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Le Calvaire - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LE CALVAIRE<br />

point à Juliette, je n’osais les lui dévoiler trop brusquement; mais<br />

aux premiers mots que j’en dis, elle exulta.<br />

— Oui, oui! s’écria-t-elle joyeuse… J’y avais songé, mon chéri.<br />

Et puis, sais-tu à quoi j’ai songé encore?… Dis-le, dis-le vite, à<br />

quoi ta petite femme a songé?<br />

Elle appuya ses deux mains sur mes épaules, et souriante :<br />

— Tu ne sais pas?… Vrai, tu ne sais pas?… Eh bien! elle a<br />

songé que tu viendrais habiter avec elle… Oh! ce serait si gentil<br />

un joli petit appartement, où nous serions, tous deux, bien seuls,<br />

à nous aimer, dis, mon Jean?… Toi, tu travaillerais; moi, pendant<br />

ce temps-là, près de toi, sans bouger, je ferais de la tapisserie<br />

et, de temps en temps, je t’embrasserais, pour te donner de<br />

belles idées… Tu verras, mon chéri, si je suis une bonne femme<br />

de ménage, si je soignerai bien toutes tes petites affaires…<br />

D’abord, c’est moi qui rangerai ton bureau. Tous les matins tu y<br />

trouveras une fleur nouvelle… Et puis, Spy aura aussi une belle<br />

niche… pas, mon Spy?… une belle niniche, toute neuve, avec<br />

des pompons rouges… Et puis, nous ne sortirons pas, presque<br />

jamais… et puis, nous nous coucherons de bonne heure… Et<br />

puis, et puis… Oh! comme ce sera bon!<br />

Redevenant sérieuse, elle dit, d’une voix grave :<br />

— Sans compter que ça sera bien moins cher, la moitié moins<br />

cher, juste!<br />

Nous arrêtâmes un appartement, rue de Balzac, et il fallut<br />

nous occuper de l’aménagement. Ce fut une grosse affaire. Toute<br />

la journée, nous courions les marchands, examinant des tapis,<br />

choisissant des tentures, discutant des projets et des devis.<br />

Juliette eût voulu acheter tout ce qu’elle voyait; mais elle allait de<br />

préférence aux meubles, compliqués, aux étoffes éclatantes, aux<br />

broderies massives. L’éclaboussement de l’or neuf, le papillotage<br />

des tons heurtés l’attiraient et la retenaient charmée. Si je tentais<br />

de lui adresser une observation, elle répondait aussitôt :<br />

— Est-ce que les hommes connaissent ces choses-là?… <strong>Le</strong>s<br />

femmes, ça sait bien mieux.<br />

Elle s’entêta dans le désir de posséder une sorte de bahut<br />

arabe, effroyablement peinturluré, incrusté de nacre, d’ivoire, de<br />

pierres fausses, et qui était immense.<br />

— Tu vois bien qu’il est trop grand, qu’il ne pourrait pas<br />

entrer chez nous, lui disais-je.<br />

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