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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

s’évanouit dans la pitié… Elle continue : « Pardonne-moi!…<br />

Oh! mon Jean, tu dois me pardonner… Ce n’est pas de ma faute,<br />

je t’assure… Réfléchis… M’as-tu avertie une seule fois?… Une<br />

seule fois, m’as-tu montré le chemin que je devais suivre… Par<br />

mollesse, par crainte de me perdre, par une complaisance exagérée<br />

et criminelle, tu t’es courbé à tous mes caprices, même les<br />

plus mauvais… Comment était-il possible que je comprisse que<br />

cela était mal, puisque tu ne me disais rien?… Au lieu de<br />

m’arrêter sur les bords de l’abîme où je courais, c’est toi-même<br />

qui m’as précipitée… Quels exemples m’as-tu mis sous les<br />

yeux?… Où donc m’as-tu con<strong>du</strong>ite?… M’as-tu, un jour, arrachée<br />

à ce milieu inquiétant de la débauche?… Pourquoi n’as-tu<br />

pas chassé de chez nous Jesselin, Gabrielle, tous ces êtres<br />

dépravés, dont la présence était un encouragement à mes<br />

folies?… Me souffler un peu de ton âme, faire pénétrer un peu<br />

de lumière dans la nuit de mon cerveau, voilà ce qu’il fallait!…<br />

Oui, il fallait me redonner la vie, me créer une seconde fois!… Je<br />

suis coupable, mon Jean!… Et j’ai tant de honte que je n’espère<br />

pas, par toute une existence de sacrifice et de repentir, racheter<br />

l’infamie de cette heure maudite… Mais toi!… As-tu bien la<br />

conscience d’avoir rempli ton devoir? Je ne redoute pas l’expiation…<br />

Je l’appelle au contraire, je la veux… Mais toi?… Peux-tu<br />

t’ériger en justicier d’un crime qui est mien, oui, et qui est tien<br />

aussi, puisque tu n’as pas su l’empêcher!… Mon cher amour,<br />

écoute-moi… Ce corps que j’ai tenté de souiller, il te fait<br />

horreur; tu ne pourrais le voir désormais sans colère et sans<br />

déchirement… Eh bien, qu’il dis-paraisse!… Qu’il s’en aille<br />

pourrir dans l’oubli d’un cimetière!… Mon âme te restera, elle<br />

t’appartient, car elle ne t’a pas quitté, car elle t’aime… Vois, elle<br />

est toute blanche… » Un couteau brille dans les mains de<br />

Juliette… Elle va se frapper… Alors, je tends les bras, je crie :<br />

« Non, non, Juliette, non, je ne veux pas… Je t’aime!… Non,<br />

non, je ne veux pas!… » Mes bras se renferment et je n’étreins<br />

que l’espace… Je regarde, épouvanté… autour de moi, la pièce<br />

est vide!… Je regarde encore… <strong>Le</strong> gaz brûle, plus jaune, aux<br />

appliques de la toilette… sur le tapis, des jupons gisent affaissés,<br />

des bottines sont éparses. Et le jour, très pâle, glisse entre les<br />

lamelles des volets… J’ai peur que Juliette, vraiment, ne se soit<br />

tuée, car pourquoi cette vision se serait-elle dressée devant<br />

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