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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

— Ah! que puis-je faire?… Dites, docteur, dites!<br />

— Il faut l’aimer, être bonne…<br />

Et Juliette se jetait dans les bras <strong>du</strong> médecin…<br />

— Non! C’est toi que j’aime… viens!<br />

Elle l’entraînait pen<strong>du</strong>e à ses lèvres… et, dans la chambre, ils<br />

cabriolaient, sautaient au plafond et retombaient sur mon lit,<br />

enlacés.<br />

— Meurs, mon Jean, meurs, je t’en prie!… Ah! pourquoi<br />

tardes-tu tant à mourir?…<br />

Je m’étais assoupi… Quand je me réveillai, il faisait grand<br />

jour… <strong>Le</strong>s omnibus, de nouveau, roulaient dans la rue; les marchands<br />

ambulants glapissaient leurs ritournelles matinales;<br />

contre ma porte, dans le couloir où des gens marchaient j’entendais<br />

le grattement d’un balai.<br />

Je sortis, et je me dirigeai vers la rue de Balzac… Vraiment, je<br />

n’avais pas d’autres projets que de voir la maison de Juliette, de<br />

regarder ses fenêtres et peut-être de rencontrer Célestine ou la<br />

mère Sochard… Sur le trottoir, en face, plus de vingt fois, je<br />

passai et repassai… <strong>Le</strong>s fenêtres de la salle à manger étaient<br />

ouvertes, et je distinguais les cuivres <strong>du</strong> lustre qui luisaient dans<br />

l’ombre… Au balcon, un tapis pendait… <strong>Le</strong>s fenêtres de la<br />

chambre étaient fermées… Qu’y avait-il derrière les volets clos,<br />

derrière ce pan de mur blanc, impénétrable?… Un lit pillé, saccagé,<br />

des odeurs lourdes d’amour, et deux corps vautrés qui dormaient…<br />

<strong>Le</strong> corps de Juliette… et l’autre?… <strong>Le</strong> corps de tout le<br />

monde. <strong>Le</strong> corps que Juliette avait ramassé, au hasard, sous une<br />

table de cabaret, dans la rue!… Ils dormaient, saoulés de<br />

luxures!… La concierge vint secouer des tapis sur le trottoir; je<br />

m’éloignai, car depuis que j’avais quitté l’appartement j’évitais le<br />

regard ironique de cette vieille femme, je rougissais chaque fois<br />

que mes yeux se croisaient avec ses deux petits yeux bouffis et<br />

méchants qui avaient l’air de se moquer de mes malheurs…<br />

Quand elle eut fini, je retournai sur mes pas, et je restai longtemps<br />

à m’irriter contre ce mur derrière lequel une chose épouvantable<br />

se passait et qui gardait la cruelle impassibilité d’un<br />

sphinx accroupi dans le ciel… Subitement, comme si la foudre<br />

était tombée sur moi, une colère folle me remua de la tête aux<br />

pieds, et sans raisonner ce que j’allais faire, sans le savoir même,<br />

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