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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

Lirat, très grave, m’écoutait… Il ne marchait plus, s’était assis<br />

et balançait la tête… Il murmura :<br />

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise?… Il faut vous<br />

en aller…<br />

— M’en aller? repartis-je… m’en aller? Mais je ne veux<br />

pas!… Une glu, chaque jour plus épaisse, me retient à ces tapis;<br />

une chaîne, chaque jour plus pesante, me rive à ces murs… Je ne<br />

peux pas!… Tenez, en ce moment, je rêve d’héroïsme fou… je<br />

voudrais pour me laver de toutes ces lâchetés, je voudrais me précipiter<br />

contre les gueules embrassées de cent canons. Je me sens<br />

la force d’écraser, de mes seuls poings, des armées formidables…<br />

Quand je me promène dans les rues, je cherche les chevaux<br />

emportés, les incendies, n’importe quoi de terrible où je puisse<br />

me dévouer… il n’est pas une action dangereuse et surhumaine<br />

que je n’aie le courage d’accomplir… Eh bien ça!… je ne peux<br />

pas!… D’abord, je me suis donné les excuses les plus ridicules,<br />

les plus déraisonnables raisons… Je me suis dit que, si je m’en<br />

allais, Juliette tomberait plus bas, encore que mon amour était,<br />

en quelque sorte, sa dernière pudeur, que je finirais bien par la<br />

ramener, par la sauver de la boue où elle se vautre… Vraiment, je<br />

me suis payé le luxe de la pitié et <strong>du</strong> sacrifice… Mais je<br />

mentais!… Je ne peux pas!… Je ne peux pas, parce que je l’aime,<br />

parce que plus elle est infâme et plus je l’aime… Parce que je la<br />

veux, entendez-vous, Lirat?… Et si vous saviez de quoi c’est fait,<br />

cet amour, de quelles rages, de quelles ignominies, de quelles<br />

tortures?… Si vous saviez au fond de quels enfers la passion peut<br />

descendre, vous seriez épouvanté!… <strong>Le</strong> soir, alors qu’elle est<br />

couchée, je rôde dans le cabinet de toilette, ouvrant les tiroirs,<br />

grattant les cendres de la cheminée, rassemblant les bouts de lettres<br />

déchirées, flairant le linge qu’elle vient de quitter, me livrant<br />

à des espionnages plus vils, à des examens plus ignobles!… Il ne<br />

me suffit plus de savoir, il faut que je le voie!… Enfin, je ne suis<br />

plus un cerveau, plus un cœur, plus rien… Je suis un sexe désordonné<br />

et frénétique, un sexe affamé qui réclame sa part de chair<br />

vive, comme les bêtes fauves qui hurlent dans l’ardeur des nuits<br />

sanglantes.<br />

J’étais épuisé… les paroles ne sortaient plus de ma gorge<br />

qu’en sons sifflants… néanmoins, je poursuivis :<br />

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