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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

elle sur moi, sur elle?… Ah! qui sait?… Je me souviens… Je lui<br />

disais : « Ne sors pas, ma Juliette!… » Elle me répondait :<br />

« Embrasse-moi fort, bien fort, plus fort!… » Et ses baisers<br />

avaient une étreinte plus douloureuse, une crispation, une peur,<br />

comme si elle eût voulu s’accrocher à moi; chercher, tremblante,<br />

une protection dans mes bras… Je revois ses yeux, ses yeux suppliants…<br />

Ils m’imploraient : « Quelque chose d’infernal me<br />

pousse… Retiens-moi! Je suis sur ton cœur… Ne me laisse pas<br />

partir?… » Et, au lieu de la prendre, de l’emporter, de la cacher,<br />

de la tant aimer qu’elle en fût étourdie de bonheur, j’ai ouvert les<br />

bras et elle est partie!… Elle se réfugiait en mon amour, et mon<br />

amour l’a rejetée… Elle m’a crié : « Je t’adore, je t’adore!… » Et<br />

je suis resté là, bête, aussi étonné que l’enfant à qui l’oiseau captif<br />

vient d’échapper, dans un bruit d’ailes imprévu… À cette tristesse,<br />

à ces larmes, à ces baisers, à ces paroles plus tendres, à ces<br />

frissonnements, je n’ai rien compris… Et c’est maintenant seulement<br />

que je l’entends, ce langage muet et si mélancolique :<br />

« Mon cher Jean, je suis une pauvre petite femme, un peu folle,<br />

et si faible!… Je n’ai pas la notion de grand-chose… Qui donc<br />

m’eût appris ce que c’est que la pudeur, le devoir, la vertu!…<br />

Tout enfant, le spectacle <strong>du</strong> vice m’a salie, et le mal m’a été<br />

révélé par ceux-là mêmes qui avaient charge de veiller sur moi…<br />

Je ne suis pas méchante pourtant, et je t’aime… Je t’aime plus<br />

encore que je ne t’ai jamais aimé!… Mon Jean adoré, tu es fort,<br />

toi; tu sais de belles choses que j’ignore… Eh bien! défendsmoi!…<br />

Un désir plus impérieux m’attire là-bas… C’est que j’ai<br />

vu des bijoux, des robes, des riens charmants et très chers que tu<br />

ne peux plus me donner, et qu’on m’a promis tout cela!… J’ai<br />

l’instinct que c’est mal et que tu en auras de la peine… Eh bien,<br />

dompte-moi!… Je ne demande pas mieux que d’être bonne et<br />

que tu en auras de la peine… Eh bien, dompte-moi!… Je ne<br />

demande pas mieux que d’être bonne et vertueuse… Apprendsmoi…<br />

Si je te résiste… bats-moi. » Pauvre Juliette!… Il me<br />

semble qu’elle est près de moi, agenouillée, les mains jointes…<br />

<strong>Le</strong>s larmes coulent de ses yeux, de ses grands yeux humiliés et<br />

doux, les larmes coulent sans cesse, comme, autrefois, elles coulaient<br />

des yeux de ma mère… Et, à la pensée que j’ai voulu la<br />

tuer, que j’ai voulu, par des mutilations horribles, défigurer ce<br />

visage délicieux et repentant, des remords m’assaillent, la colère<br />

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