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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

Nous finissons de dîner… Juliette a été plus tendre encore<br />

qu’au moment de mon retour. Pourtant, je vois en elle une<br />

inquiétude, une préoccupation. Elle est triste et gaie, tout à la<br />

fois : qu’y a-t-il donc derrière ce front où des nuages passent?<br />

Malgré ses protestations, est-elle décidée à me quitter, et veutelle<br />

rendre moins pénible notre séparation, en me prodiguant<br />

tous les trésors de ses caresses?…<br />

— Que c’est donc ennuyeux, mon chéri! dit-elle… Il faut que<br />

je sorte.<br />

— Comment, il faut que tu sortes?… Maintenant?<br />

— Mais oui, figure-toi… Cette pauvre Gabrielle est très<br />

malade… Elle est seule… j’ai promis d’aller la voir. Oh! je ne<br />

serai pas longtemps… Une heure à peine…<br />

Juliette parle très naturellement… Et je ne sais pas pourquoi,<br />

je pense qu’elle ment, qu’elle ne va pas chez Gabrielle… et je<br />

suis mor<strong>du</strong> par un soupçon, vague, affreux… Je lui dis :<br />

— Ne pourrais-tu pas attendre demain?<br />

— Oh! c’est impossible!… Tu comprends, j’ai promis!<br />

— Je t’en prie!… demain…<br />

— C’est impossible!… Cette pauvre Gabrielle!<br />

— Eh bien!… Je vais avec toi… Je resterai à la porte, je<br />

t’attendrai!<br />

Sournoisement, je l’examine… Son visage n’a pas frémi…<br />

Non, en vérité, elle n’a pas eu la moindre surprise des nerfs. Elle<br />

répond avec douceur :<br />

— Ça n’est pas raisonnable!… Tu es fatigué, mon chéri…<br />

Couche-toi!<br />

Déjà j’ai vu glisser, comme une couleuvre, la traîne de sa robe,<br />

derrière la portière retombée… Juliette est dans son cabinet de<br />

toilette… Et moi, les yeux obstinément fixés sur la nappe, où<br />

danse le reflet rouge d’une bouteille de vin, je réfléchis que, dans<br />

ces temps derniers, des femmes sont venues ici, des femmes<br />

grasses, louches, des femmes qui avaient l’air de chiennes flairant<br />

des or<strong>du</strong>res… J’ai demandé à Juliette : « Qui sont ces<br />

femmes? » Juliette m’a répon<strong>du</strong>, une fois : « C’est la corsetière<br />

», une autre fois. « C’est la brodeuse… » Et je l’ai cru!…<br />

Un jour, sur le tapis, j’ai ramassé une carte de visite qui traînait…<br />

Madame Rabineau, 114, rue de Sèze… « Qui ça, M me Rabineau?<br />

» Juliette m’a répon<strong>du</strong> : « Ce n’est rien, donne… » Et elle<br />

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