<br />

dangers sociaux que cela implique. C’est<br />

pour cela aussi que la bureaucratie restaurationniste<br />

est contrainte de chercher<br />

d’autres mesures pour sortir de la crise.<br />

les pressions à la réforme<br />

du modèle chinois et les<br />

premières divisions au sein<br />

de la bureaucratie<br />

Puisque les « solutions miracles » des<br />

années précédentes sont impraticables<br />

aujourd’hui, et qu’il n’est plus possible<br />

de renvoyer à plus tard la recherche de<br />

mesures palliatives aux problèmes auxquels<br />

le pays a à faire face, les énormes<br />

déséquilibres du modèle chinois<br />

bourgeois appellent l’augmentation de<br />

l’intensité capitalistique : pour un taux<br />

d’investissement donné, le rapport capital/<br />

travail progresse de plus en plus rapidement<br />

au profit du premier facteur, et le retour sur<br />

investissement diminue, un symptôme de<br />

ce que nous appelons une augmentation de<br />

la composition organique du capital. Il en<br />

découle une chute du taux de profit.<br />

34<br />

révolutioN permaNeNte<br />

poussent Pékin à mettre en œuvre des<br />

réformes importante. Un mouvement<br />

qui est encore accentué par la nouvelle<br />

détérioration de la situation économique<br />

dans les pays développés, clients de la<br />

Chine.<br />

Pour comprendre ce qui est en jeu actuellement,<br />

il faut se pencher brièvement sur<br />

les différentes périodes qui ont façonné<br />

la Chine post-Mao. Après une étape d’accumulation<br />

capitaliste initiale, notamment<br />

permise par la mise à disposition<br />

de ressources liées la décollectivisation<br />

agraire des années 1970, le capitalisme<br />

chinois naissant a traversé deux phases,<br />

entretenant chacune un rapport distinct<br />

au capital international. La première<br />

phase a été plus « amicale » ; la seconde,<br />

que nous connaissons aujourd’hui, étant<br />

plus tendue. Les observateurs occidentaux<br />

expliquent généralement ces différences<br />

par le changement d’orientation<br />

politique entre Jiang Zemin et Zhu Rongji<br />

d’une part, respectivement président de<br />

la République Populaire de Chine (RPC)<br />

entre 1993 et 2003 et premier ministre<br />

de 1998 à 2003, tous les deux liés à<br />

l’élite de Shanghai, et celle de leurs successeurs<br />

d’autre part, Hu Jintao et Wen<br />

Jiabao. Selon ces analystes occidentaux,<br />

Hu Jintao et Wen Jiabao auraient<br />

abandonné, à cause d’une soi-disant<br />

« faible connaissance en économie et en<br />

finance » ou alors pour des motifs idéologiques,<br />

la réforme des banques et des<br />

grandes entreprises d’Etat sur le modèle<br />

étasunien, réforme qu’avaient commencé<br />

à impulser Jiang Zemin et Zhu Rongji.<br />

Selon l’analyste chinois Hung Ho-fung<br />

néanmoins, la raison est tout autre. Pour<br />

les dirigeants du pays, les années 1990<br />

étaient marquées par une certaine faiblesse<br />

et une fragmentation du capital<br />

étatique chinois, lorsque « l’élite du Parti<br />

<strong>Communiste</strong> Chinois (PCC) dépendait du<br />

capital financier mondial pour développer<br />

la centralisation et la globalisation<br />

des entreprises étatiques. Une fois que<br />

le capital d’Etat s’est renforcé et s’est<br />

élargi aux marchés financiers mondiaux,<br />

la direction du PCC a gagné suffisamment<br />

en confiance pour ignorer les préférences<br />

du capital étranger par rapport<br />

à la gouvernance de ses entreprises. La<br />

fin du mythe du management des entreprises<br />

nord-américaines, soi-disant rentables,<br />

transparentes et correctement<br />

dirigées, conséquence du scandale Enron<br />

en 2001, ainsi que la crise financière<br />

de 2008, ont redoublé la détermination<br />

du Parti à mettre de côté le soutien des<br />

banques d’investissement étasuniennes.<br />

De ce point de vue, ce qui distingue les<br />

périodes [Jiang Zemin-Zhu Rongji et Hu<br />

Jintao-Wen Jiabao] ce n’est pas la nature<br />

du capitalisme d’Etat chinois, mais sa<br />

relation avec le capital global. Soumis à<br />

celui-ci dans la première étape, dans la<br />

seconde il est devenu plus indépendant<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Bo Xilai<br />

et défiant » 15 . Ce changement du rapport<br />

de force, qui s’approfondit depuis<br />

le début de la crise mondiale, s’accompagne<br />

d’une pression accrue des multinationales<br />

et des gouvernements impérialistes<br />

qui se plaignent du favoritisme<br />

dont jouissent sur le marché interne les<br />

entreprises étatiques chinoises. Cette<br />

pression du capital étranger est en outre<br />

renforcée par le rétrécissement du marché<br />

des grands pays impérialistes euxmêmes.<br />

En parallèle se développe également<br />

une concurrence politique entre<br />

le capital privé, orienté vers les exportations,<br />

et le capital de propriété étatique,<br />

orienté vers le marché interne.<br />

Ce contexte économique et politique est<br />

en train de générer une forte division au<br />

sein du régime chinois. La preuve la plus<br />

explicite est sans doute la soudaine destitution<br />

de ses fonctions dans le parti de<br />

Bo Xilai, qui aspirait à devenir membre<br />

du Comité Permanent du Politburo du<br />

PCC et qui était déjà secrétaire du parti<br />

dans la ville-province de Chongqing. Son<br />

retour de fortune est lié à un conflit plus<br />

large au sein du régime, qui porte sur les<br />

moyens de faire face à l’approfondissement<br />

de la crise économique mondiale<br />

en Chine. La discussion est en effet d’autant<br />

plus tendue qu’une nouvelle chute<br />

de l’économie mondiale, de laquelle le<br />

pays est très dépendant, pourrait générer<br />

des conflits sociaux d’ampleur qui<br />

seraient autant de défis posés à la bureaucratie.<br />

En même temps, Pékin fait<br />

face à des mouvements agressifs de la<br />

part de l’administration Obama et de ses<br />

alliés dans la région, qui visent à renforcer<br />

la position stratégique et militaire<br />

des Etats-Unis en Asie, au détriment de<br />

la Chine. Ces questions créent donc de<br />

la nervosité au sein de la bureaucratie,<br />

qui ressent la nécessité de resserrer les<br />

vis du pouvoir afin de ne pas perdre le<br />

contrôle de la situation.<br />

Dans ce cadre, la mise à l’écart de Bo<br />

Xilai ressemble fort à une victoire remportée<br />

par le secteur le plus libéral de<br />

[15] H. Ho-fung, « Paper-Tiger finance? », New<br />

Left Review nº 72, novembre-décembre 2011.


cette bureaucratie. Il est évident en effet<br />

que sa destitution révèle quelque chose<br />

de plus qu’une tentative de freiner ses<br />

« excès ». Le nouveau secrétaire du parti<br />

pour Chongqing, Zhang Dejiang, appelle<br />

en effet, à la différence de son prédécesseur,<br />

à développer un secteur privé plus<br />

solide poursuivant « l’expérience de Zhejiang<br />

», où Zhang a déjà été secrétaire du<br />

parti. Ce n’est pas un hasard si la campagne<br />

contre Bo Xilai et « le modèle de<br />

Chongqing » a pu compter sur le soutien<br />

des cercles financiers internationaux.<br />

Ce qui est sûr, par-delà les différentes<br />

explications que l’on peut donner à cette<br />

affaire, c’est que les disputes entre les<br />

différentes factions de la bureaucratie<br />

vont s’accentuer. En effet, au fur et à mesure<br />

que celle-ci prend conscience des<br />

difficultés du modèle de développement<br />

chinois et du risque de crise, les dissensions<br />

politiques iront en s’accentuant<br />

entre ceux qui prônent une réforme<br />

rapide et ceux qui veulent maintenir le<br />

statu quo. Le problème tient alors à ce<br />

que poursuivre le modèle actuel de<br />

croissance conduira à une crise de la<br />

dette, augmentant les probabilités d’un<br />

« hard landing » (atterrissage d’urgence)<br />

de l’économie chinoise, alors que l’abandon<br />

de ce modèle déboucherait sur une<br />

croissance beaucoup plus lente, notamment<br />

pour ce qui est de l’accumulation<br />

d’actifs dans le secteur étatique. Tout<br />

ceci est politiquement très difficile à accepter<br />

pour plusieurs dirigeants et donnera<br />

sans doute lieu à d’autres conflits<br />

politiques dans les années à venir. Privatisations<br />

? Fort ajustement des taux<br />

d’intérêt et de change ? Suivre la « voie<br />

japonaise », avec ses conséquences,<br />

les dettes privées étant absorbées par<br />

l’Etat pour éviter les faillites d’entreprises<br />

et les licenciements massifs ?<br />

Voilà quelques unes des décisions difficiles<br />

que la bureaucratie de Pékin devra<br />

prendre dans la prochaine période.<br />

Dernier chapitre de la crise :<br />

les pays semi-coloniaux et<br />

dépendants<br />

Analyser la situation de la Chine, le pays<br />

émergent par excellence, c’est comprendre<br />

qu’il n’y a rien de plus faux que<br />

de pronostiquer un découplage des économies<br />

dépendantes ou semi-coloniales<br />

de la crise mondiale, qui s’incarnerait<br />

dans le maintien de taux de croissance<br />

élevés dans ces pays alors même que la<br />

crise s’approfondit au centre. En réalité,<br />

la contagion de la crise des économies<br />

développées aux pays dépendants ou<br />

semi-coloniaux a seulement été retardée.<br />

Autrement dit, la stabilité relative<br />

dont jouissent actuellement ces pays<br />

par rapport à la crise économique et à la<br />

faiblesse politique des pays centraux ne<br />

constitue qu’une tendance très conjoncturelle,<br />

qu’une sorte de discordance<br />

dans les temps de la crise. Déjà, lors de<br />

la crise d’accumulation capitaliste des<br />

années 1970, un phénomène similaire<br />

s’était produit. C’est alors le recyclage<br />

des pétrodollars qui, en donnant lieu à<br />

une période « d’argent facile », avait empêché<br />

que la première grande crise de<br />

l’après-guerre frappe immédiatement la<br />

périphérie. Avec la récession des années<br />

1980-1981 dans les pays centraux, le<br />

durcissement des conditions de crédit<br />

et la crise de la dette qui en a découlé,<br />

la plupart de ces pays ont traversé par la<br />

suite ce qui s’est appelé une « décennie<br />

perdue », comme nous l’avons déjà rappelé.<br />

Celle-ci a été plus dure justement<br />

dans les pays qui se portaient le mieux<br />

durant le boom, comme cela a été le cas<br />

par exemple pour le Brésil tout juste sorti<br />

de son « miracle ».<br />

Aujourd’hui, c’est en Chine que se termine<br />

la période d’argent facile, faisant<br />

peser de très sombre perspectives sur ce<br />

pôle de croissance qu’est le pays. Il en découle<br />

un changement brusque de perspectives<br />

pour les pays semi-coloniaux<br />

exportateur de matières premières. On<br />

arrive ainsi à la fin d’une période au sein<br />

de laquelle une série de ces pays dits<br />

« émergents » ont connu une croissance<br />

extraordinairement rapide, permise<br />

notamment par l’argent venu des Etats-<br />

Unis à partir de 2003, quand la Réserve<br />

Fédérale tentait de soutenir la reprise<br />

économique du pays après l’éclatement<br />

de la bulle internet. Pendant les quatre<br />

années suivantes, le taux de croissance<br />

moyen des marchés émergents a doublé,<br />

passant à 7,2% par an ; et, dans toute la<br />

planète, la durée moyenne d’expansion<br />

économique est passée de quatre ans<br />

à huit ans. Après une chute temporaire<br />

fin 2008 début 2009, la même tendance<br />

avait reprise, appuyée sur le fort taux de<br />

croissance de la Chine, permettant une<br />

récupération rapide.<br />

Mais maintenant que les conséquences<br />

de la crise mondiale prennent la forme<br />

aiguë d’une crise fiscale et d’une crise de<br />

la dette, cette période « d’argent facile »<br />

touche donc à sa fin. Combinées au ralentissement<br />

chinois, les conséquences<br />

pourraient être très dures pour beaucoup<br />

de pays exportateurs de matières<br />

premières. Rien ne peut mieux refléter<br />

ce changement que les considérations<br />

des analystes impérialistes au sujet<br />

de l’un des soi-disant « succès économiques<br />

» de la dernière période : le Brésil.<br />

Pour reprendre une expression utilisée<br />

par l’économiste américano-indien Ruchir<br />

Sarma, dans la dernière livraison de<br />

la revue étasunienne Foreign Affairs, il<br />

s’agirait de « la fin du moment magique » :<br />

« cette décennie de succès a fait du Brésil<br />

l’un des marchés émergents les plus<br />

en vue, obtenant ainsi l’un des meilleurs<br />

résultats boursiers au niveau mondial et<br />

géopolitique de la crise<br />

un des taux d’investissements directs<br />

étrangers les plus importants. Tout<br />

au long des cinq dernières années, la<br />

grande quantité d’argent étranger investie<br />

sur les marchés et en bons brésiliens<br />

a atteint des niveaux records, les rentrées<br />

de capital passant de 5 milliards de<br />

dollars en 2007 à plus de 70 milliards en<br />

janvier [2012]. Cependant, cette image<br />

radieuse du Brésil se base sur une condition<br />

extrêmement précaire: les prix des<br />

matières premières. Le pays a connu une<br />

croissance importante grâce à l’augmentation<br />

de la demande de ses réserves<br />

de pétrole, de cuivre, de minerai de fer<br />

et autres ressources naturelles. Le problème,<br />

c’est que la demande mondiale<br />

pour ces matières premières est en train<br />

de chuter » 16 .<br />

Face à ce changement des conditions de<br />

l’économie mondiale, le Brésil est mal<br />

préparé : l’orientation vers l’exportation<br />

de ses matières premières et une monnaie<br />

nationale forte ont provoqué un<br />

affaiblissement de son secteur manufacturier.<br />

Les secteurs les plus fragiles de<br />

son économie sont sensibles à l’inflation<br />

et connaissent un taux de croissance peu<br />

élevé en comparaison avec d’autres pays<br />

à développement comparable. C’est-là<br />

le résultat d’un taux d’investissement<br />

très peu élevé de manière chronique, ce<br />

qui exprime le caractère semi-colonial<br />

du pays et son rôle subordonné dans la<br />

division mondiale du travail. Mais c’est<br />

aussi une expression du caractère en<br />

bonne partie rentière de la bourgeoisie<br />

brésilienne, qui vit de sa rente agraire et<br />

minière, qui s’est d’ailleurs perpétuée et<br />

approfondie au cours des trois gouvernements<br />

dirigés par le Parti des Travailleurs<br />

(PT), d’abord sous Lula puis actuellement<br />

avec Dilma Rousseff. Un nouveau chapitre<br />

de la crise pourrait donc s’ouvrir et<br />

faire de ces pays les nouveaux maillons<br />

faibles de la crise capitaliste mondiale.<br />

Si cette situation se développe effectivement,<br />

la crise frapperait à nouveau de<br />

façon synchronisée. Mais, à la différence<br />

de 2008-2009, les « solutions miracle »<br />

employées ont déjà été expérimentées<br />

et ont aujourd’hui fait leur temps. Nous<br />

sommes convaincus, de ce point de<br />

vue, que nous nous dirigeons vers un<br />

approfondissement des tensions économiques,<br />

sociales et géopolitiques dans<br />

la situation mondiale. Laisser croire,<br />

comme le font certains commentateurs,<br />

qu’il pourrait y avoir, d’une façon ou<br />

d’une autre, des « ilots de stabilité » plus<br />

ou moins relative, voilà qui reviendrait<br />

à désarmer les révolutionnaires face à<br />

d’éventuels virages très brusques d’une<br />

crise qui dure déjà depuis cinq ans.<br />

15/07/12.<br />

[16] R. Sharma, « Bearish on Brazil: The Commodity<br />

Slowdown and the End of the Magic<br />

Moment », Foreign Affairs, mai-juin 2012.<br />

35


Postface<br />

Retour sur les interventions monétaires de la FeD,<br />

le Plan Draghi et le plan de relance chinois<br />

Juan Chingo<br />

Les récentes décisions prises par la<br />

Réserve Fédérale Américaine (FED), la<br />

Banque Centrale Européenne (BCE) ainsi<br />

que par les autorités chinoises, confirment<br />

le mauvais état de santé dans lequel<br />

se trouve l’économie mondiale et<br />

dont nous dressions le portrait à la mijuillet.<br />

Une double récession est en train de<br />

s’installer en Europe, avec un risque<br />

toujours prégnant pesant sur la viabilité<br />

de la zone euro telle qu’on la connaît<br />

aujourd’hui. L’économie américaine<br />

continue à connaître une croissance<br />

anémique alors que les bénéfices de<br />

ses entreprises sont plutôt marqués à la<br />

baisse. La Chine, approche du moment<br />

où un atterrissage d’urgence sera plus<br />

que nécessaire même si Pékin continue à<br />

renvoyer à plus tard les décisions nécessaires<br />

à prendre pour mettre sur pied un<br />

nouveau modèle de croissance. Les pays<br />

producteurs de matières premières, enfin,<br />

qui avaient parié sur une croissance<br />

chinoise soutenue et sans limite dans le<br />

temps, doivent s’adapter à la nouvelle<br />

période marquée avant tout par la fin<br />

de la croissance exponentielle du géant<br />

asiatique. L’ensemble de ces aires économiques<br />

connaissent, parallèlement,<br />

une sorte de mécontentement social<br />

plus ou moins latent. C’est le cas notamment<br />

des pays capitalistes centraux, ce<br />

qui fait craindre aux gouvernements et<br />

à la bourgeoisie de possibles explosions<br />

sociales à court ou moyen terme.<br />

C’est donc l’ensemble des grandes économies<br />

mondiales qui sont en train<br />

36<br />

révolutioN permaNeNte<br />

d’entrer simultanément en récession ou<br />

en phase de forte décélération, entraînant<br />

très certainement à leur suite le<br />

secteur financier international vers une<br />

nouvelle zone de fortes turbulences.<br />

Dans ce cadre, les réponses monétaires<br />

de la FED et de la BCE, différentes l’une<br />

de l’autre, peuvent contribuer à augmenter<br />

la brèche existante entre l’économie<br />

réelle et la spéculation qui va très certainement<br />

augmenter qualitativement<br />

dans les prochains mois, augmentant<br />

ainsi considérablement le risque d’un<br />

krach financier et boursier qui pourrait<br />

être plus important qu’en 2009. Parallèlement,<br />

le plan de relance chinois ne<br />

peut conduire qu’à une aggravation des<br />

graves déséquilibres qui pèsent déjà sur<br />

l’économie du géant asiatique, ce qui<br />

pourrait impliquer à moyen terme des<br />

solutions de sortie de crise beaucoup<br />

plus drastiques et traumatisantes, tant<br />

pour Pékin que pour les pays semi-coloniaux<br />

qui lui fournissent des matières<br />

premières. La dislocation de l’économie<br />

mondiale, qui a commencé avec la faillite<br />

de Lehman Brothers, entre donc bien<br />

dans une nouvelle étape, celle de la fin<br />

des « solutions miracle » telle que nous la<br />

décrivions dans l’article de juillet.<br />

qe3 : jusqu’à quand ?<br />

La place du dollar comme monnaie de<br />

réserve mondiale a permis à Washington<br />

de jouir d’une place dominante sur<br />

l’échiquier international. C’est ce qui lui<br />

Ben Burnanke,<br />

président de la<br />

Réserve Fédérale<br />

Américaine (FED)<br />

N°6 / automNe 2012<br />

a permis de laisser filer ses déficits budgétaires<br />

et de s’endetter à l’étranger sans<br />

subir d’attaque contre sa monnaie. C’est<br />

en outre ce qui a laissé le loisir aux Etats-<br />

Unis de renvoyer à plus tard les solutions<br />

les plus difficiles à prendre pour affronter<br />

réellement la crise. Ce que la presse a<br />

appelé le QE3, à savoir le troisième volet<br />

de la politique monétaire non-conventionnelle<br />

d’assouplissement quantitatif<br />

(ou « quantitative easing », QE, en<br />

anglais) est un nouvel épisode de cette<br />

saga. Il s’agit d’un plan visant à racheter<br />

des titres sous hypothèque pour une<br />

valeur de quarante milliards de dollars<br />

par mois. Il faut ajouter à cela « l’Opération<br />

Twist », déjà en marche, consistant<br />

à échanger des bons du Trésor à court<br />

terme pour des bons du Trésor à long<br />

terme. Ces deux opérations vont supposer<br />

une injection de liquidités de prés<br />

de quatre-vingt-cinq milliards de dollars<br />

par mois. Le plan échafaudé par la FED<br />

espère d’abord entraîner les marchés<br />

financiers puis dans un second temps les<br />

segments les moins exposés et touchés<br />

de l’économie réelle. Mais le sauvetage<br />

des hypothèques immobilières de façon<br />

à faire revivre ce secteur clef pour l’économie,<br />

et par ce biais-là l’emploi et la<br />

consommation, confond les problèmes<br />

de liquidité et les problèmes de solvabilité.<br />

La question centrale pour la population<br />

étasunienne c’est qu’il n’y a plus<br />

d’argent pour construire ou acheter des<br />

biens immobiliers, et la chute des taux<br />

d’intérêts des prêts bancaires ne va rien<br />

changer à la situation. Il ne s’agit pas, en<br />

tout cas, d’un problème de liquidité.<br />

L’opération en tant que telle marque<br />

néanmoins un tournant important dans<br />

la politique monétaire étasunienne. La<br />

FED ne va plus racheter des bons du<br />

Trésor mais des actifs (dont certains<br />

« toxiques »), qui aujourd’hui se trouvent<br />

aux mains de banques (qui vont donc<br />

pouvoir s’en débarrasser), à savoir ces<br />

mêmes actifs qui avaient été à l’origine<br />

de la première phase de la crise<br />

actuelle. Le fait que la Réserve Fédérale<br />

se soit engagée, parallèlement, à ne pas<br />

augmenter les taux d’intérêts jusqu’au<br />

second semestre 2015, va très certainement<br />

avoir pour effet de relancer un nouveau<br />

round spéculatif sur les marchés<br />

boursiers et des bons émis par les pays,<br />

contribuant à faire grossir les bénéfices<br />

des banques. Mais ce nouveau round<br />

spéculatif sera encore plus déconnecté<br />

de l’état de santé de l’économie réelle<br />

qui sombre toujours plus profondément<br />

dans la déflation alors que la fragilité<br />

financière générale augmente à mesure<br />

que le système de crédit continue à<br />

accroitre sa dette non-productive. En<br />

ce sens, les risques d’un krach ou d’une<br />

grande dépression, comme en 1929,<br />

sont de plus en plus probables.<br />

Ben Bernanke, le dirigeant de la FED, essaye<br />

donc de gagner du temps jusqu’en


2013 tout en donnant un sérieux coup de<br />

pouce à la réélection d’Obama. L’administration<br />

américaine devra, néanmoins,<br />

faire face tôt ou tard à un certain nombre<br />

de contradictions qui vont rétrécir ses<br />

marges de manœuvre. L’alternative, c’est<br />

de continuer à soutenir des « banques<br />

zombies », en en payant le prix (à savoir<br />

une stagnation à la japonaise de l’économie<br />

américaine), ou alors de restructurer<br />

et d’assainir une partie de ses finances<br />

internes, en s’éloignant par conséquent<br />

de la financiarisation de son économie<br />

et en investissant pour relocaliser<br />

la production, ce qui impliquerait des<br />

tensions importantes avec la Chine et<br />

d’autres pays dépendants et semi-coloniaux.<br />

Cette option ne pourrait être mise<br />

en œuvre qu’après un nouvel approfondissement<br />

de la crise et en fonction d’un<br />

nouveau rapport de force, semblable à<br />

celui que Obama avait voulu instaurer<br />

au début de sa présidence avant de faire<br />

rapidement machine arrière sous la pression<br />

de Wall Street.<br />

le Plan Draghi : un<br />

armistice momentané entre<br />

berlin et washington<br />

C’est dans ce contexte général qu’il faut<br />

inscrire l’augmentation de la pression de<br />

Washington sur Berlin et la résistance de<br />

l’Allemagne à ces mêmes pressions. Le<br />

Plan Draghi, du nom du dirigeant de la<br />

BCE, Mario Draghi, est dans une certaine<br />

mesure une sorte de compromis dans la<br />

guerre monétaire à fleurets mouchetés<br />

que se livrent les deux puissances impérialistes.<br />

Même si Draghi réussit à imposer<br />

l’achat de bons du Trésor ou OMT<br />

(« Outright Monetary Transactions » en<br />

anglais), y compris malgré l’opposition<br />

de la Bundesbank, son plan est tout de<br />

même fortement conditionné par Berlin.<br />

L’asymétrie entre les différentes réponses<br />

monétaires mises en œuvre par<br />

la FED et la BCE se révèle à travers plusieurs<br />

éléments. Le Plan Draghi exclut,<br />

pour l’instant, une mise en œuvre rapide<br />

de quoi que ce soit. La BCE ne commencera<br />

à bouger que lorsque les pays auront<br />

souscrit aux différents programmes<br />

d’ajustement structurels. Plus d’une<br />

semaine après l’annonce du Plan Draghi,<br />

l’Allemagne et l’Etat espagnol retardent<br />

sa mise en application. Merkel, de son<br />

côté, préfère ne pas demander à son Parlement<br />

l’approbation du programme espagnol.<br />

De son côté, le Premier ministre<br />

espagnol, Mariano Rajoy, souhaite ne pas<br />

avoir à subir l’humiliation suprême de<br />

devoir se soumettre aux strictes règles<br />

édictées par l’impérialisme allemand.<br />

La France, inquiète, fait pression de son<br />

côté sur l’Etat espagnol pour qu’il accepte.<br />

La deuxième différence c’est que<br />

la BCE déploiera certes sa puissance de<br />

feu pour que le spread baisse (à savoir le<br />

différentiel entre les différents taux d’in-<br />

térêt auquel les pays empruntent sur les<br />

marchés), mais uniquement si les pays<br />

acceptent un renforcement de l’austérité<br />

préconisée par Berlin. C’est le prix que<br />

Draghi a dû payer à Merkel pour obtenir<br />

l’appui de Berlin et des autres pays<br />

créanciers, à savoir un rationnement de<br />

la dette des pays de la périphérie de la<br />

zone euro, bloquant une croissance postérieure<br />

de cette même dette qui aurait<br />

pu conduire ces pays à s’ouvrir par la<br />

suite aux finances internationales.<br />

Cet armistice momentané s’explique<br />

avant tout par le fait qu’Obama a besoin<br />

d’un climat un peu moins tourmenté<br />

pour les prochaines élections. C’est le<br />

même calcul que fait Merkel d’ailleurs en<br />

vue des élections allemandes de 2013,<br />

alors que Berlin s’est rendu à l’évidence<br />

qu’une sortie précipitée de la Grèce de<br />

la zone euro serait réellement catastrophique<br />

alors que les Etats-Unis et Wall<br />

Street continuent à essayer de faire pression<br />

pour une mutualisation des dettes<br />

nationales européennes. Mais cet armistice<br />

n’est qu’une simple trêve. Comme<br />

nous le soulignions dans l’article précédent,<br />

l’Allemagne s’oppose à un nouveau<br />

cycle d’endettement européen que<br />

les Etats-Unis verraient d’un bon œil.<br />

L’Allemagne souhaite redistribuer de<br />

façon concertée le prix à payer des excès<br />

passés en termes de dette et de crédits,<br />

tout en préservant sa base industrielle et<br />

ses liens économiques avec la Russie et<br />

la Chine. La divergence croissante entre<br />

Berlin et Washington est un indicateur<br />

de la profondeur de la crise en cours,<br />

porteuse de secousses dans les rapports<br />

transatlantiques comme on n’en voyait<br />

plus depuis la Seconde Guerre mondiale.<br />

Cette brèche est d’ailleurs aujourd’hui<br />

plus profonde que celle existant entre<br />

les Etats-Unis et la Chine, un autre axe<br />

fondamental de la géopolitique de la<br />

géopolitique de la crise<br />

Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne (BCE)<br />

crise actuelle. Cela alors que Pékin est<br />

en train de mettre en place un plan de<br />

relance qui risque surtout d’aggraver les<br />

déséquilibres structurels de l’économie<br />

chinoise en continuant à la « sur-stimuler<br />

», ce qui pourrait avoir, aujourd’hui,<br />

des effets encore plus graves que par le<br />

passé 17 .<br />

Ce qui est en discussion, c’est une restructuration<br />

du rapport entre production<br />

et financiarisation de l’économie, une<br />

discussion fondamentale pour définir<br />

qui va payer, en dernière instance, le prix<br />

de la dévalorisation de la masse de capital<br />

fictif qui s’est créé au fil des dernières<br />

décennies. De même que la destruction<br />

de forces productives que la suraccumulation<br />

chinoise anticipe, à la fois en<br />

Chine et dans les pays producteurs de<br />

matières premières, le nouveau coup<br />

dur que subirait la production dans différentes<br />

branches de l’industrie dans les<br />

pays centraux qui ont tiré profit jusqu’à<br />

présent de la croissance de Pékin, sont<br />

un autre aspect de la dévalorisation massive<br />

de capitaux productifs et fictifs à<br />

laquelle nous sommes en train d’assister<br />

à échelle internationale et qui pourrait<br />

préparer un terrain des plus convulsés<br />

pour l’économie internationale à moyen<br />

terme.<br />

Nous ne sommes donc qu’au début d’un<br />

processus de restructuration violente<br />

des équilibres globaux. Le vieil équilibre<br />

capitaliste n’existe plus et les différents<br />

impérialismes peinent, de leur côté, à<br />

distinguer les contours d’un nouvel équilibre.<br />

19/09/12<br />

[17] On pourra se référer pour cela à la dernière<br />

partie de J. Chingo, « Un revival de 2009<br />

pero sin mucho filo », 19/09/12, www.ft-ci.<br />

org/article.php3?id_article=5761 [NdR].<br />

37


Haine de classe. Voilà ce que l’on<br />

ressent en voyant et revoyant les<br />

images terribles du lâche et sauvage<br />

massacre de 34 mineurs grévistes<br />

à Marikana en Afrique du Sud. C’est<br />

un crime contre tous les mineurs,<br />

contre tou-te-s les travailleur-euse-s<br />

d’Afrique du Sud. L’ensemble du mouvement<br />

ouvrier mondial est concerné<br />

aussi. Mais alors que cette brutale<br />

attaque cherchait à entamer le moral<br />

et la lutte de l’un des secteurs les plus<br />

exploités et opprimés du prolétariat,<br />

elle n’a fait que renforcer leur détermination<br />

en déclenchant même des<br />

grève similaires dans d’autres mines.<br />

Haine et mépris de classe, c’est aussi ce<br />

qu’exprime la direction de la multinationale<br />

britannique Lonmin, où travaillaient<br />

les grévistes assassinés, qui deux<br />

jours après le bain de sang envoyait<br />

des télégrammes sommant les ouvriers<br />

de reprendre le travail au risque d’être<br />

licenciés ! Le gouvernement sud-africain<br />

n’est pas en reste. En effet, même s’il a<br />

fait pression sur la direction de Lonmin,<br />

qui emploie 38 000 salariés, pour qu’elle<br />

retire son « ultimatum », sa police n’a de<br />

fait pas arrêté d’intimider et de harceler<br />

les grévistes, aussi bien avant qu’après<br />

la tuerie. C’est ainsi que le 16 août dernier<br />

plus de 500 membres des forces<br />

de répression de l’Etat, équipés d’armes<br />

automatiques, avec des hélicoptères et<br />

des véhicules lance-eau à l’appui, ont<br />

été envoyés pour briser la grève de plus<br />

de 3000 mineurs, ce qui a débouché sur<br />

l’assassinat des 34 ouvriers 1 .<br />

La sinistre décision de justice qui a suivi<br />

constitue une preuve de plus de la servilité<br />

du gouvernement de l’African National<br />

Congress (ANC) vis-à-vis du capital<br />

impérialiste. Appuyée sur une loi datant<br />

du temps de l’Apartheid, elle inculpait<br />

les deux cent soixante-dix mineurs arrê-<br />

[1] Voir : Yann Le Bras, « Assassins » www.ccr4.<br />

org/Assassins .<br />

38<br />

révolutioN permaNeNte<br />

Du SAng, De lA SueuR…<br />

et DeS bAlleS !<br />

A propos de la lutte héroïque des<br />

mineurs d’Afrique du Sud<br />

Philippe Alcoy<br />

téslors de la fusillade policière à Marikana<br />

du meurtre de leurs trente-quatre<br />

camarades ! Finalement, face au scandale<br />

et aux réactions d’indignation que cela a<br />

provoqué, l’inculpation a été « suspendue<br />

».<br />

Ce qui est certain c’est que malgré la<br />

fin officielle de l’Apartheid en 1994, le<br />

régime de mépris, d’exploitation et de<br />

violence contre les travailleurs et les<br />

masses, dans l’écrasante majorité Noires,<br />

s’est maintenu tout au long de ces années<br />

de domination de l’ANC. L’Afrique<br />

du Sud continue essentiellement à être<br />

une semi-colonie dominée par le capital<br />

impérialiste associé à la bourgeoisie<br />

Blanche et à une naissante mais toute<br />

aussi réactionnaire bourgeoisie Noire.<br />

La lutte héroïque et déterminée des mineurs<br />

de Marikana, qui s’est soldée par la<br />

mort de 43 ouvriers au total, en est une<br />

preuve irréfutable.<br />

le travail dans les mines :<br />

un massacre permanent…<br />

organisé pour le profit des<br />

multinationales<br />

Le secteur minier est stratégique pour<br />

l’économie sud-africaine, dont il représente<br />

entre 5% et 8% du PIB. Dans la<br />

dernière période, l’augmentation de la<br />

demande des matières premières au niveau<br />

mondial, notamment dans les pays<br />

industrialisés, a accéléré l’exploitation<br />

des ressources minières du pays. Ainsi,<br />

on compte autour de six cent mille travailleurs<br />

dans le secteur, les principaux<br />

groupes au niveau mondial étant implantés<br />

en Afrique du Sud. Le profit moyen<br />

des neuf compagnies minières qui y<br />

sont présentes, après le payement des<br />

salaires et des impôts et des coûts fixes,<br />

est estimé à 3,6 milliards d’euros par an !<br />

Dans le même temps, les travailleurs du<br />

secteur sont parmi les plus exploités et<br />

ont les conditions de travail et de vie les<br />

plus dures. En effet, « les mineurs tra-<br />

N°6 / automNe 2012<br />

vaillent dans des mines très profondes,<br />

où la chaleur est souvent intenable, la<br />

poussière très importante – qui se fixe<br />

aux poumons – et le sol glissant. Pour<br />

huit ou neuf heures de travail par jour, ils<br />

touchent en moyenne 4 000 rands (390<br />

euros) par mois, ce qui est insuffisant par<br />

rapport à la dureté de leur labeur. La plupart<br />

d’entre eux vivent dans des taudis,<br />

parfois sans eau courante ni électricité » 2 .<br />

Cette situation ne constitue pas, en<br />

outre, une exclusivité sud-africaine, mais<br />

la norme du secteur au niveau mondial.<br />

Ainsi, « la grande visibilité des morts à<br />

Marikana et une série d’accidents industriels<br />

survenus récemment ont mis en<br />

évidence le coût humain de l’extraction<br />

et jusqu’à quel point plusieurs secteurs<br />

de l’industrie mondiale sont dépendants<br />

du travail des ouvriers des régions pauvres<br />

du monde. (…) Par exemple, au moins 60<br />

mineurs ont été tués après l’effondrement<br />

d’un puits dans une mine d’or au<br />

nord-est de la République Démocratique<br />

du Congo (…) Et bien sûr, les 33 mineurs<br />

chiliens bloqués sous terre pendant 69<br />

jours en 2010 qui ont attiré l’attention<br />

au niveau mondial. (…) La géographie des<br />

endroits où ces mines sont basées est<br />

en général à haut risque » 3 . En effet, les<br />

métaux extraits dans les pays pauvres<br />

sont fondamentaux pour les pays industrialisés<br />

: par exemple le platine, dont<br />

l’Afrique du Sud assure 80% de la production<br />

mondiale, est utilisé entre autres<br />

dans l’industrie automobile et dans la<br />

production de matériel informatique.<br />

Cependant, la crise mondiale qui est<br />

focalisée, pour le moment, dans les pays<br />

impérialistes centraux, rend ce secteur<br />

très vulnérable. Ainsi les multinationales<br />

exportatrices de platine, « avec la chute<br />

des prix dans l’industrie automobile eu-<br />

[2] Le Monde, « Afrique du Sud : «D’autres<br />

mines de platine pourraient connaître des<br />

violences» », 20/8/2012.<br />

[3] BBC News, « Mining investors take stock<br />

after Marikana deaths », 20/8/2012.


opéenne, doivent réduire la production<br />

et licencier des milliers de travailleurs<br />

pour rendre rentable leur affaire -ce qui<br />

est tout simplement impossible dans le<br />

climat politique actuel » 4 . Il s’agit sans<br />

doute de l’un des facteurs qui expliquent<br />

la ligne dure adoptée par la direction de<br />

Lonmin face à la demande d’augmentation<br />

des salaires de la part des mineurs.<br />

Des fissures dans le régime<br />

de l’Anc<br />

« La tension se répand dans toute<br />

l’Afrique du Sud. Marikana n’est pas<br />

simplement un conflit local, ce n’est pas<br />

une tragique aberration. On a ouvert une<br />

boîte de Pandore et ce qui est en jeu<br />

n’est ni plus ni moins que la grande et<br />

indiscutable réussite depuis la prise du<br />

pouvoir par Nelson Mandela en 1994 :<br />

la paix. Les héritiers de Mandela dans<br />

le gouvernement de l’African National<br />

Congress (ANC) perdent le contrôle et<br />

leur crédibilité ; le risque que les révoltes<br />

sociales s’étendent dans tout le pays<br />

augmente » 5 . Autrement dit, les conditions<br />

misérables et humiliantes de vie et<br />

de travail des masses d’Afrique du Sud,<br />

entretenues et approfondies depuis 18<br />

ans par l’ANC, ces conditions mêmes qui<br />

ont poussé les mineurs à la lutte, commencent<br />

à remettre en cause le « consensus<br />

social » imposé durant la période de<br />

« transition négociée ».<br />

En effet, vers la fin des années 1980 la<br />

lutte de la population Noire contre le<br />

régime d’apartheid se développait et<br />

risquait de devenir une révolution ouvrière<br />

et populaire. Pour désactiver cette<br />

dynamique, l’impérialisme et la minorité<br />

Blanche au pouvoir ont mis en route une<br />

transition ordonnée et négociée avec<br />

l’ANC. Celui-ci était à la tête de la lutte<br />

anti-apartheid et, avec le Parti <strong>Communiste</strong>,<br />

constituait la médiation réformiste<br />

entre les masses et le régime. C’est l’alliance<br />

de ces deux forces, dont Mandela<br />

était la figure emblématique, qui a garanti<br />

l’impunité des responsables des crimes<br />

contre les masses Noires et surtout permis<br />

que les intérêts économiques de la<br />

bourgeoisie Blanche et de l’impérialisme<br />

ne soient pas touchés. En ce sens, la fin<br />

de l’apartheid et l’obtention des droits<br />

civiques pour l’écrasante majorité Noire,<br />

c’est la forme qu’a pris la déviation de la<br />

révolution prolétarienne en Afrique du<br />

Sud, une déviation en grande partie mise<br />

en musique par l’ANC.<br />

Cependant, après presque deux décennies<br />

de politiques néolibérales et antipopulaires,<br />

de corruption, d’augmentation<br />

des inégalités et d’espérances<br />

[4] Financial Times, « South Africa’s seam of<br />

discontent », 20/8/2012.<br />

[5] El País, « Sudáfrica y el fantasma mexicano<br />

», 24/8/2012.<br />

SituAtion internAtionAle<br />

populaires déçues, le mécontentement<br />

parmi les masses Noires commence à se<br />

faire sentir, ce qui montre le caractère<br />

purement formel des concessions faites<br />

à l’époque par les classes dominantes<br />

et l’impérialisme. Marikana n’est donc<br />

qu’un exemple paradigmatique de cette<br />

situation. Et cette fois la rage n’est pas<br />

seulement dirigée contre la bourgeoisie<br />

Blanche raciste, mais aussi contre une<br />

certaine élite Noire, dans une grande mesure<br />

liée à l’appareil d’Etat, qui a profité<br />

de la fin de l’apartheid pour s’enrichir.<br />

Plusieurs journaux citent ainsi l’exemple<br />

de Cyril Ramaphosa, fondateur du Syndicat<br />

National de Mineurs (NUM en anglais)<br />

en 1982 et principal négociateur<br />

de l’ANC « durant la période de transition<br />

à la démocratie au début des années<br />

1990, devenu un magnat dont la fortune<br />

s’élève à des centaines de millions<br />

d’euros (…). Ramaphosa continue d’être<br />

une figure emblématique non seulement<br />

au NUM, mais un des barons les plus<br />

influents de l’ANC » 6 . Un autre exemple :<br />

le ministre de la Justice et haut dirigeant<br />

du Parti <strong>Communiste</strong>, Jeff Radebe (qui<br />

a joué un rôle central dans la répression<br />

des mineurs), est marié à Bridgette<br />

Radebe, la femme la plus riche d’Afrique<br />

du Sud, et propriétaire de la compagnie<br />

minière Mmakau Mining. Le beau-frère<br />

de Radebe est d’ailleurs l’homme le plus<br />

riche du pays.<br />

Ce que l’on observe ici ne constitue<br />

évidemment qu’une tendance, qui en<br />

se développant pourrait approfondir la<br />

crise politique qui semble commencer<br />

à ébranler le régime « post-transition »<br />

en Afrique du Sud. En effet, « l’ANC est<br />

encore de loin le parti le plus puissant<br />

et populaire [du pays] (…) Aux dernières<br />

élections générales, en 2009, il a obtenu<br />

66% des voix (…) contre seulement 17%<br />

pour le plus grand parti d’opposition, le<br />

libéral Democratic Alliance (DA) qui est<br />

encore perçu par la plupart des Noirs<br />

comme une organisation essentielle-<br />

[6] Idem.<br />

Afrique du Sud<br />

ment dirigée par des Blancs. (…) Le DA<br />

est encore à des [kilomètres] de distance<br />

d’avoir une chance réelle de prendre<br />

le pouvoir. A long terme, l’ANC pourrait<br />

perdre le pouvoir s’il subissait une importante<br />

scission » 7 . L’exclusion en avril de<br />

cette année de l’ancien leader de la jeunesse<br />

de l’ANC, Julius Malema, est peutêtre<br />

l’exemple le plus visible de ces tensions<br />

qui traversent le parti au pouvoir.<br />

Malema d’ailleurs n’a pas hésité à rendre<br />

visite aux mineurs de Marikana après le<br />

massacre en les exhortant à déclencher<br />

une « révolution minière » et en demandant<br />

« la nationalisation de la mine »<br />

ainsi que « la démission du président<br />

Jacob Zuma » 8 . Cependant, « en même<br />

temps qu’il dénonce Zuma et d’autres figures<br />

ponctuellement, Malema se garde<br />

d’accuser l’ANC elle-même, cherchant à<br />

laisser la porte ouverte à une possible<br />

réintégration dans l’organisation. Se référant<br />

à l’agitation populaire, Malema a<br />

déclaré au Mail and Globe qu’«il y avait<br />

un vide politique et nous avons occupé<br />

cet espace. Si nous n’avions pas réussi<br />

à le faire, de mauvais élément auraient<br />

pris cet espace » 9 .<br />

l’exemple des grévistes<br />

de marikana fait tâche<br />

d’huile !<br />

La principale revendication des mineurs<br />

de Marikana consistait en la demande<br />

d’augmentation des salaires. Comme on<br />

l’a vu, la rémunération moyenne actuelle<br />

des ouvriers et ouvrières de Lonmin se<br />

situe autour de 4 000 rands (environ 400<br />

[7] The Economist, “The rainbow nation and<br />

its ruling party are failing to live up to their<br />

ideals”, 8/9/2012.<br />

[8] A l’heure où nous écrivons un mandat<br />

d’arrestation a été lancé contre Julius Malema<br />

pour cause de corruption, détournement de<br />

fonds de l’Etat et blanchissement d’argent.<br />

[9] WSWS.org, « South Africa: ANC orders<br />

security clampdown against miners’ revolt »,<br />

17/9/2012<br />

39


En dehors des bureaucraties syndicales (ici, le COSATU, Congress of South African Trade<br />

Unions), les organisations et les grèves "illégales" font avancer la mobilisation des<br />

euros) et les grévistes exigent un salaire<br />

de 12 500 rands (1 200 euros). Le courage<br />

et la détermination de ces travailleurs<br />

qui, même après la sauvage répression,<br />

ont continué et amplifié leur mouvement<br />

gréviste, ont servi d’exemple pour les mineurs<br />

d’autres compagnies dans tout le<br />

pays, qui se sont mis en grève aux cris de<br />

« nous aussi nous voulons 12 500 rands » !<br />

Ainsi, des mineurs de la Gold Fields, de la<br />

Royal Bafokeng Platinum, de l’AngloGold<br />

Ashanti et de l’Anglo American Platinium<br />

se sont mis en grève et ont commencé<br />

à revendiquer des augmentations de<br />

salaire. La direction de l’Anglo American<br />

Platinium a dû même faire un lockout<br />

pour soi-disant « protéger les salariés qui<br />

ne sont pas en grève des intimidations<br />

extérieures ».<br />

La plupart de ces grèves sont menées<br />

contre l’avis de la bureaucratie syndicale.<br />

Chez Lonmin comme dans d’autres<br />

mouvements antérieurs similaires s’est<br />

en effet révélé un autre élément de crise<br />

dans le régime : le discrédit de la bureaucratie<br />

syndicale parmi certains secteurs<br />

du mouvement ouvrier. Ceci est un grave<br />

problème pour le gouvernement et les<br />

classes dominantes sud-africaines car<br />

la cooptation de l’appareil syndical est<br />

un élément fondamental du pouvoir de<br />

l’ANC depuis 1994. L’alliance avec la<br />

puissante confédération syndicale CO-<br />

SATU (Congress of South African Trade<br />

Unions) et le Parti <strong>Communiste</strong> a ainsi<br />

été une façon de contenir, de contrôler<br />

et de dévier le mouvement ouvrier sudafricain.<br />

A Marikana la grève a été menée par un<br />

40<br />

révolutioN permaNeNte<br />

syndicat parallèle issu d’une scission<br />

du NUM (le syndicat le plus important<br />

de la COSATU), l’AMCU (Association of<br />

Mineworkers and Construction Union).<br />

Ce n’est pas un hasard si la direction de<br />

la multinationale, le gouvernement et la<br />

bureaucratie syndicale condamnaient<br />

à l’unisson cette grève en la qualifiant<br />

« d’illégale », terme qui a été repris par<br />

tous les médias impérialistes. En effet,<br />

« la rage des mineurs (…) trouve sa<br />

source non seulement dans le fait qu’ils<br />

touchent des salaires de misère mais<br />

aussi dans cette réalité que les leaders<br />

syndicaux vivent (…) comme des rois. Le<br />

président du NUM gagne par mois 25<br />

fois plus que les mineurs qui ont rejoint<br />

l’AMCU. Lorsqu’il est allé à la mine de<br />

Marikana après le massacre, il n’a pas pu<br />

sortir de la voiture de police qui le transportait<br />

de peur qu’on le tue » 10 .<br />

Un accord qui mettra fin<br />

aux luttes et aux grèves ?<br />

On apprenait finalement mercredi 19<br />

septembre qu’un accord avait été trouvé<br />

entre les grévistes et Lonmin. Celui-ci,<br />

loin de satisfaire la demande de 12 500<br />

rands exigés par les mineurs et pour laquelle<br />

43 travailleurs ont donné leur vie,<br />

stipule une augmentation d’entre 11%<br />

et 22% selon les catégories ainsi qu’une<br />

prime unique de 2 000 rands. Toute une<br />

faune réactionnaire a participé aux négociations<br />

pour faire plier les mineurs : du<br />

clergé regroupé dans le South African<br />

Council of Churches (SACC) à la bureau-<br />

[10] Idem.<br />

N°6 / automNe 2012<br />

cratie syndicale de la NUM, en passant<br />

par les “chefs traditionnels” du Congress<br />

of Traditional Leaders(Controlesa).<br />

Avant la grève, on l’a dit, un mineur gagnait<br />

environ 6 700 rands bruts, c’est-àdire<br />

4 600 rands nets. Après l’augmentation<br />

offerte par Lonmin, il faut compter<br />

1 800 rands de plus. Comme on le voit,<br />

on est très loin des 12 500 rands revendiqués<br />

! En effet, l’entreprise a essayé<br />

de tromper le monde et de discréditer<br />

la lutte des salariés en présentant des<br />

chiffres en brut, qui effectivement avec<br />

l’augmentation approchent des 11 000<br />

rands pour certaines catégories. Mais<br />

il est très clair que quand les ouvriers<br />

exigent le triplement de leur rémunération<br />

ils parlent du salaire net. Appuyés<br />

sur ces chiffres magouillés de l’entreprise,<br />

les médias ont parlé de « victoire ».<br />

Le comble du cynisme a été la déclaration<br />

d’Abey Kgotle, directeur exécutif<br />

pour les affaires générales de Lonmin,<br />

qui a dédié l’accord à « tous les employés<br />

décédés qu’il a fallu enterrer » !<br />

On pourrait alors se demander pourquoi<br />

les mineurs ont accepté l’accord. Le fait<br />

est qu’ils ont subi beaucoup de pressions,<br />

qui se sont ajoutées à un mois<br />

de grève qui commençait à peser économiquement<br />

sur des travailleurs qui<br />

connaissent des conditions d’existance<br />

très précaires. La bureaucratie syndicale<br />

a lourdement pesé en ce sens. Un jeune<br />

mineur déclarait par exemple, qu’« il a<br />

accepté l’offre, non parce que cela lui<br />

semblait satisfaisant mais parce que ses<br />

dirigeants [syndicaux] lui avaient dit que<br />

la mine pourrait fermer » 11 . En effet, «<br />

dans un caucus qui excluait l’AMCU, les<br />

syndicats officiels ont essayé d’expliquer<br />

la facilité avec laquelle les travailleurs<br />

impliqués dans une grève non protégée<br />

pourraient être licenciés, à quel point<br />

Lonmin s’en sortait mal, comment une<br />

offre supérieure pourrait impliquer la<br />

perte de postes de travail… » 12 . Un autre<br />

facteur important pour comprendre le<br />

retour au travail à Marikana est la répression<br />

des forces de police qui depuis<br />

le 14 septembre avaient imposé un<br />

couvre-feu non avoué : « un mineur qui<br />

ne voulait pas être identifié a déclaré<br />

que la police avait imposé un couvre-feu<br />

dans les campements d’Ikineng, de Marikana<br />

et de Wonderkop samedi dernier<br />

et ‘qu’aucun homme n’avait le droit de<br />

sortir, seulement les femmes’. Il a dit que<br />

la police avait empêché les travailleurs<br />

d’organiser des meetings et les a prévenu<br />

que s’ils voyaient quatre ou plus<br />

mineurs ensemble ils seraient battus (…)<br />

Brian Mongale, un autre mineur, a déclaré<br />

que les mineurs avaient peur d’être<br />

réprimés par la police et sont retournés<br />

[11] Mail & Guardian, "Lonmin miners crack<br />

under pressure”, 21/9/2012.<br />

[12] Mail & Guardian, “Marikana: How the<br />

wage war was won”, 21/9/2012.


au travail. A la question de pourquoi ils<br />

avaient accepté l’offre de l’entreprise,<br />

Mongale répond sans hésiter : à cause de<br />

l’Etat d’urgence. C’est évident… » 13 .<br />

Même si pour l’instant cet accord a réussi<br />

à faire reprendre le travail aux mineurs<br />

de Marikana, d’autres mines à travers le<br />

pays continuent leur lutte pour les augmentations<br />

de salaires. Le jour même<br />

où les mineurs de Lonmin reprenaient<br />

le travail, ceux d’AngloGold Ashanti se<br />

mettaient en grève, une propagation<br />

qui effraie la bureaucratie syndicale :<br />

« notre plus grand souci c’est que si on<br />

est rentrés dans une voie où l’on aura<br />

des demandes sporadiques dans différents<br />

secteurs de l’industrie, les négociations<br />

collectives seront sapées et ce sera<br />

le chaos » 14 , déclarait Lesiba Seshoka,<br />

porte-paroles de la NUM.<br />

ce qui s’est passé à<br />

marikana pose bien plus<br />

qu’une question salariale !<br />

Il serait erroné de penser que la lutte<br />

des mineurs de Marikana peut être<br />

réduite à la revendication salariale, et<br />

même à celle concernant l’amélioration<br />

des conditions de travail. A travers<br />

la demande de 12 500 rands par mois<br />

s’exprimait un ras-le-bol des conditions<br />

humiliantes de vie. A côté des sites d’ex-<br />

[13] Mail & Guardian, “Lonmin miners<br />

crack…”, article déjà cité.<br />

[14] Financial Times, «Workers strike at S<br />

Africa AngloGold mine », 21/9/2012.<br />

Manifestation de<br />

femmes après le<br />

drame de Marikana.<br />

SituAtion internAtionAle<br />

traction, de production ou des chantiers<br />

s’entassent des millions de travailleuses<br />

et de travailleurs avec leur famille, dans<br />

des bidonvilles sans eau potable ni électricité,<br />

ni infrastructures de base comme<br />

le système d’évacuation des eaux usées,<br />

entre autres. Marikana remet sur le tapis<br />

la question de la lutte pour l’égalité, mais<br />

non simplement « l’égalité civique » mais<br />

aussi l’égalité sociale. Les travailleurs<br />

et les masses populaires Noires exigent<br />

des solutions à leur situation de misère<br />

structurelle. Ce n’est pas un hasard si des<br />

centaines de mineurs reprenaient les<br />

paroles de Malema quand il évoquait la<br />

question de la nationalisation des mines.<br />

Le niveau de sauvagerie de la répression<br />

de l’Etat est proportionnel à la peur que<br />

la bourgeoisie locale, Blanche et Noire, et<br />

l’impérialisme ressentent face au mouvement<br />

ouvrier en lutte, même lorsque<br />

celui-ci n’exige qu’une partie infime de<br />

ce à quoi les masses ont droit. A présent<br />

que la crise entre dans une phase où les<br />

pays dits « émergents » seront de plus en<br />

plus durement touchés, il faut s’attendre<br />

à ce qu’il s’y développe une conflictualité<br />

sociale toujours intense. Il faut donc<br />

que le mouvement ouvrier soit prêt à<br />

faire face à de grandes luttes.<br />

Dans le cas de l’Afrique du Sud il est clair<br />

qu’il faudra aller au-delà des limites imposées<br />

par le régime de l’ANC pour satisfaire<br />

les demandes fondamentales des<br />

travailleurs et des couches populaires. Il<br />

faut que le mouvement ouvrier et populaire<br />

s’organise indépendamment de la<br />

bourgeoisie nationale, de l’impérialisme<br />

et de la bureaucratie syndicale, pour exi-<br />

ger la nationalisation des mines et des<br />

richesses naturelles du pays ainsi que<br />

des secteurs stratégiques de l’économie<br />

nationale, sous contrôle et gestion des<br />

travailleurs et des masses populaires.<br />

Il faut également exproprier les grands<br />

propriétaires fonciers et partager la terre<br />

entre les paysans pauvres qui n’en possèdent<br />

pas. Cela permettrait de résoudre<br />

la question du chômage structurel (plus<br />

de 30% aujourd’hui), du développement<br />

du pays et de l’amélioration du niveau<br />

de vie de la population. Il est évident<br />

que pour mener à bien ces mesures les<br />

travailleurs doivent poser la question<br />

de la construction de leur propre pourvoir<br />

et de leur propre armement, contre<br />

le terrorisme de classe de la bourgeoisie<br />

Blanche et de ses laquais de l’ANC.<br />

Le changement bidon dirigé par l’ANC<br />

démontre que seulement le prolétariat, à<br />

la tête des masses opprimées et à travers<br />

son propre pouvoir, peut résoudre intégralement<br />

et effectivement les énormes<br />

problèmes démocratiques structurels<br />

qui pèsent sur les masses sud-africaines.<br />

Dans l’immédiat, Il faut exiger la punition<br />

des responsables matériels et politiques<br />

du massacre de Marikana, qui<br />

jusqu’aujourd’hui jouissent d’une impunité<br />

totale, comme le montrent les intimidations<br />

qu’ils continuent à exercer sur<br />

les grévistes. La lutte desmineurs doit<br />

dépasser la sphère syndicale et prendre<br />

un caractère plus ouvertement politique.<br />

Ce serait la meilleure façon de venger<br />

nos frères de classe abattus pour avoir<br />

lutté pour leurs droits !<br />

23/09/12<br />

Afrique du Sud<br />

41


Romain Lamel<br />

42<br />

révolutioN permaNeNte<br />

Le 7 octobre prochain, de nouvelles<br />

élections présidentielles se tiendront au<br />

Venezuela. Le Président sortant, Hugo<br />

Chávez, cherche une troisième réélection.<br />

Les conditions de vie au Venezuela ont<br />

certes changé. De là à dire que les classes<br />

populaires ont réussi à voir quelle était la<br />

couleur du fameux « socialisme du XXI ème<br />

siècle » promis depuis 2005 par Chávez,<br />

il y a cependant un pas. L’opposition de<br />

droite qui se présente face à lui propose<br />

de son côté les vieilles recettes néolibérales<br />

qui avaient frappé durement la population<br />

dans les années 1980 et 1990.<br />

Que peuvent faire les révolutionnaires<br />

face à cette fausse alternative ? Ce sont<br />

des questions autour desquelles bataillent<br />

au quotidien les forces d’extrême gauche<br />

vénézuéliennes qui refusent à cautionner<br />

la politique de Chávez et qui maintiennent<br />

leur indépendance politique à l’égard du<br />

parti « socialiste » bolivarien, le PSUV. Et<br />

ce sont les défis que relèvent, dans cette<br />

campagne, les camarades de la Ligue des<br />

Travailleurs pour le Socialisme (LTS), dont<br />

nous nous ferons ici l’écho 1 .<br />

En Europe, Hugo Chávez est surtout<br />

connu pour sa rhétorique révolutionnaire,<br />

ses diatribes anti-impérialistes,<br />

comme en septembre 2006 où il avait<br />

osé qualifier de « diable », de « menteur »<br />

et de « tyran » le président des Etats-Unis<br />

du moment, George W. Bush, depuis la<br />

tribune habituellement si consensuelle<br />

de l’ONU. Les récits des tentatives insurrectionnelles<br />

de l’opposition pour renverser<br />

son gouvernement ont contribué<br />

à créer le mythe d’un successeur des<br />

barbudos cubains à la tête de l’Etat vénézuélien.<br />

En effet, en avril 2002, un coup<br />

d’Etat militaire a renversé Hugo Chávez.<br />

Un gouvernement dirigé par le chef du<br />

patronat et reconnu par les seuls Etats-<br />

Unis et l’Espagne de José María Aznar<br />

destitue les élus en place et commence<br />

à réprimer les quartiers populaires vénézuéliens.<br />

Mais quarante-huit heures<br />

plus tard, c’est bien la contre-offensive<br />

spontanée des classes populaires et des<br />

quartiers les plus pauvres des villes, qui<br />

reçoivent bientôt le soutien de certains<br />

secteurs des Forces Armées, qui permet<br />

le rétablissement du gouvernement<br />

constitutionnel. Quelques mois plus tard,<br />

[1] La LTS est le groupe de la Fraction Trotskyste-Quatrième<br />

Internationale au Venezuela.<br />

Elle publie le journal En Clave obrera<br />

(www.lts.org.ve/)<br />

N°6 / automNe 2012<br />

ni chávez, ni opposition néo-libérale !<br />

PouR une cAnDiDAtuRe ouvRièRe inDéPenDAnte loRS<br />

DeS PRochAineS électionS Au venezuelA!<br />

entre décembre 2002 et février 2003, les<br />

cadres de PDVSA, la grande entreprise<br />

nationale d’hydrocarbures dont le pays<br />

est un des plus importants producteurs,<br />

ainsi que le patronat, tentent de paralyser<br />

l’économie vénézuélienne. Souvent,<br />

les travailleurs rouvrent les usines et<br />

redémarrent les machines. L’industrie<br />

pétrolière est elle-même partiellement<br />

relancée. Un jeune ouvrier de 19 ans<br />

témoigne: « Nous sommes plus fiers que<br />

jamais. Maintenant, nous avons montré à<br />

nos chefs que nous pouvons faire fonctionner<br />

cette usine sans eux » 2 . Toutefois,<br />

le coup de force du patronat allié à la<br />

bureaucratie syndicale échoue. Le récit<br />

de ces événements (où le gouvernement<br />

a brillé par sa passivité) et l’engouement<br />

acritique d’une partie de la gauche radicale<br />

a contribué à construire la légende<br />

d’un Chávez anti-impérialiste et héros<br />

des classes populaires. Mais qu’en est-il<br />

vraiment ? Où en est la « <strong>Révolution</strong> bolivarienne<br />

» près de quatorze ans après la<br />

première élection d’Hugo Chávez ?<br />

une opposition toujours<br />

liée aux dogmes<br />

néolibéraux<br />

S’il est un point sur lequel la légende<br />

se vérifie, c’est sur le caractère toujours<br />

réactionnaire de l’opposition vénézuélienne.<br />

Regroupés autour de la Table<br />

Ronde d’Unité Démocratique (MUD),<br />

l’opposition regroupe les anciens partis<br />

qui gouvernaient avant Chávez (AD,<br />

COPEI, MAS, Convergencia) et de nouveaux<br />

partis qui s’inscrivent néanmoins<br />

dans la même ligne politique (UNTC, PJ).<br />

Durant les deux décennies précédant<br />

l’accession au pouvoir d’Hugo Chávez,<br />

l’inflation multiplie les prix par 9, la part<br />

des salaires dans le revenu national diminue<br />

de cinq points, les inégalités augmentent<br />

et toutes les études montrent<br />

un approfondissement de la pauvreté.<br />

Face au reflux des cours du pétrole et à<br />

la crise de la dette qui secoue l’Amérique<br />

latine, les différents gouvernements<br />

vénézuéliens choisissent d’appliquer<br />

les injonctions des agences financières<br />

internationales. Les plans d’ajustement<br />

d’inspiration néolibérale se succèdent.<br />

[2] The New York Times, 29 décembre 2002<br />

En février 1989, l’ancien président<br />

social-démocrate, Carlos Andrés Pérez<br />

revient au pouvoir avec les espérances<br />

d’un renouveau de l’Etat-Providence.<br />

Quelques jours après, il applique un<br />

plan cosigné avec le FMI, grevant durement<br />

les conditions de vie des classes<br />

populaires vénézuéliennes : réduction<br />

du contrôle des prix, de l’intervention de<br />

l’Etat, des salaires et introduction d’un<br />

impôt sur la vente. Une semaine de révoltes<br />

réprimées au prix de centaines de<br />

morts agite alors le Venezuela.<br />

le caracazo : le jour<br />

où les pauvres sont<br />

descendus des barrios !<br />

Le 27 février 1989, le doublement<br />

du prix de l’essence entre en vigueur<br />

dans tout le pays. A l’aube, dans les<br />

centres de transport collectif des principales<br />

villes du pays, les usagers, surtout<br />

les étudiants, résistent, occupent<br />

les gares routières, fraternisent avec<br />

les travailleurs informels. La police,<br />

dépassée par la situation, reste spectatrice<br />

alors que la population commence<br />

à fait irruption dans les centres<br />

commerciaux, bloque le trafic routier,<br />

crie des slogans contre l’augmentation<br />

des prix…C’est le début du Caracazo.<br />

Ce n’est que le lendemain soir<br />

que le Président de la République<br />

déclare l’état de siège pour les jours<br />

suivants. Une répression implacable<br />

s’abat contre la population et surtout<br />

contre les habitants des quartiers populaires<br />

de Caracas. En une semaine,<br />

on estime qu’un millier de personnes<br />

sont assassinées par les forces de<br />

l’ordre. Cette vague de révoltes réprimée<br />

dans le sang, est l’origine du<br />

discrédit qui va frapper les élites politiques<br />

du moment et précipiter l’arrivée<br />

d’Hugo Chávez au pouvoir.


Rafael Caldera, appuyé par un certain<br />

nombre de militants syndicaux ainsi que<br />

par le Parti <strong>Communiste</strong> Vénézuélien,<br />

remplace alors Carlos Andrés Pérez et<br />

renie également ses promesses de campagne<br />

anti-libérales. Il prend en charge<br />

la quasi-totalité du système bancaire<br />

privé, pour un coût estimé de plus de 8,5<br />

milliards de dollars, soit 75 % du budget<br />

national de 1994. Le secteur bancaire<br />

est ensuite, peu à peu, repris par le capital<br />

étranger. Rafael Caldera finit lui aussi<br />

par mettre en œuvre un plan de réformes<br />

d’inspiration néolibérale, l’Agenda Venezuela<br />

en 1996. Le régime politique est<br />

à l’agonie, ce qui s’explique notamment<br />

par une crise économique latente depuis<br />

deux décennies, des révoltes massives<br />

comme le Caracazo, les désillusions<br />

créées par l’élection de Caldera et le<br />

mépris pour une élite politique dont la<br />

corruption est notoire et dont le prestige<br />

a été mis à mal par les coups d’Etat de<br />

1992. On comprend alors les raisons de<br />

la victoire de Chávez aux élections en<br />

1998, après son coup d’Etat raté contre<br />

ce régime corrompu en 1992. L’opposition<br />

vénézuelienne continue néanmoins<br />

à revendiquer jusqu’aujourd’hui son<br />

bilan, celui d’une « démocratie » cogérée<br />

entre deux partis pendant quatre décennies<br />

avec l’application de plans d’ajustement<br />

pendant les deux dernières.<br />

La trajectoire du candidat à l’élection présidentielle<br />

de 2012 prouve la continuité<br />

du camp social choisi par cette coalition<br />

électorale. Henrique Capriles Radonsky<br />

est l’héritier du groupe Capriles, puissante<br />

entreprise agro-alimentaire et qui<br />

étend son empire aux médias, avec plusieurs<br />

journaux de diffusion nationale<br />

comme Últimas Noticias, et contrôle aussi<br />

une maison d’édition…En avril 2002, il<br />

participe à la tentative de coup d’Etat en<br />

allant à l’assaut de l’ambassade de Cuba<br />

en tant que maire d’un des quartiers les<br />

plus bourgeois de Caracas, ce qui lui vaut<br />

quatre mois de prison par la suite. Aujourd’hui<br />

gouverneur d’un des Etats les<br />

plus riches du Venezuela, il souhaite s’affirmer<br />

comme un modéré, maintenir les<br />

programmes sociaux du président Chávez<br />

et revendique la filiation politique de<br />

Lula. Mais, chassez le naturel, il revient<br />

au galop ! Le 1 er mai dernier, alors qu’il<br />

était interrogé sur sa possible participation<br />

aux traditionnelles manifestations, il<br />

n’a pas manqué de souligner : « Je suis<br />

un employeur et ça ne correspond pas à<br />

mon rôle de participer » expliquant que,<br />

pour lui, en matière sociale, l’important<br />

est qu’ « un gouvernement génère de la<br />

confiance pour qu’il y ait de l’investissement<br />

» 3 . La promesse de « désidéologiser<br />

la Chancellerie », en l’occurrence le<br />

ministère des Affaires étrangères, relève<br />

de la même servilité à l’égard du capital,<br />

étranger dans ce cas.<br />

[3] http://laclase.info/nacionales/caprilesno-marcha-los-primeros-de-mayo-porquerepresenta-los-patronos-y-no-los-trabajado<br />

situation internationale<br />

venezuela<br />

Journée-débat organisée le 20 septembre dernier par la LTS à la faculté d'histoire de<br />

Caracas autour de la question "Pourquoi soutenir une campagne ouvrière ?"<br />

l’impasse de la<br />

« <strong>Révolution</strong> »<br />

bolivarienne<br />

Si l’opposition est clairement le porteparole<br />

d’une classe sociale aisée, la<br />

légende d’un Hugo Chávez héros des<br />

classes populaires relève d’un romantisme<br />

européen éloigné de la réalité<br />

vénézuélienne. L’épisode le plus connu<br />

de cette exaltation, le récit du coup<br />

d’Etat militaire d’avril 2002 mérite d’être<br />

relativisé. Après son rétablissement au<br />

pouvoir, au lieu de profiter du nouveau<br />

rapport de forces à l’œuvre dans le pays,<br />

Hugo Chávez appelle à la réconciliation<br />

avec l’opposition putschiste. Il va même<br />

plus loin le 31 décembre 2007 en amnistiant<br />

les auteurs des deux tentatives insurrectionnelles.<br />

Lors de la tentative de<br />

paralysie de l’économie vénézuélienne,<br />

les travailleurs ont résisté et ont réussi<br />

à vaincre la déstabiliation de l’opposition<br />

qui souhaitait maintenir sa grève<br />

« jusqu’à ce que Chávez tombe ». Si cet<br />

épisode a désorganisé l’opposition en<br />

général et le patronat en particulier, il n’a<br />

pas débouché sur une auto-organisation<br />

plus développée des travailleurs. Le chavisme<br />

l’a empêché par la création d’une<br />

nouvelle centrale syndicale, liée au pouvoir,<br />

puis par la création du parti socialiste<br />

bolivarien qui est un appendice du<br />

gouvernement au sein du mouvement<br />

populaire, le PSUV.<br />

A la suite des deux tentatives de putsch<br />

réactionnaire, le gouvernement a mis<br />

sur pied les « Missions », permettant une<br />

nette amélioration des conditions de vies<br />

du peuple pauvre des barrios en termes<br />

d’éducation, de santé et d’alimentation,<br />

etc. En bonne mesure assistancialistes,<br />

ces décisions laissent peu de place à<br />

l’initiative populaire à la base, mais<br />

ont néanmoins permis une résorption<br />

rapide d’une partie de la pauvreté (-18<br />

points en seulement 4 ans). Toutefois,<br />

les structures de l’économie vénézuélienne<br />

restent dirigées par la même élite.<br />

L’entreprise pétrolière, PDVSA, licencie<br />

tous les cadres d’opposition mais ne met<br />

pas en place un mode de gestion où les<br />

travailleurs auraient un pouvoir décisionnaire.<br />

Une nouvelle direction, progouvernementale,<br />

est mise en place sans<br />

rien changer aux liens hiérarchiques. Autour<br />

de 1 200 entreprises sont occupées<br />

par leurs travailleurs. Dans quelques cas,<br />

le gouvernement promeut un modèle de<br />

cogestion comme à INVEPAL, entreprise<br />

de production de papier, INVETEX, dans<br />

le secteur textile ou INVEVAL, qui produit<br />

des valves pour l’industrie pétrolière.<br />

Face à l’impasse que représentent ces<br />

expériences, les ouvriers d’une usine de<br />

production de sanitaires (Sanitarios Maracay)<br />

réclame, en novembre 2006, la nationalisation<br />

sous contrôle ouvrier, que<br />

l’Etat garantisse les droits sociaux et l’approvisionnement<br />

en matière première<br />

et que les travailleurs gèrent démocratiquement<br />

le quotidien de l’établissement.<br />

Après neuf mois d’occupation, de<br />

répression gouvernementale, le gouvernement<br />

réussit à manœuvrer avec l’ancien<br />

patron pour récupérer le contrôle<br />

de l’entreprise et finit par la nationaliser<br />

plusieurs années plus tard, sous contrôle<br />

gouvernemental. Cet épisode est caractéristique<br />

de l’incapacité du chavisme,<br />

malgré tous les discours proclamant le<br />

contraire, à inclure le mouvement ou-<br />

43


évolutioN permaNeNte<br />

vrier dans sa dynamique et à prendre<br />

en compte la participation à la base, si<br />

ce n’est de façon intégrée, verticaliste<br />

et bureaucratisée. Quelques exemples<br />

suffiront à illustrer ce rapport. Quand,<br />

dans la succursale de Mitsubichi à Barcelona,<br />

les travailleurs se battent contre un<br />

plan de licenciement, en janvier 2008,<br />

la police de l’Etat de Anzoátegui dont le<br />

gouverneur est inscrit au PSUV, le parti<br />

d’Hugo Chávez, assassine deux travailleurs.<br />

Le cas de Rubén González est également<br />

tout à fait emblématique. Leader<br />

syndical dans une entreprise minière de<br />

fer, Ferrominera, González est un militant<br />

du PSUV. En juin 2009, il dirige une grève<br />

d’une quinzaine de jours pour la renégociation<br />

des conventions collectives, problème<br />

récurrent ces dernières années.<br />

En septembre 2009, il est emprisonné<br />

pour « délit d’attroupement, incitation à<br />

la délinquance, violation de la zone de<br />

sécurité et restriction de la liberté du<br />

travail ». Après dix-sept mois de détention,<br />

il est condamné à sept ans et demi<br />

de prison puis libéré quelques jours<br />

plus tard sans être amnistié de toute<br />

poursuite. En juillet dernier, González a<br />

emporté à nouveau la direction du syndicat<br />

de Ferrominera malgré les pressions<br />

du gouvernement. Il vaut décidément<br />

mieux être putschiste que dirigeant<br />

syndical pour bénéficier de la clémence<br />

gouvernementale !<br />

Ces cas sont les plus emblématiques<br />

d’une pratique représentative du divorce<br />

relatif entre le gouvernement et les<br />

classes populaires, qui n’empêchera pas<br />

une troisième réélection de Chavez à la<br />

tête de l’Etat mais pose avec d’autant<br />

plus d’acuité la question de l’organisation<br />

des révolutionnaires et de l’avantgarde<br />

ouvrière de manière indépendante<br />

de l’appareil chaviste. Hugo Chávez<br />

favorise depuis le début de son mandat<br />

l’augmentation de ses propres pouvoirs<br />

plutôt que l’émancipation autonome des<br />

classes populaires, et le mécontentement<br />

social grandit. Ces cinq dernières<br />

44<br />

années sont, selon l’organisation nongouvernementale<br />

PROVEA, les années<br />

où les manifestations pacifiques ont été<br />

les plus nombreuses depuis son arrivée<br />

au pouvoir. Les scandales se multiplient :<br />

découverte de 130 000 tonnes de nourriture<br />

en putréfaction détournées par<br />

des membres des plus hautes sphères<br />

de l’Etat au printemps 2010, explosion<br />

d’une raffinerie pétrolière malgré les<br />

alertes de sécurité répétées de dirigeants<br />

syndicaux indépendants en août<br />

dernier. Ces épisodes témoignent d’une<br />

tendance à la coupure entre l’élite et la<br />

base populaire. Au sein du chavisme, une<br />

partie de la société s’enrichit et forme<br />

une nouvelle bureaucratie d’Etat ainsi<br />

qu’un patronat dépendant de contrats<br />

publics, appelé « bolibourgeoisie », raccourci<br />

de « bourgeoisie bolivarienne ».<br />

Un axe de la rhétorique gouvernementale<br />

se concentre alors sur la défense<br />

de la patrie vénézuélienne. Le slogan de<br />

la campagne présidentielle du candidat<br />

Chávez est d’ailleurs « Chávez, cœur de<br />

ma patrie ». Mais « l’ anti-impérialisme »<br />

du président Chávez souffre depuis<br />

quelques années de quelques entorses<br />

importantes. Alors que, depuis 1975, le<br />

gouvernement vénézuélien demeurait<br />

seul propriétaire de l’industrie pétrolière,<br />

il signe depuis mars 2006 des dizaines<br />

de contrats d’entreprises mixtes<br />

pour l’exploration et la production de<br />

pétrole au Venezuela. Interlocuteur des<br />

FARC dans les négociations pour la libération<br />

d’Ingrid Betancourt, Hugo Chávez<br />

est devenu le « nouveau meilleur ami »<br />

du président colombien Juan Manuel<br />

Santos au pouvoir, et lui livre régulièrement<br />

des guérilleros ou des anciens guérilleros<br />

depuis avril 2011.<br />

Ni défenseur des travailleurs, ni fervent<br />

combattant anti-impérialiste, Hugo Chávez<br />

est devenu, au fil des années, le chef<br />

d’Etat d’un processus politique de plus<br />

en plus institutionnalisé. Les réponses<br />

politiques à son affaiblissement électo-<br />

Graffitis de campagne de la LTS :<br />

"Ni recettes néolibérales ni la fausse "révolution"<br />

"Pour un gouvernement des travailleurs et du peuple pauvre"<br />

"Soutien critique pour le candidat ouvrier Orlando Chirino"<br />

N°6 / automNe 2012<br />

ral prouvent l’impasse que représente<br />

pour les révolutionnaires le processus<br />

chaviste. Pour les élections législatives<br />

de septembre 2010, alors que le chavisme<br />

a obtenu moins de la moitié des<br />

suffrages exprimés, la loi électorale a<br />

été opportunément modifiée pour permettre<br />

au gouvernement d’obtenir une<br />

majorité plus nette qu’espérée. Au cours<br />

de la campagne actuelle, une politique<br />

de logement sensée résorber des décennies<br />

de pénurie est développée de manière<br />

plus ou moins clientéliste. Chaque<br />

fois, ce sont des réponses conjoncturelles,<br />

octroyées par le gouvernement,<br />

qui ne règlent pas le problème politique<br />

de l’affaiblissement du chavisme. Le cancer<br />

dont souffre Hugo Chávez depuis<br />

juin 2011 pourrait précipiter la fin de ce<br />

processus politique reposant principalement<br />

sur la légitimité charismatique du<br />

leader.<br />

A l’instabilité politique et sociale des<br />

années 80 et 90, à l’image du Caracazo, à<br />

la situation potentiellement révolutionnaire<br />

de 2002 – 2003 où les travailleurs<br />

contrôlaient certaines usines, le gouvernement<br />

Chávez a opposé une voie qui<br />

ne mènera au socialisme ni au XXI ème ,<br />

ni au XXII ème siècle. Face à ces sérieux<br />

périls, le gouvernement a maintenu les<br />

structures de l’économie vénézuélienne<br />

et appliqué sa méthode, l’imposition par<br />

en haut plutôt que l’auto-organisation<br />

par en bas. Le taux de pauvreté a sans<br />

aucun doute baissé au Venezuela mais<br />

le chemin pour l’abolir durablement est<br />

bouché par les propres forces du gouvernement.<br />

Hugo Chávez lui-même ne<br />

se trompait pas lorsqu’il déclarait cet été<br />

pendant la campagne électorale « que<br />

cela convenait à la bourgeoisie » qu’il<br />

soit réélu parce qu’il « garantissait aux<br />

riches de pouvoir continuer leur vie tranquillement<br />

» 4 .<br />

[4] http://laclase.info/nacionales/chavezlos-ricos-les-conviene-mi-victoria


Pour une candidature<br />

ouvrière indépendante !<br />

Cet automne verra sans aucun doute la<br />

réélection d’Hugo Chávez face à l’absence<br />

d’une alternative mobilisatrice<br />

pour un secteur majoritaire de la population.<br />

Le président sortant et Henrique Capriles<br />

emporteront vraisemblablement a<br />

eux deux la quasi-totalité des suffrages.<br />

La polarisation politique au Venezuela<br />

est telle en effet que lors du dernier<br />

scrutin, Hugo Chávez et son opposant de<br />

droite avait réuni sous leurs noms 99,76<br />

% des suffrages exprimés. Pourtant, face<br />

au danger réactionnaire de l’opposition<br />

s’inscrivant toujours dans le cadre du<br />

néo-libéralisme et face à l’impasse que<br />

représente pour les classes populaires<br />

ladite « <strong>Révolution</strong> bolivarienne », une<br />

voie alternative est nécessaire.<br />

C’est en ce sens que pour les élections<br />

du 7 octobre prochain, les camarades<br />

de la LTS appellent les travailleurs et les<br />

jeunes à porter leur suffrage sur la candidature<br />

d’Orlando Chirino. Après les tentatives<br />

insurrectionnelles de l’opposition<br />

de 2002 – 2003, une centrale syndicale<br />

alternative est créée, l’Union Nationale<br />

des Travailleurs. Orlando Chirino, militant<br />

ouvrier combatif de longue date, en<br />

devient l’un des 21 coordinateurs nationaux.<br />

Il y constitue la tendance C-CURA,<br />

<strong>Courant</strong> Classiste Unitaire <strong>Révolution</strong>naire<br />

et Autonome. Lors du 2 ème Congrès<br />

de l’UNT, ce courant est majoritaire mais<br />

l’élection d’Orlando Chirino à la tête de<br />

la centrale syndicale est empêchée par<br />

les tendances les plus subordonnées au<br />

gouvernement. Chirino continue pourtant<br />

à l’époque à soutenir sans réserve<br />

le Président Chávez, malgré quelques<br />

revendications d’autonomie syndicale 5 .<br />

[5] A l’époque Chirino défend cette orientation<br />

au nom de son opposition aux vieux dirigeants<br />

syndicaux qui « continuent de s’occuper<br />

de la négociation des contrats de travail,<br />

situation internationale<br />

"Un ouvrier candidat à la présidentielle"<br />

En décembre 2007, Chirino appelle à<br />

l’abstention lors de la réforme constitutionnelle<br />

permettant la réélection illimitée<br />

du président de la République et, en<br />

représailles du gouvernement, est licencié<br />

de PDVSA. Sa candidature à l’élection<br />

présidentielle marque donc un positionnement<br />

politique s’opposant aux candidatures<br />

« bourgeoises » de Chávez et<br />

Capriles.<br />

La LTS a souvent été en désaccord avec<br />

la ligne défendue par Chirino et son organisation,<br />

le PSL, notamment dans son<br />

mouvement de balancier entre opposition<br />

et soutien à Chávez puis, après<br />

2007, un rapport parfois problématique<br />

avec plusieurs secteurs syndicaux de<br />

l’opposition antichaviste bourgeoise 6 .<br />

Il y a cependant dans la candidature<br />

d’Orlando Chirino les mêmes caractéristiques<br />

essentielles que les travailleurs<br />

et les jeunes radicalisés ont reconnues<br />

dans la candidature de Philippe Poutou :<br />

une perspective anticapitaliste et la candidature<br />

d’un militant ouvrier. C’est en ce<br />

sens que la LTS soutient et fait la campagne<br />

de Chirino. C’est en ce sens aussi<br />

que le positionnement de plusieurs courants<br />

se revendiquant du trotskysme au<br />

Venezuela est des plus problématiques.<br />

On connaît celui de Marea Socialista, le<br />

des revendications minimes des travailleurs,<br />

mais n’ont aucune perspective politique pour<br />

lutter effectivement pour un modèle social<br />

nouveau et supérieur. En ce sens, je crois<br />

qu’ils ne comprendront jamais ce qu’est le<br />

Socialisme du XXIème Siècle que propose le<br />

Président Chávez ». Voir O. Chirino, Orlando<br />

Chirino…Responde, Caracas, Instituto Municipal<br />

de Publicaciones, 2005, p. 16.<br />

[6] Le Partido Socialismo y Libertad est<br />

l’organisation de la UIT-QI moréniste au<br />

Venezuela.<br />

venezuela<br />

plus important sans doute, qui entretient<br />

de très bonnes relations avec la Gauche<br />

Anticapitaliste en France, qui est à l’intérieur<br />

du PSUV et fait campagne pour<br />

Chávez. C’est un positionnement qui est<br />

également partagé par le Secrétariat Unifié<br />

de la Quatrième Internationale dont<br />

nombre de camarades au sein du NPA<br />

sont issus ou se revendiquent.<br />

Comme le disait Karl Marx, « l’émancipation<br />

des travailleurs sera l’œuvre<br />

des travailleurs eux-mêmes ». Un siècle<br />

et demi plus tard, en France comme au<br />

Venezuela, cette maxime garde la même<br />

actualité. Les travailleurs doivent se<br />

représenter eux-mêmes. Ce ne sont ni<br />

des professionnels de la politique à la<br />

rhétorique « révolutionnaire » ni des pantins<br />

plus classiques de la bourgeoisie qui<br />

peuvent accomplir cette tâche. Les discours<br />

à la Chávez peuvent paraître compatibles<br />

avec les luttes des classes populaires<br />

tant que les Chávez en question<br />

sont dans l’opposition. Pourtant, les quatorze<br />

années de gouvernement d’Hugo<br />

Chávez sont instructives sur leurs agissements<br />

une fois au pouvoir. La volonté<br />

d’empêcher toute auto-organisation à la<br />

base, de préserver la continuité de l’Etat<br />

et des structures économiques font tomber<br />

les masques : une société socialiste<br />

ne verra pas le jour dans ces conditions…<br />

Ce constat établi, les révolutionnaires<br />

ont une seule solution : organiser indépendamment<br />

leurs propres forces avant<br />

que l’opposition de droite ne succède<br />

aux réformistes de gauche pour rogner<br />

les maigres concessions accordées. C’est<br />

le combat que mène aujourd’hui la LTS<br />

au Venezuela à travers la campagne de<br />

Chirino et qui devrait être soutenu ici par<br />

l’ensemble du NPA.<br />

24/09/12<br />

45


im Streik !<br />

RetouR SuR lA gRève contRe lA PRécARité<br />

à lA luFthAnSA<br />

Pierre Voisset<br />

Début septembre, les hubs aéroportuaires<br />

de Francfort, Munich et Berlin ont<br />

été paralysés par la grève historique des<br />

hôtesses et stewards de la Lufthansa,<br />

première compagnie aérienne européenne.<br />

Les négociations salariales<br />

du mois d’août n’ayant mené à rien, le<br />

syndicat UFO (syndicat indépendant<br />

des personnels navigants) a appelé à la<br />

grève. Ce jeune syndicat, créé en 1992 à<br />

la suite d’une scission de VERDI, le grand<br />

syndicat allemand des services, revendique<br />

les adhésions des deux tiers des<br />

18000 hôtesses et stewards de la compagnie.<br />

Les membres du personnel naviguant<br />

se sont mobilisés pour deux journées<br />

de grève offensive les mardi 4 et<br />

vendredi 7 septembre, avec pour revendications<br />

une hausse des salaires de 5%<br />

(restés au point morts depuis trois ans),<br />

la suppression du recours à l’intérim et<br />

l’embauche des intérimaires. La grève<br />

de 24 heures du 7 septembre a touché<br />

toute l’Allemagne et la moitié des 1800<br />

vols de la Lufthansa ont été annulés,<br />

en période de rentrée de vacances. La<br />

direction et les syndicats se sont remis<br />

à la table des négociations, mais le combat<br />

reste en sursis et UFO envisage de<br />

nouveaux débrayages à la mi-octobre s’il<br />

n’est pas satisfait des concessions de la<br />

Lufthansa 1 .<br />

[1] Source : spiegel.de<br />

46<br />

révolutioN permaNeNte<br />

le transport aérien : un<br />

secteur stratégique en<br />

ébullition<br />

Cette offensive se place dans le contexte<br />

bien particulier de la crise profonde du<br />

transport aérien en Europe. Se disant<br />

« victimes » de la concurrence des compagnies<br />

low-cost comme Ryan Air 2 ,<br />

les grandes compagnies nationales,<br />

pourtant perfusées d’argent public, se<br />

lancent aujourd’hui dans des attaques<br />

sans précédent contre leurs employée-s,<br />

pour augmenter leurs marges. Ainsi<br />

Air France a annoncé le 21 juin dernier<br />

la suppression de plus de 5122 postes<br />

d’ici à décembre 2013 3 . Le nombre de<br />

départs dits « naturels » étant estimé à<br />

1700, on peut s’attendre à plus de 3300<br />

licenciements.<br />

Sous les mots d’ordre de reconquête<br />

de la compétitivité et de stratégie de<br />

croissance, c’est le « modèle Ryanair »<br />

de compression des coûts (entendre des<br />

employé-e-s) qui s’étend, pour le grand<br />

bonheur des actionnaires qui, comme<br />

le souligne le magazine économique<br />

[2] Ryanair est récemment devenu le premier<br />

transporteur de passagers en Europe<br />

[3] Le Monde, 21/06/2012<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Challenge, « préfèrent Ryanair à Air<br />

France-KLM » 4 . Et pour cause : Ryanair<br />

est la compagnie aérienne dont le rapport<br />

capital/travail est le plus en défaveur<br />

des employés. La firme irlandaise<br />

ne consacre en effet que 10% de son<br />

chiffre d’affaires aux rémunérations des<br />

salariés, contre 24,6% pour Lufthansa et<br />

30,6% pour Air France. Par contre, son<br />

cours en bourse a augmenté de 700%<br />

depuis son introduction en 1998 et sa<br />

capitalisation boursière, à hauteur de 6<br />

milliards d’euros est aujourd’hui six fois<br />

plus importante que celle d’Air France<br />

KLM.<br />

Lufthansa, pour sa part, a annoncé en<br />

mai dernier un plan de suppression de<br />

plus de 3500 postes dans ses services<br />

administratifs. Derrière ces coupes à<br />

blanc, la stagnation des salaires pour<br />

ceux qui restent et le recours toujours<br />

plus important à l’emploi précaire, il faut<br />

voir la recherche d’un ajustement au<br />

modèle économique Ryanair, manifeste<br />

depuis la création de sa filiale low-cost,<br />

«Germanwings ». En agitant le chiffon<br />

des pertes dues à la hausse du prix du<br />

carburant 5 , la Lufthansa cherche à faire,<br />

contre pertes, profits… sur le dos de ses<br />

employés. Mais cette fois, ils ne se sont<br />

pas laissés faire.<br />

offensive contre la<br />

précarité<br />

Offensive, de par sa revendication<br />

d’une hausse de 5% des salaires dans<br />

un contexte de crise, cette grève de la<br />

Lufthansa est aussi particulièrement<br />

intéressante, car elle s’est attaquée au<br />

recours croissant à l’intérim et à l’emploi<br />

précaire. Cette lutte est à replacer dans le<br />

contexte d’une montée de la conflictualité<br />

lors des négociations salariales allemandes<br />

(les Tarifrunden). Les syndicats<br />

sont contraints à l’action par leur base et<br />

en particuliers par les jeunes syndiquée-s,<br />

souvent intérimaires ou apprentis.<br />

[4] Challenges, 30/05/2012, « Pourquoi les<br />

actionnaires préfèrent Ryanair à Air-France-<br />

KLM »<br />

[5] Lufthansa a déclaré 20 millions d’euros<br />

de perte opérationnelle au premier semestre<br />

2012. L’année dernière l’entreprise avait<br />

cependant fait 114 millions d’euros de<br />

bénéfices et devrait finir l’année avec un<br />

chiffre d’affaires en hausse de 1,5 milliards<br />

d’euros (source SPIEGEL.DE)


Les négociations salariales du printemps<br />

dernier avaient été marquées par une<br />

série de débrayages offensifs dans les<br />

secteurs clés de la métallurgie et des<br />

transports publics pour des hausses de<br />

salaires. Trahis par les directions syndicales<br />

à la manœuvre, quelques miettes<br />

furent distribuées, à peine égales à l’inflation.<br />

Ce recours croissant au débrayage et à<br />

des grèves offensives de 24h lors des<br />

négociations salariales pourrait constituer<br />

les prémisses d’une poussée généralisée<br />

de la classe ouvrière allemande,<br />

qui avait été profondément démoralisée<br />

par la défaite du mouvement anti-Harz<br />

IV. Ces réformes du droit du travail ont<br />

été instaurées par le chancelier socialdémocrate<br />

Schröder dans les années<br />

2000. Véritables plans d’austérité avant<br />

l’heure, elles ont contribué à massifier<br />

la précarité au travail et à supprimer un<br />

nombre important d’acquis sociaux.<br />

De par ses revendications (contre le<br />

recours à l’intérim et pour l’embauche<br />

des intérimaires), cette grève témoigne<br />

Santiago Lupe 1<br />

Début août, de façon à protester contre la<br />

crise, la corruption et la dégradation des<br />

conditions de vie dans l’Etat espagnol et<br />

plus particulièrement dans le Sud de l’Etat<br />

espagnol, des militant-e-s du Syndicat<br />

Andalou des Travailleurs (SAT) ont pris<br />

d’assaut deux supermarchés Carrefour et<br />

Mercadona à Arcos de la Frontera, dans la<br />

province de Cadix, et à Ecija, dans la région<br />

de Séville. Immédiatement les projecteurs<br />

se sont tournés vers Marinaleda, petite<br />

commune d’Andalousie dont le maire,<br />

Juan Manuel Sánchez Gordillo, est à l’origine<br />

de ces deux « expropriations ». A la<br />

tête de la commune depuis 1979 et élu au<br />

Parlement andalou sur la liste de Izquierda<br />

Unida (IU) depuis 2008, certains médias<br />

n’ont pas hésité à parler de « <strong>Révolution</strong><br />

Gordillo » pour décrire les deux expropriations.<br />

Mais qu’en est-il, réellement, de cette<br />

« <strong>Révolution</strong> », de la stratégie politique défendue<br />

par le CUT (Colectivo Unidad de los<br />

Trabajadores) auquel est lié le SAT, mais<br />

aussi de « l’utopie anti-crise d’Andalousie »<br />

que serait la petite commune « autogérée »<br />

de Marinaleda ? 2<br />

[1] Santiago Lupe est membre de la direction<br />

de Clase contra Clase, l’organisation dans<br />

l’Etat espagnol de la Fraction Trotskyste-Quatrième<br />

Internationale, www.clasecontraclase.<br />

org/<br />

[2] On pourra consulter à ce sujet « Une utopie<br />

anti-crise en Andalousie », www.courrierinternational.com/article/2012/08/21/une-<br />

situAtion internAtionAle<br />

aussi d’une montée de la subjectivité<br />

dans les secteurs des services autour de<br />

la question de la précarité au travail qui<br />

devient un mot d’ordre rassembleur. Elle<br />

est en cela à rapprocher de la grève antiprécarité<br />

emblématique de l’entreprise<br />

sous-traitante des hôpitaux de la Charité<br />

à Berlin qui a duré treize semaines<br />

de septembre à décembre 2011 6 . Lutter<br />

contre la précarité, c’est aussi affirmer sa<br />

dignité. En ces temps low-cost de promiscuité<br />

généralisée (rentabilisation de<br />

l’espace cabine oblige), c’est l’ensemble<br />

des conditions de travail des stewards et<br />

hôtesses qui se dégradent. Ils sont sans<br />

cesse agressés et pris à parti par des passagers<br />

et les droits les plus élémentaires<br />

leurs sont refusés.<br />

Aussi, la position de force de l’économie<br />

allemande, en pleine crise européenne,<br />

[6] Nos camarades allemands du groupe RIO<br />

à Berlin viennent de publier une brochure<br />

sur cette lutte à laquelle ils ont activement<br />

participé. Pour la télécharger en pdf : www.<br />

klassegegenklasse.org/broschure-streikgegen-prekarisierung/<br />

expropriations de supermarchés en Andalousie<br />

qu'en eSt-il De lA "<strong>Révolution</strong> goRDillo"?<br />

Gordillo, le SAT et plusieurs militants<br />

de ce syndicat sont aujourd’hui l’objet<br />

d’une campagne de criminalisation animée<br />

par le Parti Populaire de Mariano<br />

Rajoy (droite), actuellement au gouvernement,<br />

et soutenue par la plupart des<br />

médias. Ceux-là mêmes qui comptent<br />

dans leurs rangs des corrompus avérés<br />

comme Francisco Camps, ancien<br />

dirigeant de la Communauté de Valence,<br />

accusé de malversation, qui discutent aimablement<br />

avec d’authentiques voleurs<br />

comme Mario Conde, condamné dans le<br />

cadre du scandale Banesto dans les années<br />

1990, qui se sont félicités du sauvetage<br />

des banques et des entreprises<br />

à grand renfort d’argent public, les voilà<br />

qu’ils se plaignent des « expropriations »<br />

symbolique des supermarchés. Évidemment,<br />

ces messieurs ont peur que ces<br />

manifestations animées par les ouvriers<br />

agricoles et les militants du SAT soient<br />

un mauvais exemples pour les centaines<br />

de milliers de chômeurs et de travailleurs<br />

qui subissent les conséquences de<br />

la crise et qui pourraient bien décider de<br />

se lever et de commencer à lutter pour<br />

résoudre une bonne fois pour toutes les<br />

problèmes de logement, de cherté de<br />

la vie, de chômage et de licenciements<br />

auxquels nous avons à faire face partout<br />

dans l’Etat espagnol.<br />

utopie-anti-crise-en-andalousie<br />

AllemAgne<br />

se fait sur le dos des travailleurs allemands,<br />

dont le destin est intimement lié<br />

à celui de leurs voisins européens 7 .<br />

L’arrogance de l’impérialisme allemand<br />

repose sur l’exploitation croissante du<br />

salariat et le développement de la précarité<br />

qui divise et affaiblit le prolétariat<br />

allemand dans son ensemble. Sur<br />

les mêmes chaines de production, dans<br />

la même cabine, l’écart de rémunération<br />

entre intérimaire et salarié en CDI<br />

peut facilement être de 1 à 3. La prise<br />

de conscience de ce qu’est la précarité,<br />

c’est-à-dire une stratégie de division,<br />

d’écrasement et d’humiliation des travailleurs,<br />

est un ressort essentiel qui<br />

pourrait préfigurer une montée généralisée<br />

de la classe ouvrière allemande 8 .<br />

[7] Cf le numéro de Mai 2012 de la revue<br />

Klasse gegen Klasse : www.klassegegenklasse.<br />

org/klasse-gegen-klasse-nr-3/<br />

[8] Pour plus d’informations, n’hésitez pas à<br />

vous rendre sur le site (en allemand) de nos<br />

camarades de Rio, qui viennent de publier un<br />

article sur la précarité en Allemagne : www.<br />

klassegegenklasse.org/prekarisierung-in-der-<br />

C’est pour toutes ces raisons qu’il est<br />

temps de se mettre en ordre de bataille<br />

contre cette offensive réactionnaire. Il<br />

faut mettre en place une grande campagne<br />

contre la répression partout dans<br />

le pays, pour lutter contre la montée<br />

répressive qui s’exprime aujourd’hui<br />

contre le SAT mais qui vise l’ensemble<br />

du mouvement social, à commencer par<br />

les mineurs du Nord du pays, qui ont été<br />

à l’origine d’une lutte sans précédent au<br />

printemps et cet été 3 , mais qui vise également<br />

les militants séparatiste basques<br />

ou le mouvement étudiant.<br />

Au fil cet article, nous voulons ouvrir un<br />

débat avec la stratégie défendue par la<br />

CUT-SOC, le Collectif pour l’Unité des<br />

Travailleurs, l’organisation politico-sociale<br />

que dirige Gordillo 4 . Plus encore<br />

après les opérations menées contre les<br />

supermarchés cet été, il s’agirait, pour<br />

beaucoup de militants ouvriers et de<br />

jeunes camarades, d’une véritable alter-<br />

[3] Voir notamment L. Varlet, « Les mineurs se<br />

radicalisent face aux attaques du gouvernement<br />

», 15/06/12, www.ccr4.org/Les-mineursse-radicalisent-face-aux-attaques-du-gouvernement,<br />

C. Lub, « Les mineurs espagnols sont<br />

de retour », 21/06/12, www.ccr4.org/Les-mineurs-espagnols-sont-de-retour,<br />

ainsi que<br />

« Dans l’Etat espagnol, la marche des mineurs<br />

nous montre la voie », 14/07/12, www.ccr4.<br />

org/Dans-l-Etat-espagnol-la-marche-des-mineurs-nous-montre-la-voie-pour-jeter-a-basl-austerite<br />

[4] Créé en 1976, le SOC (Syndicats des Ouvriers<br />

Agricoles) est lié au CUT (Collectif pour<br />

l’unité des Travailleurs), créé trois ans plus<br />

tard. Le CUT sera à l’initiative, avec le PC espagnol,<br />

de la construction en 1986 de Izquierda<br />

Unida (Gauche Unie), organisation réformiste<br />

située à la gauche du PS espagnol. Le SAT est<br />

désormais l’organisation syndicale à laquelle<br />

le SOC est rattaché.<br />

47


native anticapitaliste, voire même révolutionnaire.<br />

C’est l’occasion de regarder<br />

de plus prés si le programme et la stratégie<br />

du CUT-SOC vont dans le sens d’un<br />

changement révolutionnaire qui soit en<br />

capacité de résoudre les problèmes des<br />

ouvriers andalous et de l’ensemble des<br />

travailleurs et des secteurs populaires<br />

ou si, au contraire, le CUT-SOC utilise<br />

la mobilisation sociale pour « élargir le<br />

champ des possibles », créer une sorte<br />

d’espace à la « gauche du possible », sans<br />

jamais pour autant sortir du cadre du<br />

système capitaliste.<br />

Aux origines du<br />

Soc et du cut<br />

Le SOC plonge ses racines dans une<br />

longue tradition de luttes des travailleurs<br />

agricoles et des journaliers andalous.<br />

Il s’agit d’un des principaux syndicats<br />

animés dans les années 1970 par<br />

le Parti du Travail d’Espagne (PTE), une<br />

organisation d’orientation maoïste et<br />

qui avait fédéré ses différentes branches<br />

syndicales au sein de la Confédération<br />

des Syndicats Unitaires des Travailleurs<br />

(CSUT) en 1977. A la gauche du PC espagnol<br />

pendant les dernières années de la<br />

dictature franquiste, le PTE s’est opposé<br />

au Pacte de la Moncloa 5 de 1977 mais a<br />

tout de même soutenu la Constitution de<br />

1978 et a fini par se dissoudre en 1981.<br />

Une partie de ses militants a continué à<br />

militer dans le mouvement ouvrier. Les<br />

plus radicaux l’ont fait dans les organisations<br />

de la gauche syndicale, et, dans<br />

le cas de l’Andalousie, notamment dans<br />

le SOC et le CUT, avec d’autres militants,<br />

issus notamment du mouvement libertaire<br />

ou du catholicisme de gauche.<br />

Occupations des propriétés, promotion<br />

du « municipalisme de base » (avec des<br />

assemblées citoyennes décidant de la<br />

tenue des affaires publiques), coopératives<br />

de travail et de logement pour<br />

combattre le chômage, voilà les marques<br />

de fabrique du CUT-SOC. Ses militants<br />

dirigent ainsi plusieurs villes Andalousie,<br />

notamment dans la province de<br />

Séville. Marinaleda, petite commune de<br />

3.000 habitants, est souvent montrée en<br />

exemple.<br />

Le binôme SOC-CUT s’inscrit dans la<br />

continuité de la ligne stratégique du PTE.<br />

Il s’agissait à l’époque de s’appuyer et<br />

de développer la mobilisation sociale<br />

en tant qu’instrument de pression pour<br />

conquérir des droits démocratiques et<br />

sociaux, mais toujours dans le cadre du<br />

système capitaliste dont le dépassement<br />

[5] Le Pacte de la Moncloa tient son nom de<br />

l’accord signé le 25 octobre 1977 au Palais de<br />

la Moncloa entre le gouvernement héritier<br />

direct du franquisme, les principaux partis<br />

politiques (dont le PC et le PS espagnols) et<br />

les syndicats, afin de fixer le cadre de la « Transition<br />

», véritable contre-révolution démocratique<br />

à travers laquelle la bourgeoisie et ses<br />

lieutenants ouvriers allaient désamorcer la<br />

montée ouvrière qui secouait la péninsule<br />

ibérique au cours des années 1970.<br />

48<br />

révolutioN permaNeNte<br />

historique était reporté à un futur indéterminé<br />

selon la logique à deux temps,<br />

étapiste, bien rodée chez les maoïstes.<br />

Cette stratégie pouvait se résumer dans<br />

la formule « mobilisation-pression-réforme<br />

» et s’apparente directement à<br />

celle du réformisme de gauche, par-delà<br />

les symboles et le recours à une rhétorique<br />

révolutionnaire dont sont coutumiers<br />

les dirigeants du CUT-SOC 6 .<br />

<strong>Révolution</strong> ou réformisme<br />

de gauche?<br />

Alors bien sûr, l’orientation du CUT, du<br />

SOC et du Syndicat Andalous des Travailleurs<br />

(SAT, créé à partir de 2007 pour<br />

élargir l’offre syndicale en direction<br />

d’autres secteurs ouvriers de l’industrie<br />

et des services) est bien différente de la<br />

politique du « syndicalisme de démobilisation<br />

» pratiquée par les directions bureaucratiques<br />

de Commissions Ouvrières<br />

(CCOO) et de l’UGT, les deux principales<br />

centrales syndicales espagnoles. Son<br />

orientation s’est également démarquée<br />

de celle d’Izquierda Unida, à laquelle le<br />

CUT est partie prenante néanmoins, notamment<br />

à un moment où IU cherche par<br />

tous les moyens à devenir un partenaire<br />

de gouvernement pour les socialistes<br />

espagnols du PSOE, notamment au sein<br />

des gouvernements régionaux. Ce sont<br />

les principales raisons pour lesquelles,<br />

pour beaucoup de militants combatifs,<br />

le SAT apparaît comme une espèce<br />

d’alternative à la politique criminelle<br />

des Toxo et Méndez, les deux principaux<br />

dirigeants de CCOO et de l’UGT. C’est<br />

également la raison pour laquelle le CUT<br />

peut apparaitre comme une sorte d’alternative<br />

politique face aux louvoiements<br />

d’un Llamazares ou d’un Cayos Lara, tous<br />

deux dirigeants d’IU et qui incarne tout<br />

son opportunisme. C’est en ce sens que<br />

Sánchez Gordillo peut apparaître comme<br />

une alternative à la politique menée<br />

Diego Valderas, vice-président « communiste<br />

» de la région Andalousie, et à ce<br />

titre co-responsable de l’application des<br />

plans d’austérité, et ce même si Gordillo<br />

est élu au parlement régional sur les<br />

listes d’IU...<br />

Face à une IU qui apparaît de plus en plus<br />

comme un partenaire à part entière du<br />

PSOE, le CUT déclare vouloir rester fidèle<br />

à l’IU des origines. Pour le CUT, les mouvements<br />

sociaux, y compris les actions<br />

déterminées ou remettant partiellement<br />

en question la légalité bourgeoise<br />

(dans le cas des occupations de terre par<br />

exemple), ne sont là que comme des instruments<br />

de pression, afin pour « d’élargir<br />

le champ des possibles », et restent<br />

le plus souvent cantonné au plan local.<br />

[6] Il est à noter également que le caractère<br />

très régionaliste du SOC-CUT (qui intègre<br />

aujourd’hui Bloc Andalou de Gauche, membre<br />

de Izquierda Unida), comme sa taille, a fait<br />

que son rayonnement s’est très vite limité<br />

localement, s’étendant surtout à quelques<br />

provinces andalouses.<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Ainsi, tout en ayant obtenu la mise en<br />

place de certaines revendications dans<br />

les villes qu’il contrôle, la stratégie du<br />

CUT ne pose pas la question d’un mouvement<br />

généralisé des travailleurs et des<br />

secteurs populaires pour en finir avec le<br />

régime politique et le système d’exploitation<br />

capitaliste. Dans ce cadre, la force<br />

des travailleurs sert à participer à des<br />

manifestations « symboliques », plus ou<br />

moins « pacifiques », mais toujours dans<br />

le cadre du capitalisme.<br />

Dans une région comme l’Andalousie où<br />

2% de la population contrôle encore la<br />

moitié des terres agricoles, l’exemple de<br />

l’occupation récente des terres de Cayetano<br />

Martínez de Irujo est assez révélateur.<br />

Après les déclarations de « Monsieur<br />

le comte de Salvatierra » qui avait qualifié<br />

les ouvriers andalous de « fainéants »,<br />

le SAT a occupé ses terres en décembre<br />

2011. Le conflit cependant s’est conclu<br />

par un simple accord entre le noble et le<br />

maire de Marinaleda. Martínez de Irujo<br />

s’engageait, par le biais d’une de ses entreprises,<br />

à commercialiser certains produits<br />

issus des coopératives municipales<br />

contrôlées par le SAT. C’est cette même<br />

logique que le SAT défend dans le cadre<br />

des « marches ouvrières andalouses ».<br />

Tout en s’appuyant sur des méthodes<br />

plus ou moins radicales, avec des actions<br />

coups de poing ou des occupations de<br />

grandes propriétés, le SAT et son bras<br />

politique, le CUT, défendent avant tout<br />

l’amélioration des subventions agraires<br />

aux petits paysans, un SMI [équivalent<br />

espagnol du SMIC] de 1000 euros, un<br />

salaire social, l’arrêt des expulsions, des<br />

licenciements et de l’austérité. Toutes<br />

ces revendications sont justes, mais elles<br />

sont loin de constituer un programme<br />

pour faire payer la crise aux capitalistes,<br />

car elles ne touchent ni aux profits ni à la<br />

propriété privée des grands propriétaires<br />

fonciers, des patrons ou des banquiers.<br />

izquierda unida, du côté<br />

des travailleurs ou des<br />

gouvernements régionaux<br />

pro-austérité ?<br />

L’autre écueil est que le CUT n’a toujours<br />

pas rompu avec IU, y compris après<br />

l’intégration d’IU-Andalousie au gouvernement<br />

régional de José Antonio Griñán,<br />

un gouvernement qui mène, au niveau<br />

de la Communauté autonome, une véritable<br />

guerre contre les classes populaires.<br />

En fait le CUT souhaite « gauchir »<br />

IU, avec l’illusion qu’elle redevienne une<br />

formation réformiste de gauche, qu’elle<br />

n’entre pas dans des gouvernements qui<br />

appliquent des contre-réformes, et ce<br />

afin de revenir au bon vieux temps d’IU,<br />

lorsqu’elle était dirigée par Julio Anguita,<br />

dans les années 1990, ou à l’époque des<br />

grandes manifestations contre l’OTAN<br />

des années 1980. L’objectif n’est rien<br />

d’autre que de recréer une médiation<br />

réformiste de gauche, actuellement en<br />

crise en raison de droitisation d’IU ces


dernières années 7 . Il s’agirait d’une IU<br />

plus à gauche qu’aujourd’hui et moins<br />

« gestionnaire », mais toujours aussi<br />

« gestionnaire » en revanche des mobilisations<br />

sociales : sur la gauche, pour<br />

obtenir des réformes, mais aussi sur la<br />

droite, pour éviter que ces mêmes mobilisations<br />

ne débordent du cadre fixé par<br />

le capitalisme espagnol, renouant ainsi<br />

avec le rôle du PC dans les années 1970<br />

qui a tout faite pour désamorcer la montée<br />

ouvrière et populaire mais aussi, plus<br />

dramatiquement encore, lorsque le PC a<br />

orchestré l’écrasement brutal de la révolution<br />

espagnole en 1937.<br />

Le plus paradoxal dans toutes les actions<br />

menées par le SAT cet été, c’est que c’est<br />

IU qui est en train de tirer les marrons du<br />

feu. Gordillo, qui est député régional d’IU,<br />

permet à cette même formation de se refaire<br />

une virginité, d’essayer de regagner<br />

du terrain au sein des classes populaires<br />

et des travailleurs. Le fait que Gordillo<br />

continue à être élu IU, tout comme le<br />

fait que les actions du SAT n’aient pas<br />

pour cible le gouvernement pro-austérité<br />

d’Andalousie, entretient l’idée qu’IU<br />

serait une force politique qui est du côté<br />

des travailleurs. Ce n’est pas un hasard si<br />

un autre député d’IU, Victor Casado, élu<br />

d’Estrémadure, dit vouloir s’inspirer de<br />

la « <strong>Révolution</strong> Gordillo », alors que IU a<br />

facilité, dans cette autre région pauvre<br />

du Sud de l’Espagne, l’arrivée au pouvoir<br />

de la droite à la tête de la Communauté<br />

autonome après les élections de 2011…<br />

Pour un parti<br />

révolutionnaire des<br />

travailleurs<br />

La crise capitaliste réactualise les possibilités<br />

pour que les travailleurs et la<br />

jeunesse soient les protagonistes des<br />

processus révolutionnaires à venir. Cela<br />

implique de se préparer si nous voulons<br />

gagner. L’histoire des révolutions<br />

du XXème siècle nous montre l’énorme<br />

obstacle qu’ont signifié les organisations<br />

staliniennes et réformistes, qui ont mené<br />

les travailleurs droit au mur. Même si parfois<br />

le renforcement de ces organisations<br />

peut exprimer une certaine évolution<br />

à gauche d’une fraction plus ou moins<br />

importante du monde du travail, leur recomposition<br />

et leur renforcement, même<br />

lorsqu’elles repeignent en rouge leur<br />

programme ou gauchisent leur discours,<br />

sont un obstacle pour la mise en place<br />

d’une stratégie révolutionnaire visant<br />

à faire plier les capitalistes et détruire<br />

leur État. IU, comme avant elle le PC de<br />

Santiago Carrillo, est un obstacle dans la<br />

lutte pour renverser le régime de 1978<br />

et en finir avec l’exploitation capitaliste.<br />

Il est indispensable que les travailleurs<br />

et nos organisations maintiennent leur<br />

[7] Il est néanmoins à noter que IU a réussi<br />

à se refaire une santé électorale lors des<br />

dernières élections régionales, en Andalousie<br />

notamment, à l’automne 2011.<br />

situation internationale<br />

indépendance politique vis-à-vis de ces<br />

partis réformistes, car ils ne sont que<br />

l’aile gauche du régime. S’opposer à tout<br />

« embellissement » d’IU signifie également<br />

exiger des dirigeants du SAT qu’ils<br />

rompent définitivement avec ce parti et<br />

mener une campagne résolue contre le<br />

contre le gouvernement du PP au niveau<br />

de l’Etat espagnol, bien entendu, mais<br />

également contre le gouvernement<br />

du PSOE-IU en Andalousie. Pour Clase<br />

contra Clase, il est central que le monde<br />

du travail commence à construire son<br />

propre outil politique, un parti des travailleurs<br />

révolutionnaire, ne cherchant<br />

pas à reproposer les vieilles recettes<br />

du réformisme, plus ou moins gauchies,<br />

mais renouant avec une stratégie et un<br />

programme révolutionnaires. L’enjeu<br />

n’est pas de réformer ou de gauchir IU, ni<br />

même de construire un nouveau regroupement<br />

avec un programme à gauche<br />

d’IU mais ne se proposant pas la révolution<br />

sociale comme horizon stratégique,<br />

à l’image de ce que défend par exemple<br />

En Lucha 8 . Les meilleurs éléments du<br />

mouvement ouvrier, de la jeunesse, les<br />

meilleurs éléments du mouvement ouvrier<br />

agricole andalou doivent relever le<br />

défi, commencer à mettre en place une<br />

organisation qui cherche à combattre les<br />

illusions vis-à-vis du réformisme parmi<br />

les travailleurs, la seule façon afin de<br />

se réorganiser avec une stratégie et un<br />

programme qui puisse nous amener à<br />

la victoire. Ce programme, il devra poser<br />

clairement la question de l’expropriation<br />

des patrons et des banquiers, mais<br />

également l’expropriation des grands<br />

propriétaires fonciers du Sud de l’Etat<br />

espagnol, avec comme objectif l’établissement<br />

d’un gouvernement des travailleurs.<br />

c’est aux capitalistes de<br />

payer la crise !<br />

Clase contra Clase soutient toutes les<br />

mesures de lutte et les revendications<br />

parfaitement légitimes défendues les<br />

travailleurs et les ouvriers agricoles du<br />

SAT. C’est avant tout à l’ensemble de l’extrême-gauche,<br />

du mouvement ouvrier,<br />

des organisations de jeunesse et des<br />

organisations démocratiques de mener<br />

une campagne contre la répression et la<br />

criminalisation dont ils sont les victimes.<br />

Parallèlement néanmoins, nous sommes<br />

persuadés qu’il est nécessaire de défendre<br />

un programme qui ne soit pas<br />

limité à la défense des acquis qui sont<br />

en danger aujourd’hui en raison de l’austérité.<br />

Le caractère historique de cette<br />

crise nous montre qu’il est plus indispensable<br />

que jamais que les travailleurs<br />

défendent et luttent pour un programme<br />

qui remette en cause la propriété et les<br />

intérêts des grands capitalistes.<br />

[8] En Lucha est l’organisation de la Tendance<br />

Socialiste Internationale (SWP anglais) dans<br />

l’Etat espagnol.<br />

etat espagnol<br />

La question de la terre en Andalousie<br />

et en Estrémadure ne pourra être résolue<br />

sans poser la question de l’expropriation,<br />

sous contrôle des travailleurs,<br />

de l’ensemble des grands domaines et<br />

des grandes propriétés. Le chômage de<br />

masse qui touche tous les travailleurs,<br />

en particulier ceux du Sud de l’Etat espagnol,<br />

ne peut être résolu si ce n’est à partir<br />

de la répartition des heures de travail<br />

sans perte de salaire et avec la nationalisation<br />

et la mise en place du contrôle<br />

ouvrier de toutes les entreprises qui<br />

ferment ou licencient. Les problème de<br />

logement, d’expulsion et d’endettement<br />

des familles populaires n’ont pas non<br />

plus de solution sans avancer vers la nationalisation<br />

des banques et des grandes<br />

entreprises, leur mise sous contrôle par<br />

les salariés et les comités d’usagers, et<br />

ce afin d’en finir avec le racket des établissements<br />

de crédit, les expulsions et<br />

pour maintenir et améliorer l’ensemble<br />

des services publiques, à commencer par<br />

la santé et l’éducation.<br />

Il s’agit de se battre pour un programme<br />

ouvrier d’urgence qui ne sera appliqué<br />

bien entendu ni par le gouvernement du<br />

PP ni même par le gouvernement PSOE-<br />

IU en Andalousie, tous deux partisans de<br />

faire payer la crise aux travailleurs et aux<br />

couches populaires. La bataille pour ces<br />

revendications doit servir au renforcement<br />

de l’organisation ouvrière, la mise<br />

en place d’organismes à même d’unifier<br />

chômeurs, précaires, salariés en CDI, travailleurs<br />

immigrés, avec ou sans papiers,<br />

et ce afin de construire la base d’un pouvoir<br />

visantà renverser par la voie révolutionnaire<br />

ce régime pourri et instaurer un<br />

gouvernement des travailleurs basé sur<br />

les organismes de démocratie directe<br />

des masses et des secteurs populaires.<br />

Un tel programme est indissolublement<br />

lié à la lutte pour une révolution ouvrière<br />

et socialiste.<br />

Encore une fois, Clase contra Clase<br />

soutient la lutte des travailleurs et des<br />

ouvriers agricoles du Sud de l’Etat espagnol.<br />

Nous sommes néanmoins persuadés<br />

de la nécessité de lutter pour<br />

un programme réellement ouvrier et<br />

révolutionnaire, une perspective diamétralement<br />

opposée à la logique de<br />

« mobilisation-pression-réforme » défendue<br />

par Sánchez Gordillo et le CUT. Si<br />

une fraction du prolétariat andalou, qui<br />

plonge ses racines dans une tradition<br />

de lutte et de radicalité, s’appropriait ce<br />

programme, cela constituerait un grand<br />

pas en avant pour l’ensemble du mouvement<br />

ouvrier de l’Etat espagnol. Cela<br />

permettrait également que la lutte des<br />

travailleuses et des travailleurs andalous<br />

devienne une alternative, et non pas seulement<br />

en termes de méthodes, à la politique<br />

de conciliation de la bureaucratie<br />

syndicale ; une alternative politique au<br />

programme et à la stratégie qui réduit la<br />

lutte ouvrière à être un simple outil de<br />

pression sur le gouvernement en place.<br />

09/09/12<br />

49


Lysanne Arcand et<br />

Érik Gagnon 1<br />

La grève commencée en février dernier<br />

contre la hausse des frais de scolarité à<br />

l’université est arrivée à son terme. Le<br />

mouvement étudiant n’a pas gagné sur ses<br />

revendications mais il a sans aucun doute<br />

contribué à faire chuter le gouvernement<br />

du Parti Libéral du Québec (PLQ, droite) de<br />

Jean Charest, qui a été contraint de démissionner<br />

après prés de dis ans au pouvoir.<br />

Avec les élections anticipées quinze<br />

mois avant la fin de la législature qui<br />

se sont tenues le 4 septembre, c’est le<br />

Parti Québécois (PQ, centre libéral souverainiste)<br />

de Pauline Marois qui a remporté<br />

le scrutin, tout en étant contraint<br />

de former un gouvernement minoritaire,<br />

n’ayant pas obtenu une majorité de<br />

députés à la Chambre. Marois, première<br />

femme à la tête d’un gouvernement provincial,<br />

a promis la révocation de la loi<br />

12 (appelée auparavant loi 78) sur le<br />

droit de manifester 2 ainsi que l’abolition<br />

de la hausse des frais de scolarité. Rien<br />

n’assure cependant que le nouveau gouvernement<br />

tiendra sa promesse. Malgré<br />

la fin de la grève, les étudiants et étudiantes<br />

doivent continuer à se mobiliser<br />

pour s’assurer que l’objectif de la grève<br />

soit atteint. La lutte aujourd’hui doit<br />

passer par une nouvelle étape. Un bilan<br />

s’impose, néanmoins, pour savoir où elle<br />

se dirige.<br />

une lutte historique<br />

Comme nous l’avons souligné dans de<br />

précédents articles 3 , le mouvement<br />

étudiant qui a secoué les campus et les<br />

principales villes québécoises à partir<br />

de février a eu une importance majeure<br />

pour le pays. Il n’a pas seulement été le<br />

plus important de l’histoire du Québec,<br />

mais il a également été le plus long, le<br />

plus massif et le plus combatif. Ces sept<br />

mois de grève et de lutte ont marqué définitivement<br />

la physionomie du Québec.<br />

[1] Lysanne Arcand et Érik Gagnon militent<br />

au sein du mouvement étudiant québécois. Ils<br />

éditent, avec d’autres camarades, le bulletin<br />

de lutte « Contre le <strong>Courant</strong> ».<br />

[2] Sur la loi Courchesne, voir « Manifestation<br />

monstre à Montréal. On s’en câlisse de la<br />

loi spéciale », 24/05/12, www.ccr4.org/<br />

Manifestation-monstre-a-Montreal<br />

[3] Voir notamment « La grève étudiante au<br />

Québec. Entre poursuite du mouvement et<br />

répression », 21/05/12, www.ccr4.org/Lagreve-etudiante-au-Quebec-entre<br />

et « Retour<br />

sur 120 jours de grève étudiante », 06/06/12,<br />

www.ccr4.org/Retour-sur-cent-vingt-joursde-greve-etudiante<br />

50<br />

révolutioN permaNeNte<br />

« Printemps érable » au québec<br />

bilAn Du mouvement étuDiAnt à lA lumièRe DeS<br />

DeRnièReS électionS PRovinciAleS<br />

Il y a maintenant un avant et un après<br />

cette lutte sociale, car la mobilisation a<br />

impacté et a touché les cordes sensibles<br />

de la population qui a appuyé fortement<br />

la grève tout au long de la lutte. Ni la répression,<br />

ni la criminalisation du conflit,<br />

ni la violence médiatique n’ont pu freiner<br />

la détermination étudiante.<br />

Le mouvement a donné des preuves<br />

d’une initiative et d’une résolution pour<br />

la lutte qui a surpris tout le monde. En<br />

Manifestation à Montréal en mai dernier<br />

fait, cela a permis au mouvement de se<br />

faire l’écho de tout le mécontentement<br />

populaire et de fonctionner comme une<br />

sorte de caisse de résonnance, de pointe<br />

de l’iceberg de ce mécontentement. Mais<br />

pourquoi le mouvement n’a-t-il pas pu<br />

vaincre?<br />

gouvernement, médias,<br />

flics et juges contre le<br />

« printemps érable »<br />

Malgré l’appui populaire, le mouvement<br />

a dû faire face non seulement à un gouvernement<br />

de droite et à ses mesures<br />

antidémocratiques sur le droit de manifester,<br />

mais également aux attaques de<br />

la presse, nous qualifiant systématiquement<br />

de casseurs et de vandales, aux<br />

juges et aux injonctions à retourner dans<br />

les amphis et, bien entendu, à l’extrême<br />

violence policière. Dans ce sens, les<br />

étudiants ont dû affronter l’ensemble<br />

N°6 / automNe 2012<br />

des institutions du régime provincial. La<br />

grève étudiante était devenue un événement<br />

national et nombre de forces<br />

sociales des plus disparates, incluant les<br />

recteurs et les directeurs des Universités<br />

et Collèges, ont joué contre elle.<br />

Mais les partis politiques ont également<br />

joué leur rôle. La Coalition Avenir Québec<br />

(CAQ, droite) appuyait la hausse des<br />

frais et critiquait le manque de fermeté<br />

contre les étudiants. Le PQ s’est lui prononcé<br />

contre la hausse et il a même<br />

participé à quelques manifestations,<br />

mais il n’a pas voulu mobiliser ses forces<br />

contre Charest. Même son de cloche du<br />

côté des principaux syndicats, que le PQ<br />

contrôle par ailleurs.<br />

C’est dans ce contexte et en ne comptant<br />

que sur la lutte, l’action et la mobilisation<br />

que s’est développé le mouvement<br />

étudiant et qu’il a pu gagner en popularité.<br />

Cependant, il a manqué de plus de<br />

détermination pour s’opposer au gouvernement<br />

Charest. Une campagne politique<br />

d’agitation contre celui qui était<br />

« le » responsable du conflit aurait sans<br />

doute permis aux étudiants d’unir davantage<br />

le mécontentement populaire.<br />

Mais l’illusion selon laquelle les manifestations<br />

feraient reculer le gouvernement<br />

ou que ce dernier était encore un<br />

interlocuteur valide ont longtemps bridé<br />

toute la puissance de la mobilisation.


Si l’on considère objectivement la situation<br />

mondiale, avec une crise historique<br />

du système capitaliste et des bourgeoisies<br />

qui, partout, sont en train de liquider<br />

toutes les conquêtes sociales, tout cela<br />

aurait dû faire comprendre aux étudiants<br />

et leurs alliés que jamais Charest n’aurait<br />

reculé, à moins que la contestation<br />

sociale n’acquière une tonalité et une<br />

ampleur révolutionnaires.<br />

l’aile gauche du<br />

mouvement étudiant et<br />

les élections anticipées<br />

Par la suite, face aux élections, le mouvement<br />

étudiant organisé n’a pas su<br />

comment se positionner. Deux des trois<br />

syndicats étudiants ont appelé à voter<br />

contre les libéraux et la CAQ, à savoir,<br />

implicitement, pour le PQ. Au lieu de<br />

mettre en garde les étudiants contre<br />

les périls que signifiaient ces élections,<br />

à commencer par la possibilité que la<br />

grève se démobilise et que le PQ gagne,<br />

un parti qui n’est clair sur rien dans son<br />

programme, mis à part le fait qu’il est<br />

au final, du côté des patrons québécois,<br />

l’aile gauche du mouvement, incarné par<br />

la CLASSE, ne s’est engagé sur rien. La<br />

direction de la CLASSE n’a pas vraiment<br />

parlé des élections anticipées, et pire<br />

encore, elle n’a rien dit sur le processus<br />

électoral. Elle s’est contentée de proclamer<br />

que « nos rêves sont beaucoup plus<br />

grands que les urnes », mais ce n’est pas<br />

de cela que le mouvement avait besoin<br />

pour faire face aux élections.<br />

Il fallait des consignes claires, des idées<br />

et des actions. Il fallait dénoncer premièrement<br />

l’anti-démocratie du système<br />

électoral qui est conçu pour bénéficier<br />

aux grands partis avec les votations par<br />

circonscription ou la non-reconnaissance<br />

du volume de votes reçus. Il fallait<br />

dénoncer cette démocratie représentative<br />

bourgeoise où la classe politique<br />

s’arroge le monopole de la participation ;<br />

cette démocratie qui nous refuse le droit<br />

à l’expression réellement démocratique<br />

situation internationale<br />

et la participation directe et permanente<br />

aux affaires publiques; cette démocratie<br />

qui nie le droit de vote aux immigrés<br />

mais qui permet leur exploitation sur<br />

les chantiers, les arrière-salles de restaurants,<br />

dans les ateliers ; cette démocratie<br />

qui nie une réelle représentation<br />

pour les populations autochtones ; cette<br />

démocratie qui, au final, sert seulement<br />

les riches et se construit au détriment<br />

des classes populaires. Il aurait fallu<br />

dénoncer le régime pourri entaché de<br />

plusieurs cas de corruption, à commencer<br />

par le financement illégal des partis<br />

qui touche aussi bien le PLQ de Charest<br />

que le PQ de Marois, notamment par le<br />

biais des pots de vin dans le BTP. Il aurait<br />

fallu dénoncer les relations des députés<br />

libéraux avec la mafia, leur contrôle sur<br />

la nomination des juges, etc.<br />

Désarmé face à cette conjoncture politique<br />

électorale, avec les leaders de<br />

l’aile modérée du mouvement appelant<br />

à voter pour le PQ, comme la plupart des<br />

syndicats de salariés, le mouvement a<br />

perdu peu à peu de sa force. Lorsque les<br />

camarades des Cégeps (Collèges d’enseignement<br />

général et professionnel)<br />

ont voté dans les Assemblées la fin de<br />

la grève, ils ont admis qu’elle avait trop<br />

duré et que maintenant il fallait attendre<br />

après les prochaines élections. Ainsi, sur<br />

la base d’un manque de positionnement<br />

politique de la part du mouvement étudiant,<br />

notamment de son aile gauche, la<br />

démocratie bourgeoise a triomphé de<br />

nouveau sur la grève, sur la démocratie<br />

directe et sur la lutte populaire dans les<br />

rues.<br />

Pourquoi n’avons-nous<br />

pas gagné et les limites de<br />

la clASSe<br />

Nous ne disons pas qu’il aurait été<br />

possible d’aller avec un simple claquement<br />

de doigt vers un Conseil Général<br />

de Grève, ni même d’appeler à la grève<br />

générale contre Charest et ses contreréformes.<br />

Ce qui est sûr, c’est que des<br />

occasions ont été perdues pour aller<br />

plus loin. Une compréhension politique<br />

stratégique de la situation de la part de<br />

la direction de la CLASSE aurait permis<br />

de donner beaucoup plus de force à la<br />

lutte. Et là encore, nous ne parlons pas<br />

des plus jeunes camarades, pour qui le<br />

« printemps érable » a été la première<br />

expérience politique (et quelle expérience<br />

!). Il existait cependant, à l’extrême<br />

gauche, un certain nombre de courants<br />

qui participaient à la CLASSE et sont responsables<br />

de cette volonté de non-analyse<br />

et de non intervention sur le terrain<br />

politique puis électoral qui a fini par<br />

conduire à démobiliser le mouvement<br />

et à désarmer son aile la plus radicale 4 .<br />

[4] Nous faisons ici allusion aux éléments<br />

québec<br />

Pour gagner, il ne suffit pas d’être nombreux<br />

dans la mobilisation, et combatifs<br />

en manifs. Il faut une stratégie et une politique<br />

pour vaincre, ce qui a cruellement<br />

manqué à la direction de la CLASSE.<br />

Il est parfaitement légitime de poser la<br />

question des limites de la CLASSE et, en<br />

tant que militante-e-s de la Coalition,<br />

nous ne sommes pas les seuls à la poser.<br />

Sans aucun doute, la démocratie directe<br />

est une réussite du mouvement étudiant.<br />

Cela lui a permis de maintenir sa force et<br />

de démocratiser la lutte en permettant à<br />

tout le monde d’y participer. Mais il faut<br />

la développer afin qu’elle soit fonctionnelle<br />

pour les grands moments de lutte.<br />

Il aurait fallu que nos délégués, en plus<br />

de faire respecter le mandat des assemblées,<br />

soient rotatifs et révocables. De<br />

cette façon toutes et tous les camarades<br />

auraient eu l’opportunité d’être un représentant<br />

et d’aller, par exemple, dans<br />

un Congrès de la CLASSE. Cela aurait pu<br />

fortifier les bases étudiantes, mais nous<br />

ne l’avons pas fait.<br />

Si la CLASSE, en suivant le principe de<br />

la démocratie directe, avait appelé à<br />

la formation d’un Conseil Général de<br />

Grève, structuré autour de délégués<br />

de chaque association en lutte, cela<br />

aurait donné encore plus de souffle à<br />

la grève, en permettant de disputer aux<br />

Fédérations étudiantes réformistes leurs<br />

bases les plus combatives. Cela aurait<br />

permis le développement d’une force<br />

supérieure, démocratique et horizontale<br />

de l’ensemble du mouvement gréviste.<br />

C’est cette orientation que nous<br />

avons défendue avec un certain nombre<br />

d’autres camarades autour du bulletin de<br />

grève « Contre le <strong>Courant</strong> ». Malheureusement,<br />

aucune mesure n’a été prise dans<br />

ce sens.<br />

Si la CLASSE avait su construire cette<br />

forme de démocratie, cela aurait également<br />

pu servir de point de référence aux<br />

autres secteurs en lutte, à commencer<br />

par les autochtones qui se battent contre<br />

le Plan Nord, les secteurs populaires qui<br />

refusent la tarification et la privatisation<br />

des services électriques, les syndicats<br />

qui combattent les lock-out et l’intromission<br />

du gouvernement, comme dans le<br />

cas de ce qui se passe dans le BTP, les<br />

immigrants qui luttent pour l’obtention<br />

de leurs papiers et des conditions de travail<br />

dignes, etc. Cela aurait également pu<br />

créer les conditions pour un Conseil plus<br />

élargi de lutte contre le gouvernement,<br />

le régime et le patronat.<br />

les plus liés à l’ultragauche anarchisante,<br />

aux vieux courants staliniens et maoïstes<br />

québécois comme le PCR, ainsi que ceux<br />

liés aux deux principaux porte-parole,<br />

Gabriel Nadeau-Dubois et Jeanne Reynolds,<br />

extrêmement réticent également à l’idée<br />

de construire une réelle alliance ouvrièreétudiante<br />

pour construire la grève générale et<br />

se contentant de dire « la grève est étudiante,<br />

la lutte est populaire » [NdE].<br />

51


Malheureusement, la direction de la<br />

CLASSE n’a pas pris au sérieux la nécessité<br />

d’étendre la lutte et la démocratie<br />

directe. Même s’il y a eu des efforts de<br />

rassemblements populaires (comme celui<br />

du 26 mai), nous n’avons pas appelé<br />

à créer un front unitaire de lutte contre<br />

les plans de Charest. Ainsi, lorsque le<br />

mouvement a atteint le point le plus<br />

haut de la mobilisation avec le défi que<br />

représentait la loi spéciale 78 interdisant<br />

les manifestations, avec l’apparition<br />

des premiers concerts de casseroles et<br />

des Assemblées populaires autonomes<br />

de Quartier (APAQ’s), il aurait été possible<br />

et il aurait fallu lancer un appel à<br />

la construction d’une organisation large<br />

de lutte contre le gouvernement, ses décrets<br />

anti-sociaux et liberticides, ce qui<br />

aurait été un premier pas pour aller vers<br />

la construction d’une grève générale.<br />

grève sociale ou grève<br />

générale ? la nécessité<br />

d’une alliance ouvrièreétudiante<br />

Il est vrai qu’un appel à la « Grève sociale<br />

» a été lancé. Sous cette appellation<br />

cependant, se cache une certaine<br />

conception « transversaliste » de la lutte,<br />

très autonome au final, où le salariat<br />

n’est pas l’acteur central, aux côtés de<br />

ses alliés, à commencer par le mouvement<br />

étudiant, capable de faire reculer<br />

patronat et gouvernement en paralysant<br />

la machine économique du système. La<br />

« Grève sociale » témoigne avant tout<br />

d’une certaine méfiance envers la classe<br />

ouvrière. Pour la plupart des courants intervenant<br />

au sein de la CLASSE, la classe<br />

ouvrière québécoise serait presque réformiste<br />

par nature, corrompue par des<br />

niveaux de salaire élevés dans certains<br />

secteurs, liés au surprofit généré par les<br />

entreprises canadiennes dans les pays<br />

du Sud : d’où l’hostilité à appeler à la<br />

grève générale.<br />

Alors bien sûr il existe, comme dans<br />

n’importe quel autre pays impérialiste,<br />

une volonté de fractionnement du prolétariat<br />

de la part du patronat et de ses<br />

gouvernements entre les « privilégiés »<br />

et les autres, à commencer par les précaires<br />

et les immigrés, qui n’ont pas<br />

droit aux conventions collectives. Si les<br />

travailleuses et les travailleurs restent<br />

prisonniers de la politique bourgeoise,<br />

c’est avant tout en raison de la mainmise<br />

sur les syndicats de la bureaucratie, pour<br />

partie liée aux partis patronaux, à commencer<br />

par le PQ. Mais l’attentisme et<br />

la passivité qui semblaient prévaloir au<br />

Québec depuis plus d’un quart de siècle,<br />

jusqu’au début du « printemps érable »,<br />

ont volé en éclat, d’abord avec le mouvement<br />

étudiant, mais aussi avec les grèves<br />

sauvages qui ont eu lieu, y compris dans<br />

52<br />

révolutioN permaNeNte<br />

la partie anglophone du Canada, et enfin<br />

avec le grand mouvement de solidarité<br />

avec le mouvement de la jeunesse et<br />

l’opposition aux mesures liberticides de<br />

Charest.<br />

Si cette dynamique s’était approfondie,<br />

si l’aile gauche du mouvement étudiant<br />

s’était donné les moyens de le faire,<br />

c’était bien à travers une grève générale<br />

que le salariat aurait été capable de paralyser<br />

le pays pour faire reculer Charest<br />

et tous les autres partis qui défendent,<br />

au final, son orientation. Le salariat aurait<br />

pu, à ce moment-là, dépasser ses<br />

divisions internes et ses fractions les<br />

plus précaires, exposée et exploitées,<br />

auraient été en meilleure position pour<br />

se battre.<br />

que faire après les<br />

élections?<br />

Un gouvernement du PQ va jouer avec<br />

les illusions du peuple québécois, en<br />

promettant la défense (ou le démantèlement<br />

moins brutal…) des principales<br />

conquêtes sociales, à commencer par la<br />

Santé et l’Education, freiner la privatisation<br />

de certaines entreprises publiques,<br />

et même jouer sur la corde de l’indépendance<br />

nationale, qui est le crédo officiel<br />

du parti depuis sa création. Mais le PQ<br />

applique depuis longtemps, là où il gouverne<br />

et quand il est aux responsabilités,<br />

un programme économique libéral axé<br />

sur les privatisations et le démantèlement<br />

de l’Etat providence. Même s’il a<br />

promis d’abolir la loi 12 sur le droit de<br />

manifester et d’annuler la hausse de frais<br />

de scolarité, il s’est bien prononcé pour<br />

une autre hausse indexée sur le coût de<br />

la vie. Le PQ entend de cette façon déplacer<br />

les politiques des libéraux pour y<br />

placer les siennes, qui vont, au final, dans<br />

le même sens. La différence n’est pas de<br />

fond. Elle concerne juste les rythmes et le<br />

calendrier de l’application des réformes.<br />

Bien entendu, l’avantage majeur du PQ<br />

est qu’il dispose d’un lien étroit et privi-<br />

N°6 / automNe 2012<br />

légié avec les principales directions du<br />

mouvement syndical québécois. Même<br />

sur la question de l’indépendance, Marois<br />

n’a pas annoncé de calendrier. Au<br />

contraire, elle ne veut poser cette question,<br />

dit-elle, que lorsque les Québécois<br />

seront majoritairement en faveur dans le<br />

cadre d’un référendum. En effet, selon le<br />

PQ, qui fuit comme la peste l’idée que<br />

la jeunesse et les travailleurs puissent<br />

se mobiliser dans la rue pour défendre<br />

leurs droits et leurs revendications, et<br />

en cela préfère le silence des isoloirs,<br />

la question de l’indépendance par rapport<br />

à Ottawa ne peut se poser que dans<br />

le cadre d’un référendum, comme ceux<br />

de 1980 et de 1995 où le « oui » n’avait<br />

emporté que 40,5 puis 49,5% des suffrages.<br />

Il y a fort à parier que, dans le cadre d’une<br />

majorité toute relative au Parlement qui<br />

fait dire aux analystes qu’un gouvernement<br />

minoritaire ne peut avoir qu’une<br />

durée de vie courte, entre 18 et 24 mois,<br />

il y a fort à parier que le PQ va essayer<br />

de freiner quelque peu les réformes<br />

Charest, sans pour autant revenir sur son<br />

bilan, et en axant son orientation sur la<br />

droite à mesure où la crise va aller en<br />

s’approfondissant. On peut également<br />

prévoir une plus forte polarisation politique,<br />

y compris sur la droite, comme en<br />

témoigne les 19 députés emportés par<br />

les caquistes de François Légaut (ancien<br />

ministre du PQ), qui se présentaient pour<br />

la première fois et sont très liés au milieu<br />

des affaires et très hostiles à tout éloignement<br />

d’Ottawa. Le fait que le Parti<br />

Libéral du Québec ait subi une lourde<br />

défaite, devant passer à l’opposition, et<br />

que Jean Charest lui-même ait perdu sa<br />

circonscription, ne veut pas dire que le<br />

parti soit mort. Le PLQ a conservé 50 députés,<br />

seulement quatre de moins que<br />

le PQ, et son influence dans certaines<br />

zones, comme l’Ouest majoritairement<br />

anglophone de Montréal, est encore importante.<br />

Son retour au gouvernement<br />

plus tôt que prévu, en cas d’enlisement<br />

du PQ, n’est donc pas improbable.


Avec 6% des voix, le Parti Québec Solidaire<br />

(QS), classé à gauche dans la province,<br />

a conservé la circonscription de<br />

Mercier conquise par Amir Kadhir en<br />

2008 et a fait élire sa coporte-parole,<br />

Françoise David, figure de proue du<br />

mouvement des femmes au Québec, sur<br />

celle de Gouin. QS a doublé son score<br />

par rapport aux élections de décembre<br />

2008, passant de 122.000 voix (3,8%)<br />

à 263.000. Le programme de Québec<br />

Solidaire défend quelques point assez<br />

avancés, comme la nécessité de mettre<br />

en place une Assemblée Constituante, la<br />

défense de l’indépendance, la nationalisation<br />

de ressources naturelles, la gratuité<br />

scolaire et des services de santé ou la<br />

taxation du capital. Mais on ne peut que<br />

regretter que la direction QS ne défende<br />

un tel programme radical que les jours<br />

de fête. Toute sa campagne a été teintée<br />

d’un électoralisme à tout crin, très axée<br />

sur la conquête de nouveaux sièges. Tout<br />

au long de la campagne, Kadhir et David<br />

ont ainsi souhaité publiquement que le<br />

PQ, un parti bourgeois, en appelle à QS<br />

pour former un gouvernement de coalition,<br />

ce que Marois et les siens ont bien<br />

entendu balayé d’un revers de main. La<br />

wikileaks<br />

Josefina Martínez et<br />

Alexandra Rios 1<br />

palme revient à David qui, au moment<br />

de la proclamation des résultats, en est<br />

même arrivée à féliciter Marois pour sa<br />

victoire…<br />

Dans ce cadre, il est fortement probable<br />

que le mouvement étudiant entre dans<br />

une période de reflux après cette nonvictoire<br />

au goût très amer. Plusieurs<br />

associations sont en train de faire circuler<br />

des propositions pour reprendre la<br />

grève en octobre si jamais le PQ n’annulait<br />

pas la hausse des frais d’inscription.<br />

Mais pour que la mobilisation reprenne,<br />

il faut que les éléments les plus combatifs<br />

et déterminés soient en capacité de<br />

tirer un véritable bilan du « printemps<br />

érable », ce que la direction de CLASSE<br />

notamment se refuse de faire. Il faudrait<br />

que l’aile gauche du mouvement, la plus<br />

mobilisée et déterminée à ne pas se faire<br />

endormir par les promesses de Marois et<br />

du PQ, soit en capacité de tirer un réel<br />

bilan de ce que nous avons réussi à arracher,<br />

à savoir sortir le pays de sa torpeur<br />

apparente, et de ce que nous avons raté,<br />

à savoir faire reculer réellement, par la<br />

lutte et par la grève, Charest et son gouvernement.<br />

La bourgeoisie québécoise et ses partenaires<br />

anglophones à Ottawa ont<br />

demandé à Charest de faire un pas de<br />

côté et d’appeler à des élections anticipées<br />

pour faire baisser la pression. En se<br />

prévalant de son discours souverainiste<br />

et de ses liens avec les directions syndicales,<br />

le PQ espère reformater le calendrier<br />

de réformes dont a besoin le patronat<br />

québécois pour faire payer la crise<br />

aux classes populaires, aux travailleurs<br />

immigrés, aux jeunes et aux population<br />

autochtones. C’est aussi pour cela que<br />

les éléments les plus radicalisés du mouvement<br />

étudiant, qui viennent de vivre<br />

leur première expérience politique, les<br />

travailleuses et les travailleurs qui ont<br />

commencé à se battre, ont tout à gagner<br />

à essayer de construire, dès à présent,<br />

une alternative québécoise, de classe, et<br />

révolutionnaire, solidaire de nos frères<br />

et sœurs de classe des provinces anglophones,<br />

si l’on veut que le « printemps<br />

érable » connaisse un deuxième acte,<br />

rebondisse, et soit capable de faire payer<br />

la crise à ses principaux responsables, le<br />

patronat et son gouvernement, quelle<br />

que soit sa couleur politique.<br />

Montréal, 06/09/12.<br />

l'AFFAiRe ASSAnge,<br />

ou l'hyPocRiSie De lA gRAnDe-bRetAgne<br />

Le cas Assange révèle le cynisme de<br />

Londres et la vraie nature impérialiste de<br />

la « démocratie britannique ». Mais Rafael<br />

Correa, le président équatorien, n’est pas<br />

en reste non plus dans l’instrumentalisation<br />

de cette affaire.<br />

En septembre 1998, à la demande du<br />

juge espagnol Baltasar Garzón, le dictateur<br />

chilien Augusto Pinochet était arrêté<br />

lors d’une visite à Londres, afin d’être<br />

jugé dans l’affaire des citoyens espagnols<br />

tués par la dictature au Chili dans<br />

les années 1970. Après dix-sept mois de<br />

litige judiciaire, la Grande-Bretagne décidait<br />

de refuser l’extradition du dictateur<br />

et se chargeait de le libérer pour qu’il<br />

puisse retourner au pays, invoquant des<br />

raisons « humanitaires » (sic), liées à son<br />

état de santé. C’est donc grâce au soutien<br />

du gouvernement britannique, alors<br />

dirigé par les travaillistes, que Pinochet<br />

a pu tranquillement vivre les dernières<br />

années de sa vie à Santiago, sans avoir<br />

jamais été condamné ni même inquiété,<br />

[1] Cet article est tiré de « El caso Assange<br />

y la hipocresía de Gran Bretaña », 23/08/12,<br />

www.clasecontraclase.org/El-caso-Assange-yla-hipocresia-de-Gran-Bretana<br />

en dépit des dizaines de milliers de victimes<br />

de la dictature chilienne à la suite<br />

du coup d’Etat de 1973 contre Salvador<br />

Allende.<br />

Aujourd’hui pourtant, bien loin de la<br />

position qu’elle avait prise dans l’affaire<br />

Pinochet, la Grande-Bretagne entend<br />

recevoir la demande d’extradition formulée<br />

par la Suède à l’encontre de Julian<br />

Assange. Stockholm souhaite juger le<br />

fondateur de WikiLeaks dans une affaire<br />

de viol dont il serait l’auteur. Après le<br />

rejet par la Cour suprême britannique<br />

de son recours en appel, Assange s’est<br />

réfugié dans l’ambassade de l’Équateur<br />

à Londres. Dès l’annonce de la décision<br />

de l’Équateur d’accorder l’asile politique<br />

à Assange, le gouvernement de David<br />

Cameron a envoyé la police cerner le bâtiment<br />

diplomatique. Cameron a même<br />

menacé d’avoir recours à un décret de<br />

1987 permettant de pénétrer à l’intérieur<br />

de n’importe quelle ambassade, et<br />

ce en violation de l’extraterritorialité des<br />

bâtiments diplomatiques garantis par<br />

la Convention de Vienne de 1961. Une<br />

intrusion dans l’ambassade d’Equateur<br />

représenterait un précédent dangereux<br />

pour le respect du droit d’asile. C’est en<br />

situation internationale<br />

ce sens qu’il est nécessaire de dénoncer<br />

l’attitude du gouvernement britannique<br />

et son ingérence dans les affaires internes<br />

équatoriennes, qui témoigne bien<br />

de l’arrogance impérialiste de Londres.<br />

En réalité, ce nouvel épisode de « l’affaire<br />

Assange » dévoile au grand jour<br />

l’hypocrisie et le cynisme de la Grande-<br />

Bretagne, et plus généralement de la politique<br />

internationale des pays impérialistes.<br />

Lorsqu’elle refusa l’extradition de<br />

Pinochet en 1998, ce ne fut évidemment<br />

pas pour des raisons « humanitaires »,<br />

mais en reconnaissance des « services<br />

rendus » par le dictateur qui fut toujours<br />

un défenseur des intérêts impérialistes<br />

en Amérique Latine, et notamment de<br />

l’aide apporté par la dictature chilienne<br />

à la Grande-Bretagne pendant la guerre<br />

des Malouines au début des années<br />

1980.<br />

Aujourd’hui encore, la Grande-Bretagne<br />

protège ses propres intérêts, ainsi que<br />

ceux des États-Unis, dans « l’affaire Assange<br />

». La demande d’extradition de la<br />

Suède est, bien entendu, fonctionnelle<br />

à ces mêmes intérêts. En diffusant des<br />

centaines de milliers de documents et<br />

53


de mémorandums secrets, WikiLeaks<br />

a passablement écorné l’image de la<br />

diplomatie américaine dans le monde<br />

entier. Même si les documents menaçant<br />

sérieusement la « sécurité militaire »<br />

des États-Unis n’ont pas été publiés, le<br />

site internet dirigé par Assange a permis<br />

de dévoiler de nombreux mécanismes<br />

d’espionnage et de contrôle sur des<br />

gouvernements, la piètre opinion qu’ont<br />

des chefs d’Etat et des responsables<br />

politiques de nombreux pays semi-coloniaux<br />

les ambassadeurs occidentaux en<br />

poste, des opérations de « pression » menées<br />

par tel ou tel pays pour défendre<br />

les intérêts de ses multinationales, etc.<br />

L’une des révélations les plus retentissantes<br />

concerne les assassinats, les tortures<br />

et les mauvais traitements perpétrés<br />

sur des milliers de civils en Irak et<br />

en Afghanistan de la part des troupes<br />

américaines, ainsi que de la leurs alliés...<br />

notamment britanniques. Avec plus de<br />

400.000 documents déclassifiés et publiés,<br />

les « fichiers d’Irak » de WikiLeaks<br />

ont dévoilé le caractère planifié de la<br />

politique d’assassinat et de torture des<br />

armées impérialistes d’occupation. Le<br />

fait que ces informations étaient classées<br />

« secret défense » par Washington<br />

ou Londres n’a rien à voir avec des questions<br />

de « sécurité nationale », tel que<br />

cela a été expliqué par les politiciens démocrates<br />

et républicains aux États-Unis.<br />

Il s’agissait simplement de protéger leur<br />

image vis-à-vis de la communauté internationale.<br />

« Contrairement à ce que dit le<br />

Pentagone, expliquait le grand quotidien<br />

espagnol El País en octobre 2010, les<br />

documents sur la guerre en Irak diffusés<br />

par WikiLeaks montrent que la sécurité<br />

des troupes n’est pas la raison principale<br />

de cette rétention d’information. Dans<br />

la plupart des 400.000 rapports déclassés,<br />

on peut trouver la légende suivante<br />

: Events that may elicit political, media or<br />

international reaction [Ces éve,ements<br />

peuvent provoquer des réactions politiques,<br />

des médias et internationales].<br />

L’un des rapports marqué de cette lé-<br />

54<br />

révolutioN permaNeNte<br />

gende concerne un affrontement ayant<br />

eu lieu le 9 juin 2007, dans la prison de<br />

Camp Bucca, au sud de l’Irak. Ce jour-là, il<br />

y eut cinquante-huit blessés et six morts<br />

du côté des irakiens, tandis qu’un seul<br />

blessé était compté du côté des forces<br />

de coalition. L’information est alors qualifiée<br />

de ‘secrète’ ».<br />

Pour l’instant, Assange est reclus dans<br />

l’ambassade de l’Équateur et l’issue de<br />

sa situation reste incertaine. Après avoir<br />

menacé le gouvernement équatorien de<br />

Rafel Correa de pénétrer au sein l’ambassade<br />

afin d’y arrêter Assange, Cameron<br />

a dû faire marche arrière, par peur des<br />

réactions de la communauté internationale.<br />

Mais pour Assange, les choses sont<br />

claires : s’il met un pied en hors de l’ambassade,<br />

le gouvernement britannique<br />

l’arrêtera sur le champ.<br />

Pour les avocats d’Assange, l’extradition<br />

en Suède, pour le juger dans une affaire<br />

de viol, n’est qu’un prétexte pour l’extrader<br />

vers les États-Unis. Bradley Manning,<br />

ancien soldat de l’armée américaine et<br />

accusé d’avoir envoyé un certain nombre<br />

de documents classifiés à WikiLeaks est<br />

en prison depuis deux ans sur une base<br />

militaire en attente de jugement et sera<br />

probablement condamné à la réclusion<br />

à perpétuité. C’est en ce sens aussi<br />

qu’il est nécessaire de défendre le droit<br />

d’asile de Julien Assange, que ce soit en<br />

Équateur ou dans un autre pays.<br />

Nous entendons des arguments avancés<br />

par les défenseurs d’Assange. Nous défendons<br />

le droit de WikiLeaks de publier<br />

les documents et nous dénonçons l’hypocrisie<br />

des gouvernements des États-<br />

Unis et de la Grande-Bretagne. Mais en<br />

tant que militantes révolutionnaires,<br />

nous ne pouvons ignorer les accusations<br />

de crime sexuel qui pèsent sur Assange.<br />

La seule façon d’y répondre, pour Assange<br />

et ceux qui le soutiennent, serait<br />

de demander à ce qu’elles soient examinées<br />

par une commission d’enquête indépendante,<br />

constituée par des person-<br />

N°6 / automNe 2012<br />

nalités reconnues dans le domaine de la<br />

défense des droits humains et des droits<br />

des femmes, sans aucune collusion avec<br />

les gouvernements impliqués dans cette<br />

affaire. Dans le cas inverse, la suspicion<br />

continuera à peser sur le fondateur de<br />

WikiLeaks.<br />

Le président équatorien a réussi à obtenir<br />

le soutien de l’UNASUR, l’Union des<br />

nations sud-américaines, ainsi que le<br />

soutien moins explicite de l’OEA, l’Organisation<br />

des États américains, qui, en<br />

raison de la pression exercée par les<br />

États-Unis, ne fait aucune mention des<br />

menaces émanant de la Grande-Bretagne<br />

concernant le droit d’asile. Avec<br />

cette affaire, Correa veut s’afficher en<br />

défenseur de la liberté d’expression<br />

et des droits humains. C’est une façon<br />

pour lui de regagner du crédit face aux<br />

critiques qui sont formulées contre son<br />

gouvernement en Equateur, aussi bien<br />

de la part de l’opposition de droite que<br />

de la part des secteurs du mouvement<br />

étudiant, paysan et ouvrier. Même s’il se<br />

prétend défenseur de la liberté d’expression<br />

à l’étranger, cela ne l’a pas empêché<br />

de limiter l’expression des médias qui<br />

critiquent sa gestion gouvernementale.<br />

C’est ainsi que Correa a fermé pas moins<br />

de dix-sept stations de radio depuis<br />

son élection en janvier 2007 et que pas<br />

moins de cent cinquante journalistes<br />

ont été agressés, ce qui a été également<br />

été dénoncé par les organisations qui<br />

défendent WikiLeaks et Julian Assange.<br />

Par-delà le dénouement de l’affaire Assange,<br />

avec une négociation entre Quito<br />

et Londres ou une réclusion de longue<br />

durée pour Assange dans l’ambassade<br />

équatorienne, il est clair que ce nouvel<br />

épisode de la saga WikiLeaks révèle un<br />

nouvel aspect de la profonde hypocrisie<br />

qui préside aux « relations internationales<br />

». Et nous ne sommes qu’au début<br />

de l’affaire…<br />

23/08/12


Débat marxiste<br />

Emmanuel Barot 1<br />

« Les vastes couches inférieures de l’armée<br />

de réserve, les chômeurs à l’occupation<br />

irrégulière, l’industrie à domicile,<br />

les pauvres occupés occasionnellement,<br />

échappent à l’organisation. Plus la misère<br />

est grande dans une couche prolétarienne,<br />

et moins l’influence syndicale peut s’y<br />

exercer. L’action syndicale agit faiblement<br />

dans les profondeurs du prolétariat. »<br />

Rosa Luxembourg<br />

Introduction à l’économie politique,<br />

1907-1913<br />

Les années 1970 ont vu fleurir pléthore<br />

d’« adieux au prolétariat » (selon la formule<br />

d’André Gorz en 1980) au motif<br />

que celui-ci ne constituait non seulement<br />

plus « le » sujet révolutionnaire,<br />

mais n’était même plus un sujet politique<br />

consistant tout court ; qu’il s’était<br />

embourgeoisé, devenu pour l’essentiel<br />

une gamme de « classes moyennes » aux<br />

conditions de vie améliorées, sans identité<br />

autre qu’une participation active<br />

à la « société de consommation » ; que<br />

l’extension avérée du salariat à de larges<br />

couches non ouvrières de la population<br />

rendait caduque l’assimilation du prolétariat<br />

aux travailleurs (plus ou moins)<br />

en lutte ; enfin, qu’indépendamment des<br />

arguments précédents, la fossilisation<br />

des régimes et orthodoxies dits « communistes<br />

» à elle seule prouvait dorénavant<br />

sous le sceau de l’éternel autant<br />

l’obsolescence que la dangerosité politiques<br />

et historiques de la « dictature du<br />

prolétariat ».<br />

La publication en 2012 d’un livre, Les<br />

nouveaux prolétaires 2 , défendant la pertinence<br />

spécifique aujourd’hui du terme<br />

de prolétariat, et même s’il est nécessaire<br />

pour l’auteure, Sarah Abdelnour,<br />

d’en « réactualiser la notion » 3 , n’est donc<br />

pas un mince événement. Distinctions<br />

conceptuelles, mises en perspective<br />

[1] Emmanuel Barot est enseignant-chercheur<br />

en philosophie à l’université du Mirail à<br />

Toulouse. Animateur du séminaire «Marx au<br />

XXième siècle», il est l’auteur notamment de<br />

<strong>Révolution</strong> dans l’université. Quelques leçons<br />

théoriques et lignes tactiques tirées de l’échec<br />

du printemps 2009, Montreuil, La Ville Brûle,<br />

2010, 176 p. et de Marx au pays des soviets ou<br />

les deux visages du communisme, Montreuil,<br />

la Ville Brûle, 2011, 144 p. Il a en outre<br />

coordonné le livre Sartre et le Marxisme, Paris,<br />

La Dispute, 2011, 398 p.<br />

[2] Les nouveaux prolétaires, Sarah Abdelnour,<br />

Paris, Textuel, Coll. « Petite Encyclopédie critique<br />

», 2012, 139 p.<br />

[3] P. 10 puis p. 55<br />

historiques et enquêtes sociologiques<br />

mobilisées de concert, la richesse du<br />

livre ne peut être résumée en quelques<br />

pages. On se contentera ici d’en questionner<br />

les implications politiques<br />

finales après un (trop) bref tableau, en<br />

procédant dans son prolongement à<br />

un examen des différentes dimensions<br />

du concept de prolétariat, bien plus<br />

complexe qu’il n’en a l’air chez Marx et<br />

Engels eux-mêmes. Seul un examen de<br />

ce type peut permettre à une tentative<br />

de « réactualisation » du concept d’avoir<br />

une signification précise et utile, et de<br />

nourrir efficacement les interrogations<br />

stratégiques qui s’imposent aujourd’hui 4 .<br />

exploités, exclus, précaires :<br />

des « multitudes » en quête<br />

d’identité<br />

S. Abdelnour prend soin dans la partie<br />

I, après une brève genèse des sources<br />

essentiellement marxo-engelsiennes du<br />

terme, de problématiser son usage au<br />

19 ème siècle au regard des évolutions<br />

conjointes de la sphère de la production,<br />

de l’artisanat à la grande industrie, et de<br />

la signification et de l’extension croissante<br />

du « salariat » 5 . Elle brosse alors<br />

une fresque synthétique qui permet<br />

de façon très éclairante de comprendre<br />

comment les arguments évoqués ci-dessus<br />

de façon liminaire, venus à l’appui<br />

de l’affirmation de la « disparition » du<br />

« Prolétariat », ont pu se développer<br />

progressivement au cours des « Trente »<br />

(dites) « Glorieuses » avec une certaine<br />

force, en raison de très réelles transformations,<br />

autant dans les conditions matérielles<br />

moyennes d’existence que dans<br />

les représentations et le mouvement des<br />

identités collectives. La partie II récapitule<br />

les principales transformations qui<br />

ont amené, suite à la désarticulation ou<br />

la recomposition progressive des figures<br />

du travailleur exploité et de l’ouvrier<br />

(ainsi le « prolétariat des services », ou<br />

à l’opposé le salariat des cadres, etc.), à<br />

la prolifération aujourd’hui des discours<br />

sur la « précarité » et les « précaires ». Elle<br />

en vient en partie III à analyse les dynamiques<br />

actuelles, autant sociologiques<br />

qu’économiques, étatiques et politiques<br />

à l’origine de ce « système » de la précarité,<br />

c’est-à-dire sur la base ou en rai-<br />

[4] Je poursuis ici l’approche initiée dans<br />

Marx au pays des soviets, ou les deux visages du<br />

communisme, Montreuil, La Ville Brûle, 2011,<br />

p. 106 et suiv.<br />

[5] Cf. p. 29 et suiv.<br />

débat marxiste<br />

le PRolétARiAt A-t-il DiSPARu ?<br />

Autour du livre de Sarah Abdelnour, les nouveaux prolétaires<br />

son desquelles il est légitime de parler<br />

de « nouveaux prolétaires ». Les raisons<br />

principales, naturellement, se ramènent<br />

à la croissance exponentielle de formes<br />

régressives d’organisation du travail, la<br />

désagrégation des conditions de vie au<br />

quotidien pour une part croissante des<br />

populations, directement issues d’une<br />

accumulation de formes de domination<br />

qui rendent la situation d’une partie<br />

notable des travailleurs d’aujourd’hui<br />

(et pas seulement ceux dont les emplois,<br />

selon l’euphémisme convenu, sont « atypiques<br />

») des plus « précaires » – étant<br />

entendu que tout ceci témoigne d’une<br />

puissance renouvelée de captation du<br />

travail par la classe capitaliste.<br />

L’un des mérites du livre est de prendre<br />

au sérieux la diversité des lexiques actuellement<br />

utilisés pour identifier les<br />

combinaisons à l’œuvre entre mécanismes<br />

traditionnels et stratégies nouvelles<br />

d’exploitation et d’oppression.<br />

Il s’attache à examiner les différenciations<br />

qui en rendent l’analyse unitaire<br />

parfois délicate, et articule notamment<br />

avec soin les questions de l’immigration,<br />

du racisme, et de la subordination des<br />

femmes, qui se surajoutent aux problématiques<br />

plus transversales de l’exploitation<br />

du travail 6 , que les travailleurs<br />

soient effectivement employés ou au<br />

chômage – la distinction du travail et de<br />

l’emploi étant judicieusement introduite<br />

p. 61. Corrélativement le propos s’intéresse<br />

aux idiomes mobilisés pour définir<br />

ou identifier les formes de résistance<br />

collective associées aux formes renouvelées<br />

de ces principes de domination (sur<br />

fond, toujours, de la dislocation depuis<br />

trente ans de l’identité politique « prolétarienne<br />

»).<br />

Le livre de S. Abdelnour est donc une<br />

enquête portant sur les outils diagnostiques<br />

et prospectifs permettant de penser<br />

la domination existant au cœur du<br />

capitalisme contemporain. Ne connaissons-nous<br />

pas ces « multitudes » de<br />

Negri 7 , ces « pauvres », ces « sans-part »,<br />

ces « précaires », qui sont censés constituer<br />

la nouvelle forme de subjectivité<br />

hybride à même d’alimenter la seule résistance<br />

sociale d’ampleur que les partis<br />

constitués, les syndicats, ou les groupes<br />

socioprofessionnels habituels (ouvriers,<br />

notamment) ne prennent manifestement<br />

plus en charge (la société « industrielle<br />

» étant peu ou prou une société du<br />

passé dans ce style d’argumentation) ?<br />

[6] Ch. I-3 p. 35 et suiv.<br />

[7] Cf. p. 52-53<br />

55


Pour l’auteure, la chose est claire : cette<br />

invocation des « multitudes » baptise un<br />

problème plutôt qu’elle ne l’éclaire. De<br />

même s’autorise-t-elle avec justesse<br />

à montrer que l’une des distinctions<br />

qui opère avec une force certaine chez<br />

Marx, entre « prolétariat » et « sous-prolétariat<br />

», le second faisant l’objet d’une<br />

condamnation certaine et répétée (dans<br />

Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, ou<br />

encore la section VIII du Livre I du Capital),<br />

mérite d’être grandement relativisée<br />

8 . Les degrés de précarisation et de<br />

marginalisation existant dans la population<br />

laborieuse montrent que cette distinction<br />

est pour l’essentiel inopérante,<br />

et conduit à opposer deux sections,<br />

certes en situations différentes, mais<br />

d’une seule et unique « armée industrielle<br />

de réserve », cette armée des chômeurs<br />

structurels ou conjoncturels qui<br />

font organiquement partie de la logique<br />

même de l’accumulation du capital. Du<br />

reste Marx savait parfaitement que cette<br />

division interne du prolétariat est une<br />

contradiction induite par la société capitaliste,<br />

et le plus souvent une « issue »<br />

stratégique des classes dominantes qui<br />

consiste naturellement à « opposer une<br />

partie des prolétaires à l’autre partie » 9 .<br />

L’instrumentalisation, par exemple, du<br />

« vandalisme » des jeunes des banlieues<br />

contre les travailleurs « intégrés » et<br />

« respectueux » de la loi est une tactique<br />

de division qui a en cela fait ses preuves<br />

depuis fort longtemps.<br />

Autre façon de dire que l’un des enjeux<br />

du livre, naturellement, est le concept de<br />

« classe » sociale 10 . Il comporte, schématiquement,<br />

une dimension « objective »<br />

(les caractères sociologiques et économiques<br />

partagés) et une dimension<br />

« subjective », celle du sentiment d’appartenance<br />

à un collectif soudé autour<br />

d’intérêts et de projets partagés, ce qui<br />

constitue la dimension plus politique et<br />

idéologique (ou du moins contre-idéologique,<br />

en résistance aux idéologies<br />

dominantes) du terme. Et force est de<br />

constater, le propos est archi-connu, au<br />

vu de « l’archipel des nouveaux prolétaires<br />

» 11 que semblent constituer les<br />

« précaires », la difficulté d’une analyse et<br />

d’un engagement fondés sur la conception<br />

de la lutte des classes portée par<br />

le marxisme, dont il est rappelé que la<br />

perte de crédit a à la fois résulté de et<br />

alimenté les argumentaires « post-prolétariens<br />

» des années 1970-80 jusqu’à<br />

[8] Pp. 31-33, 64-65 et Conclusion<br />

[9] Les luttes de classes en France. 1848-1850<br />

, Paris, Editions Sociales, 1981, p. 58. Marx dit<br />

alors que le « lumpenprolétariat… constitue<br />

une masse nettement distincte du prolétariat<br />

industriel », et rajoute plus loin, p. 59, que,<br />

recruté par le gouvernement provisoire, il<br />

constitua « face au prolétariat de Paris [celui,<br />

victorieux, de la révolution de février 1848],<br />

une armée tirée de son propre milieu ».<br />

[10] Pp. 11-12<br />

[11] P. 10<br />

56<br />

révolutioN permaNeNte<br />

aujourd’hui 12 .<br />

L’une des affirmations fortes de ce livre<br />

nuancé est sans conteste la suivante :<br />

« Précariat » n’est pas prolétariat 13 . De<br />

même pour tout ce qui relève de l’idiome<br />

des « exclus » – l’auteure rappelant avec<br />

justesse que, tout de même, précarité et<br />

flexibilité ont toujours été un atout et une<br />

arme des patrons 14 . Il n’y a aucunement<br />

besoin de fantasmer rétrospectivement<br />

une unité magique ou merveilleuse du<br />

prolétariat 15 pour réaffirmer l’importance<br />

de cette distinction, et revendiquer<br />

l’usage de la notion de prolétariat,<br />

laquelle, contrairement à celle de « précariat<br />

» ne se limite aucunement à des<br />

caractères simplement descriptifs on va<br />

le voir, et surtout négatifs 16 , c’est-à-dire<br />

défini uniquement dans les termes des<br />

manques qui affligent une partie de la<br />

population. Corrélativement l’auteure<br />

rappelle à juste titre que cet étendard<br />

de la « précarité », s’il a pu alimenter<br />

des mobilisations importantes (celles<br />

des intermittents du spectacle de façon<br />

emblématique) et s’il a pu fournir depuis<br />

un « label » fédérateur en raison de sa<br />

« plasticité », reste « plus une construction<br />

virtuelle de chercheur ou de militant<br />

qu’une réalité sociale » 17 . De ce<br />

point de vue, le terme perd en ancrage<br />

dans le réel le gain en souplesse et en<br />

ouverture, bref, en « démocratie » que<br />

ses « coordinations » sont censées incarner<br />

en contraste avec l’inertie, le bureaucratisme<br />

et le corporatisme (réel ou supposé),<br />

et la hiérarchisation attribuée au<br />

fonctionnement des syndicats.<br />

« vertus » du concept<br />

« réactualisé » et limite<br />

politique du livre<br />

Citons quelques passages clés de la<br />

conclusion : « Les prolétaires ne sont<br />

plus assimilables au salariat, du fait de<br />

la diffusion de ce statut dans l’ensemble<br />

des strates de travailleurs. Ils ne sont<br />

plus uniquement des ouvriers, sous<br />

l’effet de la tertiarisation de la société.<br />

Ils ne sont plus uniquement des travailleurs,<br />

dans un contexte de chômage de<br />

masse. Mais alors pourquoi continuer<br />

d’utiliser ce terme ? Les dénominations<br />

de pauvres, de précaires, d’exclus ne<br />

sont-elles pas plus adaptées ? Elles ont<br />

chacune leur intérêt, insistant sur une<br />

situation matérielle, un rapport à l’avenir,<br />

une place dans le corps social. Mais celle<br />

[12] P. 106 et suiv.<br />

[13] P. 77 et suiv., et toute la partie III, dont le<br />

chap. 1 « La précarité comme système »<br />

[14] P. 89<br />

[15] Cf. p. 108 par exemple<br />

[16] P. 115<br />

[17] P. 114<br />

N°6 / automNe 2012<br />

de prolétaires […] conserve des vertus<br />

non-négligeables. » 18 . Quelles sont ces<br />

vertus ? Précisons d’abord la définition<br />

de synthèse que l’auteure donne alors :<br />

les « prolétaires », ce sont « les dominés<br />

de la société capitaliste, dont l’emploi et<br />

les protections qui l’accompagnent sont<br />

discontinus et incertains, ce qui entame<br />

leur situation matérielle ainsi que leur<br />

capacité à se projeter dans l’avenir, et<br />

cela tant au niveau professionnel que<br />

personnel » 19 . A quoi elle rajoute peu<br />

après que ces nouveaux prolétaires sont<br />

« des salariés en position de faiblesse<br />

et d’insécurité… [qui] forment aussi la<br />

vaste armée de réserve, ces personnes<br />

sans emploi mais soumis au diktat du<br />

travail, comme source de revenu mais<br />

aussi comme unique moyen d’échapper<br />

au stigmate du paresseux, de l’assisté » 20 .<br />

Cette définition est bien sûr très générale<br />

au plan de ce qu’elle décrit, c’està-dire<br />

au plan du diagnostic : contrepartie<br />

inévitable du grand écart que le<br />

terme-notion doit réaliser pour garder<br />

son actualité. C’est donc au plan de la<br />

prospective qu’il va falloir évaluer sa pertinence<br />

opératoire. Revenant à la grande<br />

thèse marxiste selon laquelle « l’histoire<br />

de toute société jusqu’à nos jours, c’est<br />

l’histoire de la lutte des classes » (Manifeste<br />

du parti communiste), S. Abdelnour<br />

valorise la pertinence du terme, en<br />

conclusion, en raison de ce qui lui seul<br />

véhicule : (1) un « regard plus agonistique<br />

», c’est-à-dire centré sur l’existence<br />

de rapports de forces – type de regard<br />

qui permet de rappeler que les pseudo<br />

« partenaires sociaux » sont bien des<br />

adversaires sociaux –, (2) la référence au<br />

travail comme facteur majeur de l’ordre<br />

social et économique (quoi qu’en disent<br />

les champions de l’immatériel ou de la<br />

fin du travail 21 ), et enfin (3) un potentiel<br />

d’internationalisation qu’un vocable<br />

comme celui du « précariat » ne possède<br />

pas. S. Abdelnour résume alors le type de<br />

position qui finalement anime cette défense<br />

: « … reprendre le concept marxiste<br />

engage à penser ensemble condition<br />

objective et représentation subjective<br />

de ce groupe social, et ainsi s’interroger<br />

sur le potentiel contestataire de ces nouveaux<br />

dominés 22 .<br />

Cependant le concept, contrairement à<br />

jadis, précise-t-elle alors, « reste exclusivement<br />

analytique », « puisqu’il n’est<br />

nullement un mot d’ordre des mobilisations<br />

», et qu’il reste « bien difficile<br />

d’identifier une classe sociale de prolétaires<br />

aujourd’hui, sous l’effet de l’éclatement<br />

des collectifs de travail et de la<br />

[18] P. 121<br />

[19] Idem<br />

[20] P. 122<br />

[21] Cf. p. 59-60<br />

[22] Idem


pression du chômage ». Cela dit, même<br />

si Marx « a eu tort » selon l’auteure en ce<br />

que « la dictature du prolétariat et l’avènement<br />

d’une société sans classe n’ont<br />

pas eu lieu », il ne faut pas en tirer une<br />

« conclusion purement fataliste » 23 : il<br />

faut continuer d’investir « le champ des<br />

possibles », formule finale qui donne son<br />

titre à la conclusion.<br />

Quel est l’enjeu ? L’auteure a le mérite de<br />

dire les choses de façon suffisamment<br />

claire pour mettre en lumière ce qui lui<br />

manque : parler de « potentiel contestataire<br />

», ce n’est naturellement pas parler<br />

de potentiel révolutionnaire. Or prétendre<br />

« reprendre le concept marxiste »<br />

sans parler de « révolution », et limiter la<br />

prospective au simple appel au « champ<br />

des possibles », voilà bien une façon potentiellement<br />

dépolitisée et dépolitisante<br />

– dominante dans les « retours » de/à Marx<br />

qui se sont produits depuis le début des<br />

années 2000 – de se référer au marxisme.<br />

Telle est la limite radicale du livre. Parler<br />

de marxisme, c’est devoir nécessairement<br />

interroger la praxis révolutionnaire,<br />

ses fins, ses moyens et ses acteurs, ce<br />

que le livre ne fait pas. Le propos qui suit<br />

vise donc à en prolonger l’analyse, ce qui<br />

requiert, d’abord, de remettre au centre<br />

de la réflexion certains éléments fondamentaux,<br />

qui ne sont certes pas absents<br />

du livre, mais qui y sont évoqués de façon<br />

trop périphérique ou allusive. Revenons<br />

donc d’abord quelque peu à Marx<br />

et Engels, pour ensuite pouvoir repartir<br />

de la (non-)conclusion des Nouveaux<br />

prolétaires et aller au delà.<br />

les trois dimensions du<br />

concept marxiste de<br />

prolétariat<br />

Une idée majeure de Marx et Engels<br />

est que l’accumulation du capital, c’est<br />

l’accumulation du prolétariat : en tant<br />

que contradictoires, bourgeoisie et prolétariat<br />

forment unité et totalité, et cette<br />

totalité – que les crises permettent traditionnellement<br />

de mettre en évidence –<br />

est l’essence dialectique même du capitalisme.<br />

Affirmer la « disparition » du prolétariat,<br />

à un titre ou un autre, sans que<br />

n’ait disparu la bourgeoisie (entendre<br />

la classe capitaliste dominante, aussi<br />

hétérogène soit-elle), c’est laisser croire<br />

que le capitalisme a profondément muté<br />

et qu’il continue d’exister aujourd’hui<br />

sans être structuré par l’antagonisme<br />

fondamental bourgeoisie-prolétariat, et<br />

plus largement, capital-travail. Dès lors :<br />

si le prolétariat n’est plus, la « lutte des<br />

classes » polarisée par l’antagonisme prolétariat-bourgeoisie<br />

n’est plus, et il faut<br />

donc définitivement chercher ailleurs les<br />

supports théoriques et les axes politiques<br />

de la lutte. Défendre le terme de proléta-<br />

[23] Pp. 122-123<br />

riat, c’est plus que défendre un mot : c’est<br />

défendre une vision de l’état de choses<br />

établi et des moyens de l’abolir.<br />

Chez Marx et Engels, de façon extrêmement<br />

schématique, il y a trois niveaux de<br />

formulation du problème du prolétariat<br />

: sociologique, économique, historicostratégique.<br />

C’est chez eux les premiers<br />

que ces trois approches sont convoquées<br />

: comprendre comment ils les articule,<br />

ce sera donc voir en quoi la limite<br />

à laquelle S. Abdelnour s’arrête peut et<br />

doit être dépassée, et cela reviendra à<br />

dire que, si son livre analyse bien ces<br />

trois dimensions, elle n’en fait pas les<br />

traits d’un concept à la fois unitaire et<br />

évolutif, porteur d’une dialectique qu’il<br />

convient de déployer pleinement.<br />

L’approche sociologique d’abord, fournit<br />

une définition empirico-historique,<br />

descriptive, intégrant les effets de la<br />

division du travail, de la révolution industrielle,<br />

en relation, enfin et surtout,<br />

à certaines conditions de vie (logement,<br />

habitat, consommation, structure familiale,<br />

scolarisation, etc.) impropres à tout<br />

accomplissement de la sensibilité et des<br />

facultés intellectuelles et morales. Les<br />

prolétaires, ces ouvriers bêtes de somme<br />

harassées, ces « misérables » (matériellement<br />

et moralement parlant) décrits<br />

dans la Situation des classes laborieuses<br />

en Angleterre du jeune Engels 24 ou dans<br />

le long chapitre consacré au machinisme<br />

dans le livre I du Capital, sont-ils une<br />

image du passé ? Officiellement, cette<br />

« situation » sociologique a été définitivement<br />

dépassée dans les sociétés du<br />

capitalisme développé sous l’effet des<br />

Trente Glorieuses. Mais notons d’emblée<br />

que si sur ce plan sociologique le<br />

critère est celui, comme on les nomme<br />

aujourd’hui, des « seuils de pauvreté » et<br />

la satisfaction des besoins « fondamentaux<br />

», il s’en faut que ce qui est « fondamental<br />

» se limite à la simple survie animale.<br />

Pour parler de moyens de consommation<br />

« nécessaires » (de « subsistance »<br />

par opposition aux marchandises « de<br />

luxe »), dit Marx, « … il est absolument<br />

indifférent que tel produit, par exemple<br />

le tabac [mais il suffit de penser à la voiture,<br />

au téléphone mobile, etc.], soit ou<br />

ne soit pas un moyen de consommation<br />

indispensable au point de vue physiologique,<br />

il nous suffit que l’habitude l’ait<br />

rendu indispensable » 25 .<br />

Et les techniques de façonnement (publicité)<br />

ou d’imposition (dans le cadre professionnel)<br />

des habitudes sont chaque<br />

jour un peu plus élaborées. Toute vision<br />

[24] L’ouvrage paraît en Allemagne en 1845.<br />

Les deux premiers chapitres sont édités sous<br />

le titre La situation des classes Laborieuses en<br />

Angleterre. Dans les grandes villes, Paris, Mille<br />

et Une Nuits, 2009.<br />

[25] Le Capital , Livre II, tome 2, ch. XX « La<br />

reproduction simple », Paris, Editions Sociales,<br />

1974, p. 56.<br />

débat marxiste<br />

affirmant qu’au plan « sociologique »<br />

les conditions d’existence ne sont plus<br />

« prolétariennes » doit donc administrer<br />

la preuve que les besoins sociaux<br />

moyens sont satisfaits, après avoir dûment<br />

défini ce que sont ces « besoins sociaux<br />

moyens ». Si l’on rabat ces derniers<br />

sur la simple survie matérielle, alors<br />

dans l’évidence les conditions d’existence<br />

du prolétariat ont assez profondément<br />

évolué dans la période qui a suivi<br />

la Seconde Guerre mondiale. Mais il s’en<br />

faut que cette réduction soit légitime.<br />

D’autant plus que, malgré la présentation<br />

dominante, cinq millions de Français-es<br />

vivent aujourd’hui sous le seuil<br />

de pauvreté 26 , et que la crise conduit à<br />

un processus accéléré de paupérisation<br />

pour de larges secteurs du prolétariat. En<br />

outre, il n’est pas possible de restreindre<br />

les conditions de vie des exploité-e-s du<br />

capitalisme français à celles des seuls<br />

nationaux, étant donnée la dimension<br />

impérialiste de ce dernier, et la misère<br />

qu’il impose notamment aux masses africaines.<br />

L’approche économique ensuite. Le prolétaire<br />

c’est le salarié qui produit le capital<br />

et le fait fructifier mais ne le possède<br />

pas. Il ne maintient son niveau de vie<br />

que par la vente de sa force de travail et<br />

non par un profit quelconque. Cette définition<br />

« fonctionnelle » fait du prolétariat<br />

la classe des salariés qui vendent leur<br />

force de travail en contrepartie d’un salaire<br />

pour subvenir à leurs besoins. Très<br />

souvent, dans son examen des structures<br />

essentielles du capitalisme et pour laisser<br />

de côté les éléments conjoncturels<br />

ou non-essentiels 27 , Marx limite explicitement<br />

les classes (fondamentales) en ce<br />

sens, bien qu’elles n’apparaissent jamais<br />

en réalité jamais dans leur « forme pure »<br />

parce que « les stades intermédiaires et<br />

transitoires estompent les démarcations<br />

précises » 28 . A ce niveau d’abstraction<br />

l’affaire se complique singulièrement :<br />

dire ici que le prolétariat a disparu, c’est<br />

dire que le salariat en général (ouvrier<br />

[26] Et cela si l’on fixe le seuil à 50% du<br />

revenu médian. Si, mesure souvent retenue,<br />

on le place à 60% de ce revenu, on arrive au<br />

chiffre faramineux de 9 millions de pauvres.<br />

[27] Le Capital est en ce sens un « modèle »<br />

schématique du capitalisme, qu’il ramène<br />

à ses antagonismes fondamentaux<br />

en laissant de côté, par exemple, les<br />

combinaisons sociales concrètes de<br />

rapports de production capitalistes, semicapitalistes<br />

et non-capitalistes (ces derniers<br />

étant tendanciellement absorbés par les<br />

premiers). Cette méthode d’abstraction est<br />

particulièrement sensible dans Le livre II qui<br />

porte sur la circulation et la reproduction<br />

d’ensemble du capital, où de surcroît<br />

l’hétérogénéité spécifique de chacune<br />

deux des classes capitaliste et ouvrière est<br />

volontairement laissée de côté, cf. Livre II,<br />

tome 2, ch. XXI « Accumulation et reproduction<br />

élargie », « Paris, Editions Sociales, 1974, p.<br />

150.<br />

[28] Livre III, tome 3, Paris, Editions Sociales,<br />

1974, p. 259.<br />

57


ou non), comme rapport social entre des<br />

individus juridiquement libres et égaux<br />

caractérisé au plan matériel par le fait<br />

que la liberté du travailleur, est la liberté<br />

de celui qui n’a rien sinon son corps et<br />

son esprit, que ce rapport social n’existe<br />

plus. Ce qui n’est évidemment pas à<br />

l’ordre du jour.<br />

On a affaire ici à un concept théorique<br />

d’ordre « économique » qui repose sur<br />

l’idée précise de la force de travail<br />

comme marchandise vendue, et exploitée,<br />

c’est-à-dire sur la théorie de la plusvalue<br />

: dès lors le prolétariat n’est plus<br />

tout un concept « empirique » ou sociologique,<br />

mais un concept abstrait et critique<br />

qui suppose toute l’armature du Capital<br />

et de la critique de l’économie politique.<br />

Affirmer la « disparition du prolétariat »<br />

ici c’est alors purement et simplement<br />

affirmer l’obsolescence de la théorie<br />

marxiste du capitalisme et de son fondement<br />

: la théorie de la valeur-travail. Tel<br />

est le pas que beaucoup des théoriciens<br />

des « Adieux » au prolétariat franchirent<br />

en leur temps et continuent aujourd’hui<br />

d’ânonner.<br />

L’approche politique, enfin. Cette troisième<br />

dimension est celle du prolétariat<br />

comme « classe universelle ». Le<br />

« peuple » (demos) hérité des Lumières<br />

était encore la référence du jeune Marx<br />

dans la Critique du droit politique hégélien<br />

en 1843. Mais il se transformera en<br />

« prolétariat » dans l’Introduction (rétrospective)<br />

publiée en 1844 à cette Critique.<br />

Or un second déplacement accompagne<br />

le premier : au vocabulaire de « l’émancipation<br />

» se substitue du même coup<br />

celui de la « révolution ». Autrement dit, à<br />

partir de 1844, le concept de prolétariat,<br />

chez Marx, est une armature majeure de<br />

son concept de révolution. Le prolétariat<br />

58<br />

révolutioN permaNeNte<br />

a ceci d’unique qu’il est une classe particulière<br />

dont l’essence est universelle.<br />

Il est la classe absolument exploitée et<br />

opprimée, dont l’existence est absolument<br />

niée : le capitalisme est défini par<br />

la propriété, et les prolétaires sont les<br />

sans-propriété. A ce titre il est la seule<br />

classe véritablement révolutionnaire,<br />

qui ne peut s’émanciper de sa position<br />

de classe exploitée, qu’en abolissant le<br />

principe de cette exploitation, la propriété<br />

privée des moyens de production.<br />

En résumé il ne peut se libérer comme<br />

classe particulière qu’en libérant toute<br />

la société, voilà pourquoi il porte en lui<br />

l’abolition de toutes les classes.<br />

En 1844, Marx distinguait encore les<br />

deux moteurs, extérieurs l’un à l’autre,<br />

de la révolution : sa tête, les « armes intellectuelles<br />

» (la philosophie, la théorie),<br />

et son cœur, les « armes matérielles » le<br />

prolétariat, et s’interrogeait sur la façon<br />

dont la « théorie » pouvait « s’emparer des<br />

masses pour devenir une puissance matérielle<br />

» 29 , c’est-à-dire sur la façon dont les<br />

deux moteurs pouvaient se « réaliser »<br />

mutuellement. A partir de L’idéologie<br />

allemande, et cela sera limpide dans le<br />

Manifeste en 1848, l’approche change :<br />

cette dualité est transformée en tension<br />

strictement interne au « prolétariat », entre<br />

les conditions objectives de la révolution<br />

qu’il doit mener, et les « conditions<br />

subjectives » par lesquelles il se trouvera<br />

dans la disposition effective pour la<br />

mener à bien. Cette « internalisation » au<br />

prolétariat des deux conditions-moteurs<br />

de la révolution, dans les termes d’une<br />

dialectique de la subjectivation, conduira<br />

[29] Critique du droit politique hégélien,<br />

Paris, Editions Sociales, 1975, Annexe<br />

« Introduction », respectivement p. 212 et p.<br />

205.<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Manifestation des<br />

travailleurs en grève dans<br />

les usines Hyundai en<br />

août dernier. Le conflit,<br />

qui dura plus de quatre<br />

mois, mobilisa l'ensemble<br />

des sites du constructeur<br />

automobile en Corée du<br />

Sud, touchant ainsi plus<br />

de quarante mille ouvriers.<br />

alors Marx et Engels à mettre au centre la<br />

question stratégique des formes et des<br />

modalités de l’organisation (en « parti »)<br />

des prolétaires, entendue comme traduction<br />

concrète de la question de la<br />

formation de la « conscience de classe ».<br />

On voit bien que ces trois déterminations<br />

sociologique, économique et historico-politique<br />

chargent le concept d’une<br />

dualité, d’une bi-dimensionnalité profonde,<br />

qui va bien plus loin que celle qui,<br />

pourtant, est active dans le livre de S.<br />

Abdelnour : outre la dimension diagnostique<br />

condensée par dimensions sociologique<br />

et économique, le prolétariat<br />

devient, avec la troisième, le support de<br />

la prospective révolutionnaire, l’agent de<br />

la nécessité historique dont les contradictions<br />

du capitalisme ne sauraient<br />

indéfiniment empêcher le mouvement<br />

explosif.<br />

Le concept vient donc redoubler et<br />

complexifier les deux autres approches,<br />

et en particulier en ce qu’il n’est pas un<br />

concept descriptif, mais le concept d’une<br />

dynamique : c’est le concept d’un processus<br />

de politisation, de la transformation<br />

de la classe des travailleurs salariés, des<br />

ouvriers, en ces « prolétaires de tous les<br />

pays » qui doivent « s’unir », c’est-à-dire<br />

en subjectivité révolutionnaire, qui doit<br />

se doter en pleine conscience de sa mission,<br />

c’est-à-dire sur la base d’une appartenance<br />

de classe, d’une similarité de<br />

conditions de vie et d’intérêts reconnus,<br />

des organisations (syndicats, partis, Association<br />

Internationale, etc.) adéquates<br />

à sa lutte. Ici le prolétariat n’est plus une<br />

catégorie d’analyse stricto sensu : il est<br />

devenu un concept « tendanciel » stratégique,<br />

que par analogie l’on peut rapprocher,<br />

ici, du Tiers-Etat de 1789. Celuici,<br />

selon la formule de Siéyes, devait


devenir, d’un rien, le tout de la nation : le<br />

vecteur du progrès, le Sujet de l’émancipation,<br />

le fondement de toute légitimité,<br />

etc. En résumé, ici il est déjà clair que<br />

« prolétariat » dit qualitativement plus<br />

que « classe ouvrière ».<br />

le concept dialectique,<br />

historique et matérialiste,<br />

de contradictions agissantes<br />

Hypostasier le point de vue purement<br />

sociologique peut donner prise au misérabilisme<br />

des « pauvres », et susciter<br />

la charité plus que la justice ; le point<br />

de vue purement économique, lui, permet<br />

de couper l’herbe sous le pied au<br />

misérabilisme, mais rend possible une<br />

extension et une opacification délicates<br />

du concept, on le verra plus loin.<br />

Enfin le point de vue historico-politique,<br />

celui des conditions « subjectives » en<br />

gros, conditionnant le sens des fins qui<br />

est constitutif de la praxis révolutionnaire,<br />

peut à lui seul ouvrir à un messianisme<br />

30 , un finalisme tombant dans<br />

l’exhortation s’il fait l’impasse ou minore<br />

les deux autres ordres de détermination.<br />

En résumé le concept d’ensemble n’est<br />

pas le simple agrégat cumulatif des trois<br />

approches, et simultanément aucune de<br />

ces trois dimensions ne doit être laissée de<br />

côté. Les trois approches correspondant<br />

à ces dernières diffractent le concept, et<br />

montrent qu’il est un concept historique<br />

et dialectique par excellence, le concept<br />

de la contradiction intrinsèque du capital<br />

: concept du produit (particulier) du<br />

capital (il est produit par le mode de production<br />

capitaliste comme sa condition<br />

récurrente), et concept de son abolition<br />

(universelle).<br />

Mais ce concept n’est pas seulement dialectique<br />

et historique : c’est bien évidemment<br />

aussi un concept matérialiste, qui<br />

a son fondement dans l’ordre de la production<br />

et la reproduction de la société<br />

au niveau de sa capacité d’ensemble à<br />

satisfaire au moins a minima les besoins<br />

des individus. Cette thématique de la<br />

« reproduction » fournit ici un fil directeur<br />

privilégié : il n’y a pas de production capitaliste<br />

sans reproduction du capitalisme.<br />

Cette dernière renferme la reproduction<br />

de la propriété privée des moyens de<br />

production, laquelle renferme naturellement<br />

la reproduction des classes et<br />

des rapports sociaux. Autrement dit la<br />

reproduction du capitalisme est par définition<br />

reproduction de toute la société 31 .<br />

[30] Ecueil qu’incarne de façon assez<br />

frappante Histoire et conscience de classe de<br />

Lukacs en 1923.<br />

[31] Le chapitre VI dit « Inédit » du Livre I<br />

du Capital, Manuscrits de 1863-1867, Paris,<br />

Editions Sociales/GEME, 2010, récapitule<br />

ce caractère total de la reproduction du<br />

capitalisme : la reproduction du capital<br />

implique celle des mécanismes de la plus-<br />

Or parler en ces termes de « reproduction<br />

» montre plus que toute autre chose<br />

que c’est la dimension du processus qui<br />

importe, et « prolétariat » doit être compris<br />

en ce sens : il n’est pas et n’a jamais<br />

été chez Marx un concept de « chose »<br />

ou d’« état ». Et parler de processus, c’est<br />

parler de prolétarisations ou dé-prolétarisations,<br />

sur-prolétarisations ou sousprolétarisations<br />

des travailleurs, et naturellement<br />

selon les trois points de vue<br />

abstraitement (méthodologiquement)<br />

distingués ici. Marx dans le Capital a par<br />

exemple longuement détaillé l’exemple<br />

des petits producteurs agricoles ou des<br />

artisans devenus salariés de l’agriculture<br />

industrialisée ou exilés dans les usines<br />

des centres urbains 32 , mais dès 1843-<br />

1844, avec Engels il expliquait clairement<br />

que le prolétariat est le produit de<br />

la dissolution des « classes moyennes »,<br />

des « couches intermédiaires », de la « petite<br />

bourgeoisie » : il est le produit d’une<br />

radicalisation des tensions sociales et<br />

de l’appauvrissement des populations,<br />

c’est-à-dire le produit de transformations<br />

d’ensemble, plus ou moins convulsives,<br />

de la société.<br />

Conclusion : les concepts de prolétariat,<br />

de bourgeoisie, mais aussi de « petite<br />

bourgeoisie » et de « Lumpenprolétariat<br />

», etc. sont relatifs les uns aux<br />

autres, exigeant autant un sens de la<br />

totalité concrète que des contrastes, des<br />

ambivalences, bref un sens des évolutions<br />

concrètes – que l’ouvrage de S.<br />

Abdelnour possède dans l’évidence.<br />

Certes, Marx a mis au cœur de la critique<br />

de l’économie politique l’idée que l’évolution<br />

du capitalisme allait dans le sens<br />

d’une polarisation croissante sur le seul<br />

véritable antagonisme, celui du travail<br />

et du capital, c’est-à-dire du prolétariat<br />

et de la bourgeoisie : mais ce faisant, il<br />

ne les a jamais traité comme des entités<br />

closes et homogènes, mais comme des<br />

dynamiques tendancielles, ainsi que la<br />

totalité de ses œuvres, historiques en<br />

value, donc la propriété privée et le salariat,<br />

donc implique la reproduction du prolétariat<br />

comme prolétariat, et par là, celles des<br />

processus idéologiques et culturels qui<br />

assurent la légitimation de la domination de<br />

ce dernier par la bourgeoisie.<br />

[32] Le texte majeur sur cela reste l’enquête<br />

rétrospective sur « l’accumulation primitive »,<br />

ibid., Livre I, section VIII. En section IV, ch.<br />

15, l’analyse de la naissance de la grande<br />

industrie passe naturellement par celle des<br />

passages des populations rurales aux grandes<br />

villes. Voir aussi ce texte trop oublié de Lénine<br />

de 1899, Le développement du capitalisme<br />

en Russie, Paris, Editions Sociales, 1974,<br />

qui par définition porte sur les évolutions<br />

des proportions entre paysannerie et<br />

prolétariat au fur et à mesure de l’extension<br />

du capitalisme industriel (urbain ou agroalimentaire).<br />

On confronterait avec profit avec<br />

profit ce livre aux relations contemporaines<br />

du capitalisme avec les néo-colonies aux<br />

rapports de production encore en partie semiou<br />

non-capitalistes.<br />

débat marxiste<br />

particulier, le montre sans ambiguïté 33 .<br />

Epistémologiquement parlant, toute<br />

définition de ce qu’est une « classe » ressort<br />

comme une opération doublement<br />

différentielle : « synchronique », structurelle<br />

(articulant les trois dimensions) et<br />

« diachronique », temporelle (évolution<br />

du point de vue de chacune de ces approches),<br />

parce que l’existence concrète<br />

des classes est le fruit d’un processus<br />

permanent et totalisant d’unification et<br />

de division sociales.<br />

Prolétariat intégré ou<br />

prolétariat révolutionnaire?<br />

Derrière le mot, l'enjeu<br />

stratégique : brève évocation<br />

du débat marcuse et mandel<br />

des années 1960-1970<br />

L’extension du salariat dont parle S. Abdelnour<br />

a fait couler beaucoup d’encre<br />

dans les années 1960-1970. Le processus<br />

a consisté en quelque sorte à surajouter<br />

sous le label du « salarié », aux « cols<br />

bleus » de la classe ouvrière une fraction<br />

élargie des travailleurs non ouvriers, les<br />

« cols blancs ». La classe des travailleurs<br />

s’est objectivement élargie au-delà de<br />

la figure historique de la classe ouvrière<br />

(employés, administrateurs, enseignants,<br />

gestionnaires…), et en cela, l’échelle de<br />

l’exploitation du travail s’est étendue. De<br />

façon converse, la classe ouvrière a subi<br />

une minoration, puisqu’elle s’est transformée<br />

alors en une simple partie des<br />

classes travailleuses. Or pour beaucoup,<br />

cette classe laborieuse, ouvrière et non<br />

ouvrière, s’est en partie « intégrée » au<br />

système, au travers de la cogestion de<br />

l’Etat capitaliste menée par ses organisations<br />

syndicales et politiques. Ce mouvement<br />

aurait accompagné, cause et effet à<br />

la fois, la « moyennisation » matérielle et<br />

culturelle de la classe, la fraction strictement<br />

prolétarienne étant de plus en plus<br />

faible quantitativement. La question qui<br />

se pose alors, c’est la nature et le visage<br />

du triangle sociologique-économiquepolitique<br />

qui a été le résultat de cette<br />

période historique.<br />

Un bref exemple des enjeux qui se<br />

cachent derrière les débats sur le terme<br />

sera utile ici : celui des deux lectures du<br />

processus respectivement proposées<br />

par Ernest Mandel, théoricien et militant,<br />

dirigeant d’un des courants issus<br />

de la IVème internationale, et Herbert<br />

Marcuse, philosophe allemand exilé aux<br />

Etats-Unis en 1933 (connu pour avoir<br />

constitué – malgré lui – le théoricien,<br />

[33] Les luttes de classes en France et<br />

Le 18 Brumaire s’attachent autant aux<br />

différenciations internes au prolétariat, qu’à<br />

celles de la grande bourgeoisie (foncière,<br />

industrielle, financière) et, peut-être avec<br />

plus encore de force, à celles de la petite<br />

bourgeoisie.<br />

59


via Eros et civilisation et L’homme unidimensionnel<br />

34 , de la jeunesse étudiante<br />

en révolte dans les années 1960), ardent<br />

défenseur de la visée révolutionnaire,<br />

universitaire marginalisé qui ne fut pas,<br />

lui, un militant inscrit dans une organisation.<br />

Mandel a refusé le type d’analyse<br />

prôné par le second, qui a effectivement<br />

souscrit en 1964 dans L’homme unidimensionnel<br />

(ce qu’il nuança par la suite,<br />

après 1968 en particulier) à cette idée<br />

de l’intégration de la classe ouvrière au<br />

capitalisme par la consommation. Ce qui<br />

importe ici, c’est d’identifier les ressorts<br />

de la lettre des désaccords, pour en saisir<br />

l’esprit sous-jacent. Pour Mandel cette<br />

période fut celle d’une « prolétarisation »<br />

générale du travail intellectuel, celui du<br />

col blanc comme celui de l’ingénieur ou<br />

du professeur, sur le modèle du prolétaire<br />

de l’industrie. Par « prolétarisation »<br />

il entendait avant tout soumission-dépossession<br />

(c’est-à-dire aliénation) du<br />

travail, via le salariat, au capital, que ce<br />

soit dans l’ordre de la production ou de<br />

la reproduction (circulation). Exploitation<br />

économique donc, mais pas appauvrissement<br />

matériel « sociologique » au sens<br />

strict. Ainsi le synthétisait-il dans une<br />

conférence reprise dans le recueil Les<br />

étudiants, les intellectuels et la lutte des<br />

classes, où il résumait des arguments longuement<br />

développés dans son ouvrage<br />

majeur de 1972 Le troisième âge du capitalisme<br />

: « De par cette nature de l’industrialisation<br />

généralisée de toute activité<br />

humaine sous le néo-capitalisme, tous<br />

les traits traditionnels de la prolétarisation<br />

du travail, qui auparavant s’appliquaient<br />

surtout au travail manuel dans<br />

la grande usine moderne, concernent<br />

aujourd’hui et de plus en plus le travail<br />

intellectuel, c’est-à-dire tout travail salarié<br />

qui s’effectue à l’intérieur et même<br />

en dehors de la sphère de production<br />

proprement dite. […] Mais l’aliénation du<br />

travail intellectuel, la transformation de<br />

la force de travail intellectuelle en marchandise,<br />

ne s’exprime pas seulement<br />

dans l’insécurité de l’existence classique<br />

du prolétaire qui frappe aujourd’hui<br />

également l’intellectuel. Elle a en ellemême<br />

des conséquences extrêmement<br />

importantes au niveau de l’idéologie, de<br />

la morale et de la conscience des intellectuels.<br />

» 35<br />

Marcuse eut la même lecture de cette extension<br />

du salariat : ce n’est pas au sens<br />

sociologique « daté » du terme qu’elle<br />

était à comprendre, mais au niveau de<br />

cette transformation de la force de travail<br />

intellectuelle en marchandise, objet<br />

d’un « marché du travail » dominé par la<br />

loi de l’offre et de la demande plus ou<br />

moins corrigé sous l’effet des législa-<br />

[34] Ouvrages disponibles en tr. fr. aux<br />

Editions de Minuit.<br />

[35] E. Mandel, Les étudiants, les intellectuels<br />

et la lutte des classes, Paris, La Brèche, 1979,<br />

p. 52-53.<br />

60<br />

révolutioN permaNeNte<br />

tions sociales et du fonctionnariat d’Etat.<br />

Bref les deux s’entendirent sur l’élargissement<br />

au plan économique-fonctionnel<br />

de la structure de l’exploitation par le<br />

salaire, et leurs termes furent similaires<br />

pour le définir comme une généralisation<br />

et une intensification de l’« aliénation<br />

» comme dépossession.<br />

Là où les deux se sont séparés, en revanche,<br />

c’est que Marcuse refusa de<br />

nommer « prolétarisation » cet élargissement<br />

de l’aliénation-dépossession en<br />

raison de l’ancrage sociologique du terme<br />

qu’il jugeait inadéquat, alors que Mandel<br />

la nomma « prolétarisation » en raison<br />

du fondement économique cette fois du<br />

concept de « prolétariat ». Leur divergence<br />

provint donc d’une hiérarchisation différente<br />

des strates « sociologique » et<br />

« économique » du concept. Ce qu’il faut<br />

retenir ici, d’abord, c’est que la question<br />

de la disparition ou de l’existence du prolétariat<br />

ne peut se réduire à des appels<br />

à l’évidence supposée de telle ou telle<br />

évolution. D’autre part, il faut éviter de<br />

croire que Marcuse et Mandel pourraient<br />

voir leur désaccord se résoudre par une<br />

simple clarification linguistique ; c’est au<br />

troisième plan, historico-prospectif, c’està-dire<br />

politico-stratégique, que le problème<br />

s’est cristallisé. Pour Marcuse la<br />

reconstruction d’une base de masse sur<br />

le modèle autogestionnaire et conseilliste,<br />

inspirée de Rosa Luxembourg,<br />

incluant le rôle déterminant au plan<br />

« subjectif » des non-ouvriers est clairement<br />

dominée par une problématique<br />

« post-prolétarienne » de l’aliénation. En<br />

revanche, pour Mandel, naturellement<br />

nourri de la tradition trotskyste de l’auto-organisation,<br />

la praxis révolutionnaire<br />

ne pouvait pas ne pas reposer objectivement<br />

et subjectivement sur une classe<br />

ouvrière en réalité moins homogène et<br />

moins « intégrée » au système que Marcuse<br />

ne le croyait. Raison pour laquelle<br />

l’approche de Mandel est clairement<br />

« néo-prolétarienne », type d’approche<br />

permettant logiquement de maintenir la<br />

catégorie stratégique de « dictature du<br />

prolétariat », contrairement à la première<br />

(ce ne fut donc pas en raison d’un refus<br />

de la « dictature » que Marcuse la récusait,<br />

puisqu’il affirmait lui-même la nécessité<br />

d’une transition révolutionnaire<br />

utilisant la terreur politique, c’est-à-dire<br />

la nécessité transitoire de « l’oppression<br />

des oppresseurs » 36 ). Le nœud du désaccord,<br />

le point de tension, ce fut alors,<br />

comme c’est le cas depuis au moins le<br />

vieil Engels, puis Lénine et Trotski, celui<br />

des possibilités politiques de la petite<br />

bourgeoisie (« post » ou « néo » prolétari-<br />

[36] Cf. La fin de l’utopie, Delachaux-Niestlé<br />

/ Seuil, 1968, p. 69. Ce long entretien est<br />

une très bonne introduction à Marcuse,<br />

dont l’ouvrage de 1939, Raison et révolution,<br />

constituera aujourd’hui encore une porte<br />

d’entrée magistrale dans le contenu et les<br />

contours de la dialectique de Marx, à la fois<br />

en continuité et rupture radicale avec celle de<br />

Hegel.<br />

N°6 / automNe 2012<br />

sée). Marcuse fut vivement attaqué par<br />

les marxistes (orthodoxes) de son temps<br />

parce qu’il inaugurait en quelque sorte 37<br />

le type de théorie dont relève celle des<br />

« multitudes » en tant qu’alternative au<br />

prolétariat comme classe révolutionnaire:<br />

il pensait effectivement, quoique<br />

sans illusion, que la condition d’une<br />

nouvelle politique révolutionnaire était<br />

l’intégration de la petite bourgeoisie à une<br />

nouvelle base de masse en révolte, alors<br />

que Mandel tranchait d’emblée sur le caractère<br />

illusoire, en termes de classes (et<br />

non d’individus, qui, tels ou tels, peuvent<br />

parfaitement se ranger du côté du prolétariat,<br />

comme Marx, Engels ou Lénine<br />

l’ont maintes fois répété) d’une telle<br />

intégration.<br />

La question de la subordination de la<br />

paysannerie au prolétariat, chez Lénine,<br />

avait en son temps suscité exactement<br />

le même type de débats. Derrière l’usage<br />

d’un terme, il y a donc des tensions majeures,<br />

liées à la capacité politique créditée<br />

ou non à la petite bourgeoisie « prolétarisée<br />

» ou certaines de ses fractions<br />

(qu’elle soit paysanne ou intellectuelle<br />

ne changeant en réalité pas grand-chose<br />

sur le fond du problème tactique et stratégique).<br />

ouverture: de la dialectique<br />

du « prolétariat » à celle de<br />

sa « dictature »<br />

La situation historique a certes changé,<br />

non seulement depuis le 19 ème siècle,<br />

mais depuis les années 1970 aussi. Il<br />

s’en faut, pourtant, que l’enjeu fondamental,<br />

aujourd’hui, comme le montre le<br />

livre de S. Abdelnour, soit complètement<br />

différent. Ce qui ressort de l’exemple<br />

Marcuse-Mandel, et qui est corrélatif<br />

du sens et de l’usage (ou non) prônés<br />

du terme de « prolétariat » depuis Marx<br />

et Engels, c’est donc la problématique<br />

des alliances de classes, c’est-à-dire la<br />

signification et les conditions du « tous<br />

ensemble », de « l’unité dans les luttes ».<br />

Certes parler de « prolétariat » ne risque<br />

pas avant longtemps d’aller de soi, le<br />

concept reste obligé de faire le grand<br />

écart entre des réalités disparates et des<br />

asymétries grandissantes. Mais cela ne<br />

saurait justifier l’usage de vocables prétendument<br />

plus adaptés.<br />

L’ouvrage de S. Abdelnour a le mérite<br />

d’affirmer avec force, rappelons-le, que<br />

les lumpenprolétaires sont tout autant<br />

des prolétaires que les travailleurs<br />

[37] Il défendit l’idée que même si la classe<br />

ouvrière restait objectivement la seule force<br />

socio-économique à même de mettre à bas<br />

l’ordre existant, les « outsiders » (étudiants,<br />

mouvements de libération du tiers-monde)<br />

étaient maintenant devenus les seuls porteurs<br />

de la subjectivité radicale propice à une<br />

révolte globale contre la contre-révolution<br />

généralisée du capitalisme tardif.


employés qui sont, eux, toujours près<br />

d’entrer à leur tour dans l’armée industrielle<br />

de réserve. Marx du reste, dans<br />

le livre I du Capital, avait déjà analysé<br />

en détail l’hétérogénéité de la population<br />

prolétaire et proposé une véritable<br />

classification des types de chômage (de<br />

« surpopulation relative ») du plus ponctuel<br />

au plus permanent, marquant même<br />

que ce chômage « présente toujours des<br />

nuances variées à l’infini » 38 , et il fut prolongé<br />

en cela par Rosa Luxembourg dans<br />

son importante Introduction à l’économie<br />

politique 39 : dans les deux cas, le prolongement<br />

naturel de l’analyse fut la prise<br />

en compte de l’hétérogénéité des représentations,<br />

inscriptions et mobilisations<br />

politiques potentielles. Ce n’est pas<br />

d’aujourd’hui, donc, qu’il est clair qu’une<br />

population de chômeurs, par définition<br />

exclus des cadres de socialisation assortis<br />

à la possession d’un emploi stable,<br />

vivant dans des conditions d’insécurité<br />

sociale majeure, est comparativement<br />

bien moins accessible à la propagande<br />

d’un syndicat ou d’un parti qui tendent<br />

à s’adresser de façon plus ciblée, et dans<br />

la durée, à une classe de travailleurs,<br />

justement, à l’identité professionnelle<br />

ou politico-culturelle ancrée. De ce fait,<br />

les zones de combativité du prolétariat<br />

contemporain sont plus variées qu’on<br />

ne pourrait le croire trop facilement : ce<br />

sont autant celles du travail employé<br />

(usines, entreprises, petite bourgeoisie<br />

employée ou fonctionnaire), que celles<br />

des espaces où marginalité, exclusion,<br />

désidentification sociopolitique prédominent,<br />

espaces bien trop désertés par<br />

les syndicats et les partis.<br />

[38] Le Capital, Livre I, tome 3, Paris,<br />

Editions Sociales, 1977, section VII, ch. XXV,<br />

§ IV, « Différentes formes d’existence de la<br />

surpopulation relative. La loi générale de<br />

l’accumulation capitaliste », p. 83.<br />

[39] R. Luxembourg, Introduction à l’économie<br />

politique, 1907-1913, Smolny-Agone, 2009,<br />

V « Le travail salarié », § IV « La formation de<br />

l’armée de réserve », p. 371 et suiv., et surtout<br />

p. 384 (où apparaît la<br />

citation en exergue<br />

de l’article).<br />

entre hégémonie ouvrière<br />

et refus de l’ouvriérisme<br />

On a dit que « prolétariat » disait plus que<br />

classe ouvrière : cela devient évident à<br />

l’aune de cette double ouverture, d’un<br />

côté au « sous-prolétariat », de l’autre<br />

à la petite bourgeoisie, en raison des<br />

dynamiques permanentes de différenciation<br />

et de recomposition évoquées.<br />

Autre façon de dire que, depuis Marx et<br />

Engels même, le problème de l’hégémonie<br />

ouvrière dans une situation d’alliance<br />

de classes, n’a jamais été celui d’un<br />

ouvriérisme quelconque. Une politique<br />

prolétarienne aujourd’hui doit donc être<br />

une politique de front révolutionnaire,<br />

à l’opposé des fronts populaires réformistes<br />

40 qui ne se posent même pas la<br />

question de l’hégémonie ouvrière parce<br />

qu’ils ignorent le point de vue de la lutte<br />

des classes, et œuvrent sur le terrain de<br />

l’adversaire, ses lieux et ses langages.<br />

Et elle doit être capable d’intégrer dans<br />

son approche cette double diversité des<br />

zones de combativité par trop éclatées,<br />

et donc déployer pratiquement, autant<br />

que possible, ses interventions en ces<br />

dernières : en direction (lucide) de la<br />

petite bourgeoisie comme des précaires.<br />

Une des conditions est en cela de ne<br />

jamais confondre centralité du travail et<br />

centralité du travail employé – pour ne<br />

pas chercher, ni sur des bases incomplètes<br />

et mutilées, ni sur des bases trop<br />

larges et trop floues, à reconstituer une<br />

subjectivité collective qui serait alors<br />

nécessairement fictive, instable, et dont<br />

les luttes seraient vouées à l’échec.<br />

[40] Parlant du SPD allemand, Marcuse, qui<br />

en fut membre en 1917-1918 et qui en sortit<br />

après l’assassinat de Rosa Luxemburg et de<br />

Karl Liebknecht, disait ainsi : « Depuis 1918,<br />

j’ai toujours entendu parler de forces de<br />

gauche à l’intérieur de la social-démocratie,<br />

et j’ai vu ces forces glisser toujours plus vers<br />

la droite, jusqu’à disparition complète de la<br />

gauche. Vous comprendrez que je ne sois pas<br />

très convaincu par l’idée d’un travail radical<br />

effectué à l’intérieur du parti. » ,<br />

La fin de l’utopie,<br />

p. 66.<br />

débat marxiste<br />

Evidemment une telle politique de front<br />

révolutionnaire suppose d’être organisée,<br />

parce que si justement il n’est plus<br />

de mise de fantasmer un « Sujet » politico-historique<br />

parfaitement ou pseudo<br />

homogène de la révolution 41 , alors l’élaboration<br />

d’une stratégie opérationnelle<br />

de lutte unitaire suppose un sens des<br />

alliances à la hauteur de l’intransigeance<br />

de ses objectifs, ce qui, jamais, ne se<br />

fera par miracle dans la pure et simple<br />

effervescence de luttes grandioses ou<br />

d’« Evénements » salvateurs. Mais si le<br />

concept de « prolétariat », unité dynamique<br />

et opérationnelle d’une diversité<br />

hétérogène nécessitant une direction 42 ,<br />

fût-il réactualisé, reste pertinent, alors la<br />

« dictature du prolétariat » 43 , quelle que<br />

soit la nécessité incontournable d’en<br />

retracer lucidement, dialectiquement, les<br />

contours, mérite tout autant d’être re-débattue<br />

avec force. Espérons que cela soit<br />

l’objet de discussions sérieuses dans un<br />

proche avenir.<br />

[41] C’est aussi avec Sartre, autre dialecticien<br />

hétérodoxe malmené par les orthodoxes<br />

de tout poil, que l’on pourra aujourd’hui<br />

retravailler la question stratégique dès lors<br />

que, comme lui, on ne brandit pas l’étendard<br />

d’un Sujet miraculeusement homogène<br />

sans pour autant abandonner la perspective<br />

révolutionnaire. Cf. sur cela Sartre et le<br />

marxisme, Paris, La Dispute, 2011.<br />

[42] Les modalités de cette « direction »<br />

sont au cœur des débats stratégiques depuis<br />

toujours (depuis le Manifeste de 1848 en<br />

réalité). L’on rappellera juste, ici, que pour être<br />

bien posée, la question doit être articulée à la<br />

totalité des dimensions du problème évoquées<br />

ici, alors que le plus souvent, elle les masque<br />

et fausse la compréhension des enjeux.<br />

[43] Pour ré-entrer dans le vif du sujet on<br />

pourra par exemple lire en regard l’un de<br />

l’autre le recueil de textes de Lénine sur le<br />

sujet, Le prolétariat et sa dictature, Paris, UGE-<br />

10/18, 1970, et les textes de la première<br />

« opposition de gauche » du printemps<br />

1918, interne au Parti Bolchévik : Boukharine,<br />

Ossinski, Radek, Smirnov. Moscou 1918, La<br />

revue Kommunist. Les communistes de gauche<br />

contre le capitalisme d’Etat, Toulouse, Smolny,<br />

2011. Voir aussi les riches analyses de Léon<br />

Trotsky, notamment dans son grand texte<br />

intitulé La <strong>Révolution</strong> Trahie, Paris,<br />

Editions de Minuit, 1973<br />

61


Portrait de marin, 1912<br />

Le Musée Jean Tinguely de Bâle, en Suisse,<br />

organise jusqu’au 14 octobre une rétrospective<br />

complète consacrée au révolutionnaire<br />

soviétique Vladimir Tatlin (1885-<br />

1953), une occasion pour passer en revue<br />

quelques-unes des principales œuvres du<br />

grand artiste, connu principalement pour<br />

avoir été à l’origine du fameux « Monument<br />

à la Troisième Internationale ».<br />

Cela faisait plus de vingt ans qu’une telle<br />

exposition n’avait pas été organisée et<br />

« Tatlin, un nouvel art pour un monde<br />

nouveau » présente un large éventail des<br />

œuvres de l’artiste d’avant-garde russe,<br />

dont la vie et la production sont étroitement<br />

liées aux débats et aux discussions<br />

sur la vie, l’art et la révolution d’avant et<br />

après Octobre 1917.<br />

en voyage…<br />

Né à Kharkov, en Ukraine, en 1885,<br />

Tatlin s’embarque très jeune comme<br />

mousse et commence à bourlinguer, un<br />

peu à l’image d’autres artistes qui lui<br />

sont contemporains et s’enthousiasmeront<br />

également pour le bolchévisme, à<br />

l’image de Jack London ou Panaït Istrati.<br />

Entre deux escales sur la Mer noire, en<br />

Turquie, puis en Grèce ou en Afrique du<br />

Nord, il joue de la musique (Tatlin était<br />

un éminent joueur de bandura, sorte de<br />

luth ukrainien traditionnel à cinquante<br />

cordes), mais surtout, il peint. D’abord<br />

des icônes orthodoxes, puis des toiles.<br />

Fasciné par la peinture d’avant-garde<br />

de son époque, à commencer par le fauvisme<br />

et le cubisme, il ne peut résister à<br />

l’attrait de Paris où nombre de peintres<br />

ont élu domicile avant la Première<br />

Guerre mondiale. C’est dans la capitale<br />

française qu’il rencontre Pablo Picasso<br />

en 1914, avant de s’établir à Moscou. De<br />

retour en Russie, il collabore (avant de<br />

rompre avec grand fracas) avec un autre<br />

grand peintre russe, Kazimir Malévitch.<br />

C’est de cette période notamment que<br />

date un certain nombre d’huiles d’inspiration<br />

très « début de siècle », où les<br />

corps nus décomposés et les moussaillons<br />

(qui ne sont pas sans rappeler ceux<br />

du cuirassé Potemkine ou de Kronstadt)<br />

occupent un espace très important,<br />

comme en témoigne le fameux Portait de<br />

marin, de 1912.<br />

62<br />

révolutioN permaNeNte<br />

« un nouvel ARt PouR<br />

un monDe nouveAu »<br />

exPoSition tAtlin en SuiSSe<br />

Paul Tanguy<br />

les « contre-reliefs » :<br />

du bois et du carton au<br />

service de la <strong>Révolution</strong><br />

Mais rapidement la peinture, le chevalet<br />

et la toile semblent à Tatlin un carcan<br />

trop étroit pour s’exprimer pleinement.<br />

Influencé par les collages d’un Picasso,<br />

n’hésitant pas à recourir au carton, au<br />

bois et autres matériels recyclés recueillis<br />

au fil de ses errances à Montmartre,<br />

Tatlin commence à travailler à des sculptures,<br />

persuadé qu’il « faut mettre l’œil<br />

sous le contrôle du toucher ». Bientôt,<br />

ces volumes vont donner lieu à ce que<br />

Tatlin va appeler des « contre-reliefs »,<br />

dont beaucoup sont exposés à Bâle. La<br />

surface de la toile sur laquelle il s’était<br />

exprimé jusqu’alors explose. Tatlin colle,<br />

assemble, soude, noue. Tout y passe : des<br />

filins, des ficelles, des panneaux de bois,<br />

des échardes, des bristols, du carton.<br />

Ces structures d’angle ne sont pas sans<br />

rappeler les matures des bateaux sur<br />

lesquels il avait navigué, mais l’intention<br />

du peintre à leur égard est en<br />

réalité beaucoup moins figurative que<br />

révolutionnaire. En effet, en créant ces<br />

« contre-reliefs », Tatlin choisit de rompre<br />

radicalement, non seulement avec l’académisme,<br />

mais également avec une<br />

conception de l’artiste-créateur isolé. Il<br />

ne signe aucune de ses créations et utilise<br />

la troisième personne du singulier<br />

pour les présenter. C’est sa manière à lui<br />

d’incarner la « révolte des objets et des<br />

choses » à laquelle son contemporain, le<br />

poète Maïakovski, appelait de ses vœux<br />

et que Tatlin décide de reprendre.<br />

Tatlin entend recourir à l’abstraction<br />

totale afin d’épurer l’art de ses signifiés<br />

allégoriques et symboliques. L’enjeu,<br />

pour lui comme pour les artistes et intel-<br />

Contre-relief d'angle, 1914<br />

N°6 / automNe 2012<br />

lectuels de la Russie prérévolutionnaire<br />

qu’il fréquente, est de réduire le matériel<br />

artistique à ses valeurs purement<br />

sémantiques, de façon à s’opposer à<br />

l’aliénation et au caractère marchand de<br />

l’art sous le régime capitaliste.<br />

octobre et la troisième<br />

internationale<br />

Après 1917, il participe avec enthousiasme<br />

au bouleversement révolutionnaire<br />

en cours, en travaillant au service<br />

du nouveau régime soviétique, comme<br />

enseignant, mais également en continuant<br />

à poursuivre ses recherches sur<br />

l’art. C’est à ce moment-là qu’il présente<br />

son projet monumental, véritable mythe<br />

de l’architecture constructiviste soviétique<br />

d’avant-garde et qui est au centre<br />

de la rétrospective du Musée Tinguely : le<br />

Monument à la Troisième Internationale.<br />

Son projet de tour de quatre cent mètres<br />

de hauteur ne verra jamais le jour autrement<br />

qu’à travers plusieurs modèles réduits<br />

et dont deux sont exposés au cœur<br />

de la rétrospective, avec leurs poulies,<br />

engrenages et axes grinçants, car la tour,<br />

telle qu’elle était conçue, devait évoluer<br />

autour de son axe.<br />

Le Monument à la Troisième Internationale<br />

devait être est une sorte de grand<br />

fuselage d’acier conique incliné au<br />

centre duquel plusieurs volumes (cube,<br />

pyramide, cylindre, et demi-sphère)<br />

devaient tourner autour d’un seul et<br />

même axe, à des vitesses différentes.<br />

Ils incarnent ainsi les syncopes et les<br />

contretemps de l’art de la révolution<br />

sociale que les bolcheviks entendent<br />

systématiser et orchestrer à travers une<br />

nouvelle Internationale, après la faillite<br />

de la social-démocratie en août 1914 et<br />

la victoire de la révolution d’Octobre. Le<br />

projet est des plus ambitieux. Avec un<br />

esprit un peu bravache, ses quatre cents<br />

mètres doivent dépasser la Tour Eiffel,<br />

cette même tour que Vladimir Maïakovski<br />

appelle à se mutiner et à rejoindre<br />

la Russie des soviets dans son recueil<br />

de poèmes Paris, publié à peu prés à la<br />

même époque, en 1925 1 . La Tour doit<br />

[1] Dans « Discussion avec la Tour Eiffel »,<br />

écrit en 1923, Maïakovski apostrophe


Tatlin et un assistant devant la maquette<br />

du monument à la III internationale<br />

enjamber la Neva, à Petrograd, et être,<br />

selon les termes de Viktor Chklovski, un<br />

monument « d’acier, de verre et de révolution<br />

».<br />

Le cube, se trouvant à sa base, et devant<br />

connaître une révolution annuelle, est<br />

censé servir de salle de conférence et<br />

accueillir les Congrès de l’Internationale.<br />

Le cylindre, au-dessus, opérant une rotation<br />

tous les mois, doit servir de bureau<br />

la Tour : « Allons, la tour/ Venez chez<br />

nous,/ là on a besoin de vous !/ Venez<br />

chez nous !/ Nous vous accueillerons/<br />

au milieu des fumées/ et des lueurs de<br />

l’acier./ Nous vous accueillerons/ plus<br />

tendrement qu’un premier amour./ Allons<br />

à Moscou !/ Chez nous/ à Moscou/ il y a<br />

de la place./ Chaque rue/ aura sa tour./<br />

(…) Décidez, la tour,/ dressez-vous maintenant,/<br />

renversez Paris sens dessus dessous<br />

!/ Allons/ chez nous !/ Chez nous en<br />

URSS/ Allons chez nous !/ Je vous aurai/<br />

le visa. », V. Maïakovski, Du monde j’ai fait<br />

le tour. Poèmes et proses, La Quinzaine<br />

Littéraire/LV, Paris, 1998, p. 85-86.<br />

à l’appareil de l’Internationale <strong>Communiste</strong>.<br />

Encore au-dessus se situe une pyramide,<br />

opérant une rotation complète<br />

toutes les semaines, et devant servir<br />

de bureaux à l’appareil de propagande.<br />

Quant à la demi-sphère, au sommet, elle<br />

tourne sur elle-même une fois par jour,<br />

et elle doit servir, notamment, de station<br />

radio. Les événements révolutionnaires,<br />

la guerre civile et la pénurie extrême<br />

qui en découle constitueront, au final,<br />

des obstacles irrémédiables, qui empêchèrent<br />

le projet de sortir de terre.<br />

le thermidor stalinien et<br />

l’envol de letatlin<br />

Les deux autres sections de la rétrospective<br />

témoignent de la façon dont Tatlin,<br />

à sa façon, essaya de résister à la glaciation<br />

politique et artistique qui commence<br />

à poindre dès la seconde moitié<br />

des années 1920, avec la stalinisation<br />

grandissante du régime soviétique qui<br />

n’épargnera aucunement les avantgardes<br />

artistiques. Marginalisé, Tatlin se<br />

désengage progressivement de sa recherche<br />

architecturale, en butte à l’hostilité<br />

grandissante des nouveaux dogmes<br />

réalistes et socialistes d’un régime qui<br />

ne commande plus que des œuvres<br />

fonctionnelles à sa propre justification<br />

et glorification.<br />

Tatlin se rabat d’une part du côté du<br />

théâtre, une de ses passions de jeunesse,<br />

et travaille à nombre de décors et<br />

de mises en scènes. Il cherche aussi une<br />

bouffée d’oxygène contre les pesanteurs<br />

staliniennes du côté des cieux, choix<br />

somme toute paradoxal pour un marxiste<br />

révolutionnaire convaincu…<br />

Il commence ainsi à travailler à un de<br />

ses anciens projets, un rêve révolution-<br />

naire, vieux comme l’humanité s’il en est :<br />

voler. Un peu à l’image d’un autre génie,<br />

Léonard de Vinci, Tatlin se lance dans la<br />

construction de machines volantes destinées<br />

à permettre aux femmes et aux<br />

hommes de récupérer cette fonction icarienne<br />

que nous aurions tous eue, selon<br />

Tatlin, et que l’humanité aurait perdu<br />

avec l’évolution de la société de classes.<br />

C’est ainsi qu’on découvre au Musée<br />

Tinguely, suspendues au plafond, les<br />

différentes machines volantes et ailes<br />

géantes des Letatlin, les engins sensés<br />

permettre à leur pilote de prendre son<br />

envol et auxquels l’artiste se consacre à<br />

la fin des années 1920.<br />

Rejeté par les cercles officiels de l’art<br />

officiel, Tatlin décède en 1953, comme<br />

Staline, mais dans un anonymat quasi<br />

complet. Ce n’est que dans les années<br />

1960, à la faveur du dégel post-stalinien,<br />

qu’il est redécouvert, à l’Est comme<br />

à l’Ouest. Ce n’est pas un hasard sans<br />

doute si la première grande exposition<br />

qui lui est consacrée après sa mort est<br />

montée à Stockholm, en 1968, au Moderna<br />

Museet, au moment où les rues de<br />

la capitale suédoise sont le théâtre de<br />

mobilisations étudiantes très violentes,<br />

à l’image de ce qui commence à se passer,<br />

à la même époque, aux quatre coins<br />

du monde.<br />

Longtemps oublié, ou alors relégué au<br />

rang de « grand utopiste de l’architecture<br />

», Tatlin est appelé à nous accompagner<br />

en ces temps turbulents. Nous<br />

aurons sans doute besoin, nous aussi, de<br />

la même rage et de la même volonté d’en<br />

finir avec ce vieux monde dont témoigne<br />

« le nouvel art » pour lequel Tatlin et les<br />

artistes révolutionnaires se battaient au<br />

début du siècle dernier.<br />

03/09/12<br />

l’iran au cinéma<br />

RetouR SuR Deux FilmS D’ASghAR FARhADi<br />

M. Sotoudé<br />

Cela fait quelques années déjà que le cinéma<br />

iranien trouve en Occident un certain<br />

écho dans la critique et dans le public.<br />

Dernièrement, c’est vers Asghar Farhadi<br />

que les projecteurs se sont tournés. Son<br />

dernier film, Une séparation, a en effet reçu<br />

en 2012 de nombreux prix, à commencer<br />

par le Golden globe, ainsi que le César et<br />

l’Oscar du meilleur film étranger. Cet été,<br />

on a pu voir sur les écrans français son second<br />

film, Les Enfants de Belle Ville, réalisé<br />

en 2004 mais qui n’était jamais sorti en<br />

France. Dans les deux cas, il s’agit de très<br />

beaux films qui livrent deux portraits de la<br />

société iranienne actuelle. Raison de plus<br />

pour s’interroger sur les causes, les raisons<br />

et la portée de cette « nouvelle vague » du<br />

cinéma iranien en Occident, quatre ans<br />

après le « Mouvement vert » et alors que les<br />

menaces d’agression impérialiste contre<br />

Téhéran restent d’actualité.<br />

Depuis ses débuts, Farhadi s’attache à<br />

montrer dans son cinéma les ressorts<br />

des conflits qui parcourent la société<br />

iranienne. On suit dans ses films la vie<br />

quotidienne des Iranien-ne-s et on y<br />

découvre les situations sociales les plus<br />

dures. Avec délicatesse, et de façon toujours<br />

très nuancée, Farhadi réussit à révéler<br />

les rapports paradoxaux qu’entre-<br />

KULTURE & KRITIQUE<br />

Les Enfants de Belle Ville<br />

tiennent les Iraniens entre eux, ainsi que<br />

leurs sentiments contradictoires. Dans<br />

ses deux premiers films, La Danse dans<br />

la poussière, de 2003, et Les Enfants de<br />

Belle Ville, de 2004, Farhadi suit la vie des<br />

petites gens, habitants de banlieue, avec<br />

en toile de fond l’amour et la pauvreté.<br />

Dans les trois films suivants, La Fête du<br />

feu, de 2006, A propos d’Elly, de 2009, et<br />

enfin Une Séparation, de 2011, son regard<br />

se déplace et se concentre sur la vie<br />

de la classe moyenne iranienne. Farhadi<br />

y aborde notamment la question de la<br />

religion, omniprésente en Iran, et des<br />

mœurs. Il y fait également le portait de la<br />

désespérance et des névroses qui carac-<br />

63


évolutioN permaNeNte<br />

térisent la société iranienne, tourmentée<br />

par ses contradictions, ses regrets, ses<br />

envies et ses échecs.<br />

Dans Les Enfants de Belle Ville et Une Séparation,<br />

le régime se manifeste notamment<br />

à travers son système judiciaire,<br />

kafkaïen (comme tous les systèmes judiciaires<br />

bourgeois, soit dit en passant).<br />

On y voit la mise en œuvre des verdicts<br />

islamiques. En ce sens, Farhadi se distancie<br />

radicalement des autres cinéastes<br />

pro-régime (comme Madjid Madjidi, Ibrahim<br />

Hatamikia ou Behroz Afkhami), sans<br />

pour autant mener une critique en règle<br />

du gouvernement en place. Le pouvoir<br />

politique n’est pas complètement absent<br />

de ses œuvres, mais selon Farhadi, ce<br />

n’est pas ce pouvoir qu’il faut critiquer,<br />

du moins jamais frontalement. En s’intéressant<br />

aux rapports humains, entre des<br />

personnages d’horizon divers qui se rencontrent,<br />

parfois par pur hasard comme<br />

Nader et Razié dans Une Séparation, c’est<br />

une succession de micro-conflits qu’il<br />

révèle, à leur tour symptomatiques de<br />

tensions sous-jacentes beaucoup plus<br />

importantes mais qu’il n’aborde jamais<br />

directement.<br />

Il passe ainsi au crible l’ensemble de la<br />

société. Dans Une Séparation, il va ainsi<br />

montrer comment les valeurs sociales<br />

et humaines les plus élémentaires se<br />

brisent, et souligner comment le mensonge<br />

ronge l’ensemble de la société.<br />

C’est le cas par exemple de Nader, l’un<br />

des personnages principaux, un iranien<br />

de classe moyenne, bien sous tous rapports<br />

à première vue, mais qui va cacher<br />

le fait qu’il a bousculé sa femme de ménage,<br />

Razié, lui faisant perdre son enfant.<br />

Mais c’est aussi Razié qui ment. La jeune<br />

femme, issue d’une banlieue des plus<br />

modestes, dont le mari est au chômage,<br />

extrêmement pieuse, est contrainte au<br />

mensonge, bien qu’elle soit très croyante,<br />

pour pouvoir travailler et se justifier aux<br />

yeux de ses proches. De façon très froide<br />

en revanche, abandonnant toutes ses valeurs,<br />

Nader, qui n’est pas spécialement<br />

croyant mais dit défendre des valeurs<br />

morales personnelles, fera tout pour<br />

occulter qu’il est à l’origine de la faussecouche<br />

de Razié, et ce afin de sauver sa<br />

situation sociale. C’est ainsi qu’il en arrive<br />

même à détruire la confiance de sa<br />

petite fille. Dans ce film comme dans les<br />

deux précédents, La Fête du feu et A propos<br />

d’Elly, la méfiance, la suspicion et le<br />

mensonge sont partout.<br />

L’histoire des Enfants de Belle Ville est<br />

en revanche d’une tout autre nature. Ses<br />

protagonistes n’ont cure de leur situation<br />

sociale ou d’une position à défendre, et<br />

pour cause. Ils n’ont rien et sont dénués<br />

de tout. Akbar vient d’avoir dix-huit ans.<br />

Il a été incarcéré dans une sorte de maison<br />

de correction, en raison d’un meurtre<br />

commis deux ans auparavant, ce qui lui a<br />

valu une condamnation à mort. Avec cet<br />

anniversaire, il est transféré dans une vé-<br />

64<br />

ritable prison, pour attendre<br />

son exécution. A’la, son ami,<br />

qui est déjà passé lui aussi<br />

par la prison auparavant,<br />

pour cambriolage, joue son<br />

va-tout pour convaincre<br />

la famille de la victime de<br />

retirer sa plainte et, ainsi,<br />

arrêter l’exécution. Dans ce<br />

film, ce n’est donc pas leur<br />

position que les personnages<br />

défendent. Amitié et<br />

fidélité sont en revanche<br />

des valeurs centrales. C’est<br />

la vie qui est au cœur même<br />

de leur lutte pour la survie.<br />

Ses protagonistes n’ont cure de leur<br />

situation sociale ou d’une position à<br />

défendre, et pour cause. Ils n’ont rien et<br />

sont dénués de tout. Akbar vient d’avoir<br />

dix-huit ans. Il a été incarcéré dans une<br />

sorte de maison de correction, en raison<br />

d’un meurtre commis deux ans auparavant,<br />

ce qui lui a valu une condamnation<br />

à mort. Avec cet anniversaire, il est transféré<br />

dans une véritable prison, pour<br />

attendre son exécution. A’la, son ami,<br />

qui est déjà passé lui aussi par la prison<br />

auparavant, pour cambriolage, joue son<br />

va-tout pour convaincre la famille de<br />

la victime de retirer sa plainte et, ainsi,<br />

arrêter l’exécution. Dans ce film, ce n’est<br />

donc pas leur position que les personnages<br />

défendent. Amitié et fidélité sont<br />

en revanche des valeurs centrales. C’est<br />

la vie qui est au cœur même de leur<br />

lutte pour la survie.<br />

Il est assez intéressant cependant de<br />

se demander pourquoi Une Séparation<br />

a remporté autant de succès, notamment<br />

à l’étranger, plus en tout cas que<br />

Les Enfants de Belle Ville. Pour cela, on<br />

peut croiser deux regards. D’une part,<br />

celui qui existe en Iran, à l’intérieur du<br />

système de censure tel qu’il est, puisque<br />

les films de Farhadi sont montrés sur les<br />

écrans du pays. Le second, en revanche,<br />

relevant davantage de la vision du pays<br />

que souhaite voir émerger de ce film la<br />

critique cinématographique occidentale<br />

et qu’elle tente de transmettre, à grands<br />

renfort de prix prestigieux notamment,<br />

au spectateur, en Europe.<br />

Une Séparation, dans un sens, est un<br />

film de la classe moyenne pour la classe<br />

moyenne. Elle y manifeste ses sentiments<br />

et ses valeurs, ses névroses, son<br />

désir d’émigrer (comme la femme de Nader),<br />

son souhait de liberté, sa critique<br />

de la religion. Bien sûr il y a le mensonge,<br />

la méfiance, la pauvreté. La religion<br />

et sa chape de plomb complique<br />

encore un peu plus la situation, de<br />

même qu’un régime, qui ne fait qu’entraver<br />

la liberté. Mais en se contentant d’un<br />

tel regard, jamais on ne sait d’où découlent<br />

ces problèmes et ces contradictions,<br />

qu’ils soient culturels ou moraux,<br />

individuels ou sociaux. Chez Farhadi,<br />

à aucun moment on ne voit la capacité<br />

N°6 / automNe 2012<br />

Une Séparation<br />

de dissolution et d’atomisation des rapports<br />

sociaux qu’induit le pouvoir dominant.<br />

Les problèmes et les contradictions<br />

semblent avant tout interindividuels, et<br />

les solutions pour y répondre également.<br />

Une Séparation, d’autre part, s’est vu remettre<br />

l’Ours d’Or au festival de Berlin,<br />

en 2011, ainsi que de nombreux autres<br />

prix internationaux, à commencer par<br />

l’Oscar. On peut s’interroger sur les raisons<br />

de cet engouement et pourquoi le<br />

film a obtenu une telle reconnaissance<br />

auprès de la critique occidentale, là où<br />

Les Enfants de Belle Ville par exemple,<br />

n’avait été remarqué et primé qu’à des<br />

festivals qualifiés de périphériques par<br />

l’industrie cinématographique mondiale,<br />

comme à Goa et à Varsovie (en 2004) et à<br />

Split (en 2005). Pourquoi autant d’importance<br />

donné à Farhadi, alors même que<br />

d’autres réalisateurs, certains de la génération<br />

précédente, comme Darius Mehrjoui,<br />

figure de la « nouvelle vague iranienne<br />

», ou comme Bahram Baizai, très<br />

critique lui aussi du régime iranien, sont<br />

aujourd’hui complètement occultés par<br />

la critique cinématographique occidentale?<br />

Farhadi et ses collègues appréciés<br />

de la critique sont certes très bons, mais<br />

peut-être aussi beaucoup plus consensuels<br />

et montrant une facette de l’Iran<br />

fonctionnelle au discours dominant sur<br />

la région en général et le pays en particulier<br />

?<br />

Une Séparation a connu un franc succès,<br />

trois années à peine après le « Mouvement<br />

vert ». Le mouvement, largement<br />

étudiant, et très ancré dans les classes<br />

moyennes, appuyait Mir-Hossein Moussavi<br />

et Mehdi Karroubi, les deux candidats<br />

« réformistes », mais étroitement<br />

liés au régime, qui se sont fait voler leur<br />

victoire à la présidentielle truquée face<br />

à Mahmoud Ahmadinejad. On a l’étrange<br />

impression que, par delà les mérites<br />

du film, et ils sont nombreux, on aurait<br />

braqué les projecteurs sur Une Séparation,<br />

pour y entendre la voix de la classe<br />

moyenne iranienne, qui avait manifesté<br />

en masse en 2009, à la différence des<br />

personnages de Les Enfants de Belle Ville,<br />

ceux-là mêmes dont l’absence s’était<br />

cruellement faite sentir à l’époque.<br />

10/09/12


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mouvement national contre les<br />

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PSA Aulnay : Il est encore possible de<br />

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Combattre le TSCG et l'austérité<br />

de Hollande, refuser la diversion de<br />

Mélenchon<br />

• GéoPoLitiqUe De LA crise<br />

La fin des "solutions miracles" des<br />

années 2008-2009 et l'exacerbation des<br />

rivalités interétatiques sur l'échiquier<br />

international<br />

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