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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

sa nuque parfumée où mes lèvres aimaient à se pâmer, sa nuque<br />

me paraissait plus obstinée qu’un mur de pierre… De sourdes<br />

impatiences s’agitaient en moi, et je m’efforçais de les dompter.<br />

À mesure que la colère m’envahissait, ma voix cherchait des intonations<br />

plus caressantes, se faisait plus douce, plus suppliante.<br />

— Juliette! ma Juliette!… Parle-moi, je t’en prie!… Parlemoi!…<br />

Je t’ai fait de la peine, j’ai été trop <strong>du</strong>r?… c’est vrai… Je<br />

me repens, je te demande pardon… Mais parle-moi.<br />

On eût dit que Juliette ne m’entendait pas. Elle coupait les<br />

feuillets de son livre, et le sifflement <strong>du</strong> couteau sur le papier<br />

m’agaçait horriblement.<br />

— Ma Juliette!… Comprends-moi… C’est parce que je<br />

t’aime que je t’ai dit cela… C’est parce que je te veux si pure, si<br />

respectée!… Et qu’il me semble que ces gens sont indignes de<br />

toi… Si je ne t’aimais pas, que m’importerait? Et puis, tu crois<br />

que je ne veux pas que tu sortes!… Mais non… Nous sortirons<br />

souvent, tous les soirs… Ah! ne sois pas ainsi!… J’ai eu tort!…<br />

Gronde-moi, bats-moi… Mais parle, parle donc!…<br />

Elle continuait de tourner les pages <strong>du</strong> livre… <strong>Le</strong>s mots<br />

s’étranglaient dans ma gorge :<br />

— C’est mal, Juliette, ce que tu fais là… Je t’assure que c’est<br />

mal d’être comme tu es… Puisque je me repens! Ah! quel plaisir<br />

éprouves-tu donc à me torturer de la sorte?… Puisque je me<br />

repens!… Voyons, Juliette, puisque je me repens!…<br />

Aucun muscle de son corps ne tressaillait à mes prières. Sa<br />

nuque surtout m’exaspérait. Entre des mèches de cheveux follets,<br />

j’y voyais maintenant une tête de bête ironique, des yeux qui<br />

me raillaient, une bouche qui me tirait la langue. Et j’eus la tentation<br />

d’y porter la main, de la labourer avec mes doigts, d’en<br />

faire jaillir <strong>du</strong> sang.<br />

— Juliette! criai-je.<br />

Et mes doigts crispés, écartés, crochus comme des serres,<br />

s’avançaient, malgré moi, prêts à s’abattre sur cette nuque, impatients<br />

de la déchirer.<br />

—Juliette!<br />

Juliette retourna légèrement la tête, me regarda avec mépris,<br />

sans terreur.<br />

— Que veux-tu? me dit-elle.<br />

— Ce que je veux?… Ce que je veux?…<br />

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