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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

<strong>du</strong> mal… <strong>Le</strong>s hommes, est-ce drôle!… Ça ne veut pas<br />

comprendre!<br />

Tendrement, elle s’assit sur mes genoux.<br />

—Puisque je t’adore, mon cher mignon!… Puisque les<br />

autres, je les déteste, et qu’ils n’ont rien de moi; tu entends,<br />

rien… Puisque je suis bien malheureuse!…<br />

<strong>Le</strong>s yeux pleins de larmes, elle cherchait à se faire toute petite<br />

contre moi, et répétait : « Oui, bien, bien malheureuse!… » J’en<br />

avais horreur et pitié…<br />

— Ah! il croit que c’est par plaisir! s’écria-t-elle en sanglotant,<br />

il croit cela!… Mais si je n’avais pas mon Jean pour me consoler,<br />

mon Jean pour me bercer, mon Jean pour me donner <strong>du</strong> courage,<br />

je ne pourrais plus… je ne pourrais plus… J’aimerais mieux<br />

mourir.<br />

Brusquement, changeant d’idée, et d’une voix où il me sembla<br />

entendre les regrets gémir :<br />

— D’abord, pour ça… pour le petit appartement… Il faudrait<br />

de l’argent, et tu n’en as pas!<br />

— Mais si, ma chérie… Mais si, clamai-je triomphalement, j’ai<br />

de l’argent!… Nous avons de quoi vivre deux mois, trois mois,<br />

en attendant que je conquière une fortune!<br />

— Tu as de l’argent?… Fais voir…<br />

J’étalai devant elle les quatre billets de mille francs. Juliette les<br />

saisit dans sa main, un à un, âprement, les compta, les examina.<br />

Ses yeux luisaient, étonnés et charmés.<br />

— Quatre mille francs, mon chéri!… Comment, tu as quatre<br />

mille francs?… Mais tu es riche!… Alors…<br />

Elle se pendit à mon cou, caressante.<br />

— Alors, reprit-elle, puisque tu es très riche… J’ai envie d’un<br />

petit nécessaire de voyage que j’ai vu, rue de la Paix!… Tu veux<br />

me l’acheter, mon chéri; tu veux, pas?<br />

Je reçus au cœur un coup si douloureux que je faillis tomber<br />

sur le plancher; et un flot de larmes m’aveugla. Pourtant, j’eus le<br />

courage de demander :<br />

— Qu’est-ce qu’il vaut, ton nécessaire?<br />

— Deux mille francs, mon chéri.<br />

— C’est bien!… Prends deux mille francs… Tu l’achèteras<br />

toi-même.<br />

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