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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

j’avais tant pleuré… Elle se réjouissait d’apercevoir de jolies Bretonnes,<br />

en costume soutaché et brodé, comme au théâtre, de<br />

boire <strong>du</strong> lait, dans des fermes!<br />

— Il y a des bateaux ici?<br />

— Mais oui.<br />

—Beaucoup?<br />

— Mais oui.<br />

— Ah! quelle chance, j’aime tant les bateaux!<br />

Puis elle me contait les nouvelles de Paris… Gabrielle n’était<br />

plus avec Robert… Malterre se mariait… Jesselin voyageait… Il<br />

y avait eu des <strong>du</strong>els… Et des anecdotes sur tout le monde!…<br />

Toute cette mauvaise odeur de Paris me ramenait à des mélancolies,<br />

à des souvenirs poignants… Me voyant triste, elle s’interrompait,<br />

m’embrassait, prenait des airs navrés :<br />

— Ah! tu crois peut-être que cette existence me plaît! gémissait-elle…<br />

que je ne songe qu’à m’amuser, à être coquette!… Si<br />

tu savais!… Tu comprends, il y a des choses que je ne peux pas te<br />

dire… Mais si tu savais quel supplice c’est pour moi!… Tu es<br />

malheureux, toi!… Eh bien, moi?… Tiens, si je n’avais pas<br />

l’espoir de vivre avec mon Jean, souvent, j’ai tant de dégoût que<br />

je me tuerais.<br />

Et, rêveuse, câline, elle revenait à ses bergeries, à ses petits<br />

sentiers de ver<strong>du</strong>re, au calme de l’existence douce et cachée,<br />

avec des fleurs, des bêtes, et de l’amour… Ah! de l’amour<br />

dévoué, soumis, de l’amour éternel, de l’amour qui illuminerait,<br />

jusqu’à la mort, ainsi qu’un chaud soleil.<br />

Nous sortîmes après le déjeuner, que la mère <strong>Le</strong> Gannec nous<br />

servit sévèrement, sans desserrer les lèvres une seule fois. À peine<br />

dehors, comme la brise fraîchissait et lui défrisait les cheveux,<br />

Juliette désira rentrer.<br />

— Ah! le vent, mon chéri!… <strong>Le</strong> vent, vois-tu, je ne peux pas<br />

supporter ça… Il me décoiffe et me rend malade!…<br />

Elle s’ennuya toute la journée, et nos baisers ne suffirent pas à<br />

remplir le vide… De même qu’autrefois, dans mon cabinet, elle<br />

étendit une serviette sur sa robe, sur la serviette posa de menues<br />

brosses et des limes et, grave, se mit à lisser ses ongles. Je souffrais<br />

cruellement, et la vision <strong>du</strong> vieux homme, à la fenêtre,<br />

m’obsédait.<br />

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