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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

l’aimais d’une pitié immense… ah! ne riez pas!… d’une pitié<br />

maternelle, d’une pitié infinie!…<br />

— Est-ce que nous n’allons pas sortir, mon chéri?… Ce serait<br />

si gentil de faire un tour de Bois.<br />

Et, jetant les yeux sur le papier blanc, où je n’avais pas écrit<br />

une ligne :<br />

— C’est tout ça?… Vrai!… tu ne t’es pas foulé la rate… Et<br />

moi qui suis restée pour te faire travailler!… Oh! d’abord, je sais<br />

que tu n’arriveras jamais à rien… Tu es bien trop mou!…<br />

Bientôt, tous les jours et tous les soirs nous sortîmes. Je ne<br />

résistais pas, presque heureux d’échapper aux mortels dégoûts,<br />

aux réflexions désespérées que me suggérait notre appartement,<br />

à la vision symbolique <strong>du</strong> vieil homme, à moi-même… Ah! surtout<br />

à moi-même. Dans la foule, dans le bruit, dans cette hâte fiévreuse<br />

de l’existence de plaisir, j’espérais trouver un oubli, un<br />

engourdissement, dompter les révoltes de mon esprit, faire taire<br />

le passé dont j’entendais, au fond de mon être, la voix gémir et<br />

pleurer. Et, puisque, j’étais dans l’impossibilité d’élever Juliette<br />

jusqu’à moi, j’allais m’abaisser jusqu’à elle. <strong>Le</strong>s hauteurs sereines<br />

où trône le soleil, que j’avais gravies lentement, au prix de quels<br />

efforts! je les redescendrais d’un coup, d’une chute instantanée,<br />

irrémédiable, <strong>du</strong>ssé-je, en bas, me fracasser la tête contre les<br />

pierres, ou disparaître dans la boue profonde. Il n’était plus question<br />

de m’enfuir. Si, par hasard, cette idée venait encore traverser<br />

les brumes de mon cerveau, si, dans l’égarement de ma volonté,<br />

j’apercevais, toujours plus lointaine, une route de salut, où le<br />

devoir semblait m’appeler, pour me soustraire à l’idée, pour ne<br />

pas m’élancer sur cette route, je m’accrochais à de faux semblants<br />

d’honneur… Pouvais-je quitter Juliette moi qui avais exigé<br />

qu’elle quittât Malterre? Moi parti, que deviendrait-elle?… Mais<br />

non! mais non! je mentais… Je ne voulais pas la quitter, parce<br />

que je l’aimais, parce que j’avais pitié d’elle, parce que… N’étaitce<br />

point moi que j’aimais, de moi que j’avais pitié?… Ah! je ne<br />

sais plus! je ne sais plus!… Aussi ne croyez pas que l’abîme où<br />

j’ai roulé m’ait surpris brusquement… Ne le croyez pas! Je l’ai vu<br />

de loin, j’ai vu son trou noir et béant horriblement, et j’ai couru à<br />

lui… Je me suis penché sur les bords pour respirer l’odeur infecte<br />

de sa fange, je me suis dit : « C’est là que tombent, que s’engouf-<br />

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