Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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OCTAVE MIRBEAU<br />
point ignorer qu’elle ne se résignerait pas à vivre comme moi, et<br />
je prévoyais des dépenses que je n’étais pas en état de supporter…<br />
Or comment faire?… N’osant l’interroger directement,<br />
je répondis :<br />
— Nous avons le temps de songer à cela, ma chérie, dans trois<br />
mois, quand nous rentrerons à Paris…<br />
— Dans trois mois… Mais, mon pauvre mignon, je repars<br />
dans huit jours… Ça m’ennuie tant!<br />
— Reste, ma petite Juliette, je t’en supplie, reste tout à fait…<br />
plus longtemps… quinze jours!<br />
— C’est impossible, tu comprends… Oh! ne sois pas triste,<br />
mon chéri… Ne pleure pas… parce que, si tu pleures, je ne te<br />
dirai pas une chose, une belle chose.<br />
Elle se fit plus tendre encore, se pelotonna contre moi, et<br />
reprit :<br />
— Écoute-moi bien, mon chéri… Je n’ai qu’une pensée, une<br />
seule pensée, vivre avec toi!… Nous quitterons Paris, nous nous<br />
en irons dans une petite maison, si bien cachés, vois-tu, que personne<br />
ne saura plus si nous existons… Seulement, il nous faut<br />
vingt mille francs de rente.<br />
— Où donc veux-tu que je les prenne maintenant? m’écriai-je<br />
découragé.<br />
— Écoute-moi donc! poursuivit Juliette… Il nous faut vingt<br />
mille francs de rente… Oh! j’ai tout calculé!… Eh bien, dans six<br />
mois, nous les aurons…<br />
Juliette me regarda d’un air mystérieux… elle répéta.<br />
— Nous les aurons!…<br />
— Je t’en supplie, ma chérie, ne parle pas ainsi… tu ne sais pas<br />
le mal que tu me fais…<br />
Juliette éleva la voix; le pli de son front devint <strong>du</strong>r :<br />
— Alors, tu aimes mieux que je sois à d’autres toujours?…<br />
— Ah! tais-toi, Juliette!… tais-toi!… Ne parle pas jamais<br />
comme cela, jamais!…<br />
— Es-tu drôle!… Allons, sois gentil, et embrasse-moi!<br />
<strong>Le</strong> lendemain, pendant qu’au milieu des malles ouvertes, des<br />
robes étalées partout, elle s’habillait, très déconcertée en<br />
l’absence de sa femme de chambre, elle forma une quantité de<br />
projets pour la journée… Elle voulait se promener sur la jetée,<br />
monter au phare, pêcher, aller à la <strong>du</strong>ne, et s’asseoir à la place où<br />
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