Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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OCTAVE MIRBEAU<br />
XI<br />
Juliette m’avait choisi, dans le faubourg Saint-Honoré, tout près<br />
de la rue de Balzac, une chambre, au second étage d’un petit<br />
hôtel meublé. <strong>Le</strong>s meubles étaient de guingois, les tiroirs<br />
s’ouvraient en grinçant, une odeur aigre de bois suri, de poussière<br />
ancienne, imprégnait les rideaux des fenêtres et les draperies<br />
<strong>du</strong> lit; mais elle avait su donner, en plaçant çà et là quelques<br />
bibelots, un aspect plus intime à cette pièce banale et froide où<br />
tant d’existences inconnues avaient passé sans laisser de trace<br />
aucune. Juliette avait tenu aussi à ranger elle-même mes affaires<br />
dans l’armoire, qu’elle bourrait de paquets d’iris.<br />
— Tu vois, mon chéri… ici les chaussettes… là les chemises<br />
de nuit… j’ai mis tes cravates dans le tiroir… tes mouchoirs sont<br />
là… J’espère qu’elle a de l’ordre, ta petite femme… Et puis, tous<br />
les jours, je te porterai une fleur qui sent bon… Allons, ne sois<br />
pas triste… Dis-toi bien que je t’aime, que je n’aime que toi, que<br />
je viendrai souvent… Ah! tes caleçons que j’ai oubliés!… Je te<br />
les enverrai par Célestine, avec ma photographie dans le beau<br />
cadre en peluche rouge… Ne t’ennuie pas, pauvre mignon!…<br />
Tu sais, si ce soir, à minuit et demi, je ne suis pas là, ne m’attends<br />
pas… Couche-toi… Dors bien… Tu me promets?<br />
Et jetant un dernier coup d’œil sur la chambre, elle était<br />
partie.<br />
Tous les jours, en effet, Juliette revenait, en allant au Bois, et<br />
en rentrant chez elle, avant le dîner. Elle ne restait que deux<br />
minutes, fiévreuse, agitée par une hâte d’être dehors; le temps de<br />
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