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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

Je n’écoutais pas et pensais à Juliette… Où est-elle?… Que<br />

fait-elle?… Éternelles questions!<br />

La mère <strong>Le</strong> Gannec continuait :<br />

— Je ne connais pas vos affaires, nostre Mintié, et je ne sais<br />

pas de quoi vous êtes malheureux!… Mais vous n’avez point<br />

per<strong>du</strong>, d’un coup, votre homme et vos deux gars, vous!… Et si je<br />

ne pleure pas, nostre Mintié, ça ne m’empêche pas d’avoir <strong>du</strong><br />

chagrin, allez!<br />

Et si le vent sifflait, si la mer, au loin, grondait, elle ajoutait,<br />

d’une voix grave :<br />

— Sainte Vierge! ayez pitié de nos pauvres enfants, là-bas, sur<br />

la mer…<br />

Moi, je songeais :<br />

— Elle s’habille peut-être… Peut-être dort-elle encore, lassée<br />

de sa nuit!<br />

Je sortais, traversais le village, allais m’asseoir sur une borne de<br />

la route de Quimper, au bas d’une longue montée, attendant que<br />

le courrier arrivât. La route, creusée dans le roc, est bordée, d’un<br />

côté, par un haut talus, que couronnent des sapins et de maigres<br />

cépées de chêne; de l’autre côté, elle domine un petit bras de<br />

mer qui contourne la lande, rase et plate, au milieu de laquelle<br />

des flaques d’eau miroitent. Des cônes de pierre grise s’élèvent,<br />

de distance en distance, et quelques pins ouvrent, dans le ciel<br />

brumeux, leur bleu parasol. <strong>Le</strong>s corbeaux passent, passent sans<br />

cesse, passent en files interminables et noires, se hâtant vers on<br />

ne sait quelles carnassières ripailles, et le vent apporte le tintement<br />

triste des clochettes pen<strong>du</strong>es au cou des vaches qui paissent,<br />

égaillées, l’herbe avare de la lande… Sitôt que j’apercevais<br />

les deux petits chevaux blancs et la voiture à caisse jaune qui descendaient<br />

la côte, dans un bruit de ferraille et de grelots, mon<br />

cœur battait… « Il y a peut-être une lettre d’elle, dans cette<br />

voiture! » me disais-je… Et le vieux véhicule, disloqué, criant sur<br />

ses ressorts, me paraissait plus splendide que les voitures <strong>du</strong><br />

sacre, et le con<strong>du</strong>cteur, avec sa casquette à soufflet et sa trogne<br />

écarlate, me faisait l’effet d’un libérateur… Comment Juliette<br />

aurait-elle pu m’écrire puisqu’elle ignorait où j’étais?… Mais<br />

j’espérais toujours en des miracles… Je rentrais alors au village,<br />

d’un pas rapide, me persuadant, par une suite d’irréfutables raisonnements,<br />

que, ce jour-là, je recevrais une longue lettre, dans<br />

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