Le train bleu - Chri.. - Index of
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chambre dans un double compartiment du Train Bleu, puis elle se rendit au wagonrestaurant. Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver précisément assise en face de la jeune personne aux yeux gris qui avait été son vis-à-vis dans le Pullman ? Un sourire effleura les lèvres des deux femmes. — Quelle coïncidence ! dit Mrs Kettering. — En effet, c’est bizarre, remarqua Catherine. Un garçon s’avança avec la merveilleuse agilité des employés de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits et plaça devant elles deux assiettes de potage. Lorsque vint l’omelette, les deux femmes causaient aimablement ensemble. — Il me tarde de revoir le soleil éblouissant du Midi ! soupira Ruth. — Certes, l’impression sera délicieuse. — Vous connaissez bien la Riviera ? — Non ; je m’y rends pour la première fois. — Oh ! pour la première fois ? — Vous y allez tous les ans, sans doute ? demanda Catherine. — Oui, presque. Je fuis Londres pendant les mois de janvier et février. — J’ai toujours habité la campagne. Ces mois d’hiver n’y sont guère attrayants. Toujours de la boue ! — Quelle raison vous pousse subitement à voyager ? — L’argent ! dit Catherine. Durant dix ans, j’ai rempli les fonctions de dame de compagnie et je possédais juste de quoi me chausser solidement pour la campagne. Je viens d’hériter ce qui me semble à moi, une fortune. Peut-être ne l’estimeriez-vous pas ainsi ? — Pourquoi cela ? Catherine sourit. — Je ne saurais le dire. On se fait parfois des idées à première vue. Je vous ai tout de suite classée dans mon esprit comme une personne très riche. Peut-être me suis-je trompée ? — Non, vous êtes dans le vrai, dit Ruth, devenue soudain très grave. Je désirerais savoir quelles autres impressions j’ai pu produire sur vous. — Je… — Oh ! je vous en prie, dites-le-moi ! À notre départ de Victoria, je vous ai étudiée et j’ai cru comprendre que vous deviniez ce qui se passait dans mon esprit. — Rassurez-vous, je ne possède pas le don de lire dans la pensée d’autrui, répondit Catherine en riant. — Non, mais dites-moi tout de même quelle a été votre impression. L’insistance de Ruth était si sincère que Catherine céda. — Puisque vous le voulez… mais ne me taxez point d’impertinence. Je me suis figurée que, pour une raison quelconque, vous étiez en proie à une grande détresse morale et je vous plaignais en moi-même. — Vous tombez juste, très juste. Je me débats dans de terribles ennuis. Vous m’êtes sympathique et cela me soulagerait énormément de vous en parler, si je ne vous importune pas trop. « Mon Dieu, pensa Catherine, les gens sont partout les mêmes ! À St Mary Mad chacun me racontait ses petites histoires et voici que cela recommence. Peu m’importe le tracas des autres ! »
Mais elle répondit poliment : — Je vous en prie, madame. Elles achevaient leur déjeuner. Ruth vida sa tasse de café, se leva, et sans même remarquer que Catherine n’avait pas encore trempé les lèvres dans sa tasse, elle lui dit : — Venez avec moi dans mon compartiment. C’était un double compartiment avec une porte de communication. Dans celui du fond, la maigre femme de chambre que Catherine avait déjà entrevue à Londres, sur le quai de la gare Victoria, était assise et se renait rigide sur la banquette. Elle serrait sur ses genoux un sac de maroquin rouge portant les initiales R. V. K. Mrs Kettering referma la porte et s’assit. Catherine prit place à côté d’elle. — Je ne sais quelle décision prendre pour me tirer d’embarras. J’aime un homme à la folie. Nous nous connaissons depuis notre enfance, et on nous a séparés de façon brutale et injuste. À présent, nous nous revoyons. — Et alors ? — Je vais… je vais le rejoindre. Peut-être seriez-vous tentée de me mal juger… Mais j’ai un mari odieux. Il se conduit envers moi de façon ignoble… — Continuez, encouragea Catherine. — Ce qui me tourmente le plus, c’est que j’ai dû mentir à mon père… C’est lui que vous avez vu aujourd’hui à la gare Victoria. Il veut que je divorce et ne se doute nullement que je vais retrouver mon ami. S’il le savait, il me traiterait de folle. — À mon avis, il aurait raison. — Peut-être… Ruth Kettering considéra ses mains : elles tremblaient comme des feuilles. — Impossible de reculer maintenant. — Pourquoi pas ? — Il m’attend et s’il ne me voyait pas, son cœur se briserait. — N’en croyez rien. Il en faut davantage pour briser le cœur d’un homme. — Il m’accusera de manquer de courage et de volonté. — Selon moi, vous allez commettre une sottise irréparable. Vous le savez bien. Ruth Kettering enfouit son visage dans ses mains. — Je n’y puis rien. Depuis mon départ de Londres, je suis poursuivie par un horrible cauchemar. Je sens qu’il va m’arriver un malheur… auquel je n’échapperai pas. Elle serra convulsivement la main de Catherine. — Vous allez me prendre pour une folle, mais je prévois un danger imminent. — Calmez-vous et chassez cette idée de votre esprit, lui conseilla Catherine. Pourquoi n’enverriez-vous pas un câble à votre père en arrivant à Paris ? Il viendrait sûrement vous chercher. Mrs Kettering reprit courage et sécha ses yeux. — Oui, je pourrais l’appeler à mon aide, ce cher vieux papa ! Je ne savais pas encore à quel point je l’aime. Je me suis conduite comme une sotte. Merci infiniment de m’avoir écoutée. Comment ai-je pu me mettre dans cet état ? Cela va très bien à présent, ajouta-telle en se levant. Il me fallait simplement quelqu’un à qui parler. Catherine se leva également. — Je suis enchantée de vous avoir remise de vos émotions, dit-elle, d’un ton aussi naturel que possible. Elle se rendait compte de la gêne qui suit toujours les confidences, et pleine de
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chambre dans un double compartiment du Train Bleu, puis elle se rendit au wagonrestaurant.<br />
Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver précisément assise en face de la jeune<br />
personne aux yeux gris qui avait été son vis-à-vis dans le Pullman ? Un sourire effleura les<br />
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— Quelle coïncidence ! dit Mrs Kettering.<br />
— En effet, c’est bizarre, remarqua Catherine.<br />
Un garçon s’avança avec la merveilleuse agilité des employés de la Compagnie<br />
Internationale des Wagons-Lits et plaça devant elles deux assiettes de potage. Lorsque vint<br />
l’omelette, les deux femmes causaient aimablement ensemble.<br />
— Il me tarde de revoir le soleil éblouissant du Midi ! soupira Ruth.<br />
— Certes, l’impression sera délicieuse.<br />
— Vous connaissez bien la Riviera ?<br />
— Non ; je m’y rends pour la première fois.<br />
— Oh ! pour la première fois ?<br />
— Vous y allez tous les ans, sans doute ? demanda Catherine.<br />
— Oui, presque. Je fuis Londres pendant les mois de janvier et février.<br />
— J’ai toujours habité la campagne. Ces mois d’hiver n’y sont guère attrayants. Toujours<br />
de la boue !<br />
— Quelle raison vous pousse subitement à voyager ?<br />
— L’argent ! dit Catherine. Durant dix ans, j’ai rempli les fonctions de dame de compagnie<br />
et je possédais juste de quoi me chausser solidement pour la campagne. Je viens d’hériter ce<br />
qui me semble à moi, une fortune. Peut-être ne l’estimeriez-vous pas ainsi ?<br />
— Pourquoi cela ?<br />
Catherine sourit.<br />
— Je ne saurais le dire. On se fait parfois des idées à première vue. Je vous ai tout de<br />
suite classée dans mon esprit comme une personne très riche. Peut-être me suis-je<br />
trompée ?<br />
— Non, vous êtes dans le vrai, dit Ruth, devenue soudain très grave. Je désirerais savoir<br />
quelles autres impressions j’ai pu produire sur vous.<br />
— Je…<br />
— Oh ! je vous en prie, dites-le-moi ! À notre départ de Victoria, je vous ai étudiée et j’ai<br />
cru comprendre que vous deviniez ce qui se passait dans mon esprit.<br />
— Rassurez-vous, je ne possède pas le don de lire dans la pensée d’autrui, répondit<br />
Catherine en riant.<br />
— Non, mais dites-moi tout de même quelle a été votre impression.<br />
L’insistance de Ruth était si sincère que Catherine céda.<br />
— Puisque vous le voulez… mais ne me taxez point d’impertinence. Je me suis figurée<br />
que, pour une raison quelconque, vous étiez en proie à une grande détresse morale et je<br />
vous plaignais en moi-même.<br />
— Vous tombez juste, très juste. Je me débats dans de terribles ennuis. Vous m’êtes<br />
sympathique et cela me soulagerait énormément de vous en parler, si je ne vous importune<br />
pas trop.<br />
« Mon Dieu, pensa Catherine, les gens sont partout les mêmes ! À St Mary Mad chacun<br />
me racontait ses petites histoires et voici que cela recommence. Peu m’importe le tracas des<br />
autres ! »