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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

Et elle s’endormait; et elle était si blanche, si pure, que les<br />

rideaux <strong>du</strong> lit lui faisaient comme deux ailes.<br />

La nuit s’avançait; le faubourg redevenait calme… De loin en<br />

loin, des voitures attardées rentraient, et, sur le trottoir, deux sergents<br />

de ville marchaient d’un pas lourd et traînant, toujours<br />

pareil!… Plusieurs fois, la porte de l’hôtel s’était ouverte et<br />

refermée; j’avais enten<strong>du</strong> des craquements, des glissements de<br />

robe, des voix chuchotantes dans le couloir… Mais ce n’était pas<br />

Juliette!… Et, depuis longtemps, l’hôtel silencieux semblait<br />

dormir… Je quittai le canapé, allumai une bougie, regardai la<br />

pen<strong>du</strong>le; elle marquait trois heures.<br />

— Elle ne viendra pas!… Maintenant, c’est fini… elle ne<br />

viendra pas!<br />

Je me mis à la fenêtre… La rue était déserte, le ciel, au-dessus,<br />

tout sombre, pesait sur les maisons, comme un couvercle de<br />

plomb… Là-bas, dans la direction <strong>du</strong> boulevard Haussmann, de<br />

grosses voitures descendaient, ébranlant la nuit de leurs cahots<br />

sonores… Un rat courut d’un trottoir à l’autre, et disparut par un<br />

caniveau… Je vis un pauvre chien, tête basse, la queue entre les<br />

jambes, passer, s’arrêter aux portes, flairer le ruisseau, s’en aller,<br />

l’échine dolente… J’avais la fièvre, mon cerveau brûlait, mes<br />

mains étaient moites, et je ressentais, dans la poitrine, comme un<br />

étouffement.<br />

— Elle ne viendra pas!… Où est-elle?… Est-elle rentrée?…<br />

Ou bien dans quel coin de cette grande ombre impure se vautret-elle?<br />

Ce qui m’indignait surtout, c’est qu’elle ne m’eût pas averti…<br />

Elle avait reçu ma carte… elle savait qu’elle ne viendrait pas… et<br />

elle ne m’avait pas envoyé un seul mot!… J’avais pleuré, je l’avais<br />

suppliée, je m’étais traîné à ses genoux… et pas un mot! Quelles<br />

larmes, quel sang fallait-il donc verser pour attendrir cette âme<br />

de pierre?… Comment pouvait-elle courir au plaisir, les oreilles<br />

encore pleines <strong>du</strong> bruit de mes sanglots, la bouche encore<br />

humide de mes prières?… <strong>Le</strong>s filles les plus per<strong>du</strong>es, les créatures<br />

les plus damnées ont parfois des arrêts dans leur existence<br />

de débauche et de proie; il y a des moments où elles laissent le<br />

soleil pénétrer leur cœur refroidi, où, les yeux tournés vers le ciel,<br />

elles implorent l’amour qui pardonne et qui rachète!… Juliette,<br />

jamais!… quelque chose de plus insensible que le destin, de plus<br />

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