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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

avait mal tourné. Aussi le gaspillage était-il énorme, notre table<br />

très mauvaise, le reste à l’avenant. Si, par hasard, nous avions <strong>du</strong><br />

monde, Juliette commandait chez Bignon des plats très chers et<br />

très prétentieux. Je vis avec déplaisance des familiarités inconvenantes,<br />

une sorte de liaison amicale s’établir entre Juliette et<br />

Célestine. Quand elle habillait sa maîtresse, elle lui contait des<br />

histoires dont celle-ci se réjouissait, dévoilait les intimités malpropres<br />

des maisons où elle avait passé, donnait des conseils…<br />

Chez M me K… on faisait comme ci; chez M me V… comme ça.<br />

Aussi, c’étaient des « chouettes places », on peut le dire. Souvent,<br />

Juliette se rendait à la lingerie où Célestine cousait, et elle<br />

restait là, des heures entières, assise sur une pile de draps, à<br />

écouter les inépuisables « potins » de la bonne… De temps en<br />

temps, des discussions s’élevaient à propos d’un objet dérobé,<br />

d’un manquement au service. Célestine s’emportait, lançait les<br />

plus grossières injures, tapait les meubles, glapissait de sa voix<br />

esquintée :<br />

— Ah ben!… merci!… En v’là une sale baraque! Des grues<br />

pareilles, ça se permet de vous accuser!… Hé, tu sais, ma petite,<br />

je me fiche de toi, et puis de ton nigaud, là-bas… qu’a l’air d’un<br />

melon!…<br />

Juliette la renvoyait, ne voulait pas même qu’elle fît ses huit<br />

jours…<br />

— Oui, oui!… tout de suite vos paquets, vilaine fille… tout<br />

de suite.<br />

Elle venait se blottir près de moi, tremblante et pâle.<br />

— Ah! mon chéri, l’indigne créature, la vilaine fille! Moi qui<br />

étais si gentille pour elle!<br />

<strong>Le</strong> soir, tout était raccommodé. Et, par-dessus les rires qui<br />

recommençaient de plus belle, la voix de Célestine braillait :<br />

— Bien sûr que c’était une rude salope que M me la comtesse!<br />

Ah! la salope.<br />

Un jour, Juliette me dit :<br />

— Ta petite femme n’a plus rien à se mettre… Elle est nue<br />

comme un ver, la pauvre!<br />

Alors, ce furent des courses nouvelles, chez la couturière, la<br />

modiste, la lingère; et elle redevint gaie, vive, plus aimante.<br />

L’ombre d’ennui qui avait assombri son visage se dissipa… Au<br />

milieu des étoffes, des dentelles, parmi les plumes et les fanfrelu-<br />

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