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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

robe blanche… tu sais… avec des fleurs roses… ma robe <strong>du</strong><br />

Grand Prix!… Tu auras un gros chagrin, pauvre mignon?…<br />

Embrasse-moi… viens là, tout près, plus près… je t’adore!… »<br />

Et je souhaitais que Juliette fût malade, toujours!… Aussitôt<br />

rétablie, elle ne se souvient de rien; ses promesses, ses résolutions<br />

s’évanouissent, et la vie d’enfer recommence, plus<br />

emportée, plus acharnée… Et moi, de ce petit coin de ciel où j’ai<br />

fait halte, je retombe, plus effroyablement écrasé, dans la boue et<br />

dans le sang de cet amour!… Ah! ce n’est pas tout, Lirat!… Je<br />

devrais rester, au fond de cet appartement, à cuver ma honte,<br />

n’est-ce pas?… Je devrais entasser sur moi tant d’ombre et tant<br />

d’oubli, qu’on pût me croire mort?… Ah! bien oui!… Allez au<br />

Bois, et vous m’y verrez tous les jours… Au théâtre, moi encore,<br />

que vous apercevrez, dans une avant-scène, le frac correct, la<br />

boutonnière fleurie… moi partout!… Juliette, elle, resplendit<br />

parmi les fleurs, les plumes, et les bijoux… Elle est charmante,<br />

elle a une robe nouvelle qu’on admire, des sourires de plus en<br />

plus virginaux, et le collier de perles, que je n’ai pas payé, avec<br />

lequel, <strong>du</strong> bout des doigts, elle joue gracieusement et sans<br />

remords… Et je n’ai pas un sou, pas un!… Et je suis à fin de<br />

dettes, de carottages, d’escroqueries!… Souvent, je frissonne…<br />

C’est qu’il m’a semblé que la main lourde d’un gendarme s’appesantissait<br />

sur moi… Déjà, j’entends des chuchotements pénibles,<br />

je saisis des regards obliques, chargés de mépris… peu à peu, le<br />

vide s’élargit, se recule autour de moi, comme autour d’un pestiféré…<br />

Des anciens amis passent, détournent la tête, m’évitent<br />

pour ne pas me saluer… Et, malgré moi, je prends les allures<br />

sournoises et serviles des gens tarés qui vont, l’œil louche,<br />

l’échine craintive, en quête d’une main ten<strong>du</strong>e!… Ce qui est horrible,<br />

voyez-vous, c’est que je me rends compte très nettement<br />

que, seule, la beauté de Juliette me protège. Ce sont les désirs<br />

qu’elle excite, c’est sa bouche, c’est le mystère dévoilé et profané<br />

de son corps qui, dans ce monde de joie, me couvrent d’une<br />

fausse estime, d’une apparence menteuse de considération…<br />

Une poignée de main, un regard obligeant, cela veut dire : « J’ai<br />

couché avec ta Juliette, et je te dois bien cela… Tu aimerais peutêtre<br />

mieux de l’argent… En veux-tu?… » Oui, que je quitte<br />

Juliette, et, d’un coup de pied, je serai rejeté hors de ce milieu<br />

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