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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

d’un trait, l’ont tarie… Alors, elle spécule sur mon honneur, c’est<br />

logique… Sur mon honneur!… Comment saurait-elle qu’il ne<br />

m’en reste plus?… Vais-je donc la tuer? Être mort, et puis, après,<br />

c’est fini!… On se découvre devant le cercueil d’un bandit, on<br />

salue le cadavre de la prostituée… Dans les églises, les fidèles<br />

s’agenouillent et prient pour ceux-là qui ont souffert, pour ceuxlà<br />

qui ont péché… Dans les cimetières, le respect veille sur les<br />

tombes, et la croix les protège… Mourir, c’est être pardonné!…<br />

Oui, la mort est belle, sainte, auguste!… La mort, c’est la grande<br />

clarté éternelle qui commence… Oh! mourir!… s’allonger sur<br />

un matelas plus moelleux que la plus moelleuse mousse des<br />

nids… Ne plus penser… Ne plus entendre les bruits de la vie…<br />

Sentir l’infinie volupté <strong>du</strong> néant!… Être une âme!… Je ne la<br />

tuerai pas… Je ne la tuerai pas, parce qu’il faut qu’elle souffre,<br />

abominablement, toujours… qu’elle souffre dans sa beauté, dans<br />

son orgueil, dans son sexe étalé de fille ven<strong>du</strong>e!… Je ne la tuerai<br />

pas, mais je la marquerai d’une telle laideur, je la rendrai si<br />

repoussante que tous, à sa vue, s’enfuiront, épouvantés… Et, le<br />

nez coupé, les yeux débordant les paupières ourlées de cicatrices,<br />

je l’obligerai, tous les jours, tous les soirs, à se montrer sans voile,<br />

dans la rue, au théâtre, partout!<br />

Tout à coup, les sanglots m’étouffent… Je me roule sur le<br />

divan, mordant les coussins, et je pleure, je pleure!… <strong>Le</strong>s<br />

minutes s’envolent, les heures passent et je pleure!… Ah!<br />

Juliette, infâme Juliette! Pourquoi as-tu fait cela?… Pourquoi?<br />

Ne pouvais-tu me dire : « Tu n’es plus riche, et c’est de l’argent<br />

que je veux de toi… Va-t’en! » Cela eût été atroce; j’en serais<br />

peut-être mort… Qu’importe? Cela eût mieux valu… Comment<br />

est-il possible que maintenant je te regarde en face?… Que nos<br />

bouches jamais se rejoignent?… Nous avons entre nous, l’épaisseur<br />

de cette maison maudite!… Ah! Juliette!… Malheureuse<br />

Juliette!…<br />

Je me souviens, quand elle est partie… Je me souviens de<br />

tout!… Je la revois, avec sa toilette, sa robe grise, l’ombre de sa<br />

main, qui dansait, bizarre, sur la nappe… Je la revois aussi nettement,<br />

plus nettement même que si elle était devant moi, en cette<br />

minute… Elle était triste, elle pleurait… Je n’ai pas rêvé… elle<br />

pleurait… puisque ses larmes ont mouillé ma joue!… Pleurait-<br />

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