03.07.2013 Views

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LE CALVAIRE<br />

dans une flambée infernale, faire hurler et se tordre toutes les<br />

chairs-damnées qui sont là. Tout à l’heure, une femme, les mains<br />

dans les poches de sa jaquette claire, les coudes écartés, est<br />

entrée en chantant et se dandinant… Pourquoi ne lui ai-je pas<br />

craché à la figure?… Un vieillard est descen<strong>du</strong> de son coupé… Il<br />

a passé près de moi, s’ébrouant, soufflant, soutenu aux aisselles<br />

par son valet de chambre…<br />

Ses jambes tremblantes ne pouvaient le porter; entre ses paupières<br />

bouffies, molles, luisait une flamme de débauche sanguinaire…<br />

Pourquoi n’ai-je pas balafré la face hideuse de ce vieux<br />

faune ataxique?… Il attend peut-être Juliette!… La porte<br />

d’enfer s’est refermée sur lui… et, un instant, mes yeux ont<br />

plongé dans le gouffre… Je croyais voir des flammes rouges, de la<br />

fumée, des enlacements abominables, des dégringolades d’êtres<br />

affreusement emmêlés… Non, c’est un couloir triste, désert,<br />

éclairé par la clarté pâle d’une lampe, puis au fond quelque chose<br />

de noir, comme un trou d’ombre, où l’on sent grouiller des<br />

choses impures… Et les voitures s’arrêtent, vomissant leur provision<br />

de fumier humain, dans cette sentine de l’amour… Une<br />

petite fille, de dix ans à peine, me poursuit : « <strong>Le</strong>s belles<br />

violettes!… les belles violettes! » Je lui donne une pièce d’or :<br />

« Va-t’en, petite, va-t’en!… Ne reste pas là. Ils te prendraient!…<br />

» Mon cerveau s’exalte, j’éprouve au cœur la douleur<br />

de mille crocs, de mille griffes qui le fouillent, le déchirent,<br />

s’acharnent… Des désirs de meurtre s’allument en moi et mettent<br />

dans mes bras les gestes de tuer… Ah! me précipiter, le<br />

fouet en main, au milieu de ces priapées, et zébrer ces corps<br />

d’ineffaçables plaies, éparpiller des coulées de sang chaud, des<br />

morceaux de chair vive, sur les glaces, sur les tapis, les lits… Et à<br />

la porte de la maison infâme, ainsi qu’une chouette aux portes<br />

des granges campagnardes, clouer la Rabineau, nue, éventrée, les<br />

entrailles pendantes!… Un fiacre s’est arrêté : une femme en<br />

sort; j’ai reconnu le chapeau, la voilette, la robe.<br />

—Juliette!<br />

En me voyant, elle pousse un cri… Mais elle se remet vite…<br />

Ses yeux me bravent :<br />

— Laisse-moi, crie-t-elle… que fais-tu là? Laisse-moi!<br />

Je lui broie les poignets, et d’une voix qui s’étrangle, qui râle :<br />

164

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!