Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher
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OCTAVE MIRBEAU<br />
— Certainement, je veux bien… mais plus tard… dans huit<br />
jours!…<br />
<strong>Le</strong> visage de Juliette s’assombrit.<br />
— Pourquoi dans huit jours!… Oh! je t’en prie, tout de suite,<br />
tout de suite!<br />
— C’est que, vois-tu, maintenant, je suis gêné… très gêné…<br />
— Comment? déjà?… Tu n’as plus le sou?… Ah bien,<br />
vrai!… Où ça passe-t-il donc, tout ton argent?… Tu n’as plus le<br />
sou?<br />
— Mais si… Mais si! seulement je suis gêné, momentanément.<br />
— Eh bien, alors? qu’est-ce que ça fait?… J’ai demandé aussi<br />
pour le payement… On se contenterait de billets… Cinq billets<br />
de dix mille francs… Ce n’est pas une affaire d’État!<br />
— Sans doute… Plus tard! je te promets… Viens?<br />
— Ah! fit Juliette simplement.<br />
Je la regardai, le pli de son front me terrifia; je vis passer en ses<br />
yeux une flamme sombre… Et, dans l’espace d’une seconde,<br />
tout un monde de sensations extraordinaires, et non encore<br />
éprouvées, m’envahit. Très nettement, avec une lucidité parfaite,<br />
avec un implacable sang-froid, avec une concision de jugement<br />
foudroyante, je me posai cette double question : « Juliette et le<br />
déshonneur; Juliette et la prison? » Je n’hésitai pas.<br />
— Entrons, dis-je.<br />
Elle emporta le collier.<br />
<strong>Le</strong> soir, parée de ses perles, elle s’assit sur mes genoux,<br />
radieuse, et, les bras noués autour de mon cou, elle resta longtemps<br />
à me bercer de sa douce voix.<br />
— Ah! mon pauvre chéri, disait-elle… Je n’ai pas été sage!…<br />
Oui, je me rends compte… je suis un peu folle quelquefois…<br />
Mais c’est fini maintenant!… Je veux être une femme bonne,<br />
sérieuse… Et puis, tu travailleras bien… tu feras un beau roman,<br />
une belle pièce de théâtre… Et puis nous serons riches, très<br />
riches… Et puis, quand tu seras trop gêné, nous vendrons le<br />
beau collier!… Parce que les bijoux, c’est pas comme les robes;<br />
c’est de l’argent, les bijoux… Embrasse-moi fort…<br />
Ah! comme elle s’envola vite, cette nuit-là? Comme les heures<br />
s’enfuirent, effarées sans doute d’entendre hurler l’amour avec la<br />
voix maudite des damnés.<br />
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