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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

à mes leçons, je le passais en contemplation devant cette image,<br />

aux couleurs si tendres. Elle me paraissait si belle, et si bonne, et<br />

si douce, qu’aucune créature humaine n’eût pu rivaliser de<br />

beauté, de bonté et de douceur avec ce morceau de matière<br />

inerte et peinte qui me parlait un langage inconnu et délicieux, et<br />

d’où m’arrivait comme une odeur grisante d’encens et de<br />

myrrhe. Près d’elle, j’étais vraiment un autre enfant; je sentais<br />

mes joues devenir plus roses, mon sang battait plus fort dans mes<br />

veines, mes pensées se dégageaient plus vives et légères; il me<br />

semblait que le voile noir, qui pesait sur mon intelligence, se<br />

levait peu à peu, découvrant des clartés nouvelles. Marie s’était<br />

faite la complice de mes échappées vers l’église; elle me con<strong>du</strong>isait<br />

souvent à la chapelle, où je restais des heures à converser<br />

avec la Vierge, tandis que la vieille bonne, à genoux sur les marches<br />

de l’autel, récitait dévotement son chapelet. Il fallait qu’elle<br />

m’arrachât de force à cette extase, car je n’eusse point songé, je<br />

crois bien, à retourner à la maison, enlevé que j’étais en des rêves<br />

qui me transportaient au ciel. Ma passion pour cette Vierge<br />

devint si forte que, loin d’elle, j’étais malheureux, que j’eusse<br />

voulu ne la quitter jamais : « Bien sûr que monsieur Jean se fera<br />

prêtre », disait la vieille Marie. C’était comme un besoin de possession,<br />

un désir violent de la prendre, de l’enlacer, de la couvrir<br />

de baisers. J’eus l’idée de la dessiner : avec quel amour, il est<br />

impossible de vous l’imaginer! Lorsque sur mon papier, elle eut<br />

pris un semblant de forme grossière, ce furent des joies sans<br />

bornes. Tout ce que je pouvais dépenser d’efforts, je l’employai<br />

dans ce travail que je jugeais admirable et surhumain. Plus de<br />

vingt fois, je recommençai le dessin, m’irritant contre mon<br />

crayon qui ne se pliait point à la douceur des lignes, contre mon<br />

papier où l’image n’apparaissait pas vivante et parlante, comme<br />

je l’eusse désiré. Je m’acharnai. Ma volonté se tendait vers ce but<br />

unique. Enfin, je parvins à donner une idée à peu près exacte, et<br />

combien naïve, de la Vierge de plâtre. Et brusquement je n’y<br />

pensai plus. Une voix intérieure m’avait dit que la nature était<br />

plus belle, plus attendrie, plus splendide, et je me mis à regarder<br />

le soleil qui caressait les arbres, qui jouait sur les tuiles des toits,<br />

dorait les herbes, illuminait les rivières, et je me mis à écouter<br />

toutes les palpitations de vie dont les êtres sont gonflés et qui<br />

font battre la terre comme un corps de chair.<br />

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