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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

XII<br />

Quand la raison me revint, le meurtre de Spy me parut une<br />

action monstrueuse, et j’en eus horreur, comme si j’avais assassiné<br />

un enfant. De toutes les lâchetés commises, je jugeai celle-là<br />

la plus lâche et la plus odieuse!… Tuer Juliette!… C’eût été un<br />

crime, assurément, mais peut-être était-il possible de trouver<br />

dans la révolte de mes souffrances, sinon une excuse, <strong>du</strong> moins<br />

une explication à ce crime… Tuer Spy!… Un chien… une<br />

pauvre bête inoffensive!… Pourquoi?… Ah! oui, pourquoi?…<br />

À moins d’être une brute, d’avoir en soi l’instinct sauvage et irrésistible<br />

<strong>du</strong> meurtre!… Pendant la guerre, j’avais tué un homme,<br />

bon, jeune et fort; je l’avais tué au moment précis où, les yeux<br />

charmés, le cœur ému, il s’attendrissait à regarder le soleil<br />

levant!… Je l’avais tué, caché derrière un arbre, protégé par<br />

l’ombre, lâchement!… C’était un Prussien?… Qu’importe!…<br />

C’était un homme aussi, un homme comme moi, meilleur que<br />

moi… De son existence dépendaient des existences faibles de<br />

femmes et d’enfants; quelque part des créatures angoissées<br />

priaient pour lui, l’attendaient; il y avait peut-être en cette puissante<br />

jeunesse, dans ces reins robustes, des germes de vies supérieures<br />

que l’humanité espérait! Et d’un coup de fusil imbécile et<br />

peureux, j’avais détruit tout cela… Maintenant, voilà que je tuais<br />

un chien!… et que je tuais alors qu’il venait à moi, et qu’il<br />

essayait, avec ses petites pattes, de grimper sur mes genoux!…<br />

J’étais donc véritablement un assassin!… Ce petit cadavre me<br />

poursuivait; toujours je voyais cette tête hideusement écrasée, le<br />

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