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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

La jeune fille ne tarda pas à revenir, passa si près de moi que sa<br />

robe me frôla presque. Elle était blonde; je l’eusse préférée<br />

brune, comme était Juliette… Elle s’éloigna, quitta la jetée, prit<br />

le chemin <strong>du</strong> village, et bientôt je ne vis plus que le voile blanc<br />

qui me disait : « Adieu, adieu! ne sois plus triste, je reviendrai. »<br />

<strong>Le</strong> soir, je m’informai auprès de la mère <strong>Le</strong> Gannec.<br />

— C’est la demoiselle de Lan<strong>du</strong>dec, me répondit-elle… Une<br />

bien brave enfant, et bien méritante, nostre Mintié. <strong>Le</strong> vieux<br />

monsieur, c’est son père… Ils habitent ce grand château sur la<br />

route de Saint-Jean… Vous savez, vous y avez été bien des fois…<br />

— Comment se fait-il que je ne les aie jamais vus?<br />

— Ah! Jésus!… C’est que le père est toujours malade, et que<br />

la demoiselle reste à le soigner, la pauvre petite! Sans doute qu’il<br />

va mieux aujourd’hui, et elle le promène un peu.<br />

— Elle n’a plus sa mère?<br />

— Non! voilà déjà bien longtemps qu’elle est morte.<br />

— Ils sont riches?<br />

— Riches!… Point tant, allez! Ça donne à tout le monde! Si<br />

seulement vous alliez le dimanche à la messe, nostre Mintié, vous<br />

la verriez, la bonne demoiselle.<br />

Ce soir-là, je m’attardai à causer avec la mère <strong>Le</strong> Gannec.<br />

Plusieurs fois je la revis, la bonne demoiselle, sur la jetée, et,<br />

ces jours-là, la pensée de Juliette me fut moins lourde. Je rôdai<br />

autour <strong>du</strong> château, qui me parut aussi désolé que le Prieuré :<br />

l’herbe poussait dans la cour, les pelouses étaient mal entretenues,<br />

les allées <strong>du</strong> parc défoncées par les charrettes pesantes de<br />

la ferme voisine. La façade de pierre grise, écaillée par le temps,<br />

verdie par la pluie, était aussi triste que les gros blocs de granit<br />

qu’on voit dans les landes… <strong>Le</strong> dimanche suivant, j’allai à la<br />

messe, et j’aperçus la demoiselle de Lan<strong>du</strong>dec, parmi les paysans<br />

et les marins, qui priait… Agenouillée sur son prie-Dieu, le corps<br />

mince incliné comme celui des vierges primitives, la tête penchée<br />

sur un livre, elle priait avec ferveur… Qui sait?… Elle avait peutêtre<br />

compris que j’étais malheureux, et peut-être me mêlait-elle à<br />

ses prières?… Et tandis que le prêtre chevrotait des oraisons,<br />

tandis que la nef de l’église s’emplissait <strong>du</strong> bruit des sabots sur les<br />

dalles et <strong>du</strong> chuchotement des lèvres pieuses, tandis que l’encens<br />

des encensoirs montait vers la voûte, avec la voix grêle des<br />

enfants de chœur, tandis que la jeune fille priait, comme eût prié<br />

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