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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

— Ah! c’est à n’y rien comprendre!… Parfois, il arrive à<br />

Juliette d’être malade… ses membres, surmenés par le plaisir,<br />

refusent de la servir; son organisme, ébranlé par les secousses<br />

nerveuses, se révolte… Elle s’alite… Si vous la voyiez alors!…<br />

Une enfant, Lirat, une enfant attendrissante et douce! Elle ne<br />

rêve que de campagne, de petites rivières, de prairies vertes, de<br />

joies naïves : « Oh! mon chéri, s’écrie-t-elle, avec dix mille francs<br />

de rente, comme nous serions heureux!… » Elle forme des projets<br />

virgiliens et délicieux… Nous devons nous en aller loin, bien<br />

loin, dans une petite maison entourée de grands arbres… elle<br />

élèvera des poules qui pondront des œufs qu’elle-même dénichera,<br />

tous les matins; elle fera des fromages blancs et des confitures…<br />

et elle fanera, et elle visitera les pauvres, et elle portera<br />

des tabliers comme ci, des chapeaux de paille comme ça, trottinera<br />

le long des sentiers, sur un âne qu’elle appellera Joseph…<br />

« Hue! Joseph, hue!… Ah! que ce serait gentil! » Moi, en<br />

l’écoutant, je sens l’espoir qui me revient, et je me laisse aller à ce<br />

rêve impossible d’une existence champêtre avec Juliette déguisée<br />

en bergère. Des paysages calmes comme des refuges, enchantés<br />

comme des paradis, défilent devant nous… Et nous nous exaltons,<br />

et nous nous extasions… Juliette pleure : « Mon pauvre<br />

mignon, je t’ai causé bien de la peine, mais c’est fini, maintenant,<br />

va; je te le promets… Et puis, j’aurai un mouton apprivoisé,<br />

pas!… Un beau mouton, tout gros, tout blanc, que je cravaterai<br />

d’un nœud rouge, pas!… Et qui me suivra partout, avec Spy,<br />

pas!… » Elle exige que je dîne près de son lit, sur une petite<br />

table; et elle a pour moi des câlineries de nourrice, des attentions<br />

de mère… elle me fait manger ainsi qu’un enfant, ne cessant de<br />

répéter, d’une voix émue : « Pauvre mignon!… » À d’autres<br />

moments, elle devient songeuse et grave : « Mon chéri. Je voudrais<br />

te demander une chose qui me tracasse depuis longtemps…<br />

jure que tu la diras. — Je te le jure. — Eh bien?…<br />

quand on est mort, dans le cercueil, est-ce qu’on a les pieds<br />

appuyés contre la planche? — Quelle idée!… Pourquoi parler<br />

de cela? — Dis, dis, dis, je t’en prie! — Mais je ne sais pas, ma<br />

petite Juliette. — Tu ne sais pas?… C’est vrai, aussi, tu ne sais<br />

jamais, quand je suis sérieuse… parce que, vois-tu?… moi je ne<br />

veux pas que mes pieds soient appuyés contre la planche…<br />

Lorsque je serai morte… tu me mettras un coussin… et puis une<br />

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