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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

souvenir, après tout!… D’ailleurs, il dépensait beaucoup<br />

d’argent… Qu’importe quelques gouttes rouges qui roulent sur<br />

les piles d’or!… <strong>Le</strong>s femmes en étaient folles…<br />

Ce jeune homme si joli, à la moustache si galamment<br />

retroussée?… Un jour, n’ayant plus le sou, et sa famille lui coupant<br />

les vivres, il eut l’ingénieuse pensée de faire croire à son<br />

repentir, quitta avec fracas une vieille maîtresse qu’il avait, et s’en<br />

revint à la maison paternelle. Une jeune fille, compagne de son<br />

enfance, l’adorait. Elle était riche. Il l’épousa. Mais le soir même<br />

<strong>du</strong> mariage, il emportait la dot et retrouvait la vieille maîtresse.<br />

“Elle est bonne! ajoutait Jesselin, non là, vrai! Elle est très<br />

bonne!”<br />

Et les complaisants, et les chassés des clubs, et les expulsés des<br />

Courses, et les exécutés de la Bourse, et les étrangers venus, le<br />

diable sait d’où, qu’un scandale apporte et que remporte un<br />

autre scandale, et les vivants hors la loi et l’estime bourgeoise, qui<br />

s’adjugent des royautés parisiennes, devant lesquelles on<br />

s’incline. Tous ils grouillaient là, superbes, impunis et tarés! »<br />

Juliette écoutait, amusée par ces récits, attirée par cette boue<br />

et par ce sang, flattée des hommages ignobles qu’elle sentait lui<br />

arriver des regards de ces crétins et de ces bandits. Mais elle gardait<br />

sa tenue décente, son charme de vierge, ses allures à la fois<br />

hautaines et abandonnées, pour lesquelles un jour, chez Lirat, je<br />

m’étais damné!…<br />

Voilà que les figures pâlissent, les traits s’étirent… la fatigue<br />

gonfle et rougit les paupières…<br />

Un à un, ils quittent le cabaret, las et inquiets… Savent-ils ce<br />

que demain leur réserve, ce qui les attend chez eux; quelle ruine<br />

les guette; au fond de quel gouffre de misère et d’infamie ils<br />

sombreront, les pauvres diables?… Quelquefois un coup de pistolet<br />

creuse un vide dans la bande… Ne sera-ce pas leur tour,<br />

demain?… Demain!… Ne sera-ce pas mon tour aussi? Ah!<br />

demain!… toujours la menace de demain!… Et nous rentrions<br />

sans rien nous dire, hébétés, mornes.<br />

<strong>Le</strong> boulevard était désert. Un grand silence s’appesantissait<br />

sur la ville. Seules, les fenêtres des tripots luisaient, pareilles à des<br />

yeux de bêtes géantes, tapies dans la nuit.<br />

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