03.07.2013 Views

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

OCTAVE MIRBEAU<br />

et un protecteur des arts. Dans les journaux, on citait son nom,<br />

dévotieusement.<br />

Et cet autre, énorme, joufflu, dont le visage gras et plissé est<br />

éternellement fen<strong>du</strong> d’un rire idiot?… Un enfant!… Dix-huit<br />

ans, à peine. Il a une maîtresse retentissante, avec laquelle il se<br />

montre au Bois, le lundi, et un professeur-abbé qu’il con<strong>du</strong>it au<br />

lac, le mardi, dans la même voiture. Sa mère a ainsi compris<br />

l’é<strong>du</strong>cation de ce fils, voulant qu’il menât de front les saintes<br />

croyances et les galantes aventures. Au demeurant, ivre tous les<br />

soirs, et cravachant sa vieille folle de mère. “Un vrai type!” résumait<br />

Jesselin.<br />

Un <strong>du</strong>c, celui-là, un <strong>du</strong>c porteur d’un grand nom de<br />

France!… Ah! le joli <strong>du</strong>c! <strong>Le</strong> roi des pique-assiettes! Il entre<br />

timidement, comme un chien peureux, regarde à travers son<br />

monocle, flaire un souper, s’installe et dévore <strong>du</strong> jambon et <strong>du</strong><br />

pâté de foie gras. Il n’a peut-être pas dîné, le <strong>du</strong>c; il est sans<br />

doute revenu bredouille de ses quotidiennes tournées au café<br />

Anglais, à la Maison Dorée, chez Bignon, en quête d’un ami et<br />

d’un menu. Très bien avec les petites dames et les marchands de<br />

chevaux, il fait les commissions des unes, monte les bêtes des<br />

autres. Chargé de dire, partout où il va : “Ah! quelle femme<br />

charmante!… Ah! quelle admirable bête!” il reçoit, en échange<br />

de ces services, quelques louis avec lesquels il paye son valet de<br />

chambre.<br />

Encore un grand nom, peu à peu et irrémédiablement tombé<br />

dans la pourriture des métiers abjects et des proxénétismes<br />

cachés. Celui-ci fut brillant, autrefois; il garde encore, malgré<br />

l’embonpoint qui est venu, malgré la bouffissure des chairs, une<br />

allure élégante, et un parfum de bonne compagnie. Dans les<br />

mauvais lieux et les sociétés bizarres où il opère, il joue le rôle<br />

rétribué que jouaient, il y a cinquante ans, les majors dans les<br />

tables d’hôte. Sa politesse et son é<strong>du</strong>cation lui sont un capital<br />

qu’il exploite en perfection. Il sait tirer parti <strong>du</strong> déshonneur des<br />

autres, aussi habilement que <strong>du</strong> sien, car nul, mieux que lui, ne<br />

s’entend à mettre ses malheurs conjugaux en coupe réglée.<br />

Ce visage livide, encadré de favoris grisonnants, cette lèvre<br />

mince, cet œil éteint?… On ne savait pas!… Longtemps des<br />

bruits sinistres avaient couru sur ce personnage, des histoires de<br />

sang… D’abord, on eut peur et on s’éloigna… Un vieux<br />

151

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!